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Voici un ouvrage original proposant une analyse de divers cas touchant le temps de travail et l’autonomie, et ce que l’auteur propose de voir comme une seconde forme d’autonomie. L’ouvrage commence par un premier chapitre qui définit le concept d’autonomie temporelle, autour duquel l’auteur articulera ses analyses de diverses formes de flexibilité ou de modification des temps de travail, et ce, dans trois pays, en France, en Allemagne et en Chine.

La première forme d’autonomie temporelle est associée à la durée du temps de travail et l’auteur analyse alors les diverses politiques de réduction du temps de travail. La seconde autonomie temporelle serait celle associée à la ‘position’ du temps de travail dans la semaine, l’année ou l’ensemble de la vie, selon les cas qui sont étudiés au fil des chapitres.

Ainsi, après avoir défini les caractéristiques et niveaux d’analyse de l’autonomie temporelle dans le premier chapitre, l’auteur s’intéresse au chapitre 2 aux horaires variables, qui seront une des premières formes d’aménagement de temps de travail qui sera étudiée. L’auteur rappelle l’apparition du concept en France et en Allemagne et s’interroge à savoir s’il s’agit là d’une nouvelle culture temporelle et nouvelle culture du travail. L’auteur traite en détail des politiques et programmes d’entreprises qui ont permis d’introduire ces horaires variables, que l’on pourrait aussi appeler flexibles, pour les distinguer des horaires variables, habituellement définis par l’employeur. La terminologie peut varier entre la France, l’Allemagne et l’Amérique et c’est un des intérêts aussi de l’ouvrage que de s’interroger sur les terminologies utilisées en France et en Allemagne et à leurs traductions. On aurait pu souhaiter une petite comparaison avec l’Amérique, car les entreprises nord-américaines ont été parmi les premières à introduire ce que nous appelons plutôt les horaires flexibles, lorsque les salariés peuvent choisir leurs heures de début et de fin, en ayant parfois des plages de travail obligatoire le matin et l’après-midi. Quoiqu’il en soit, il est intéressant de connaître les origines de ces horaires et leur manifestation en France et en Allemagne.

L’auteur traite aussi des machines qui ont été mises en place à l’époque pour enregistrer – ou contrôler – les effets de cette autonomie temporelle. Il évoque aussi les résistances sociales, syndicales notamment, contre les horaires variables. Ceux-ci sont bien identifiés comme étant finalement davantage au service des entreprises, ce qui a conduit à un certain désenchantement, après l’enchantement initial, ou du moins une vision plus positive au départ.

Le chapitre 3 traite ensuite du programme du compte épargne-temps. Ceci est très intéressant, car peu de pays ont développé ce genre de projet et on note que sous un même terme, la France et l’Allemagne ont développé des initiatives fondées sur des visions différentes. Dans un cas, les heures ‘mises en banque’ dans ce compte épargne-temps seraient plutôt utilisées à moyen ou long terme en France, alors qu’en Allemagne le temps serait plutôt repris à court terme, souvent en dedans de deux semaines. Le dispositif reste toutefois pertinent pour permettre une certaine souplesse ou des aménagements de temps de travail.

Alors que pour illustrer le concept d’autonomie temporelle au chapitre 1, l’auteur a présenté le cas des cadres, au chapitre 3, ce sont des cas de banques et un cas d’hôpital en France qui sont utilisés. Le cas de la France permet d’illustrer l’utilisation différenciée du compte épargne temps dans deux catégories professionnelles, celle des médecins et des infirmières, donc une analyse en quelque sorte différenciée de l’utilisation par des hommes et des femmes. Il aurait d’ailleurs été intéressant de développer davantage l’analyse genrée des différences dans l’utilisation des dispositifs étudiés dans le livre, mais l’auteur se situe davantage à un autre niveau, dans l’analyse des conventions collectives, un autre niveau pertinent d’analyse. Le chapitre 3 est aussi intéressant, car l’auteur présente l’historique et les racines des différences entre les deux pays. On retrouve en fait ici une ‘analyse sociétale’ tel que le proposent divers chercheurs du LEST, surtout que l’étude porte sur les mêmes pays que ceux qui avaient été étudiés par Marc Maurice et son équipe, soit la France et l’Allemagne. Donc une analyse d’intérêt, puisque les relations industrielles et l’histoire des deux pays sont mises de l’avant pour expliquer que le compte épargne-temps se présente de manière différente dans les deux pays.

Le chapitre 4 est un peu étonnant, car l’auteur y traite de la Chine, donc un contexte très différent, sur lequel on sait relativement peu de choses, en ce qui concerne le marché du travail et l’emploi particulièrement. C’est un chapitre qui nous apprend bon nombre d’éléments sur l’organisation du travail dans deux usines en Chine, une usine de chaussures à Fujian et une usine d’acier au Sichuan. Ce qui est surprenant ici, c’est que la famille et la situation des femmes sont au cœur de l’analyse de ce chapitre. C’est fort intéressant, car on traite ici du travail migrant des hommes, qui doivent parfois aller vers une autre région pour travailler, laissant alors aux femmes tout le travail de reproduction, en plus de leur travail productif. On découvre que les femmes peuvent parfois apporter du travail de fabrication manuelle de chaussures à la maison, ce qui leur permet d’articuler leurs tâches professionnelles et familiales. Le rôle fondamental des femmes dans l’organisation du travail, du temps de travail et des sphères de production et de reproduction est bien mis en évidence dans ces deux cas. Le rôle de la famille élargie est également traité, mais on aurait aimé en savoir davantage sur ce plan; à la fois les femmes doivent s’occuper de la famille élargie (les grands-parents surtout) en Chine, mais parfois aussi les grand-mères surtout peuvent contribuer au travail domestique avec elles. Le chapitre fournit une introduction aux particularités de l’organisation du travail et du temps de travail en Chine, et surtout de son imbrication avec la famille. On pourrait presque souhaiter que l’auteur écrive un livre sur ce thème, tant le chapitre est captivant et soulève aussi plusieurs questions sur l’organisation du travail en Chine.

Le chapitre 5 se penche sur un autre thème, soit celui du télétravail. Il s’y intéresse sous un angle particulier, soit celui des négociations collectives qui ont lieu sur ce sujet en France, pendant la pandémie. La recherche dont il est question dans ce chapitre a été menée dans quelques organisations et deux entreprises sont mises de l’avant pour illustrer deux cas particuliers. Il s’agit d’un cas d’entreprise qui repose sur la culture du présentiel et tend donc à limiter le télétravail et un autre cas, qui s’appuie sur la culture du distanciel et au contraire généralise le télétravail. Le chapitre soulève des questions sur les avantages perçus du télétravail, puis sur les désavantages qui ont amené plusieurs entreprises et aussi certains salariés et syndicats à remettre en question l’intérêt du télétravail. L’auteur évoque rapidement le modèle hybride, et il faut souligner que c’est sans doute ce modèle qui s’imposera dans les années à venir. En effet, c’est déjà le cas en Amérique et dans les pays du Nord de l’Europe, ou le télétravail était déjà plus présent qu’en France avant la mise en place de mesures pandémiques (confinement, limites de déplacements en France). De fait, dans les années qui ont suivi, il semble que ce soit le modèle hybride qui se diffuse, avec en moyenne trois journées de télétravail et deux au bureau. Dans ce chapitre, l’auteur s’interroge finalement à savoir si le télétravail permet, ou non de renforcer l’autonomie temporelle. Il montre qu’en France, la perception du télétravail n’est pas aussi positive qu’ailleurs, qu’il y a des inégalités dans le télétravail, entre divers groupes et selon le genre. [1]L’auteur rappelle certaines critiques à l’endroit du télétravail, soulignant l’autonomie paradoxale qu’il peut engendrer, mais aussi les risques psychosociaux qui y sont parfois associés. Comme le processus de mise en œuvre du télétravail semble très encadré en France, il semble que ce soit les syndicats qui se font le relais de la critique des salariés et aussi du retour sur les lieux de travail de l’employeur.

Le livre repose donc sur la présentation de diverses études de cas permettant d’illustrer les diverses dimensions ou perspectives sur lesquelles repose la proposition de seconde autonomie de l’auteur.

En conclusion, l’auteur souligne la diversité des situations et note qu’en France l’autonomie est de plus en plus négociée, comme il l’a montrée dans les chapitres précédents, avec les divers dispositifs mis en place sur le plan temporel.

Enfin, toujours en conclusion, l’auteur évoque les rapports entre les deux formes d’autonomie qu’il propose et il avance l’idée que la seconde autonomie pourrait constituer une occasion de retrouver le bien-être au travail.