Résumés
Résumé
La découverte des mythes amérindiens a posé aux Européens des difficultés particulières. Ils ont constitué un véritable point aveugle, comme le montre l’interprétation d’un des épisodes du cycle cosmogonique d’Aataentsic par Jean de Brébeuf et par Antoine-Denis Raudot. Si le premier ne voit dans les légendes amérindiennes qu’un avatar de la mythologie judéo-chrétienne, le second y trouve matière à nourrir une obsession à l’endroit des monstres. Ainsi la mythologie amérindienne est-elle dépouillée de son sens véritable et de toute valeur propre et permet-elle aux deux relationnaires de s’aveugler sur leurs propres mythologies.
Mots-clés :
- Huron,
- mythologie,
- idéologie,
- monstre,
- missionnaire
Abstract
The discovery of Amerindian myths posed a number of specific challenges for Europeans. Such myths constituted a veritable blind spot, as is made evident in the interpretation of one of the episodes of the cosmogonic cycle of Aataentsic by Jean de Brébeuf and by Antoine-Denis Raudot. While Brébeuf only saw Amerindian legends as an avatar of Judéo-Christian mythology, Raudot found in them the seeds to nourish an obsession with monsters. Thus, Amerindian mythology is stripped of its true meaning and any inherent value, permitting both narrators to consequently blinker themselves in regards to their own mythologies.
Keywords:
- Huron,
- mythology,
- ideology,
- monster,
- missionary
Resumen
El descubrimiento de los mitos amerindios ocasionó a los Europeos dificultades particulares. Estos mitos fueron parte de un verdadero punto ciego, como lo demuestra la interpretación de uno des los episodios del ciclo cosmogónico de Aataentsic de Jean de Brébeuf y de Antoine-Denis Raudot. Si de Brébeuf solo ve en las leyendas amerindias que un avatar de la mitología judío-cristiana, Raudot encuentra materia que alimenta su obsesión vis-à-vis de los monstruos. Entonces la mitología amerindia se despoje de su sentido verdadero y de todo valor propio y permite a los relatadores de cegarse ante a sus propias mitologías.
Palabras clave:
- Huron,
- mitología,
- ideología,
- monstruo,
- misionario
Corps de l’article
La découverte des mythes amérindiens par les Européens n’a pas été sans poser des difficultés particulières. On peut même penser qu’ils ont constitué un véritable point aveugle. C’est du moins ce que suggère l’interprétation de l’un des épisodes du cycle cosmogonique huron d’Aataentsic par Jean de Brébeuf, un missionnaire jésuite du XVIIe siècle[1], et par Antoine-Denis Raudot, un administrateur colonial, en poste à Québec de 1705 à 1710[2].
L’analyse de la lecture du mythe par les deux relationnaires révèle en effet chez eux une tendance marquée à annexer la mythologie amérindienne à des préconceptions et à des préoccupations qui font l’impasse sur l’Autre. Si chez le missionnaire du « grand siècle de la Bible », pour reprendre le titre d’un ouvrage de Jean-Robert Armogathe (1989), le mythe est inscrit dans un mode de pensée qui fait de la Révélation le point focal de toute vérité, chez l’intendant de la Nouvelle-France, contemporain de la crise de la conscience européenne, analysée naguère par Paul Hazard (1935), il nourrit une réflexion sur la tératologie qui peut sembler quelque peu indécise pour ne pas dire confuse. C’est ce que dénotent les interventions des deux relationnaires au sein de leurs récits, leurs prises de positions et leurs jugements, voire leurs silences sur certaines particularités de la légende. Ce sont autant d’aspects des récits des deux hommes qui permettent de dégager la problématique dans laquelle s’enfouit et s’épuise leur propre mythologie.
Mais avant tout, situons l’épisode relaté par les deux chroniqueurs. Le cycle cosmogonique huron d’Aataentsic[3] met en scène une déité féminine qui, tombée du ciel, crée la terre et les hommes[4]. Sur terre, elle donne naissance à une fille qui accouche de deux garçons, Iouskeha[5] et Tawiscaron[6]. Alors que le premier cherche à rendre le monde viable aux hommes, le second, souvent allié à sa grand-mère, ne cesse de renverser ce que l’autre a fait[7]. Frères ennemis, ils finissent par en venir aux coups et c’est cet épisode particulier, ainsi que ses suites, que rapportent Jean de Brébeuf et Antoine-Denis Raudot.
La fille d’Aataentsic, raconte le missionnaire, dont la relation, faut-il le rappeler, était appelée à circuler dans différentes communautés religieuses et auprès des croyants pour servir de lecture spirituelle[8],
enfanta deux garçons, Tawiscaron & Iouskeha, lesquels estant deuenus grands eurent quelque pique par ensemble ; iugez si cela ne ressent point quelque chose du massacre d’Abel[9]. Ils en vindrent aux mains ; mais auec des armes bien differentes ; Iouskeha auoit le bois d’vn Cerf, Tawiscaron se contenta de quelques fruits de rosier sauuage, se persuadant qu’il n’en auroit pas si tost frappé son frere, qu’il tomberoit mort à ses pieds ; mais il en arriua tout autrement qu’il ne s’estoit promis, & Iouskeha au contraire luy porta vn si rude coup dans les flancs, que le sang en sortit en abõdance. Ce pauure miserable se mist aussi-tost en fuite, & de son sang, dont ces terres furent arrousées, nasquirent certaines pierres semblables à celles dont nous nous seruons en France pour battre le fusil, que les Sauuages appellent encor auiourd’huy Tawiscara, du nom de cet infortuné, son frere le poursuiuit & l’acheua : voila ce que la pluspart croyent de l’origine de ces Nations.
Brébeuf 1636 : JR X : 128-130 ; Brébeuf 1996 : 109-110
Le récit, presque réduit à l’état d’esquisse, comporte peu de détails, peut-être parce que Jean de Brébeuf n’a pas réussi à obtenir de ses informateurs qu’ils développassent leurs « mysteres si cachez », peut-être aussi parce qu’il était assez peu intéressé par une légende dans laquelle il ne voyait qu’une contrefaçon d’un récit biblique, pour tout dire, un « mensonge » (Brébeuf 1635 : JR VIII : 118 ; Brébeuf 1996 : 30).
En effet, alors qu’il fait allusion à la chute d’Aataentsic sur terre, il observe que certains Amérindiens l’attribuent à une « cause, qui semble auoir quelque rapport au fait d’Adam, mais le mensonge y a preualu », tranche-t-il (Brébeuf 1636 : JR X : 126 ; Brébeuf 1996 : 108). Les mythes amérindiens ne sont que l’expression déformée, ou plutôt pervertie, des vérités enseignées par l’Église. Les Amérindiens, affirme-t-il, ne peuvent méconnaître l’existence de Dieu, ils en voient bien « quelque chose », mais ils ont « les yeux de l’esprit fort obscurcis des tenebres d’vne longue ignorance, de leurs vices & pechez » (Brébeuf 1635 : JR VIII : 116-118 ; Brébeuf 1996 : 29-30). Dans l’esprit du missionnaire, tous les hommes ont accès à la Révélation, sans quoi Dieu serait injuste, mais nombre d’entre eux, parce qu’ils sont à la fois sous l’emprise de Satan, le Trompeur par excellence[10], et corrompus par leurs vices et par leurs péchés, ont dénaturé le message divin. L’« aueuglement » des Hurons « pour les choses du Ciel », explique le jésuite,
c’est ce que leurs vices & leurs brutalitez leur ont merité enuers Dieu. Il y a quelque apparence qu’ils ont eu autrefois quelque cognoissance du vray Dieu pardessus la nature, comme il se peut remarquer en quelques circonstances de leurs fables ; & quand ils n’en n’auroient point eu que celle que la Nature leur pouuoit fournir, encore eussent-ils deu estre plus raisonnables en ce suiet.[11]
Brébeuf 1636 : JR X : 124 ; Brébeuf 1996 : 107
Autant par révélation surnaturelle (« pardessus la nature »), que par leurs lumières naturelles, les Hurons ont inévitablement connu l’existence du « vray Dieu », c’est-à-dire l’existence de la divinité judéo-chrétienne. Mais ne reste de cette connaissance que des traces éparses et, qui pis est, corrompues, travesties. Jean de Brébeuf ne cherche pas à comprendre la mythologie huronne ; elle ne lui sert qu’à illustrer l’aveuglement de ceux qui ont perdu de vue le message qu’il attribue à son dieu. Ce qu’il retient essentiellement de la légende, c’est qu’elle « ressent [...] quelque chose du massacre d’Abel ». Chez lui, le sens précède le récit, qui ne sert qu’à le confirmer. Son comparatisme ne vise qu’à prescrire une signification qui enlève à la légende toute valeur et qui la métamorphose en contrefaçon de la vérité. Le récit ne sert qu’à confirmer sa foi, qu’à conforter celle de ses lecteurs et qu’à stigmatiser ceux que les vices et le comportement bestial ont condamnés à l’aveuglement. Le mythe est ainsi enrôlé dans une défense de sa foi et inscrit dans une apologie de la religion catholique qui lui dénie toute valeur propre.
Un administrateur colonial, dont la mission n’est pas de produire une défense et illustration de la foi et qui, de surcroît, s’adresse à un public plus large que celui d’un prêtre dont la relation doit témoigner de son apostolat auprès des « Sauvages », sera-t-il capable de plus d’ouverture d’esprit ? On peut en douter à la lecture qu’Antoine-Denis Raudot fait du conflit entre les deux frères. C’est dans la quarante-et-unième « lettre » de l’une des versions de sa « Relation par lettres » qu’il rapporte la légende huronne[12]. Le début de la lettre porte sur les moeurs maritales des Tsonnontouans, puis sur celles des « nations où les sauvages n’ont qu’une femme », mais très rapidement Raudot abandonne le sujet pour observer que « les sauvages ne comptent jamais leur age », qu’ils « ne savent compter que jusque à dix » et qu’ils « ne conservent d’histoires parmi eux que dans leur mémoire ». Il poursuit alors en observant qu’ils « fesoient du sucre d’erable », puis passe, sans transition, au récit du conflit entre « le corps long », c’est-à-dire Iouskeha, et son frère Tawiscaron, francisé en « la pierre à fusil »[13].
En plus d’être absolument original, son récit, plus développé que celui du missionnaire jésuite, met en scène des protagonistes au comportement plus complexe, sans doute parce que son informateur était mieux au fait de la légende huronne[14]. Par exemple, c’est en profitant de la « foiblesse du genie de son frere » que Le Corps Long lui soutire les renseignements qui lui permettront de le tuer[15]. Après le meurtre, il est tourmenté par « l’esprit » de son frère, par le «manitou» de celui-ci et même par le sien, si bien qu’il ne dort « ny nuit ny jour »[16]. En outre, le récit illustre comment il est amené à inventer l’arc et la flèche, le plat de bois, ainsi que le canot d’écorce, pour répondre aux attentes de la femme avec laquelle il s’est mis à vivre après avoir créé une île sur le lac Huron. Enfin, il est lui-même tué par sa femme, qui se jette ensuite dans l’eau, suivie par leurs huit enfants et c’est le corps de celle-ci ainsi que les coups donnés dans l’eau par les enfants qui se débattent avant de se noyer qui forment le chapelet d’îles de la baie de Toronto. En plus d’être ancien, le récit que produit Raudot est original et témoigne d’une variante de la légende, sans doute propre à un des clans de la nation huronne[17].
Cela dit, le récit comprend des observations que l’on peut difficilement attribuer à un Amérindien. Par exemple, tout en expliquant que le manitou de La Pierre à Fusil lui représente en rêve l’arme qui pourrait le tuer, ce qui est conforme au mode de pensée des Amérindiens qui croyaient à la transmission de messages des esprits par la voie onirique, Raudot ajoute que Le Corps Long était certain que « par un effet de crainte dont son esprit paroissoit saisy dans son jeune [jeûne] il ne manqueroit jamais d’estre premier à son imagination ». Le narrateur change alors de registre explicatif. Son interprétation s’inscrit à la fois dans la théorie des passions de l’âme, dans laquelle celle-ci peut apercevoir si vivement un objet imaginaire qu’elle le croit réel[18], et dans la tradition critique des missionnaires, qui refusaient de voir dans les rêves des Amérindiens des manifestations d’ordre spirituel et qui les réduisaient à des états pathologiques provoqués par des jeûnes excessifs. De la même façon, lorsque Raudot explique que Le Corps Long décide d’ajouter les plumes d’un oiseau de proie à ses flèches, « s’imaginant que cela donneroit le mesme talent à ses fleches », il use d’un verbe qui ne rend pas compte de la pensée animiste des Amérindiens, dans laquelle l’esprit et le pouvoir d’un objet ou d’un animal peut se transmettre à un autre. En voyant dans la pensée du héros mythique un effet de son imagination, il la réduit à une forme d’aberration intellectuelle et lui dénie toute signification spirituelle. Enfin, lorsque Le Corps Long livre à sa femme le secret qu’il avait caché à son frère, le narrateur explique que « le foible des hommes est de ne rien refuser au[x] fe[mm]e[s] »[19]. La remarque s’inscrit davantage dans les conventions du Théâtre de la Foire qu’elle n’appartient à la logique d’un récit mythologique. Si on fait abstraction de ces interventions, qui portent toutes sur le psychisme de l’un des protagonistes, Raudot n’intervient jamais dans le récit, ni pour le commenter, ni pour juger de la vraisemblance des faits rapportés.
Il ne cherche pas davantage à faire le lien entre le conte huron et le récit biblique du conflit entre Caïn et Abel ni à rapprocher les deux héros de la légende huronne d’autres figures gémellaires mythiques, par exemple Étéocle et Polynice, ou Romulus et Remus, dont on a peine à croire qu’il ignorait les péripéties de leur discorde.
À dire le vrai, tout au long de sa narration, Raudot adopte une attitude de retrait, si bien qu’il rapporte nombre de faits extraordinaires sans leur prêter attention ni émettre le moindre commentaire à leur sujet. On peut, par exemple, penser aux chiens des deux frères qui disparaissent dans des hurlements « affreux », ou à l’écorce de bouleau impropre à la fabrication d’un canot, mais qui le devient après que Le Corps Long la replace sur l’arbre et qu’il secoue des feuilles de sapin sur celui-ci. Raudot ne marque pas davantage d’étonnement devant le fait que le manitou de La Pierre à Fusil trompe celui-ci en lui disant que l’aveu de ce qui peut le tuer, « fait avec confiance » à son frère, « les feroit vivre en paix », alors qu’il signe en réalité son arrêt de mort. On peut aussi s’étonner que Raudot, qui, comme intendant de la Nouvelle-France, devait avoir une connaissance assez précise du réseau hydrographique des Grands Lacs, rapporte que Le Corps Long crée dans le lac Huron l’île sur laquelle il vit avec sa compagne, mais que sa geste s’achève dans la baie de Toronto, sur le lac Ontario. Toujours, il se contente de rapporter les faits, sans marquer la moindre curiosité à leur endroit.
À ses yeux, l’intérêt du récit se trouve ailleurs. C’est en marquant que « les sauvages [...] ont connoissance des geans » (géants) et que les Hurons « en rapportent un (sic) histoire » qu’il amorce son exposé de la légende huronne[20]. Là réside l’intérêt du récit à ses yeux : avant même de commencer sa narration, Raudot inscrit le conte huron dans un discours thétique sur les monstres que l’on peut qualifier à la fois d’obsessionnel et de problématique. En effet, non seulement Raudot manifeste-t-il un intérêt constant à l’endroit des êtres fabuleux et monstrueux qui peupleraient le Canada, mais en plus, au cours de la rédaction des différentes versions de sa relation, il n’a cessé d’hésiter entre scepticisme et crédulité, encore que d’un texte à l’autre il semble croire de plus en plus à leur existence.
Par exemple, dans la « Lettre 3e », intitulée « Des choses extraordinaires que jacques Qartier raconta a son retour en france » (ANF, Colonies C11A, vol. 122, f° 74r), Raudot rappelle que l’explorateur malouin prétend avoir « poursuivi à la chasse une bête à deux pieds » pendant son séjour au Canada, en plus d’affirmer que Donnacona, un chef tribal, « l’avoit asseuré qu’il avoit veu un païs où les gens ne mangent point[,] n’ont point de fondement et ne digérent point mais qu’ils urinent seulement, que dans un autre païs où il avoit êté les hommes n’ont qu’une jambe, et que par dela il y avoit païs de Pygmées et une mer douce »[21].
Ainsi, bien avant de rappeler la légende huronne sur les géants, Raudot signale l’existence d’êtres humains bizarres au Canada. Il est vrai, cependant, qu’il ne le fait qu’en marquant beaucoup de scepticisme à leur endroit, sinon même en se moquant de Jacques Cartier. « On ne revient point ordinairement des pais eloignés sans avoir des choses extraordinaires à dire », écrit-il en guise de commentaire aux propos du navigateur (ANF, Colonies C11A, vol. 122, f° 74r). D’ailleurs, plus bas, il note que « ces choses furent régardées comme des fables » et il précise, non sans ironie, qu’on « n’a point vu encore dans ce continent de bête à deux pieds », ni trouvé « ces hommes qui n’ont point de fondement » ni «ceux qui n’ont qu’une jambe » (ANF, Colonies C11A, vol. 122, f° 75r).
Toutefois, la question n’est pas close pour autant. Loin s’en faut ! Le « discours » de Cartier, s’empresse d’ajouter Raudot, « se raporte assés à celui de la fille d’un sauvage Esquimau qui fût prise en 1717. et amené (sic) au fort qui a eté etabli par le s[ieur] de Courtemanche à la côte de Labrador ou elle a resté jusqu’en 1720 » (ANF, Colonies C11A, vol. 122, f° 75r-75v).
Raudot fait allusion à Acoutsina, ou Acountsina, une Esquimaude âgée de dix-huit ou vingt ans, qui fut faite prisonnière en mai 1717 par Augustin Le Gardeur de Courtemanche et qui fut retenue pendant un peu plus de deux ans au poste de traite de la baie de Phélypeaux, aujourd’hui baie de Brador, sur la rive nord du Saint-Laurent[22]. Elle aurait alors raconté aux Français qu’on trouvait dans son pays des nains hauts d’environ un mètre, qui s’abreuvaient d’eau salée, ainsi que des hommes qui avaient un corps incomplet, une moitié de celui-ci étant dénuée de tout membre. Toujours selon elle, on y trouvait aussi des Noirs, ainsi que deux géants qui urinaient par un orifice placé sous les aisselles et déféquaient par la bouche[23].
Or, si étrange que soit le récit d’Acoutsina, ce qu’elle raconte est corroboré en partie par ce qu’on lit « dans le recüeil des voyages du Nord imprimé en 1716 », constate Raudot. On y décrit en effet des « sauvages noirs comme les Ethiopiens qui se trouvent à la terre de Groenland et qui habitent avec d’autres sauvages dont les habillements et le canot ressemblent à ceux des Eskimaux, et qui ont des chiens extraordinairement grands qu’ils atelent à leus trainaux de même que nous y mettons des chevaux ». Raudot prend tellement l’information au sérieux qu’il consacre toute la « Lettre 4e » de sa relation à la description « Des Pigmées qui habitent dans le nord » (ANF, Colonies C11A, vol. 122, f° 92r-94r). Quant aux nains auxquels fait allusion Acoutsina,
des françois ont veu dans la[24] terre proche la Baye d’Hudson deux de ces petits hommes, et il en a êté amené en Dannemark suivant qu’il est marqué dans le recüeil des voyages du Nord, ils avoient êté pris dans le Golphe de Davis par des vaisseaux qui y firent voïage en 1605. et 1616. et tout ce qui est raporté touchant la nourriture, l’habillement et les canots de ces petits hommes fait connoître qu’ils sont de la même nation que les Eskimaux.
ANF, Colonies C11A, vol. 122, f° 79r-79v
Même s’il raille les propos de Jacques Cartier, Raudot ne peut s’empêcher de leur accorder une certaine attention en signalant qu’une Inuit accrédite l’existence d’êtres singuliers dans le Nord du Canada et que ses dires trouvent un écho chez des voyageurs européens. De la moquerie, Raudot est manifestement passé au doute, voire à l’assomption de l’existence d’êtres étranges au Canada.
L’existence de ces créatures singulières le préoccupe tellement qu’il revient sur le sujet lorsqu’il reprend son texte. Dès la première lettre de la version A de sa relation, rédigée en réalité après la version C et en partie à partir de celle-ci[25], Raudot rapporte à nouveau les propos de Cartier et ceux de Donnacona (ANF, Colonies C11A, vol. 122, f° 16r-16v) et, comme dans la version précédente, s’il se moque des propos du Malouin[26], c’est pour observer que tout « fabuleux » que sont les faits qu’il raconte, ils n’en sont pas moins confirmés par le « recit d’une Sauvagesse de la nation des Eskimaux » (ANF, Colonies C11A, vol. 122, f° 17r). Comme dans la version précédente de la lettre, il précise à nouveau que les propos d’Acoutsina correspondent à ce qui est rapporté dans la « relation du Groenland », mais il le fait en des termes qui suggèrent qu’il adhère de plus en plus à l’idée de l’existence d’êtres bizarres au Canada. En effet, alors même qu’il reconnaît que sa « Phisique est à bout » à l’idée que des Noirs puissent se trouver « par dela les 50. degrés de L[atitude] N[ord] et dans un pays où les Ours mêmes (sic) sont blancs » et que « Nier le fait est la seule solution [qu’il] trouve aux difficultés qui en resultent », il ajoute qu’il faut alors « donner un démenti à l’auteur de la relation du Groenland insérée dans le voyage du Nord, car [celui-ci] assure que l’on voit aussi parmy eux des sauvages noirs comme des Ethiopiens »[27]. Le fardeau de la preuve a changé de mains. Ce n’est plus à Cartier ou à Acoutsina à prouver la vérité de leur propos, mais à ceux qui doutent de l’existence d’êtres étranges au Canada à « donner un démenti ». Même dans le cas des pygmées, « l’auteur de la relation du Groenland est encore garant » du fait[28]. Preuve supplémentaire de son intérêt pour les êtres extraordinaires qui peupleraient le Nord de l’Amérique, sinon de son assentiment à leur existence, Raudot n’hésite pas à brouiller la chronologie de sa lettre, datée du 30 septembre 1705, en y rapportant un fait qu’il situe lui-même en 1720 (ANF, Colonies C11A, vol. 122, f° 10r ; ANF, Colonies C11A, vol. 122, f° 17r).
D’ailleurs, cette lettre, il l’a remaniée et ses corrections suggèrent qu’il adhère de plus en plus à l’idée de l’existence de monstres au Canada. Dans la première version de la lettre, après avoir repris l’explication déjà produite dans la quatrième lettre de la version C pour rendre compte de l’erreur de Cartier[29], il écrit que celui-ci se « sera imaginé tout ce qu’il aura voulu » au sujet du Sauvage habillé d’une peau de fourrure qu’il n’a pu rattraper (ANF, Colonies C11A, vol. 122, f° 17r). Dans le texte révisé, il n’est plus question d’un Sauvage déguisé, mais plutôt d’un homme sauvage, d’un homo silvestris. Cartier, écrit maintenant Raudot, s’imagina « avoir veu un animal semblable a l’homme de Borneo ». Certes, ce que Cartier dit avoir vu relève encore de l’imagination, mais Raudot n’en prend pas moins la peine de lester l’existence de l’animal en question d’une preuve supplémentaire en expliquant qu’on « pretend qu’il se trouve dans [l’île de Bornéo] et en plusieurs autres lieux des indes une espece de bête nommée homme sauvage qui seroit entierement semblable à l’homme si elle parloit. cet homme sauvage a la peau toute velüe, le visage sec et Brûlé, les yeux enfoncés et l’air feroce » ; il « marche sur deux pieds et avec tant de vitesse qu’on a de la peine à l’attraper ». En outre, il est doué « d’une force prodigieuse ». Cet homme sauvage pourrait n’être qu’une « espece de grand singe », reconnaît Raudot, mais, poursuit-il, un extrait d’une lettre paru dans la première livraison des Mémoires de Trévoux atteste l’existence de cette espèce singulière d’êtres humains. Le 19 mai 1699, le rédacteur de la lettre aurait vu en effet à Batavia « l’enfant d’un de ces hommes Sauvages » sur une frégate anglaise en provenance de Bornéo. À peine âgé de trois mois, « haut d’environ deux pieds », l’enfant, qui « étoit couvert de poil, mais fort court », et qui avait « la tête ronde et semblable a celle des hommes », mais les yeux, la bouche et le menton « un peu differens » et le nez « prodigieusement camus », avait déjà plus de force qu’un enfant de six ou sept ans[30]. Au lieu de s’en tenir à son explication rationnelle sur l’Amérindien que Cartier a confondu avec un animal, Raudot accumule des témoignages qui tendent à confirmer l’existence d’êtres humains demeurés à l’état sauvage et présentant des particularités morphologiques singulières. Chaque fois qu’il émet un doute sur la réalité des monstres aperçus par l’explorateur malouin ou par Donnacona, il s’empresse d’ajouter une note qui accrédite leur existence.
D’ailleurs, il modifie même son texte afin d’établir un lien entre son observation sur l’homme de Bornéo et le récit d’Acoutsina. Au-dessus de la phrase dans laquelle il fait allusion à l’homme de Bornéo, il ajoute :
*Ces animaux qu’on peut regarder comme une espece parmi les singes nous ressemblent plus par la figure que ceux dont quartier nous a parlés. Ces hommes* qui n’ont point de fondement, et
ANF, Colonies C11A, vol. 122, f° 51v *d’autres* qui n’ont qu’une jambe *parurent de pures fables [,] cependt. cela* se raporte à ce qu’on a souvent entendu assurer bien des fois à une jeune Esclave de la Nation des Eskimaux.
En plus d’établir un lien entre l’homme sauvage de l’île de l’Insulinde et les étranges créatures décrites par Acoutsina, il gomme l’allusion au caractère fabuleux du récit et écrit même qu’Acoutsina aurait assuré « bien des fois » l’existence de celles-ci. Dans la version initiale, elle ne le faisait qu’à une occasion[31]. Les autres corrections abondent dans le même sens. Raudot gomme presque toutes les phrases qui témoignent de ses doutes à l’endroit des informations avancées par Cartier et par Acoutsina[32], mais retient que le témoignage de cette dernière « se raporte cependt. à ce que dit* l’auteur de la Relation du Groenland inserée dans le recueil des Voyages du Nord » (ANF, Colonies C11A, vol. 122, f° 52v.-53r). Telle une peau de chagrin, ses doutes s’amenuisent ; ne reste que le témoignage qui confirme les propos de l’Inuit.
Raudot hésite tellement à nier l’existence de monstres dans le Nord du Canada qu’il fera enquête sur eux (Berthiaume 2011 : 199-211). Chez lui, le sens n’est pas donné d’avance comme chez le missionnaire jésuite ; il est suspendu, en appel, si l’on ose dire, d’une confirmation. Ainsi, au moment même où Raudot qualifie le récit huron de « fable » et qu’il laisse entendre que ce que disent les Amérindiens sur l’alliance que « les p[remie]rs hurons qui avoient pour armes le loup et le casse teste » avaient faite avec Le Corps Long relève de l’affabulation, il ajoute qu’ils « ont veu sa fin » et même « *ses* excremens ». Certes, il est possible que Raudot, ou le copiste, ait omis la conjonction « que » et que la phrase qui clôt le récit se rattache aux verbes raconter et conter, si bien qu’elle perd son caractère d’assertion, mais il est tout aussi possible, sinon probable, que le texte ne comporte aucune lacune et que Raudot met fin à son récit en signalant que des Hurons ont bel et bien assisté à la mort du Corps Long et qu’ils ont trouvé de ses excréments. Ainsi, au moment même où il émet des doutes au sujet de l’existence du héros mythique huron, Raudot, par une pirouette intellectuelle, en accrédite l’existence. C’est dire à quel point son récit demeure problématique.
Son discours sur l’Autre ne cesse de jongler avec un discours tératologique dans lequel il ne parvient pas vraiment à prendre position. L’univers canadien sert de toile de fond à la projection d’une interrogation sur l’existence d’êtres humains monstrueux ; il constitue un espace dans lequel l’anormal peut élire domicile. À travers les récits du « découvreur » du Canada, de celui d’une Inuit et de celui des Hurons, Raudot poursuit une réflexion, sans jamais parvenir à résoudre l’énigme qui le taraude. Il est vrai qu’à l’époque où il écrit, les singularités et les prodiges sont loin d’être considérés impossibles. « Qui peut s’assûrer de connoître tous les caprices & tous les mysteres de la Nature ? » demande Charlevoix, après avoir repris à son compte les propos de Raudot sur Cartier, sur Acoutsina, sans oublier le texte des « Voyages au Nord ». Non seulement « l’experience » est-elle garante de certains phénomènes étranges, par exemple le pouvoir de « l’imagination des Meres [...] sur le fruit qu’elles portent », mais « le témoignage même de l’Écriture » en constitue une preuve « sans réplique »[33]. Même la science s’intéresse alors de près à tout ce qui présente des anomalies sur le plan anatomique et morphologique. Ainsi chacune des livraisons de l’Histoire de l’Académie Royale des Sciences. Avec les Mémoires de Mathématiques & de Physique comprend-elle une section consacrée aux « Diverses Observations Anatomiques », dans laquelle sont décrits des êtres humains difformes, voire des monstres, observés en Europe ou ailleurs dans le monde. Rien d’étonnant alors à ce que Raudot intègre la mythologie amérindienne à une réflexion tératologique qu’il partage vraisemblablement avec nombre de ses contemporains. Comme eux, il est fasciné par la puissance d’une nature qui passe infiniment les forces des êtres humains.
Au-delà du principe de certitude, chez l’un, d’incertitude chez l’autre, la mythologie amérindienne demeure un point aveugle. Nul doute pour le missionnaire catholique que le récit amérindien est une « fable », une falsification de la vérité transmise originellement par la divinité à la laquelle il croit. Il ne voit pas que le fantastique qu’il dénonce dans la mythologie amérindienne se retrouve dans la sienne. Il reproche même aux Amérindiens de se figurer leurs dieux « tels qu’ils sont eux mesmes », sans voir que l’empyrée judéo-chrétien est habité par une divinité faite à l’image de l’homme. Il marque son étonnement au sujet de la grossesse d’Aataentsic et de celle de sa fille, toutes deux devenues enceintes en l’absence d’hommes[34], mais ne s’étonne pas de la conception de son dieu par une vierge engrossée par un esprit. Au moment même où il dénonce la « grossiere ignorance » des Hurons, il demeure persuadé que les « Mysteres » de sa religion « sont conformes à la raison » (Brébeuf 1636 : JR X : 132 ; Brébeuf 1996 : 111).
Aveuglement différent, mais aveuglement aussi chez l’intendant de la Nouvelle-France : incapable de souscrire à une rationalité qui fasse l’impasse sur les créatures tératologiques, il ne semble pas conscient du caractère légendaire de l’« histoire » qu’il rapporte ; il lui suffit qu’elle montre que les Hurons connaissent les géants. Le récit est dépouillé de toute sa dimension mythologique au profit d’une hantise pour les monstres qu’il ne parvient pas à exorciser.
Les mythes amérindiens font écran aux incohérences des mythes judéo-chrétiens chez l’un, à la crédulité chez l’autre. Mais peut-être ont-ils alors le mérite de mettre à distance respectueuse les doutes qui pourraient effleurer sur les vérités de la foi ou de repousser l’existence de monstres aux confins du monde connu. Attribuées à l’Autre, les incohérences de la théologie chrétienne sont évacuées de la conscience du missionnaire ; projetée sur l’Autre, la monstruosité est exilée hors de soi, partant conjurée. Toujours la conscience s’aveugle sur elle-même. Peut-être est-ce là le sens même des récits fabuleux rapportés par les voyageurs. Toutefois, il est un peu facile d’accuser les deux relationnaires d’aveuglement et de penser naïvement que nous sommes plus lucides qu’eux. Nous pouvons dénoncer leur cécité parce que nous n’adhérons plus à leurs modes de pensée. Mais que cachent notre analyse de leur aveuglement et, plus largement, notre lecture des mythes amérindiens ? Sans doute sommes-nous trop marqués par les idéologies dans lesquelles nous baignons pour le savoir. Au moins leur exemple devrait-il nous inciter à quelque prudence et à l’humilité. Après tout, nous aussi nous mettons à distance ces mythes en ne les approchant qu’à travers des instruments critiques ou en leur donnant une signification sociale ou politique.
Parties annexes
Annexes
Le conflit entre Le Corps Long et son frère La Pierre à Fusil[35]
Les sauvages ne comptent jamais leur age, [36], l’autre plus sincere avoua naturellement que l’on pouvoit le tuer d’un morceau de pain de bled [et] qu’il etoit juste qu’il fit un pareil aveu à son frere après celuy qu’il venoit de luy faire et que son manitou luy avoit dit que cet aveu fait avec confiance les feroit vivre en paix[.] Le corps long profita de la naiveté de son frere, et fit dès le lendemain en cachette du pain de bled d’inde et le cacha sous sa robe, et aussitost fut faire querelle à la pierre à fusil et dans la chaleur de leur discution il luy cassa la tette de ce pain, il ne l’eut pas plutost tué que les deux chiens du mort s’enleverent et disparurent en faisant des hurlemens affreux, il entendit aussi la voix du manitou de son frere qui etoit un emerillon qui le menacoit d’un pareil sort[,] aussi bien que son propre manitou qui *etoit le serpent[,] lequel* en sifflant luy fit les *mesmes* menaces en luy reprochant sa fourberie, cela le fit resoudre à ne point profiter du pouvoir qu’il avoit de creer une isle[,] avoir compagne dessus par le moyen de son cassete[te] ; il resta un grand nombre d’annés (sic) seul avec ses deux chiens qui ne luy alloient plus chercher à manger que quand ils mourroient de faim eux mesme (sic)[,] ne voulant plus luy obeir, outre cela[,] l’esprit de son frere le tourmentoit fort en se representant toujours devant luy aussi bien que son manitou qu’il ne dormoit ny jour ny nuit, cette triste situation luy fit par la fin prendre le parti de former une isle et de se faire une compagne en mesme tems, il choisit pour son êtablissem[en]t le lac huron, se mit à l’endroit nommé ( ?) {outonéoutty} qui veut dire le petit chenal, il jetta son cassette [casse-tête] au large mais assés proche pour que d’un saut il peut [put] se jetter dans l’isle qu’il formeroit[ ;] effectivement son casstette ne fut pas plutost tombé dans l’eau qu’il forma l’isle de Oki :ientehon, ce qui veut dire l’isle du manitou, d’abord que cette pierre paru[t], d’un saut il se jetta dessus et les chiens disparurent en faisant des hurlemens qui l’etonnerent[,] voyant cet evenement[,] il se mit à courir dans le bois qui étoit sur cette isle comme une ( ?) il rencontra heureusement pour sa consolation la compagne qu’il devoit y trouver, aussitost il la prit par la main, il dit[ :] il faut que c’est à toy à qui je doit confier toute ma vie et mes malheurs, il luy fit son histoire au naturel et habita avec elle[ ;] se trouvant sans le secours de ses chiens[,] après avoir bien reflechi comme il pourroit faire pour vivre et tuer de tous les animaux dont il voyoit deja dans cette isle et qui fuyoit tous de luy sans qu’il peut les joindre, il s’avisa de faire un arc et des fleches[ ;] sa femme luy fila de lorin [l’orin ( ?)] pour faire la corde de cet arc, luy promettant de luy en faire une meilleure des nerfs du premier animal qu’il turoit (sic)[ ;] il ne mit point de plumes à ces pr[emiè]res fleches[,] ne sachant point l’utilité[ ;] il y avoit seulement des pierres au bout pour qu’elles pussent mieux entrer dans le corps des animaux, il s’aperceut que les fleches ne faisoient que varier ( ?) et n’alloient point droit dans la p[remiè]re journée qu’il chassa[,] ce qui le fit aviser de chercher à tuer un oiseau de proye par raport à l’adresse de cet animal qui sait si bien se donner de quoy vivre, s’imaginant que cela donneroit le mesme talent à ses fleches tant qu’il y auroit attaché de ses plumes, ce qui luy reussit très bien, ils se trouverent à faire bonne chere[,] s’etant rendu très adroit à la chasse[,] sa f[emm]e luy fit un reproche de ce qu’il luy laissoit manger la viande sur les feuilles, il luy fit un plat de bois, elle luy temoigna ensuitte qu’elle souhaittoit manger du castor, il se trouva fort embarassé de quelle maniere il en pourroit avoir[,] n’ayant point de voiture qui put le conduire sur l’eau et ces sortes d’animaux y habitent toujours, il s’avisa d’abatre un arbre dont l’ecorce lui paroissoit assés fine[,] il en leva environ 2 brasses[,] alors qu’il l’a (sic) voulu mettre en oeuvre[,] elle cassa[,] n’ayant point de veines[ ;] pour obvier à cet inconvenient[,] il remit l’ecorce sur l’arbre et fut chercher une branche de pin seche dont les feuilles tomboient et ayant secoüé de ces feuilles sur l’ecorce de cet arbre[,] il se forma des veines de la figure de ces veines *feuilles et* toutes les ecorces des bouleaux de l’isle de trouverent toutes de meme, ce qui lui donna de la facilité à l’employer et le moyen de satisfaire le goust de sa femme[,] ayant fait un canot dont il se servit pour chasser au castor dans les lacs et marais de l’isle ; l’ambition de sa femme ne fut pas encore satisfaite[ ;] elle voulut toujours lui donner de nouvelles inquietudes et enfin quand ils eurent 8 enfans[,] dont 4 masles et 4. femelles[,] la vie desquels ils avoient destinée[,] scavoir les 2 p[remi]ers masles nez [nés] à manger que du sucre, les 2 filles p[remiè]res nées destinées à manger toujours de la farine de bled d’Inde groulé dans les cendres, les 2. autres garçons ensuite à ne vivre que de pain de bled d’Inde et les 2. autres filles la sagamité, tout cela par les inspirations que le manitou avoit fourni (sic) au Corps long[ ;] sa femme voulut savoir le secret q[u’i]l avoit si inviolablem[en]t caché à son frere et comme le foible des hommes est de ne rien refuser au[x] fe[mm]e[s] il ne put quelque violence qu’il se fit *se dispenser* de le lui aprendre, au bout de quelques jours[,] ils eurent une querelle et les propheties de son manitou et de celui de son frere furent acomplies car ayant declaré à sa femme qu’il ne pouvoit estre tué que d’un coup de citroüille[,] elle lui en jetta une à la teste et le tua, mais aussitost elle se jetta à l’eau et son corps se transforma en une isle, ses enfans furent aussi precipités à l’instant[,] se debatirent dans l’eau longtems avant de se noyer et chaque coup qu’ils donnoient sur l’eau formoit une isle qui sont toutes les isles qui remplissent la Baye de Taronto[ ;] il y a certains rochers dans ces isles qui ont figure d’homme et de femmes[,] ils qu disent que ce sont les effigies de ceux qui les ont formées, ils assurent en racontant cette fable à leurs enfans que les p[remie]rs hurons qui avoient pour armes le loup et le casse teste[,] lesquels ont esté detruits par les Iroquois[,] avoient *fait alliance avec* cet homme qui en avoit donné le titre de leur pere et q[u’i]l etoit etabli à Taronto[,] ils ont veu sa fin et ( ?) *ses* excremens
ANF, Colonies C11A, vol. 122, f° 249v-254r et ils trouvent très extraordinaire que les françois le sache (sic), ils ne savent compter que jusque à dix et quand ils veulent compter jusque à 15.[,] ils disent 10. et 5 de plus[ ;] ils ne conservent d’histoires parmi eux que dans leur memoire. ils fesoient du sucre d’erable. il (sic) ont connoissance des geans [géants][ ;] ils en raportent un (sic) histoire parmi les hurons, ils disent qu’un vieillard qu’ils nomment le corps long et son frere la pierre à fusil avoient chachun [chacun] leur puissance particuliere sur la terre et vivoient tous deux tout seuls[,] n’ayant que deux gros chiens chachun [chacun] qui leur alloient chercher tels animaux qu’ils souhaittoient pour leur nourriture[ ;] la puissance du premier êtoit de pouvoir former une isle au milieu d’un lac en y jettant son cassetete et l’autre pouvoit aussi en faire autant en jettant une des pierres dont il portoit le nom, ils ne devoient chachun [chacun] trouver une compagne que quand ils auroient mis ces pouvoirs en execution, et meme ils vivoient tous deux bien ensemble sans s’inquietter de d’autre compagnie[ ;] ils y resterent jusques à enfin il s’eleve entre eux une querelle au sujet de leurs chiens[,] le corps pretend[an]t que les siens luy obeissoient mieux et l’autre disputoit le contraire, après s’être animé (sic) tous deux à ce sujet ils se battirent[,] le corps long se servant de son cassetete et la pierre de fusil de pierres dont il portoit le nom et ne peurent se faire aucune blessure l’un à l’autre, ils resolurent de jeuner 9 jours po[u]r savoir avec quoy ils pourroient se tuer, ils savoient chachun [chacun] de quoy il faloit se servir pour cela[,] mais ils ne vouloient se le declarer ny à l’un ny à l’autre[.] Le corps long connoissoit la foiblesse du genie de son frere et voyoit bien que pour peu que son manitou luy representra (sic) dans son reve dans le tems qu’il eut à declarer ce dont il faloit se servir pour le tuer il le feroit et par la connoissance qu’il avoit de l’arme qu’il falloit pour luy meme il jugeoit que l’autre en savoit autant à son egard et que par un effet de crainte dont son esprit paroissoit saisy dans son jeune [jeûne] il ne manqueroit jamais d’estre premier à son imagination ce qui pouvoit le detruire et que peur de manquer à ce que son manitou luy inspireroit il le declareroit naivement au cours des neuf jours[,] ce qui ne manqua pas d’arriver, le corps long qui avoit pris sa resolution et vit ce qu’il peut [put] faire de ne point dire ce qu’il falloit se servir pour le perdre, {mais au contraire de se servir par ce moyen pour tirer la verité de son frere} ne manqua [pas] de dire à son frere tout le contraire de ce qui etoit necessaire pour cet effet
Abréviations
ANC : Archives nationales du Canada.
ANF : Archives nationales de France.
BNF : Bibliothèque nationale de France.
JR : Thwaites, R. G. The Jesuit Relations and Allied Documents.
Note biographique
Professeur émérite de l’université d’Ottawa, Pierre Berthiaume est spécialiste des relations de voyages en Amérique. En plus d’être l’auteur de L'Aventure américaine au XVIIIe siècle : Du voyage à l'écriture (1990) et de Cavelier de la Salle : Une épopée aux Amériques ; Récits de trois expéditions 1643-1687 (2006) , il a fait paraître des éditions critiques : François-Xavier de Charlevoix, Journal d'un voyage fait par ordre du Roi dans l'Amérique septentrionale (1994), Mathieu Sagean, Relation des aventures de Mathieu Sagean (1999), Nicolas Perrot, Moeurs, coutumes et religion des Sauvages de l’Amérique septentrionale (2004).
Notes
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[1]
Arrivé à Québec en juin 1625, Jean de Brébeuf (1593-1649) évangélise d’abord des Montagnais, puis gagne la Huronie, où il fonde la première mission jésuite. Obligé de rentrer en France après la prise de Québec par les frères Kirke, en juillet 1629, il revient en Nouvelle-France en 1633 et reprend son apostolat chez les Hurons dès l’année suivante. Il demeure parmi eux jusqu’à la destruction de la Huronie par les Iroquois, aux mains desquels il trouve la mort, le 16 mars 1649 (R. Latourelle 1969 : I : 124-129).
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[2]
Lié à la famille des Pontchartrain, qui donne plusieurs ministres de la Marine à la France aux XVIIe et XVIIIe siècles, Antoine-Denis Raudot (1679-1737) achète une charge de commissaire de la Marine (1702), puis celle d’inspecteur général de la Marine en Flandre et en Picardie (1704), avant d’être nommé intendant de la Nouvelle-France, où il séjourne de 1705 à 1710. Promu intendant des classes (1710), il tient aussi le rôle de conseiller à la cour sur les affaires coloniales. Nommé premier commis de la Maison du roi (1713), il devient l’un des trois directeurs de la Compagnie des Indes nouvellement créée en 1717. Enfin, en 1728, il est nommé conseiller de la Marine. Tout au long de sa carrière, il s’intéresse au commerce maritime, à la question du numéraire dans les colonies et, après son séjour au Canada, à la découverte de la « mer de l’Ouest » et à la Louisiane (D. J. Horton 1969 : II : 573-579).
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[3]
Aussi orthographié Ataentsic, Eataentsic, ou Ataensiq (Tooker 1987 : 127). Son nom signifierait « celle dont le corps est ancien » (Hewitt, « Teharonhiawagon », dans Hodge II 1910 : 719).
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[4]
À l’instar de Marius Barbeau (1914 : 288 et 297), nous préférons le substantif « déité » à « déesse » ou « divinité » car il permet de distinguer le personnage, qui possède un corps, des êtres immatériels de la mythologie hébraïque. Sur les péripéties de sa chute, différentes d’un récit à l’autre, voir E. Tooker 1987 : 127-128.
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[5]
Brébeuf 1636 : JR X : 128 ; Brébeuf 1996 : 108. Aussi orthographié Jouskeha ou Yoscaha (Tooker 1987 : 128). En langue huronne, le nom signifierait « le Bon » (Hale 1888 : 181 ; Barbeau 1914 : 292). Toutefois, selon Peter D. Clarke, un historien huron du XIXe siècle, le nom signifierait « le dieu de la forêt, ou de la nature » (Hewitt, « Teharonhiawagon », dans Hodge II 1910 : 719 ; Barbeau 1914 : 297).
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[6]
C’est-à-dire « silex » ou « pierre à fusil » en langue huronne ; voir infra, p. 3. Sur la signification du nom chez les différentes nations amérindiennes et sur le mythe lui-même, voir Hewitt, « Tawiskaron », dans Hodge II 1910 : 707-711. Chez les Hurons, le silex servait à la fabrication des outils et des armes. (Trigger 1991 : 60 et 61) Les deux frères sont jumeaux et Iouskeha est l’aîné.
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[7]
« Cest Iouskeha a soin des viuans & des choses qui concernent la vie, & par consequent ils disent qu’il est bõ : Eataentsic a soin des ames, & parce qu’ils croyent qu’elle fait mourir les hommes, ils disent qu’elle est meschante » (Brébeuf 1635 : JR VIII : 118 ; Brébeuf 1996 : 30). Dans une version de la légende recensée par Horatio Hale en 1872 et 1874 dans la réserve Anderson, située sur la rive est de la rivière Détroit, à quelques kilomètres au nord du lac Érié, Tijuskeha crée les animaux utiles, alors que Tewaskarong crée ceux qui sont monstrueux et capables de détruire les hommes, serpents, panthères, loups et ours, tous gigantesques (1888 : 181). Sur l’opposition entre les deux frères, voir Hewitt, « Tewaskaron », dans Hodge II 1910 : 710 ; Barbeau 1994 : 41, 43, 45 ; Sioui 1994 : 34-35.
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[8]
Sur le lectorat et l’usage des « Relations », voir Berthiaume 1990 : 237-239.
-
[9]
Allusion à Genèse IV, 1-24.
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[10]
Dans sa « Relation » de 1640, Jérôme Lallemant le nomme « esprit de mensonge » et « Prince de luxure » (JR XX : 30).
-
[11]
Le substantif « brutalitez » renvoie à « brutal », c’est-à-dire à « celuy qui a des appetits déreglez, qui vit en beste, ou qui n’a pas plus d’esprit & de conduitte qu’une beste [...] un débauché n’a que des appetits brutaux » (Furetière 1690).
-
[12]
Le volume cent vingt-deux de la sous-série C11A du fonds « Colonies » des Archives nationales de France, qui contient la correspondance en provenance du Canada, comprend quatre versions, toutes incomplètes, de la relation. La première (version A) est constituée de deux lettres, de la main d’un copiste, datées successivement du 30 septembre 1705 et du 20 octobre de la même année. La seconde (version B) comprend les brouillons de deux lettres autographes de Raudot dont les textes s’inspirent en partie des deux lettres précédentes. La troisième version (version C) est formée d’un groupe de quarante et une lettres à caractère historique et descriptif. Enfin, on trouve une série de lettres, numérotées 44 à 90, qui correspondent en partie à la Relation par lettres de l’Amerique septentrionale (année 1709 et 1710) éditée et annotée par le P. Camille de Rochemonteix de la Compagnie de Jésus (Paris, Letouzey et Ané, 1904). Précisons que les Archives nationales du Canada possèdent le texte d’une « 3e. Lettre A Quebec ce 28. 8bre. 1705 », qui constitue la suite des deux premières lettres de la version A. La lettre dans laquelle se trouve le récit du conflit entre les deux frères appartient à la version C : voir ANF, Colonies C11A, vol. 122, f° 249r-249v.
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[13]
ANF, Colonies C11A, vol. 122, f° 249r-249v. Compte tenu de sa longueur, le récit est reporté en appendice. Protocole de transcription du texte : voir infra, n. 35.
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[14]
Raudot n’a sans doute pas interrogé lui-même des Hurons : sa source est peut-être Louis de La Porte de Louvigny, un officier en poste au fort Frontenac, puis à Michillimakinac. C’est ce que suggère une note manuscrite de Pierre Margry sur le dernier feuillet du document : voir ANF, Colonies C11A, vol. 122, f° 311v. Nommé archiviste au Ministère de la Marine et des Colonies (1844), puis conservateur adjoint aux Archives nationales, Pierre Margry (1818-1894) a édité de nombreux documents sur les colonies françaises d’Amérique, dont Relations et mémoires inédits pour servir à l’histoire de la France dans les Pays d’outre-mer, tirés des archives du Ministère de la Marine et des colonies (1867), et Découvertes et établissements des Français dans l’Ouest et dans le Sud de l’Amérique septentrionale (6 vol., 1879-1888).
-
[15]
Dans la version recensée par Horatio Hale, chacun des deux protagonistes indique sans mentir ce qui peut le tuer (1881 : 182), mais le plus souvent Iouskeha use d’artifice pour amener son frère à lui révéler ce qu’il craint le plus ou ce qui peut le tuer (Sioui 1994 : 35).
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[16]
Dans la plupart des versions du mythe, après la mort de Tawiscaron, son esprit se dirige vers le Nord-Ouest, mais cela ne l’empêche pas de visiter parfois sa grand-mère Aatahentsic (Sioui 1994 : 35-36).
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[17]
Sans doute celui du loup, comme le suggère la fin du récit. Le clan fait partie des douze clans hurons recensés par William Elsey Connelley (1899 : 26).
-
[18]
Par exemple, Descartes, dans Les Passions de l’âme, observe que « toutes les mêmes choses que l’âme aperçoit par l’entremise des nerfs, lui peuvent aussi être représentées par le cours fortuit des esprits », mais plus vivement, si bien qu’on « imagine si fortement certaines choses, qu’on pense les voir devant soi ou les sentir en son corps » (Descartes 1988 : art. 26 : 171). Voir aussi art. 21 : 168.
-
[19]
On serait porté à penser que l’idée de se confier mutuellement un secret ou celle de « confier toute [sa] vie et [ses] malheurs » à sa femme relève du genre romanesque, mais ce serait sans doute une erreur car dans le récit de son naufrage sur l’île d’Anticosti, Emmanuel Crespel rapporte un fait semblable (Crespel 1742 : 144-145).
-
[20]
Rappelons qu’une version iroquoise du mythe signale aussi que les deux personnages sont très grands (Hewitt 1903 : 232).
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[21]
ANF, Colonies C11A, vol. 122, f° 74r-74v. Allusion à ce qu’écrit Jacques Cartier dans la relation de son second voyage (1535-1536) : voir Cartier 1986 : 166 et 177. À noter que dans le cas de l’animal à deux pieds, tout ce que Cartier dit, c’est qu’il a vu des « pas » de celui-ci « pardessus le sable » et la « vaze ». En parlant de poursuite, Raudot dramatise quelque peu l’événement et lui donne davantage de réalité.
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[22]
Voir « Relation des Esquimaux De l’année 1717 a la Brador » (ANF, Colonies C11A, vol. 109, f° 41v-42r, et double, f° 45r-45v) ; lettre de Martel de Brouage du 27 août 1720 (ANF, Colonies C11A, vol.109, f° 80r-82r) ; « Costes de Labrador », février 1721 (ANF, Colonies C11A, vol. 122, f° 9r-12r).
-
[23]
ANF, Colonies C11A, vol. 122, f° 75v-76v et f° 79r. Sources probables de Raudot : lettre de Martel de Brouage du 6 septembre 1719 (ANF, Colonies C11A, vol. 109, f° 69v-70r) et « Côte de Labrador » (ANF, Colonies C11A, vol. 122, f° 320r-326r). Sur Acoutsina, voir Jacques Rousseau 1969 : II : 7-10.
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[24]
Le rédacteur avait originellement écrit « les », puis a transformé le « es » en « a ».
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[25]
Voir P. Berthiaume, « Le casse-tête Raudot », dans Représentation, métissage et pouvoir (sous la direction d’Alain Beaulieu et de Stéphanie Chaffray), Québec, PUL, 2012, p. 125-155.
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[26]
Jacques Cartier « eût degeneré de la vertu des anciens, si revenant d’un pays si Eloigné et tout a fait inconnu jusqu’alors, il n’avoit rien aporté de singulier, aussi en dit-il de toutes les façons [...] Il n’est pas besoin de vous dire que cela fût regardé comme des fables. on a remonté le Saguenay jusqu’ou il est pratiquable, et on n’a vû que des pays afreux qui ne fournissent pas le necessaire pour la vie. La bête a deux pieds que Cartier avoit poursuivi êtoit aparemment un sauvage qui Enveloppé tout entier dans une peau dont le poil êtoit en dehors contrefaisoit une bête qu’il chassoit. c’est une ruse de ces peuples pour attirer les bêtes qui fuyent dès qu’elles voyent un homme » (ANF, Colonies C11A, vol. 122, f° 16r-16v).
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[27]
ANF, Colonies C11A, vol. 122, f° 18r-18v. Raudot fait allusion à la « Relation du Groenland » dans laquelle on lit qu’on « tient qu’il y a en a de Noirs parmy eux [Groenlandais], comme des Ethiopiens » (Bernard 1715 : I : 142). J.-F. Bernard reproduit le texte de la Relation dv Groenland d’Isaac de Lapeyrère (1647 : 144).
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[28]
ANF, Colonies C11A, vol. 122, f° 19r. Lapeyrère écrit que les Groenlandais sont comme les « Lappons, de petite taille, & quarrés ; forti pectore, & armis ; bazanez, camus, & comme tels, ils avoient les levres grosses, & relevées » (Bernard 1715 : I : 156 ; Lapeyrère 1647 : 186). Une note manuscrite ancienne ajoutée à un exemplaire de la Relation dv Groenland de Lapeyrère (BNF, rés. M-18676) établit un lien entre les Groenlandais et les « Pygmées » (Lapeyrère 1647 : 186). Toutefois, Lapeyrère manifeste à plusieurs reprises son scepticisme quant aux informations fournies par les différentes chroniques qu’il a consultées, qu’il peut d’ailleurs avoir mal comprises.
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[29]
Voir supra, n. 26.
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[30]
ANF, Colonies C11A, vol. 122, f° 51v-52r. Voir « Extrait d’une lettre ecrite des Indes le 10. de Janvier 1700 », dans Mémoires pour l’histoire des sciences & des beaux-arts, janvier-février 1701, 184-186. Le rédacteur de la lettre entend confirmer une observation de Louis Le Comte. Dans ses Nouveaux Mémoires sur l’état présent de la Chine, ce dernier fait allusion à l’« Homme Sauvage » de l’île de Bornéo, en qui il voit une « espece de beste ». Mais, ajoute-t-il, s’il ne faut pas « aisément ajoûter foy à ces sortes de relations », il ne faut pas non plus « les rejetter entierement, mais attendre que le témoignage uniforme de plusieurs voyageurs nous éclaircisse plus particulierement de cette verité » (Le Comte 1697 : II : 407-408).
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[31]
On fut surpris, écrivait-il, « lorsqu’on luy entendit assurer qu’elle avoit vû dans son pays [...] » (ANF, Colonies C11A, vol. 122, f° 17r).
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[32]
Toutes ses incises sur sa « Phisique » poussée à bout, sur la nécessité de rejeter ce que raconte Cartier et sur l’impossibilité que des Noirs aient pu être transportés au Nord de l’Amérique sont gommées dans la seconde version de la lettre : voir ANF, Colonies C11A, vol. 122, f° 52v-53v.
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[33]
Charlevoix 1744 : I, 20. Voir son texte inspiré de Raudot : I, 15-20. Dans la « liste et examen des auteurs [qu’il a] consultés pour composer [son] ouvrage », Charlevoix signale qu’il a pu consulter les archives de la Marine et entre autres « dépêches », celle de Raudot (III, lxj).
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« Si vous leur demandez comment » elles sont devenues enceintes, « vous les mettez bien en peine », d’autant plus qu’il « n’y auoit point d’hõmes sur terre » (Brébeuf 1636 : JR X : 128 ; Brébeuf 1996 : 109).
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[35]
Protocole d’édition : mots placés entre accolades : mots dans la marge dans le manuscrit ; mots placés entre astérisques : mots ajoutés au-dessus de la ligne ; mots raturés : mots biffés dans le manuscrit ; mots ou signes diacritiques placés entre crochets : mots et signes ajoutés par nous. Quand la lecture du texte est incertaine, nous l’indiquons par un point d’interrogation.
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Comme on le verra plus bas, une citrouille peut le tuer. Dans toutes les versions du conte dans lesquelles Iouskeha indique ce qui peut le tuer, il identifie quelque chose qui est à la fois doux et comestible : foin d’odeur, branches de pommiers en fleurs, fruits de rosiers sauvages (Sioui 1994 : 35 et 35, n. 61). Mais tous ces objets ne sont indiqués que pour tromper Tawiscaron.
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Parties annexes
Biographical note
Professor emeritus at the Université d’Ottawa, Pierre Berthiaume is a specialist in the history of travel narratives in the Americas. As well as being the author of L'Aventure américaine au XVIIIe siècle. Du voyage à l'écriture (1990) and of Cavelier de la Salle: Une épopée aux Amériques Récits de trois expéditions 1643-1687 (2006), he has published a number of critical editions: François-Xavier de Charlevoix, Journal d'un voyage fait par ordre du Roi dans l'Amérique septentrionale (1994), Mathieu Sagean, Relation des aventures de Mathieu Sagean (1999), Nicolas Perrot, Moeurs, coutumes et religion des Sauvages de l’Amérique septentrionale (2004).