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La journaliste et philosophe Celia Izoard présente dans son essai La ruée minière au XXI e siècle : enquête sur les métaux à l’ère de la transition, publiée en 2024 aux Éditions du Seuil, ce qu’elle considère comme un paradoxe qui définit la société et l’économie contemporaines. Elle refuse l’idée reçue selon laquelle la simple transition des énergies fossiles aux énergies renouvelables permettrait de résoudre les maux environnementaux de notre époque. En mobilisant de nombreux exemples et statistiques, Izoard démontre l’absurdité (sur le plan environnemental) de cette « transition » écologique qui, au lieu de résoudre un problème, ne fait qu’au mieux, le déplacer, et au pire, y contribuer. Véritable monstre dans un costume d’agneau, l’industrie minière serait, selon elle, loin d’être la panacée écologique appuyée par les élites politiques et économiques partout dans le monde.

L’autrice commence par expliquer dans la première partie du livre ce qu’est réellement la « transition écologique ». Elle commence cette partie avec l’opposition de deux citations diamétralement opposées, mettant en exergue la tension entre, d’un côté, les élites qui cherchent à justifier une activité minière prétendument « propre » et, d’un autre côté, les spécialistes qui y voient un mensonge qui tente de justifier une activité profitable, mais fondamentalement mauvaise pour l’environnement. Izoard met dos à dos les propos des lobbys miniers et la réalité. Elle illustre d’abord l’insoutenabilité de la transition du fossile à l’électrique, celle-ci requérant des quantités colossales de métaux divers dont l’exploitation actuelle est insuffisante et devrait être décuplée au-delà de toute mesure raisonnable. Un de ses nombreux exemples, le plus évocateur à mon avis, est celui de l’électrification du parc automobile britannique. Cette transition « nécessiterait l’équivalent de deux fois la production mondiale actuelle de cobalt, les trois quarts de la production de lithium, et la moitié de la production de cuivre. » (pp. 28-30) En plus des métaux nécessaires à la production de ces voitures, il faut compter les métaux nécessaires à la production électrique par des sources dites renouvelables. La production de panneaux photovoltaïques et d’éoliennes nécessite également une grande quantité de métaux. Izoard tente de déconstruire d’un point de vue minier l’image strictement positive de la transition énergétique.

En plus de cette impossibilité pratique, la journaliste démontre en quoi l’industrie minière, dans ses pratiques actuelles, ne représente pas l’alternative souvent citée à l’industrie des énergies fossiles. Alors que certaines élites font la promotion de la mine dite « du XXIe siècle », Izoard démontre que la majorité des pratiques et procédé de l’industrie ont été inventés au XIXe. Elle illustre également les réalités moins connues de l’extraction minière, des montagnes de déchets qu’elle rejette à la modification du paysage en passant par les procédés énergivores et les ruptures de digues catastrophiques. Un recensement de Standard & Poor’s cité par la journaliste démontre qu’il y aurait 34 820 mines dans le monde en 2024. Il est alarmant que malgré l’ubiquité de ces sites, la grande majorité des gens soient inconscients des réelles implications sociétales et environnementales des mines. Selon l’Agence internationale de l’énergie, les prélèvements d’eau par les entreprises minières auraient doublé entre 2018 et 2021 dans le monde, illustrant l’ampleur des conséquences auxquelles l’on peut s’attendre avec l’expansion du secteur minier que commanderont les nouvelles technologies. Déconstruisant ainsi le mythe écologique de la transition du fossile au minier, Izoard parle de réinvention d’un récit pour maintenir un statu quo et pour le maintien des activités d’extraction minière.

Un des constats les plus forts de son argumentaire concerne l’illusion de la mine européenne propre. Selon l’autrice, des élites économiques et politiques en Europe participent à entretenir l’idée qu’il faut miner sur le continent pour des raisons de souveraineté et d’éthique. Pour elle, la mine européenne est forcément mieux réglementée que les mines dans d’autres pays. Elle répond ainsi à Guillaume Pitron qui avait écrit La guerre des métaux rares [1], un essai dont le propos était entre autres, selon Celia Izoard, de rapatrier la production minière en Europe pour des soucis éthiques, géopolitiques et environnementaux.

Guillaume Pitron fait comme constat central que les pays dans lesquels les pays occidentaux vont chercher les métaux dits « critiques » ont des normes environnementales beaucoup plus faibles ou flexibles que les pays européens. En entrevue à TV5, il citait à cet effet la Chine, le Congo-Kinshasa ou la Bolivie. Le coût environnemental serait donc « aggravé » par rapport à une extraction faite aux normes européennes. Pitron fait également état de l’abondance des terres rares en Chine, comparant cette situation à celle du pétrole dans la péninsule arabique. Alors que d’autres pays ont progressivement recommencé l’exploitation de terres rares, les usines de raffinement seraient encore majoritairement en Chine, ce qui maintient le pays dans une situation de quasi-monopole. Les implications géopolitiques pour Pitron seraient très importantes, et appelées à croître à l’avenir, notamment à cause de la dépendance croissante de l’économie mondiale envers les terres rares et des ambitions politiques de la Chine. Ainsi, il conclut que l’Europe devrait relancer son industrie minière sur le continent pour maintenir une souveraineté en matière de terres rares et pour des raisons d’acceptabilité sociale, puisque l’industrie minière dans les autres pays serait plus « sale ».

À l’aide de quelques exemples, Izoard défait cette idée reçue que les mines d’Europe sont inoffensives. Elle cite notamment l’exemple de la mine de Touro en Galicie dont le réservoir à déchets est situé près d’une falaise donnant sur un village, une pratique qui ne se ferait pas, selon elle, en Chine, au Brésil ou en Équateur. Sans contredire le propos de Guillaume Pitron sur les enjeux géopolitiques et écologiques insoupçonnés des nouvelles technologies par leur dépendance aux métaux, elle signale ce qu’elle considère être une erreur dans son raisonnement. Pitron omettrait certaines variables environnementales de son équation pour ne tenir compte que de considérations géopolitiques en faisant fi de la réalité des mines européennes selon elle. C’est ce qui expliquerait la similarité entre les constats des deux auteurs, mais la différence entre la conclusion de l’un et de l’autre. Alors que Pitron plaide pour une relance des mines d’Europe dans son ouvrage La guerre des métaux rares pour cesser de dépendre des exploitations minières étrangères, Izoard veut cesser de dépendre de l’industrie minière, qu’elle soit nationale ou étrangère. Guillaume Pitron semble cependant avoir cadré son argumentaire autour d’enjeux environnementaux dans son livre de 2021 L’enfer numérique, dans lequel il critique la transition numérique comme désastre environnemental. Son raisonnement aurait ainsi changé pour dénoncer la transition numérique, pas uniquement d’un point de vue géopolitique comme avant, mais également d’un point de vue environnemental.

Poursuivant son analyse, Izoard veut ensuite comprendre pourquoi l’on tient à accomplir cette transition malgré ses lacunes et incohérences. Elle s’attarde ainsi aux grandes tendances sociétales et aux discours dominants. Parmi ceux-ci, le plus ancré dans le monde économique serait celui de la société « immatérielle ». Il existe une théorie de l’histoire économique stipulant que la société occidentale serait passée à une économie immatérielle à partir des années 1980 avec le développement des économies de services et des nouvelles technologies. Pour Izoard, ce discours serait tout simplement faux puisque ces services et ces technologies reposeraient sur des supports bien matériels. Par exemple, le monde numérique repose sur des centres de données énormes, des infrastructures bien physiques et énergivores pour fonctionner.

L’engouement pour ce discours de dématérialisation et d’alternative à l’économie physique et polluante serait moussé, selon Izoard, par des élites motivées par des sentiments impérialistes. Cet impérialisme, l’autrice en donne plusieurs exemples forts. D’abord, le coup d’État de 1965 du général Suharto en Indonésie, épaulé par la CIA et appuyé par une commission sur laquelle siègent des administrateurs de sociétés pétrolières et minières américaines. Cette prise de pouvoir aux dépens des communistes menés par Sukarno, éminente figure du non-alignement dans le contexte de la guerre froide, a permis notamment à une entreprise minière américaine de prendre le contrôle de l’immense mine de Grasberg. L’autre exemple est celui du coup d’État de 1973 du général Pinochet contre Salvador Allende au Chili. Ce dernier avait annoncé la nationalisation des mines de cuivre du pays sans prévoir de compensation aux entreprises qui exploitaient la mine. La CIA aida le général Pinochet à faire son coup d’État et les entreprises américaines ont maintenu le contrôle du cuivre chilien. Pour Izoard, l’impérialisme occidental aurait justifié les discours encourageant l’industrie minière.

Izoard met ainsi le doigt sur un enjeu important de cette nouvelle ruée minière : les discours évoluent, mais les motifs demeurent. Entre 2008 et 2018, un changement se serait opéré dans les discours de justification de l’activité minière. Alors que l’on parlait plus tôt d’objectifs de croissance économique pour justifier la mine, on passe alors à la nécessité d’accomplir une transition depuis les énergies fossiles vers l’électrique. Selon la journaliste, un rapport de la Banque mondiale datant de 2017 serait l’apogée de ce changement de discours. Or, ce rapport a été rédigé avec l’International Council on Mining and Metals, lobby composé des plus grandes entreprises minières. Si le discours a évolué, le motif demeure toujours le même pour Izoard : une ruée vers la création de nouveaux débouchés pour l’industrie minière. Les industries de l’armement de l’aérospatiale ainsi que la course au numérique seraient donc en réalité les bénéficiaires de cette extraction, plus que la prétendue transition.

L’autrice plonge ensuite dans une troisième partie dans un argumentaire qui diffère beaucoup des précédentes pour justifier le désir de l’humain pour l’exploitation minière. Cette troisième partie se veut beaucoup plus philosophique que les précédentes, davantage journalistiques. Izoard parle ici de cosmologie extractiviste, d’homo faber, de mythes grecs, d’alchimie, citant Paracelse, et d’autres concepts qui semblent plutôt difficiles à replacer par moments. Il devient difficile dans certains passages de relier l’argumentaire de cette partie à l’ensemble de l’œuvre. Izoard a cependant mobilisé certains arguments et exemples historiques et sociologiques qui justifient son propos et qui semblent moins ésotériques que ceux cités précédemment. Par exemple, l’exemple historique de Francis Bacon, philosophe et homme d’État anglais qui, inspiré par les mines allemandes, aurait favorisé le développement des sciences minières et de l’industrie minière en Angleterre. Dans un même ordre d’idées, Izoard revient sur Jacob Fugger, un banquier du Saint-Empire romain germanique qui aurait démarré la capitalisation de l’activité minière en Bavière. Elle illustre ainsi comment le capitalisme actionnarial s’est emparé de l’industrie minière et a démis de la propriété de cette activité économique les corporations de mineurs, qui sont alors passés au salariat. Elle en fait aussi une référence plus générale à l’émergence du capitalisme et à Weber.

Outre la difficulté de replacer certains de ses exemples dans l’argumentaire général, il y a également un rapport incertain entre des arguments qui, bien qu’ils ne soient pas incompatibles, entrent en concurrence en l’absence de précision à ce sujet. Quelles sont les motivations réelles des humains à exploiter les mines ? Au premier degré, on pourrait penser qu’il s’agirait simplement de l’appât du gain, d’une forme d’avidité qui justifierait les risques que prennent au nom de collectivités entières quelques entreprises. Izoard parle bien de cette recherche du profit à quelques moments, notamment lorsqu’elle met en relation l’entreprise minière et le mythe d’Érysichthon. Or, sa troisième partie parle à la fois d’un désir de domination de la nature, d’une aspiration à poursuivre le travail de Dieu, d’une « religion du progrès », d’une matrice extractiviste du capital, entre autres. L’humain voudrait être se montrer supérieur à la nature en la modifiant à son image, se prétendrait divin et vouerait en plus un culte à une certaine idée qu’il se serait fait du « progrès ».

Celia Izoard est un nom connu en France pour sa critique des nouvelles technologies et des idées s’y rapportant, notamment celle de progrès. Or, si tous les concepts précédents s’imbriquent et s’articulent de manière à créer plusieurs explications possibles pour le désir de l’humain d’exploiter les sous-sols, c’est cette critique du progrès, réel fil conducteur de l’œuvre intellectuelle de Celia Izoard, qu’il faut impérativement retenir. Pour la journaliste, il faut réfléchir aux modes de vie contemporains qui réduiraient « le donné à des ressources ». Celia Izoard transporte l’« En as-tu vraiment besoin ? », l’apophtegme emblématique du comptable vulgarisateur québécois Pierre-Yves McSween, du choix comptable personnel au choix sociétal et collectif. Cette réflexion s’articule évidemment avec les théories du renoncement, de la décroissance et de la démondialisation. Or, elle conduit spécifiquement à des questions d’ordre technologique. A-t-on réellement besoin de tous les nouveaux gadgets que présente le tout dernier téléphone cellulaire ? Izoard va encore plus loin : a-t-on réellement besoin d’un téléphone cellulaire ? Elle rappelle au passage que, bien qu’elle soit consciente que le quotidien de 2024 est adapté à l’omniprésence de ces appareils et que bien des fonctions ne sont possibles d’accomplir qu’à partir d’une connexion Internet itinérante, il est bien possible de vivre sans si la société en décide ainsi puisque presque tous n’en possédaient pas il y a à peine 20 ans. Ce changement, bien que qualifié de « retour en arrière » par plusieurs, permettrait de sortir de cette dépendance insoutenable à l’exploitation minière. Un tel changement implique forcément l’appel à une philosophie du renoncement puisque le confort matériel (peut-être opulent) devrait sans doute être reconsidéré à la lumière des ressources disponibles. Bien plus qu’une prise de conscience sur la provenance réelle et physique des supports technologiques, il faut réévaluer leur importance à la lumière des enjeux éthiques et en calculer le coût et le bénéfice. Il faut apprendre à renoncer, dit-elle.

La quatrième partie porte sur l’avenir. Celia Izoard plaide pour un retrait des mines. Les chapitres de cette quatrième partie portent sur les combats qu’elle juge nécessaire de mener, puis sur l’avenir de cette relation entre l’industrie minière et l’environnement. Elle traite également des solutions qu’elle juge les plus pertinentes. Izoard indique d’abord où le combat qu’elle mène et le plaidoyer qu’elle porte rejoignent d’autres luttes. Le régime minier serait pour la journaliste un des piliers fondamentaux du régime capitaliste dont Marx avait critiqué l’iniquité. Le régime minier serait également un catalyseur de la crise climatique, ne permettant aucunement de faire de transition écologique. En effet, pour Izoard, l’industrie minière serait doublement polluante. Outre sa propre dépendance à l’industrie pétrolière, les équipements miniers et les transports fonctionnant aux hydrocarbures, elle poserait des risques majeurs pour les écosystèmes terrestres et marins. Au fil des paragraphes de cette partie, Izoard réinterprète le propos de son œuvre à la lumière de combats autres comme la lutte des classes ou la lutte à la crise climatique. L’exploitation minière, par les catastrophes écologiques et les abus qu’elle a décrits, serait un point de convergence de plusieurs luttes. Son ouvrage, profondément militant, appelle ainsi au ralliement de causes existantes à une cause qu’elle identifie comme la source de plusieurs autres maux. Elle appelle également, par les différentes idées reçues qu’elle déconstruit, à un rejet des alternatives qui sont proposées pour atténuer les effets de la mine. Pour Izoard, ce n’est pas à travers une meilleure gestion de l’industrie minière que l’on peut régler les problèmes environnementaux et sociaux qu’elle génère, mais plutôt en s’en retirant carrément. Par exemple, elle illustre la complexité et la presque insoutenabilité associées au fait de faire vivre des « mines urbaines » axées sur le recyclage de métaux dans les objets existants. Le recyclage, pour Izoard, ne serait qu’un commerce d’indulgences ou de temps pour les entreprises qui bénéficient de l’activité minière.

Elle propose ensuite quelques pistes de solutions, liste qu’elle ne prétend pas être exhaustive. Elle appelle notamment à certaines formes de désobéissance civile pour rendre moins viable l’exploitation minière par une augmentation des coûts, notamment par des blocages. Elle cite ensuite des exemples de campagnes afférentes à la solidarité internationale, une autre piste pour une prise de conscience collective. C’est surtout un appel au changement des modes de vie qu’elle lance, plaidant pour une décroissance minérale. À la lumière d’une évaluation collective des objets de notre quotidien, il devient impératif pour Izoard de renoncer à un certain confort. L’exemple qu’elle fournit est le téléphone portable. Or, contrairement à plusieurs autres appels à l’action individuelle en matière d’environnement, il s’agit bel et bien pour Izoard d’un appel à l’action collective. À l’échelle dont elle souhaite voir des changements, il devient nécessaire de faire ces choix en tant que société, et non plus simplement comme un renoncement personnel. Il s’agit de changer les manières de faire et de revenir à une certaine simplicité dans certains domaines.

Bien qu’elles diffèrent de celles de Guillaume Pitron, les solutions qu’offre Izoard ne sont pas, à mon avis, les points les plus intéressants de l’ouvrage. Les paradoxes dans les discours publics et privés en constituent la clé de voûte. Au-delà d’une liste de constats et de solutions qui y répondent, Celia Izoard a effectué un travail de recherche dans l’espace public des éléments de discours qu’elle considère comme des idées reçues, et qui font largement consensus dans certaines sphères de la société, pour en faire ressortir les incohérences, dénoncer les comportements complaisants et, in fine, enrichir le débat public en sortant des discours actuels hégémoniques en matière d’énergie et d’environnement. À mon avis, bien qu’elle écorche au passage l’industrie minière, le plus intéressant de son essai reste la critique de l’hypocrisie des élites économiques et sociales qui mentiraient pour maintenir en place une exploitation minière pourtant insoutenable. Elle procède en brossant un portrait de l’industrie minière, mais aussi des discours dominants et des idées reçues afférentes à l’exploitation minière. C’est notamment ce qui fait l’originalité de l’ouvrage d’Izoard, versus d’autres auteurs comme Guillaume Pitron. Ce dernier fournissait, selon Izoard, un argumentaire précieux aux élites pour la relance des mines en Europe, ce qu’elle dénonce. Ce seraient à la fois les relations asymétriques au sein de l’Europe, avec une périphérie composée des PIGS (Portugal, Italie, Grèce et Espagne) où seraient relancées la plupart de ces mines, et l’inutilité de cette relance qui justifieraient un retrait des mines selon elle. La relance serait inutile parce que la transition est un mythe. La plupart des métaux extraits seraient de toute façon destinés aux industries de l’aérospatiale, de l’armement et des technologies de pointe. La course aux métaux serait une course à l’armement et au « progrès » technologique. Bien qu’elle s’exprime sur l’exemple du téléphone mobile et de son inutilité, Izoard semble éviter de se prononcer directement sur l’armement et l’aéronautique. Elle fait le parallèle avec la quête des nazis pour des minéraux destinés à l’armement à la fin des années 1930, puis explique les liens qu’entretient la Commission européenne avec les gisements ukrainiens et les entreprises d’exploitation. Elle illustre ainsi les motifs réels de l’intérêt de la Commission pour la défense de l’Ukraine, à ses yeux, sans poser son opinion aussi clairement que pour la fin des téléphones mobiles. Bien que son texte ne soit pas un traité en faveur ou non de la défense ukrainienne, cet aspect manque à son raisonnement puisque ce dernier prête facilement le flanc à des arguments plus réalistes sur la nécessité de défendre le peuple ukrainien de l’invasion russe. Évitant de tomber dans des arguments à la Jean-Marc Jancovici, cet ingénieur français qui défend l’idée de limiter à quatre le nombre de vols autorisés à un individu au cours de sa vie[2], elle ne commente pas les usages aéronautiques des minéraux extraits. Elle offre ainsi une alternative au téléphone mobile sans offrir d’alternative à l’aviation commerciale ou à l’armement dans un contexte d’invasion de l’Ukraine, ce qui affaiblit quelque peu son argumentaire dans ce sens selon moi.

En n’offrant pas d’alternative crédible aux usages des métaux qui sont critiqués, il est possible de se demander à quel degré les idées d’Izoard relèvent de l’utopie. Il faut noter qu’elle parle peu ou pas de renoncement et de décroissance, ces mots-épouvantails qui sont largement contestés pour leur irréalisme. Ses suggestions sont sectorielles, visées, toutefois trop incomplètes pour que l’on puisse immédiatement croire en une sortie du minier. Si les constats qu’elle fait sont alarmants et nécessitent urgemment une réponse collective, il est difficile de voir comment l’on peut s’en sortir. Les méthodes qui s’accompagnent également de ce genre de renoncement à grande échelle peuvent également tenir du constructivisme rationaliste, une attitude qui, sans contrôle démocratique réel, peut facilement basculer vers la tyrannie. Si son argumentaire est crédible et convaincant, il manque toutefois des pistes crédibles qui dépassent le cadre du choix personnel (comme le téléphone mobile) pour envisager les changements nécessaires suggérés. Malgré ses lacunes, les constats et réévaluations sont nécessaires, et c’est ce que fait l’ouvrage : il lance le débat sur la transition. C’est la raison pour laquelle je ne puis qu’en recommander la lecture.