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Les ouvrages sur l’histoire de l’homosexualité au Québec ne sont pas légion, et chaque nouvelle publication sur le sujet est la bienvenue. Cette synthèse de Serge Fisette succède à celles de Ross Higgins (De la clandestinité à l’affirmation, Lux, 1999) et de Patrice Corriveau (La répression des homosexuels au Québec et en France, Septentrion, 2006). En intégrant divers renseignements tirés des plus récents travaux sur le sujet et à partir de ses propres recherches, l’auteur nous propose l’ouvrage de vulgarisation le plus à jour sur l’histoire de l’homosexualité masculine québécoise.
À la barre du magazine Espace sculpture pendant plus de vingt-cinq ans, Fisette est avant tout historien de l’art. Le champ d’expertise initial de l’auteur est perceptible tout au long de l’ouvrage, comme en font foi les nombreuses références à la littérature, au cinéma, à la télévision et à la chanson, en plus de la préface du metteur en scène Robert Lepage.
L’homosexualité au Québec se présente en huit chapitres, divisés principalement par décennies, à l’exception des deux premiers qui couvrent les périodes de 1648 à 1899 et de 1900 à 1959. Comme pour la plupart des synthèses sur l’histoire de l’homosexualité, la période antérieure à l’émergence du mouvement d’affirmation fait en quelque sorte figure de préambule, tant les sources restent parcellaires et inégales. En effet, seule une poignée de faits nous sont rapportés sur l’époque préindustrielle. Fisette intègre tout de même dans ces chapitres certains résultats des plus récentes études sur ces époques marquées par la répression. Il relate plusieurs faits saillants, parmi lesquels les célèbres scandales entourant le club des Manches de ligne en 1892, le Dr Geoffrion en 1908 et Joseph-Ernest Carreau en 1916. Ces deux chapitres se présentent essentiellement comme une longue succession d’affaires judiciaires d’intérêt varié, dans laquelle on peine parfois à trouver un fil conducteur.
Le troisième chapitre, consacré aux années 1960, marque une rupture. Il est maintenant question des balbutiements de la lutte pour la reconnaissance, qui culmine avec l’adoption du fameux « bill omnibus » de 1969, qui dépénalise l’homosexualité au Canada. Pour la première fois depuis les débuts de la colonisation française, les rapports sexuels entre adultes de même sexe ne sont plus réprimés. Officiellement du moins. Car comme le démontre le chapitre 4, la discrimination continue de sévir et la résistance, incarnée notamment par le Front de libération homosexuel, est plus nécessaire que jamais. Les célèbres rafles policières dans les bars montréalais Truxx et Mystique, en 1977, et l’importance de la contestation qui s’ensuit en témoignent.
Consacré à l’apparition du VIH/SIDA au sein de la communauté gaie au début des années 1980 et à ses ravages, le chapitre 5 constitue en quelque sorte une parenthèse dans la longue marche vers l’émancipation. Imprévisible, la pandémie emporte avec elle de nombreux membres de la communauté, au Québec comme ailleurs, et laisse à jamais sa marque dans l’imaginaire. Fisette recense d’ailleurs quantité d’oeuvres de différents genres artistiques consacrées à ce thème.
Renouant avec les chapitres consacrés à une décennie complète, le chapitre 6 décrit la visibilité croissante dont jouit l’homosexualité au sein de la culture populaire dans les années 1980. Il aborde également les débuts du Village gai montréalais, ceux du quartier gai de Québec et l’apparition de campings gais dans différentes régions de la province.
Le chapitre consacré aux années 1990 fait pour sa part état des nombreuses initiatives qui contribueront à une certaine normalisation de l’homosexualité. La décennie voit effectivement naître nombre d’organismes et associations voués à la défense et à la représentation de la communauté, qu’il n’est désormais plus possible d’ignorer. C’est ainsi que sont créés par exemple Divers/Cité et la Chambre de commerce gaie du Québec. Fisette évoque dans ce chapitre aussi un éventail d’oeuvres littéraires et cinématographiques dans lesquelles l’homosexualité est représentée.
Finalement, le huitième et dernier chapitre, sur les années 2000, aborde la légalisation des unions civiles puis du mariage gai, de même que la multiplication et la diversification des regroupements LGBT. Encore une fois, les représentations artistiques de l’homosexualité font l’objet d’une attention particulière.
Fisette nous offre ainsi, en moins de 300 pages, un condensé de l’histoire de l’homosexualité masculine au Québec depuis la Nouvelle-France. On termine la lecture de cet ouvrage avec un certain éreintement, tant les événements, à peine évoqués, s’y enchaînent sans fin. C’est bien sûr le propre de toute synthèse que de se contraindre à effleurer les différents faits marquants afin d’offrir un récit digeste. Toutefois, il aurait peut-être été préférable de passer sous silence certains éléments plus ou moins anecdotiques pour offrir au lecteur plus d’explications à d’autres phénomènes d’un plus grand intérêt. On aurait par exemple souhaité trouver davantage de détails sur l’importance du square Dominion et de la gare Windsor, à Montréal, comme lieu de rencontre à partir des années 1900, ainsi que sur les premiers bars gais qui apparaissent à partir des années 1920 rue Peel et rue Stanley, dans ce secteur qui formera pendant une cinquantaine d’années le quartier gai de la métropole.
Quelques précisions sur le caractère évolutif des identités sexuelles auraient également été appréciées pour accompagner les passages consacrés aux époques antérieures au début du 20e siècle. En ce sens, il aurait été plus prudent de parler d’hommes se livrant à des rapports homosexuels plutôt que de leur attribuer l’étiquette d’homosexuels. Il serait en effet hasardeux de spéculer sur l’orientation sexuelle d’individus sur lesquels on possède si peu d’informations et que le terme anachronique d’homosexuel ne saurait caractériser avec justesse.
Serge Fisette parvient néanmoins à nous offrir le récit d’une histoire riche et complexe en puisant dans les principales recherches menées sur le sujet depuis l’émergence du champ à la fin des années 1980. Si la brièveté des explications entourant certains événements peut laisser le lecteur sur sa faim, leur simple évocation l’invitera à approfondir ses connaissances en consultant les nombreuses études citées. Le vaste panorama présenté par Fisette a assurément de quoi piquer la curiosité.