Résumés
Résumé
Compte tenu de l’écosystème d’information dans lequel nous vivons, il est désormais devenu vital d’être capable de penser de manière critique afin de ne pas se retrouver noyé·e parmi l’abondance d’information en ligne. Pourtant, la pensée critique n’a jamais autant généré de méfiance et semblé aussi insuffisante dans le climat politique actuel de la post-vérité où théories conspirationnistes et documents audiovisuels générés par l’intelligence artificielle se retrouvent propagés à grande échelle. Par un jeu de miroir entre les différentes crises existentielles et théoriques que traversent la compétence critique et les cursus de français langue et culture en Amérique du Nord, cet article vise à montrer qu’une renégociation de la pensée critique peut constituer le moteur de renouveau des cours de langues (notamment de niveau avancé), en leur conférant une nouvelle raison d’être à travers l’intégration d’objectifs critiques interdisciplinaires et en leur permettant de se détacher de l’éthique anti-critique dont ils sont traditionnellement empreints. La reconceptualisation de la pensée critique que nous proposons, la pensée critique intersectionnelle, s’inscrit dans les problématiques post-vérité en se réclamant d’une perspective partisane, politique, radicale et idéologique inhérente à la construction de tout savoir et en constituant une approche non-relativiste dans la mesure où elle appelle à une hiérarchisation critique des arguments et à l’invalidation de certaines perspectives.
Mots-clés :
- pensée critique intersectionnelle,
- didactique des langues,
- pédagogie critique,
- français langue seconde,
- post-vérité,
- désinformation,
- affect
Abstract
In the current information ecosystem, the ability to think critically has become vital so as not to feel overwhelmed by the abundance of information. However, it seems that critical thinking has never been as distrusted or inadequate as it is in today’s post-truth political climate where conspiracy theories and artificial intelligence-generated content circulate on a massive scale. By comparing similar existential and theoretical crises that critical thinking and French language and culture programs face in North America, this article aims to show that a renegotiation of critical thinking can be the driving force of a renewal of French language courses, giving them a new raison d’être through the integration of interdisciplinary critical objectives that would enable them to move away from their anti-critical ethos. The reconceptualization of intersectional critical thinking that we propose is in line with post-truth issues, claiming a partisan, political, radical, and ideological perspective inherent to the construction of all knowledge and constituting a non-relativist approach insofar as it calls for a critical hierarchization of arguments and the invalidation of certain perspectives.
Keywords:
- intersectional critical thinking,
- language teaching,
- critical pedagogy,
- French as a second language,
- post-truth,
- misinformation,
- affect
Corps de l’article
Abréviations
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PC : pensée critique
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PCI : pensée critique intersectionnelle
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PCT : pédagogie critique
1. Introduction
La multiplication récente des crises sanitaires, politiques, environnementales ou migratoires continue d’ancrer de manière systématique et constante l’ère (post-)Covid dans une modalité de la post-vérité. Les frontières sémantiques, jadis bien distinctes entre les notions de fait et d’opinion, viennent s’appauvrir inexorablement au sein d’un écosystème qui, d’une part, mercantilise notre rapport à l’information à travers l’usage d’algorithmes insidieux qui ne cessent de « nourrir » l’utilisateur·rice consommateur·rice de contenus susceptibles de lui plaire et de renforcer ses croyances préexistantes tout en permettant, d’autre part, la forte viralité et la visibilité de la désinformation à l’échelle planétaire. Le machine learning participe désormais à cette porosité en se montrant capable d’élaborer une variété de documents audio-visuels sur commande. Cet entremêlement infernal de données caractérise donc l’espace dématérialisé à travers lequel nous circulons, interagissons, et tentons de faire monde aujourd’hui. Aux crises citées précédemment s’ajoute celle, toute aussi inquiétante, d’une rupture épistémologique nous invitant, éducateur·rice·s, à méditer les moyens selon lesquels nous devrions enseigner aux étudiant·e·s comment donner du sens à toute information lue et entendue. Cependant, serait-il même encore possible de parvenir à un tel idéal à l’heure où les faits alternatifs et autres récits conspirationnistes[1] circulent aussi aisément et sont instrumentalisés au profit de stratégies politiques ? Comme le souligne Giroux, certain·e·s politicien·ne·s (notamment d’extrême droite) ou mouvements réactionnaires (le Freedom Convoy, pour citer un exemple local), parviennent à galvaniser, sous couvert d’ambitions faussement populistes, des sympathisant·e·s ainsi qu’à fédérer une méfiance commune à l’égard des élites, des formes de gouvernement alors réifiées et jugées malveillantes mais aussi et surtout contre des institutions promouvant des informations factuelles et vérifiées telles que le journalisme d’investigation ou la recherche universitaire et scientifique (Burbules 2022).
Troubles climatiques obligent, cette crise informationnelle se trouve exacerbée à travers le « retour du refoulé » des masses consommatrices, c’est-à-dire la soudaine prise de conscience de l’insoutenabilité de leur mode de vie techno-capitaliste et la remise en question des certitudes mêmes sur lesquelles leurs existences sont fondées (Giroux 2023). En l’absence de réponses satisfaisantes de la part des institutions à ces questionnements existentiels, il se dessine, comme Burbules le remarque, dans ce climat sociétal pernicieux et particulièrement hostile aux réflexions intellectuelles et scientifiques, un vaste programme visant à promouvoir et légitimer à des fins politiques une « éthique anti-critique » de la désinformation et du complot à laquelle les jeunes sont le plus susceptibles d’adhérer selon le dernier rapport du Centre d’Expertise et de Formation sur les Intégrismes Religieux, les idéologies politiques et la radicalisation (Geoffroy et al. 2022). Cette éthique se révèle doublement problématique, précise-t-il, puisqu’elle travaille de concert avec nos propres biais cognitifs, c’est-à-dire nos tendances, parfois irrationnelles, à trier, sélectionner et valider l’information en fonction du potentiel (ré)confortant qu’elle exerce sur notre système de croyances préexistant. Ainsi, de par le fait que ce nouveau changement de paradigme, induit par la convergence de ces multiples crises, interfère grandement avec nos aptitudes à penser de manière critique, Burbules conclut qu’il requiert « a different kind of intervention » (2022 : 9) – la pensée critique traditionnelle étant devenue caduque face à l’hostilité et la résistance que les masses lui accordent.
Loin d’être imperméable à de telles problématiques, la didactique des langues se veut aussi, à l’heure actuelle, l’incarnation d’une crise existentielle, théorique et politique profonde. Même si l’effondrement graduel, avéré et inévitable de nos effectifs est symptomatique du recul des humanités face à la prédominance des programmes axés sur les spécialisations professionnelles (Touya de Marenne 2016), il demeure aussi le signe incontestable d’une perte d’intérêt dû au manque d’attractivité des cursus de langues et de cultures étrangères[2]. Une crise donc, dont certaines des ramifications nous ramènent aux dimensions conservatrices, réductrices, et fragmentées des cours de langue qui constituent, pourtant, l’étape première dans le recrutement de nos étudiant·e·s. Ces caractéristiques, dont se retrouve empreinte la didactique des langues[3], entravent indubitablement son adaptation et ses possibilités de renouveau face aux grands défis que pose(ra) le xxie siècle. À cet égard, une expérience vécue dans un séminaire sur l’enseignement des langues secondes ne manque pas d’illustrer ce constat. Alors que nous nous proposions de réimaginer les constituants d’une séquence pédagogique par l’ajout d’une composante critique en son centre (visant la co-construction de la notion de « famille » par l’échafaudage linguistique, le dialogue et la réflexion critiques), cette ébauche n’a rencontré que la défaveur du chargé de cours, nous invitant à procéder avec une approche avant tout fonctionnelle, téléologique et utilitariste. Il nous a été rappelé que l’enseignement des langues demeure une entreprise prétendument « neutre », dont la communication constitue l’unique finalité par l’atteinte d’objectifs linguistiques et culturels précis. Une telle perspective résulte d’une fragmentation des savoirs (Graham et Longchamps 2022) qui, héritée de l’idéologie capitaliste néolibérale et du structuralisme, participe à isoler et séparer les langues du reste des compétences plus globales (notamment, de réflexion critique ou de synthèse) toutefois nécessaires à la formation civique, intellectuelle et professionnelle des individus. Cette fragmentation nous paraît paradoxale alors que, dans un cadre universitaire, les cours de langue côtoient, au sein même des emplois du temps des étudiant·e·s, ceux de sociologie, de sciences politiques, d’histoire, de linguistique, de psychologie, de lettres, de relations internationales, etc., et conduisent à l’étude avancée de la culture (littérature, linguistique, cinéma, histoire) de cette langue seconde. Au-delà même de ces aspects, l’expérience vécue exemplifie la prévalence d’une certaine éthique anti-critique, pour reprendre les termes de Burbules, au sein de la didactique des langues de même qu’un souci de dépolitiser les savoirs sous couvert d’un prestige (voire d’une primauté) académique et d’une neutralité trahissant une volonté de maintien du statuquo pédagogique. Même si la discipline des langues et cultures étrangères se trouve bien placée pour renforcer les compétences en matière de pensée critique (Snider 2017), que cette dernière se montre particulièrement recherchée par les employeurs (Association Of American Colleges And Universities 2013) et qu’elle possède une dimension éminemment citoyenne et démocratique, son inclusion n’a jamais fait l’objet de discussions théorico-pratiques dans l’apprentissage du français langue seconde au sein d’institutions (post)secondaires nord-américaines, si bien qu’elle demeure sous-développée parmi les étudiant·e·s inscrit·e·s dans ces programmes (Miller 2022).
Ainsi, nous nous proposons de penser la mise à profit d’objectifs critiques interdisciplinaires, soutenables et transversaux au sein d’une renégociation plus large de la didactique du français langue seconde afin de répondre aux problématiques de recrutement auxquelles elle fait face et de surmonter la crise existentielle qu’elle traverse. Il nous incombe donc, dans le cadre de cet article, de repenser, défragmenter et remodeler la notion de pensée critique pour une intégration dans les curricula de langues et de cultures étrangères. Nous délimiterons les contours d’une compétence critique qui puisse répondre au climat de post-vérité auquel nous faisons face. Dans la lignée des travaux de Harsin (2023), nous considérerons la post-vérité non pas comme un nouvel ordre épistémique mais plutôt comme un phénomène affectif. En relevant les mutations (tout comme l’interconnexion) du politique et du social à travers l’émergence de nouvelles formes médiatiques, la normalisation systématique d’une économie politique marquée par la tromperie, et la méfiance continue due à l’échec des projets entrepris par la (post)modernité (en plus des phénomènes sociétaux décrits au début de cette section), Harsin situe la post-vérité dans l’affect qu’elle mobilise : celui d’une anxiété publique et collective face à l’avènement inévitable d’une dystopie politique, communicationnelle et post-démocratique. Cette anxiété au présent renverrait à une potentialité future où le processus de médiation de l’information se verrait compromis. Selon Harsin, étant donné que nous ne sommes pas en mesure de connaitre et de comprendre la majorité des savoirs dont nous disposons, la médiation de l’information est un processus vital à toute démocratie libérale qui travaille, à travers le recours à des instances intermédiaires, à interpréter des vérités factuelles et des savoirs scientifiques pour les convertir en idiomes qui seront ensuite partagés et acceptés au sein de la sphère publique. Le phénomène affectif induit par la post-vérité cristalliserait donc une angoisse face à l’impossibilité d’accorder une confiance ou une autorité à tout savoir produit et relayé par les médias. À cet effet, nous soutenons, d’une part, que l’acception traditionnelle de la pensée critique se révèle insuffisamment critique pour pouvoir répondre aux tendances politiques, sociétales et affectives de la post-vérité et, d’autre part, que sa nature fragmentaire participe à exacerber cette posture affective pour la moins paralysante. Nous proposons donc que seule une pensée critique intersectionnelle (à travers sa dimension relationnelle et affective) pourra renégocier et atténuer l’affect de la post-vérité, de par sa capacité à rationaliser la normalisation de pratiques sociales, politiques et argumentatives (le mensonge ou le relativisme qui permet le placement fallacieux d’arguments au même niveau) qui font obstacle aux vérités factuelles et au savoir. Comme la pensée critique intersectionnelle est indissociable d’une réévaluation de l’altérité et de projets en justice sociale, de par son couplage théorique avec la pédagogie critique, elle serait à même de doter les étudiant.e.s de véritables clés pour (re)penser et (res)sentir le monde différemment, pour s’affranchir des échecs des démocraties libérales et porter l’espoir – plutôt que le nihilisme, l’angoisse ou le pessimisme – au présent.
2. Axiomes de la pensée critique : holisme, complexité et récursivité
Avant même de nous atteler à remodeler la pensée critique, il serait préférable de clarifier la notion tout en procédant de manière prudente et graduelle par l’apparente élasticité du terme et sa prise en otage sur un territoire conceptuel jonché d’accords et de désaccords (Kennedy et al. 1991). Ainsi, l’étymologie de « pensée » provient du verbe latin pensare, renvoyant à la comparaison et à la pesée. Le motif suscité est celui d’une opération analytique cherchant à déterminer le poids de chaque argument ou de penser les multiples facettes d’un seul et même problème (l’expression « peser le pour et le contre » y fait notamment référence), d’où la notion de perspective globale et holistique sur un sujet donné :
Critical thinking consists of seeing both sides of an issue, being open to new evidence that disconfirms your ideas, reasoning dispassionately, demanding that claims be backed by evidence, deducing and inferring conclusions from available facts, solving problems, and so forth.
Willingham 2010 : 21
Ensuite, si l’adjectif « critique » est issu du grec kritikē (κριτική provenant lui-même de κρινειν exprimant l’idée de séparer, trier ou d’organiser des arguments), Lipman (1992) note qu’il devrait être envisagé comme un synonyme de « critériel » dans la mesure où penser de manière critique reviendrait à penser à l’aide d’une série de critères, ce qui n’est pas sans rappeler la définition que retient Paul :
A unique kind of purposeful thinking in which the thinker systematically and habitually imposes criteria and intellectual standards upon the thinking, taking charge of the construction of thinking, guiding the construction of the thinking according to the standards, assessing the effectiveness of the thinking according to the purpose, the criteria, and the standards.
Paul 1993 : 21
En s’appuyant sur un examen intellectuel, rigoureux et méthodique des arguments qui est rendu possible grâce à une certaine connaissance préalable du sujet (une condition sine qua non à sa formulation, voir Willingham 2010), l’objectif serait d’éliminer tout préjugé ou argumentation fallacieuse et irrationnelle. Dans ce cadre, la PC serait donc à envisager comme un processus à la fois linéaire et récursif (Snider 2017) puisqu’en prenant la forme d’une lunette analytique à travers laquelle nous inspectons, interrogeons et renversons à la lumière de la connaissance scientifique les partis pris et modes de pensée au sein du discours des autres, ce processus nous permet aussi d’améliorer et de remettre en question nos propres perspectives. Snider établit que ce raisonnement réflexif peut constituer une entrée en matière pour l’individu désireux de discerner la connaissance qui relève de la doxa (donc de l’opinion personnelle, du sens commun, des préjugés, de l’idéologie et de l’anecdote) de celle qui repose sur un savoir factuel, raisonné et scientifique :
Critical thinking focuses on topics that are directly relevant to life, in that the individual must examine his or her own biases and thought processes. […] [T]he thought process is designed to show the learner where his or her thinking had relied on stereotypes and tradition rather than on facts and reason.
Snider 2017 : 5-6
La PC ne peut être une proposition ponctuelle, mais incarne le résultat d’une réflexion et d’une remise en cause permanentes de nos modes de pensée et de nos partis pris à la lumière de nouveaux éléments et de nouvelles preuves (Snider 2017 ; Sensoy et DiAngelo 2017). À cet effet, nos idées s’affinent au fur et à mesure qu’elles deviennent plus « éclairées », gagnant en complexité et en nuance.
Il nous appartient alors de dresser une liste d’axiomes qui s’attèleront à préciser notre position et à modeler une acception de la PC non seulement pour la suite de cette discussion théorique, mais aussi pour son application dans un cursus de langues et de cultures étrangères. Nous retiendrons donc les principes définitoires suivants :
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La PC se veut être une pensée holistique, en cela qu’elle explore et qu’elle analyse en profondeur un argument (au sein du discours), un problème ou un phénomène en veillant à peser la complexité des nuances, des multiples dimensions, d’une pluralité de points de vue et de perspectives (notamment celles qui ont été, bien trop souvent, marginalisées[4] et mises sous silence[5] au sein des discours dominants et des contextes historiques). Par conséquent, elle demande de l’individu une capacité de décentration en cela qu’il/elle doit endosser le rôle de l’Autre et, dans une certaine mesure, adopter la part d’altérité en lui-même/elle-même pour comprendre cette perspective marginale.
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La PC implique une pensée fondamentalement complexe se basant sur les faits scientifiques, le raisonnement et (l’expertise par) l’étude plutôt que sur l’opinion, le sens commun et les préjugés qui relèveraient d’une pensée superficielle et anecdotique. Ainsi, elle rejette toute simplification excessive et réponse unidimensionnelle. Elle est également méthodique, prudente (en invitant à suspendre son jugement, se distancier, prendre du recul et recourir au doute) et rigoureuse – en demandant, par exemple, que toute affirmation soit étayée par des preuves et que toute conclusion soit déduite à partir des faits disponibles.
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La PC se révèle en constant mouvement et construction. Dans ce cadre, elle doit être pensée en tant que processus, et non comme produit. Elle ne saurait être un ensemble monolithique de certitudes et de réponses figées, mais elle se forme, se modèle et se renforce, au contraire, par l’apport de nouveaux questionnements, de nouvelles idées et théories qui viennent interroger et remettre en question nos connaissances préexistantes (sur un sujet particulier), nos processus de pensée ainsi que nos propres préjugés. De même que le penseur/la penseuse impose, de manière uniforme à soi-même ou à ses interlocuteur·rice·s, tous ces critères d’évaluation des arguments, la PC nécessite une honnêteté et une curiosité intellectuelles ainsi qu’une ouverture d’esprit de l’individu qui, afin d’accéder à une connaissance éclairée du monde, doit être capable de reconnaître l’influence de sa propre subjectivité sur ses jugements et sa construction du monde.
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Parfois décrite comme une ascension et une élévation de l’intellect (voir le mythe de la caverne chez Platon), la PC est une pensée supérieure : son caractère subversif, sceptique et interrogateur en font un outil démocratique nécessaire pour appréhender l’écosystème d’information dans lequel nous vivons ainsi que de protéger contre « any form of power that seeks to transform them into objects or instruments in the sphere of knowledge, truth, consciousness, and discourse » (Touya de Marenne 2016 : 16).
Notre dernier axiome se prononcera à l’encontre de l’acception commune de la PC telle qu’elle est établie traditionnellement et constitue une manière de la renégocier à l’ère post-vérité.
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En nous plaçant dans le prolongement direct de la « connaissance située » (Haraway 1988), nous concluons que la PC ne peut être neutre et apolitique et implique de manière inévitable et précise un positionnement sur le plan argumentatif, idéologique et politique de la part du penseur/de la penseuse souvent en lien avec leur propre positionnalité[6]. Ce faisant, elle fait écho à la dimension idéologique inhérente à la construction, la production et la transmission de tout savoir.
3. De la performance sociale à l’identification partisane : au-delà d’une pensée (insuffisamment) critique et (prétendument) apolitique ?
À travers la liste d’axiomes précédemment établie, nous souhaitons nous poser en opposition à la conceptualisation traditionnellement faite de la PC au sein des curricula canadiens qui omettraient, pour ainsi dire, sa forte dimension idéologique et parviendraient à gommer son côté perturbateur et émancipateur afin de la reconceptualiser à l’intérieur même des limites du statuquo. Si de nombreux théoricien·ne·s introduit·e·s plus tôt suggéraient que la PC permet, entre autres, d’examiner une question ou un phénomène sous plusieurs angles (Willingham 2010), certains curricula éducatifs canadiens la réduisent bien trop souvent à cette simple exploration de multiples perspectives et de points de vue – une conception, certes valide, mais qui demeure unidimensionnelle et imprécise puisqu’elle n’invite pas à une hiérarchisation critique de ces perspectives. Prenons, par exemple, une partie du curriculum britanno-colombien dédiée à l’intégration de la PC dans l’enseignement et l’apprentissage définissant la PC en ces termes :
Critical and Reflective Thinking encompasses a set of abilities that students use to examine their own thinking and that of others. This involves making judgments based on reasoning, where students consider options, analyze options using specific criteria, and draw conclusions. […] Students learn to analyze and make judgments about a work, a position, a process, a performance, or another product or act. They reflect to consider purpose and perspectives, pinpoint evidence, use explicit or implicit criteria, make defensible judgments or assessments, and draw conclusions[7]. (Nous soulignons)
Ainsi, la conception de la PC émergeant de ce curriculum est celle d’une pensée pluraliste – qui considère une diversité de points de vue et de perspectives (parfois diamétralement) différentes des nôtres – mais ce, d’une façon relativiste puisqu’elle n’enseigne pas aux élèves que toutes ces perspectives ne sont pas égales et ne doivent pas toutes être valorisées. Admettons, par exemple, que nous évoquons la notion de « genre » dans la salle de classe. Une pensée critique liée à cette notion reviendrait à établir, après l’étude de plusieurs supports et documents, que le genre est une construction sociale. Nous nous plaçons ainsi dans la lignée des travaux qui rendent compte de la nature socio-politiquement subversive et performatrice du genre (Butler 1990, 1993). Cependant, le curriculum britanno-colombien permet la coexistence de plusieurs points de vue liés à cette notion sans instaurer une véritable hiérarchisation sur le plan critique et idéologique[8]. Ainsi, à l’ère post-vérité, cette conceptualisation de la PC, sous couvert d’une prétendue neutralité, peut permettre à ses adeptes d’avancer un agenda politique (en vue de préserver un statuquo pour le moins conservateur) en établissant, par exemple, qu’il existe une diversité de manières de concevoir le genre et qu’une perspective autre (« le genre est binaire ») devient aussi valide que « le genre est une construction sociale » et ce, bien que les récents développements sur le plan théorique (Butler 1990, 1993) favorisent cette dernière proposition au détriment de la première. Toutefois, cela relève d’un faux-semblant de la pensée critique, en cela que la première perspective (« le genre est binaire ») se retrouve dissimulée derrière une fausse équivalence – toutes les perspectives étant nivelées, de façon erronée, au même niveau. Certes, la considération de différents points de vue, permettant aux étudiant·e·s de réfléchir à un enjeu en abordant différents angles, répond bel et bien à la dimension critique de la PC ; néanmoins, la disqualification de recherches fondées, en légitimant le placement d’arguments inégaux au même niveau, ne relève aucunement de la PC mais d’une opinion camouflée sous des intentions idéologiques et une approche presque sophistique. Dans la même perspective, lorsque des profils sont établis pour aider les enseignants de la province à quantifier le degré de complétion et de maîtrise de la compétence critique des élèves, la description retenue renvoie à une définition de la PC qui ménage les attentes de la société dominante en étant présentée de manière non-conflictuelle et consensuelle :
I can examine evidence from various perspectives to analyze and make well-supported judgments about and interpretations of complex issue[9]. I can determine my own framework and criteria for tasks that involve critical thinking. I can compile evidence and draw reasoned conclusions. I consider perspectives that do not fit with my understandings. I am open-minded and patient, taking the time to explore, discover, and understand. (Nous soulignons)
Comprenons-nous tous·tes la PC de la même façon ? Ne serait-elle pas intrinsèquement contingente, notamment en fonction de la positionnalité de chacun·e (genre, ethnie, milieu social) ? De quelle pensée critique parlons-nous ? Rappelons qu’un de ses objectifs est de questionner les connaissances et d’interroger comment ces dernières sont construites et validées. Cependant, les savoirs que nous construisons sont aussi intrinsèquement liés à notre socialisation et à notre position dans la société, comme le rappellent Sensoy et DiAngelo :
All knowledge is taught from a particular perspective; the power of dominant knowledge depends in large part on its presentation as neutral and universal (Kincheloe 2008). In order to understand the concept of knowledge as never purely objective, neutral, and outside of human interests, it is important to distinguish between discoverable laws of the natural world (such as the law of gravity), and knowledge, which is socially constructed. By socially constructed, we mean that all knowledge understood by humans is framed by the ideologies, language, beliefs, and customs of human societies. […] Because of this, knowledge is never value-neutral.
Sensoy et DiAngelo 2017 : 41
De ce fait, ces questionnements de nature critique (et les conclusions qui en débouchent) ne peuvent être apolitiques et « neutres » mais toujours profondément idéologiques et politiques : la manière dont nous concevons la PC devient donc intimement liée à notre position sociale intersectionnelle. Le concept d’intersectionnalité (Crenshaw 1989 ; Collins et Bilge 2020) conçoit l’identité comme étant au carrefour de systèmes d’oppression (la race, l’identité de genre, la sexualité ainsi que la classe sociale) qui se chevauchent, s’articulent et se renforcent mutuellement, produisant un sujet qui doit être compris dans sa complexité et dans les rapports de pouvoir qui sous-tendent cette dernière. Une pensée critique « intersectionnelle » prend donc en compte le positionnement de l’individu par rapport à sa propre construction du savoir :
Positionality asserts that knowledge is dependent upon a complex web of cultural values, beliefs, experiences, and social positions. The ability to situate oneself as knower in relationship to that which is known is widely acknowledged as fundamental to understanding the political, social, and historical dimensions of knowledge.
Sensoy et DiAngelo 2017 : 54
Ainsi, la pensée critique ne saurait être réduite à une appréciation d’une diversité de perspectives présentées sans aucune problématisation et être définie à l’intérieur des limites du statuquo pour ne relever purement que d’une performance sociale. Au contraire, elle doit pousser les étudiant·e·s et les élèves à interroger le statuquo, à s’émanciper des modes de pensée dominants et des relations de pouvoir préexistantes (qui constituent bien souvent leur socialisation), à explorer les nuances et à penser en dehors des binarités (restreignant, bien trop souvent, l’exploration d’un phénomène ou d’un argument à un « pour/contre » arbitraire). L’étude critique doit pousser les élèves à envisager le potentiel problématique de certaines perspectives, l’inégalité des arguments, l’invalidité de certaines opinions et la hiérarchisation des idées (certaines perspectives méritant d’être valorisées et possédant plus de poids que d’autres). Gardons toutefois une certaine vigilance quant au fantasme d’une hiérarchisation totale et inaltérable des idées : comme nous l’expliquons dans la prochaine partie, il nous faut prendre en compte, de manière perpétuelle et systématique, la nature changeante des idées qui constitue le fondement même de notre travail de production des connaissances dans la postmodernité. Alors, bien que nous citions Butler dans notre conceptualisation du genre, la hiérarchisation des idées nous inviterait également à articuler le genre en considérant d’autres avancées plus récentes, en psychanalyse par exemple (Leguil 2015) ou dans le domaine de l’affect (Schuller 2023), qui complètent les théories de Butler.
Contrairement à la conception traditionnelle de cette compétence, nous souhaiterions arguer que la pensée critique est une compétence contingente définie, conçue et développée différemment en fonction de la position sociale intersectionnelle de l’individu. Pensée pendant longtemps en termes de cognition, la compétence présente une dimension hautement idéologique. Au lieu de nous interroger seulement sur sa nature, considérons également de quelle PC nous parlons, quelle PC doit être valorisée (voire privilégiée) dans les écoles ou les universités : une pensée critique intrinsèquement subjective, partisane, politique et radicale qui entend remonter à la racine des arguments et aux vérités traditionnellement admises et, ce faisant, peut déjouer les formes de paralysie et d’angoisse induites par la post-vérité. Afin de poser les fondations théoriques de la pensée critique intersectionnelle, il nous incombe de revenir aux racines théoriques qui lui ont donné ses contours : la pédagogie critique.
4. De l’opposition à la complémentarité, de la fragmentation à la contextualité : les fondations théoriques de la pensée critique intersectionnelle
Malgré le partage évident de plusieurs similitudes, la pensée critique est à l’origine présumée antagoniste à la pédagogie critique. Nous souhaitons repenser ce truisme en considérant que ces deux approches peuvent devenir complémentaires, que les tensions les (dé)liant se révèlent productives et que leur combinaison, voire leur fusion, peut produire un effet synergique quant à l’exercice de la compétence critique en nous menant à la pensée critique intersectionnelle.
Comme nous l’avons établi précédemment, la PC renvoie à un processus cognitif tandis que la PCT est plutôt de l’ordre d’une philosophie, voire d’une approche, de l’enseignement. Pourtant, toutes deux découlent d’une volonté, si ce n’est d’un besoin, de surmonter l’ignorance, les (faux) arguments, les vérités traditionnellement admises par le développement de capacités analytiques permettant de cultiver une pensée indépendante et d’appliquer ses connaissances au monde réel. Cependant, la PC demeure non relationnelle et hérite d’une forme de fragmentation[10]. En effet, elle ne laisse que peu de place au contexte et ne s’intéresse uniquement qu’à l’évaluation critique des arguments et non au contexte plus large dans lesquels ils prennent place :
Critical thinking tends to address issues in an item-by-item fashion, not within a grand scheme with other issues. The issues themselves may have relations to one another, and they may have connections to broader themes, but those relations and connections are not the focus of investigation. What is crucial to the issue at hand is the interplay of an immediate cluster of evidence, reasons, and arguments. For critical thinking, what is important is to describe the issue, give the various reasons for and against, and draw out any assumptions (and only those) that have immediate and direct bearing on the argument. This tends to produce a more analytical and less wholistic mode of critique.
Nous soulignons, Burbules et Berk 1999 : 55
Dans cette vision, la PC est communément pensée comme une donnée impartiale, neutre, objective et non-partisane (Burbules et Berk 1999) en s’efforçant de ne pas imposer certaines valeurs ou de pousser les étudiant·e·s à adopter une certaine posture idéologique. En opposition directe, la PCT se réclame non seulement d’une prise de position sur le plan idéologique et critique, mais aussi d’une certaine relationnalité en s’appuyant précisément sur un contexte dans lequel ces questions s’inscrivent. Par exemple, les questionnements (sociétaux) qui émergent sont à comprendre dans leur relation à des formes d’injustices et à divers autres systèmes d’oppressions au sein de structures sociales normatives plus larges que représentent nos démocraties libérales : ces questionnements ne sont donc aucunement dissociables du cadre dans lequel ils prennent place. Cependant, cette même relationnalité et le rapport au contexte qu’entretient la PCT – et la critique dudit contexte qui en résulte – causent également de nombreuses divergences pour certain·e·s qui y décèlent son talon d’Achille et mettent en avant sa dimension « endoctrinante ». Afin d’être conscient·e des relations de pouvoir, des injustices et des inégalités opérant en société, la PCT inviterait à remettre en question les fondations mêmes sur lesquelles notre société repose sans pour autant interroger les principes fondateurs de sa pédagogie comme Burbules et Berk (1999) le précisent. Si l’exercice d’une PC doit amener les étudiant·e·s à formuler leurs propres conclusions, les détracteurs de la PCT estiment qu’elle semble déjà prêcher dangereusement des conclusions toutes faites – ceci afin de justifier, d’une part, la dimension dite « endoctrinante » (et non réflexive ou révélatrice) de cette pédagogie et pour valoriser, d’autre part, le recours à une PC non-partisane et non-politique au détriment de la PCT (Burbules et Berk 1999). Cependant, ces positions posent de nouvelles problématiques :
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Qualifier la PCT d’approche « endoctrinante » ne relèverait-il pas non plus d’une position politique particulière ?
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Peut-on vraiment taxer la PCT de pédagogie de l’endoctrinement quand cet endoctrinement fait déjà partie de manière omniprésente des réalités du corps étudiant et que la finalité de la PCT est de les amener précisément à une conscience critique de ces formes structurelles (d’oppression et d’inégalité) ?
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Est-ce qu’une PC prétendument impartiale et non-partisane n’incarnerait pas un non-sens dans la mesure où tout discours, comme tout savoir, est politique et reflète un point de vue et un positionnement idéologiques particuliers de la part de l’individu (comme explicité dans la section précédente) ?
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Pour finir, la prétendue impartialité et l’absence de contextualité de la PC ne constitueraient-elles pas une marque flagrante de sa fragmentation ?
En nous situant du côté de la pédagogie critique, nous pouvons rétorquer que la PC, sous couvert d’une certaine neutralité politique, semble chercher à conserver précieusement des positions relevant d’un certain conformisme politique à l’égard du statuquo. En choisissant de s’appuyer uniquement sur des arguments et donc de ne pas investiguer les normes sociales elles-mêmes (la PC étant, encore une fois, non-contextuelle et non-relationnelle), cette dernière ne demeurerait qu’une performance sociale et deviendrait même complice de la reproduction des normes à l’intérieur des structures et des institutions.
Ainsi, à la lumière de ces réflexions (et de quelques non-sens), nous choisissons de ne pas prendre en compte les différends théoriques qui opposent fervemment la PC à la PCT puisque l’acception de la compétence critique que nous retenons ne saurait correspondre à celle mise en avant par une coterie de théoricien·ne·s s’acharnant à doter la PC d’une objectivité et d’une impartialité sans faille et ce faisant, à délégitimer les avancées en justice sociale alors considérées comme idéologiques et biaisées. Au contraire, nous choisissons délibérément d’ancrer la compétence critique au sein même d’une pédagogie critique des langues dont l’approche serait éminemment interdisciplinaire, interculturelle et durable. En adoptant, à cet effet, une pensée critique politique, partisane, contextuelle et relationnelle (des caractéristiques empruntées à la PCT), nous cherchons à « défragmenter » la notion dans la lignée des approches induites par Graham et Longchamps (2022) afin de la rattacher au contexte dans lequel elle est émise, et surtout à la position intersectionnelle de l’individu à partir duquel elle est énoncée. Notre « criticalité » – c’est-à-dire notre capacité à réfléchir de manière critique – découle intrinsèquement de notre socialisation et de notre intersectionnalité elles-mêmes étant situées en contexte à l’intérieur d’une société et d’une époque donnée : « [c]riticality is a practice, a mark of what we do, of who we are, and not only how we think » (Burbules et Berk 1999 : 62). C’est donc seulement en reconnaissant la PC comme partisane qu’elle peut correspondre à une compétence durable et soutenable[11]. Même si notre approche est non-relativiste, en cela que nous ne valorisons pas tous les points de vue (certains n’étant pas valables au même titre que d’autres) et que nous invitons à leur hiérarchisation, le cadre théorique de l’intersectionnalité ainsi que la mutabilité – l’instabilité même – de certaines valeurs (sociales, morales) au cours des époques et à travers les sociétés rendent impossible une hiérarchisation universelle et finale des idées. Cette dernière découlant également d’un positionnement sur les plans critiques et idéologiques, nous risquons donc, à terme, un conflit des hiérarchisations qui réduirait ces dernières à une vulgaire confrontation de points de vue nivelés au même niveau. Afin d’éviter cet écueil, nous arguons que cette hiérarchisation, en tant qu’objectif de la pensée critique intersectionnelle, doit être avant tout soumise à un examen rigoureux des arguments – c’est en cela que nous revenons aux racines de la pensée critique – par des spécialistes du domaine. La rigueur de l’argumentation à l’origine de la hiérarchisation doit donc être questionnée, étudiée et enfin, admise, en fonction de sa pertinence par rapport aux avancées académiques et aux preuves scientifiques en la matière – il s’agit d’ailleurs de la nature même de l’évaluation par les pair·e·s dans le monde académique. Cependant, cette hiérarchisation ne saurait être un ensemble monolithique : elle demeurerait flexible pour refléter les avancées sociales, technologiques, éthiques, politiques et académiques des savoirs et des modes de pensée.
En défragmentant la PC et en la rattachant donc au contexte dans lequel elle est produite, nous entendons répondre aux critiques féministes, multiculturalistes et postmodernistes à son encontre qui lui reprochent un biais culturel en faveur d’un mode de pensée patriarcal et occidental, notamment en raison de ses normes, de la conception de la rationalité qu’elle sous-tend, de son attachement aux règles de logique et aux preuves scientifiques (Burbules et Berk 1999). En couplant la compétence critique intersectionnelle à une pédagogie critique, nous entendons non seulement exercer nos étudiant·e·s à devenir des penseur·euse·s et des citoyen·ne·s instruit·e·s mais aussi de futurs acteur·rice·s, ou des promoteur·rice·s, de changement. La pédagogie critique ne saurait uniquement se réduire à s’exprimer et lire pour devenir conscient·e·s des rapports de force et de domination, elle représenterait également un moyen pour les étudiant·e·s nord-américain·e·s d’exercer leur criticalité : de non seulement penser mais aussi de « (res)sentir » le monde autrement et affectivement, en s’émancipant de la fragmentation capitaliste afin de mieux se (re)lier à lui – et ce, en comprenant, en décryptant, en analysant ce qu’ils/elles ont tendance à prendre pour acquis, en retirant le bandeau inhérent à leur socialisation et en enfilant des visières analytiques leur permettant d’imaginer d’autres possibilités et d’autres modes de pensée. C’est donc en cela que la pédagogie critique et la criticalité deviennent synonymes de praxis libératoire (Burbules et Berk 1999) puisqu’il s’agit de penser en dehors des cadres et des carcans conventionnels. Afin que les étudiant·e·s fassent preuve de persévérance, d’engagement et d’investissement par rapport aux enseignements promulgués et d’éviter un sentiment de désengagement et d’aliénation au sein des programmes axés sur les spécialisations professionnelles (Mestan 2016 ; Martín, et al. 2016), il nous paraît crucial que la pensée critique intersectionnelle s’accompagne de la fondation de « communautés de recherche de sens » dans la salle de classe (Motoi 2016 : 7) : des groupes où les étudiant·e·s sont amené·e·s à réfléchir ensemble par l’instauration du dialogue, de la bienveillance, du pluralisme et de l’enseignement par les pair·e·s, garantissant une meilleure rétention des connaissances sur le long terme.
5. Conclusion : de la dénormalisation de l’enseignement des langues au potentiel affectif de la pensée critique intersectionnelle
Dans le cadre de cet article, nous avons tenté de réimaginer la pensée critique au service d’une didactique critique des langues dans le climat politique et sociétal actuel de la post-vérité. Nous reconnaissons que l’ambition de ce projet était telle que nous n’avons pas été en mesure d’inclure des exemples de pistes pédagogiques, ce qui fera cependant l’objet d’une future publication (Hakeem et Million).
5. 1. Implications pédagogiques et curriculaires
À travers la pensée critique intersectionnelle, nous avons proposé de déstabiliser la conception conventionnelle du cours de langue et de culture étrangères en invitant les éducateur·ice·s à reconsidérer nos pratiques éducationnelles au sein des cours de langue (notamment, de niveau avancé) dont la formation ne doit pas uniquement être linguistique, mais incorporer également des objectifs critiques interdisciplinaires et transversaux[12] qui répondront à la formation intellectuelle, professionnelle et citoyenne continue de nos étudiant·e·s. Cela nous semble d’autant plus important que de la méthodologie traditionnelle à l’approche communicative, la langue est demeurée une finalité importante – l’enseignement ne rattachant pas suffisamment son apprentissage à la recherche de sens linguistique et culturelle et donc, à une compétence critique[13]. Que nous évoquions des règles de grammaire enseignées explicitement et déductivement ou des exercices décontextualisés axés sur la manipulation de formes avant qu’elles ne soient pratiquées en production orale et écrite, la compétence critique continue d’être omise au profit de la compétence langagière et de la mémorisation de la forme (bien que ce constat soit, toutefois, à nuancer dans le cadre de la perspective actionnelle)[14]. À l’heure actuelle, le cours de langue ne peut plus cultiver une éthique anti-critique et seulement disposer d’une vocation langagière ou d’objectifs purement linguistiques – la langue ne saurait être considérée comme un ensemble monolithique totalement séparé du monde extérieur. Au contraire, son enseignement doit former un pont vers ce monde extérieur et l’expérience de l’altérité qui la contextualisent, en l’inscrivant notamment en lien avec des enjeux sociaux, culturels et politiques contemporains – mettant donc en contact la langue et les idées qu’elle porte, les constructions de l’identité et de l’altérité qu’elle autorise. En tentant de nous démarquer des écoles professionnelles proposant la maîtrise linguistique comme vocation ultime, nous entendons réinscrire la raison d’être et la finalité des cours de langue en lien avec le rôle et les buts d’un enseignement universitaire : cela devient notamment possible en cherchant à fournir les clés critiques, culturelles et linguistiques afin que les étudiant·e·s puissent appréhender une véritable langue-culture (une notion que nous empruntons à l’anthropologie linguistique, voir Humboldt 2000), c’est-à-dire promouvoir la langue comme une manière et un outil de penser le monde. De même, si la culture n’est souvent placée qu’au second plan et demeure assez anecdotique jusqu’à l’approche communicative (bien que la didactique des tâches propose un certain éveil à l’interculturalité), nous souhaitons réaffirmer la valeur d’un enseignement culturel (de nature anthropologique) que seul l’exercice de la PCI, dans notre logique, pourrait nous permettre véritablement d’appréhender – la culture influençant et façonnant notre perception, notre compréhension et notre vision du monde. Il ne s’agit donc pas seulement d’une question de survie pour nos programmes, mais aussi – et surtout – d’adaptation aux dynamiques culturelles et professionnelles contemporaines. La mise en oeuvre de la PCI au sein des cours de langue peut exercer une importante influence sur le recrutement (voire influer sur les politiques internes des universités) en cela que la compétence est transférable dans n’importe quel autre domaine, autre discipline ou majeure et qu’elle enracine les étudiant·e·s au sein d’une communauté de recherche de sens dont l’engagement est participatif, réciproque et interactif favorisant donc une co-construction active des savoirs. Cet ancrage communautaire exerce une influence non négligeable sur leur degré de motivation, leur capacité à réfléchir, dialoguer et débattre avec leurs pair·e·s dans une langue étrangère et leur confère également un sentiment d’appartenance qui répond aux problématiques sociales de désengagement étudiant avec lesquelles il nous faut impérativement composer dans nos disciplines.
Dans cette logique, il semblerait que la PCI puisse être mise au service d’une dénormalisation de l’enseignement des langues. Même si notre approche comporte des objectifs prédéfinis auxquels nous entendons parvenir, il demeure une part importante et non négligeable de contingence. Par la formation de véritables communautés de recherche de sens où les étudiant·e·s apprennent, aux côtés de leurs pair·e·s, à co-construire les savoirs et le sens tout en problématisant différentes formes de discours, une part importante de contingence leur est réservée, dans cette logique, puisque l’apport de leurs propres positions vient (co-)influencer notre propre création des savoirs. En d’autres mots, cette approche dialogique invite à une ascension, voire une élévation de l’intellect : la somme des influences critiques, épistémologiques et idéologiques – les nôtres ainsi que celles (parfois inattendues) de nos étudiant·e·s – nous permettent de gravir des chemins de pensée particulièrement imprévus – et pourtant, tout aussi pertinents dans la discussion du sujet – que nous n’aurions jamais pu atteindre sans leur apport. Nous nous référons désormais à ce phénomène pédagogique en le nommant « synergie critique » : pour y parvenir, il est d’autant plus important que l’instructeur·rice adopte une position similaire à celui/celle d’un·e facilitateur·rice de savoirs et que les étudiant·e·s soient considéré·e·s équivoquement au rang de collaborateur·rice·s dans la recherche de sens. Ce phénomène de synergie critique se présente, par essence, comme profondément instable : dans cette perspective, nous ne connaissons jamais réellement les savoirs ou les conclusions qui vont être produites à l’avance. Ces dernières ne précèdent pas l’enseignement, mais elles émergent indubitablement et de manière souvent inattendue. Cependant, c’est son instabilité et sa dimension queer – dans la mesure où les connaissances sont créées de manière non-normative, c’est-à-dire qu’elles ne sont pas contrôlées, limitées et régulées par une planification particulière et rigide avec des objectifs clairs et détaillés sur un plan de leçon, mais qu’elles surgissent de façon imprévisible, insoupçonnée et accidentelle – d’une telle pédagogie, axée sur un processus pouvant mener à plusieurs formes d’engagement, d’exploration et à plusieurs résultats qui permet, selon Burbules (2016), de l’inscrire dans une didactique critique et militante qui évitera l’endoctrinement.
5. 2. Implications quant au contexte post-vérité
Comme le montre Harsin (2023) à travers l’affect post-vérité, la conjoncture socio-politico-médiatique actuelle pointe vers l’émergence d’une potentialité dystopique et post-démocratique où la véracité de toute information, de tout énoncé ou discours se verrait compromise, et où les instances intermédiaires de savoir et de médiation de l’information ne rencontreraient que méfiance, circonspection et scepticisme à leurs égards. Se manifeste donc dans notre présent une anxiété collective et publique, conséquence d’une désorientation épistémologique, qui contribue à paralyser les individus dans la validation de l’information et à les égarer dans l’adoption de postures nihilistes ou pessimistes pour certain·e·s, et conspirationnistes pour d’autres. Si, en tant qu’éducateur·ice·s, nous ne disposons résolument d’aucune mainmise sur les facteurs sociaux et postmodernes contribuant à cette anxiété et cette paralysie, nous arguons que la pensée critique intersectionnelle – et non la pensée critique telle qu’elle est traditionnellement conçue – pourrait participer à reconnaitre, atténuer et déjouer ces états affectifs afin de les reconfigurer en empowerment. La recherche systématique du sens et le non-relativisme sont des stratégies critiques qui peuvent contrer les campagnes de tromperie, de réification et d’instrumentalisation politiques qui accompagnent les nouvelles formes médiatiques, de même qu’elles permettent aux futur·e·s citoyen·ne·s de s’émanciper d’instances intermédiaires pour questionner et construire elles-mêmes/eux-mêmes le sens. De par sa soutenabilité, la PCI implique également une responsabilisation des étudiant·e·s invité·e·s à transmettre ces mêmes stratégies à leurs semblables au-delà de la salle de la classe.
Du côté de sa dimension relationnelle, la PCI exige que l’exercice d’une criticalité ne doit pas seulement se contenter de penser mais également de (res)sentir le monde, ses dynamiques de pouvoir et la position intersectionnelle à partir de laquelle nous nous construisons et nous entrons en contact avec l’Autre. Autrement dit, il s’agit de percevoir et de comprendre les mécanismes (affectifs, discursifs, politiques) à travers lesquels nous affectons et sommes affecté·e·s par les autres au quotidien. À travers sa théorie des « économies affectives », Ahmed (2014) illustre comment les émotions circulent dans l’espace public pour (re)façonner les surfaces des subjectivités individuelles et collectives, conférant à certains objets, corps et identités une signification particulière. Par exemple, en circulant entre les individus, la haine est politiquement mise au service de la production de la citoyenneté ou de la race en reconfigurant les relations affectives entre sujets et objets, ce qui produit des collectifs (la nation, les canadien·ne·s, les migrants, la blanchité). En consolidant certaines valeurs (la suprématie blanche, la nation, l’hétéropatriarcat) dont ils forment le soubassement, certains discours fonctionnent de manière affective précisément dans leur capacité à altériser des individus (marginalisés ou racialisés), à reconfigurer les surfaces de leurs subjectivités comme dangereuses et problématiques en mobilisant la peur, à localiser en eux la cause imaginaire de notre déclin via une causalité douteuse, et à nous inviter à adopter une posture d’éloignement (« awayness ») à leur égard (Ahmed 2014). Les réseaux sociaux facilitent grandement la propagation de ces types de discours haineux aux mécanismes affectifs afin d’influencer les comportements des électeur·ice·s, comme en témoignent l’élection présidentielle américaine en 2016 et les tentatives d’instrumentalisation de tels discours de la part de plusieurs agences, notamment Cambridge Analytica et l’Internet Research Agency (IRA) de Russie (Dixon-Romàn 2023).
Ainsi, les émotions sont profondément ancrées dans des modalités contemporaines de gouvernances algorithmiques et computationnelles. Alors que nous nous connectons au monde à travers une variété d’espaces (dé)matérialisés, les réseaux sociaux constituent les lieux majoritaires où se produisent désormais ces rencontres affectives entre l’utilisateur·ice et le contenu auquel il/elle est exposé·e. Il nous convient donc de souligner les motivations et le pilotage idéologique des médias à travers lesquels l’information est livrée en « paquet standardisé-nationalisé » (Giroux 2023 : 65) et, en empruntant à Ahmed, à travers lesquels les algorithmes agissent comme des mécanismes de (dés)orientation qui ne cessent de nous affecter, de nous inciter à adopter certains comportements politiques et à chercher à (re)façonner insidieusement nos épistémologies. Dans ce contexte, la pensée critique intersectionnelle ne dispose pas seulement d’un potentiel affectif qui reconfigure la paralysie et l’anxiété en prise de pouvoir critique ; elle nomme également l’affect, ses modes opératoires, ses mécanismes et ses orientations – les marques d’affection dont nos existences, nos interactions, et nos désirs sont empreints ainsi que la texture même de nos vies, de nos surfaces et de nos intimités telles qu’elles se trouvent interconnectées dans l’intime et le politique. Il nous semble ainsi que ce n’est qu’en sensibilisant les étudiant·e·s à l’affect que la pensée critique intersectionnelle pourra être véritablement émancipatrice et se constituer comme remède à la paralysie ou à l’anxiété de l’ère de la post-vérité ainsi qu’au nihilisme et au pessimisme propres à notre condition postmoderne.
Parties annexes
Notes
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[1]
Selon Giroux, ces phénomènes discursifs relèvent davantage d’une « mythologique plutôt que d’une critique (il s’agit, dans tous les cas, d’une caricature de ce que serait une critique opératoire des rapports de pouvoir dans les sociétés techno-capitalistes en crise desquelles nous sommes captifs) » (2023 : 51). Nous invitons à consulter son ouvrage pour plus de détails sur la généalogie du conspirationnisme établie.
-
[2]
Les deux derniers rapports du MLA illustrent ce phénomène : celui publié en 2019 indique que les études francophones totalisent, à elles-seules, la disparition de 129 programmes tandis que le dernier rapport fait état d’une nouvelle baisse de 23,1 % des inscriptions (Looney et Lusin 2019 ; Lusin et al. 2023).
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[3]
Cela est en partie dû aux racines théoriques de la linguistique appliquée et du champ d’étude du « Second Language Acquisition » issues du structuralisme. Nous nous plaçons en opposition directe dans la lignée des travaux poststructuralistes en cela que nous reconnaissons l’importance des formes de connaissance situées, dialogiques et alternatives, l’instabilité de la langue et la nature multiple, voire contradictoire, des identités – pensées comme pratiques sociales – des apprenant·e·s (Morgan 2007). Plutôt que de considérer la langue comme une fin en soi, nous l’envisageons comme un tremplin ou un moyen de parvenir à d’autres objectifs qui sont, avant tout, critiques.
-
[4]
Nieto (2017) note que le développement de la pensée critique est essentiel à la justice sociale d’où sa récente réappropriation par les EDID (Équité, Diversité, Inclusion et Décolonisation), en aidant notamment les étudiant·e·s, comme le précisent Sensoy et DiAngelo (2017), à « reconnaître des formes structurelles d’inégalité de manière à ce que nous puissions les changer […], [et de] remettre en question la vision que nous avons de nous-mêmes, ce que nous pensons savoir de la société, de son fonctionnement et de la place que nous y occupons » (notre traduction, Sensoy et DiAngelo 2017 : 29-30). Dans ce cadre, la promotion de la PC se montre d’autant plus importante à une ère où de nombreuses personnes marginalisées (et toute forme d’altérité) sont menacées notamment par une (re)montée des conservatismes (s’attaquant, notamment aux États-Unis, à des droits fondamentaux) et ce, dans un climat général d’embrasement, non seulement des discours extrêmes, aliénants ou virant à l’endoctrinement – donnant lieu à des formes de polarisations politiques et idéologiques – mais aussi planétaire avec la menace pesante du réchauffement climatique.
-
[5]
Comme le rappelle Harsin (2023), bien que nous considérions le climat de la post-vérité comme nous étant contemporain, les populations marginalisées ont été historiquement contraintes à vivre dans un régime qui relèverait de la post-vérité de par l’effacement, l’omission et la remise en question systématique des vérités (factuelles) propres à leurs existences.
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[6]
La positionnalité est un concept hérité de la sociologie. En affirmant notre positionnalité – l’endroit où nous nous situons par rapport aux autres dans le discours – au sein même d’une PC, cela nous permet de reconnaitre l’influence de notre position sociale intersectionnelle sur la façon dont nous voyons, interagissons et faisons sens des autres et du monde (Sensoy et DiAngelo 2017).
-
[7]
Critical Thinking and Reflective Thinking [date inconnue]. Consulté le 8 février 2023 : https://curriculum.gov.bc.ca/competencies/thinking/critical-and-reflective-thinking.
-
[8]
Des tendances similaires sont observées dans le système éducatif états-unien où le créationnisme côtoie notamment la théorie du Big Bang.
-
[9]
Afin de proposer une hiérarchisation critique de ces perspectives, il suffirait juste de procéder à cet ajout dans la définition : « I can examine evidence from various perspectives to analyze and make well-supported judgments about and interpretations of complex issues as well as evaluate their respective validity » (nous soulignons l’ajout).
-
[10]
Pour Graham et Longchamps (2022), nous pensons le monde et l’enseignement à travers la fragmentation : du primaire au secondaire où les enseignements sont classés en plusieurs matières scolaires séparées et arrangées dans un emploi du temps arbitraire en passant par le postsecondaire qui continue de proposer des formations, des méthodes et des théories parfois déconnectées de la réalité et du marché du travail actuel. Cette fragmentation dérive d’une conception capitaliste (cherchant constamment à séparer, classer et hiérarchiser), mais trouve également ses racines dans les démarches scientifiques du passé (visant à séparer, indexer, classer, hiérarchiser et procéder à des inventaires et des catalogues) et les tendances aux catégorisations excessives découlant des cadres théoriques du structuralisme. Elle serait internalisée très tôt comme le souligne Senge (1990).
-
[11]
Graham et Longchamps (2022) définissent un apprentissage durable en expliquant qu’il s’agit bien plus qu’une simple rétention de savoirs sur le long terme : « it is an acquired in-depth knowledge or competence that is assimilated and retained as a life-long proficiency » (Graham et Longchamps 2022 : 6). En outre, en allant à l’encontre des apprentissages téléologiques et utilitaristes (visant la complétion d’un diplôme ou la réussite à un examen), les compétences soutenables sont de véritables savoir-faire transversaux, pouvant être transférés dans d’autres domaines et mis au service d’une recherche de sens continue tout au long de la vie de l’individu : « the long-lasting nature of the acquired know-how and knowledge, juxtaposed with an encompassing set of reflection and analytical skills that leads to a continuous participative and renewable learning habit » (Graham et Longchamps 2022 : 2). La pensée critique constitue notamment l’une de ces compétences.
-
[12]
À cet effet, nous nous référons aux compétences inter/intra-personnelles, de citoyenneté mondiale et de littéracie numérique et médiatique (localisation et évaluation critique de l’information) développées par l’UNESCO (2014).
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[13]
Les nouvelles grilles du DELF/DALF (mises en place depuis septembre 2022) sont particulièrement révélatrices de ce constat en se concentrant uniquement sur les compétences « pragmatiques », « sociolinguistiques » et « linguistiques ».
-
[14]
La perspective actionnelle comporte, malgré tout entre les lignes, une certaine dimension critique puisque les notions de « savoirs » et de « savoir-faire » invitent les étudiant·e·s à jouer le rôle d’intermédiaires culturels en développant une prise de conscience interculturelle. En effet, les apprenant·e·s seront amené·e·s à établir et à réfléchir sur la relation entre leur culture d’origine et celle de la langue cible tout en étant d’ailleurs progressivement sensibilisé·e·s à la notion de culture, rejoignant l’idée de « critical cross-comparisons » (Snider 2017 : 2).
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