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Quinn Slobodian, Les globalistes. Une histoire intellectuelle du néolibéralisme, Paris, Éditions du Seuil, 2022, 400 pages[Record]

  • Christian Deblock

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  • Christian Deblock
    Professeur honoraire, département de science politique, Université du Québec à Montréal, deblock.christian@uqam.ca

Paru aux États-Unis en 2018, le livre de Quinn Slobodian Globalists. The End of Empire and the Birth of Neoliberalism (Harvard, Harvard University Press) est rapidement devenu incontournable pour quiconque s’intéresse au néolibéralisme. Riche en contenus historiques, jamais avare de détails sur les débats comme sur les personnages, portant un regard original sur un univers intellectuel trop souvent caricaturé, on ne peut donc que se réjouir de voir les éditions du Seuil publier à leur tour l’ouvrage sous le titre Les globalistes. Une histoire intellectuelle du néolibéralisme (Paris, 2022). Certes, on peut regretter que la fin de l’Empire, un thème pourtant important dans l’étude, ait disparu du titre, mais qu’importe, le lecteur comprendra aisément au fil des pages pourquoi Quinn Slobodian tenait à y faire référence. De Vienne à Genève Pour beaucoup de chercheurs, le colloque Lippmann qui s’est tenu à Paris du 26 au 30 août 1938, est considéré comme le moment fondateur du néolibéralisme. L’autre grand moment étant la création de la Société du Mont-Pèlerin, le 10 avril 1947. Quinn Slobodian remonte le temps, pour situer plus tôt les premiers grands débats, plus précisément à Vienne dans les années 1920. La ville a perdu de son lustre, mais elle reste encore un lieu d’effervescence culturelle. On y retrouve notamment de nouvelles générations d’économistes, marchant dans les pas de leurs illustres prédécesseurs, mais avec un tournant plus marqué pour les thèses libérales radicales. Très courus, les séminaires rivaux qu’organisent Ludwig von Mises et Hans Mayer, deux anciens étudiants de von Wieser, créent ainsi un espace de débats non seulement sur l’économie et ses lois, mais aussi sur le problème posé par Richard von Strigl du lien entre la théorie économique et la politique économique. Slobodian revient aussi sur un autre aspect peu connu du néolibéralisme : les liens très étroits qui se nouent alors entre les économistes et les milieux d’affaires via la Chambre de commerce international de Vienne. Mises y travailla, tout comme Hayek d’ailleurs, dans le cadre du Nouvel Institut de conjoncture pour lequel il avait été embauché. Le nazisme et l’Anschluss pousseront beaucoup de ces économistes à fuir l’Autriche et d’autres l’Allemagne. Ils partiront vers le Royaume-Uni, les États-Unis ou encore la Suisse. À Genève en particulier où se trouvaient le siège de la Société des Nations et son très libéral bureau des affaires économiques et financières que dirigeait alors l’économiste statisticien Alexander Loverday, et surtout le tout nouvel Institut des Hautes Études internationales. Fondé en 1927 par William Rappard et Paul Mantoux, l’Institut allait devenir sous l’impulsion de Rappard un véritable laboratoire d’idées (thinktank) libérales. Invités ou de passage, professeurs attitrés ou simples conférenciers, nombre d’économistes libéraux, parmi les plus prestigieux d’ailleurs, viendront à Genève, contribuant ainsi autant à la renommée internationale de l’Institut qu’au renouveau d’un libéralisme menacé de toutes parts, par les régimes autoritaires, les nationalistes, les socialistes, voire encore par les brebis égarées du libéralisme dans le planisme. Pour ne mentionner que quelques-uns de ces illustres « visiteurs » : Wilhelm Röpke, Ludwig von Mises, Michael Heilperin, Gottfried Haberler, Friedrich Hayek, Jacob Viner ou encore Lionel Robbins dont la série de conférences qu’il donna au cours de l’été 1935 déboucha sur un ouvrage fort remarqué : Economic Planning and International Order (Londres, Macmillan, 1937). Le tournant de la Première Guerre mondiale Le point de départ de la réflexion de ces intellectuels, c’est le chaos économique et politique qui ne cesse de s’étendre depuis la Première Guerre mondiale, précipitant le monde à sa perte. Pour eux, tout serait parti de là. La guerre marque un point de rupture et le début …

Appendices