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Octave Crémazie fut parmi ceux qui chantèrent comme une épopée le voyage de la corvette La Capricieuse en 1855. Néanmoins lucide sur la source de son inspiration, Crémazie a écrit par la suite que, pour toucher le coeur des Canadiens français, le poète n’avait qu’à faire rimer gloire avec victoire, aïeux avec glorieux et France avec espérance. Cette boutade pourrait figurer en exergue de l’essai de Jacques Portes qui complète dans ce livre les réflexions qu’il avait faites lors du colloque tenu en 2005 : La Capricieuse (1855) : poupe et proue (Les Presses de l’Université Laval, 2006).
Historiquement, les Québécois ont investi beaucoup d’espoirs dans une relation privilégiée avec la France toujours perçue comme la source lumineuse de leurs origines nationales ; la « mère patrie » comme disent les anciens manuels. Jacques Portes, qui a étudié depuis longtemps la question, rappelle que le voyage du capitaine Belvèze en 1855 n’était qu’une mission économique que la conjoncture internationale de l’époque rendait possible. Il ne constituait en rien un « retour de nos gens », comme le répétaient les Canadiens avec une pieuse émotion. Du moins, il ne représentait pas un changement de politique de la France impériale envers l’ancienne colonie cédée en 1763.
Pour la France, rappelle l’auteur, l’opération du « retour » vers le Saint-Laurent n’éveillait en rien sa grandeur, mais bien sa douleur (p. 16). L’accueil débordant et enthousiaste des Canadiens dépassait les volontés politiques et créait même pour Belvèze un certain embarras, voire un malaise, et la crainte que cette ardeur, quoique légitime, ne froisse les autorités britanniques.
Depuis les ministres Choiseul et Vergennes au xviiie siècle, la France a renoncé définitivement à un éventuel retour politique en Amérique du Nord. Son soutien militaire aux insurgés américains en 1778 ne visait qu’à racheter, pour l’honneur, la défaite de 1763, tout en conservant un lien privilégié avec la nouvelle république des États-Unis. La vente de la Louisiane, en 1803, appartient à la même logique. Dès lors, le destin des Canadiens n’a plus pesé bien lourd dans la politique américaine de la France.
Jacques Portes dresse un rapide panorama des suites de la mission de 1855 : la mise en place du premier consulat à Québec (1859) et la vision de quelques intellectuels conservateurs d’un Canada français et catholique, reflétant l’image d’une France d’Ancien Régime ayant conservé une innocence et une virginité prérévolutionnaires. Déjà, dans les années 1830, Alexis de Tocqueville, qui n’a vu que trop sommairement la réalité québécoise, avait surestimé les traditions et sous-estimé la capacité de survie de ce peuple. Dans le même esprit, François-Edme Rameau de Saint-Père se fera, après 1860, un véritable ambassadeur du Québec et de l’Acadie en France, stimulant des échanges personnels, culturels et littéraires. À travers l’expérience de quelques voyageurs et aventuriers, la France se fera une image mythique du Canada, que perpétuera, après la Grande Guerre, le succès en France de Maria Chapdelaine de Louis Hémon. De leur côté, les Canadiens français investiront toujours une surcharge symbolique dans l’intérêt que la France leur porte.
Au xxe siècle, les « missions » françaises ont toujours évolué dans un étroit sentier entre la sensibilité des autorités anglo-canadiennes et celle de l’Église catholique. Que l’on pense aux voyages de généraux français, voulant saluer la contribution des Canadiens à la Grande Guerre, ou d’écrivains et essayistes comme André Siegfried. C’est également le cas de la délégation venue souligner le 400e anniversaire du voyage de Jacques Cartier en 1934 ou encore la venue de ministres français avant et après la Deuxième Guerre mondiale. Ces personnalités de passage ont toujours enrobé d’une rhétorique traditionnelle et souvent surfaite des initiatives qui n’étaient fondamentalement que commerciales et diplomatiques.
La seule rupture de cette logique est survenue en 1967 avec le voyage au Québec de Charles de Gaulle. Le président souhaitait que ce moment prenne une valeur symbolique de part et d’autre de l’Atlantique. Mais la volonté gaullienne n’a pas vraiment survécu à l’homme et la France aura fait quittance de ce premier et unique versement pour payer la « dette de Louis XV ». Pour la France, le terrain politique de ses relations avec le Québec est trop miné, les enjeux économiques envers le Canada fédéral sont trop importants pour modifier durablement son rapport avec le Québec. Après 1968, la France ne fera que des pas hésitants entre l’ingérence et l’indifférence, le Québec entretenant lui-même l’indécision sur les chemins de son propre affranchissement.
La lecture de cet essai permet d’éviter toute surprise quant aux espérances que le Québec pourrait encore entretenir sur la France. On a d’ailleurs vu, en 2009, un Nicolas Sarkozy peu soucieux de ménager les susceptibilités nationales québécoises et tourner résolument le dos aux appels prophétiques du général de Gaulle.
Cependant, il existe bel et bien des ponts jetés entre la France et le Québec depuis un demi-siècle. Le tourisme plus fréquent de part et d’autre, les échanges artistiques, scientifiques et culturels qui marquent l’altérité et la réciprocité entre Français et Québécois représentent non pas un « retour », mais un véritable cheminement mutuel.
Portes complète son essai de six textes reproduits en annexes allant de la Nouvelle-France à de Gaulle en passant par le commandant Belvèze et Rameau de Saint-Père. On pourrait sans doute composer une vaste anthologie des voyageurs français qui ont re-découvert le Québec depuis le xixe siècle.
L’essai de Jacques Portes est bienvenu, il suscite réflexions et discussions et peut éclairer ceux qui poursuivent le travail de collaboration et d’échanges entre la France et le Québec. L’ouvrage n’a pas la prétention de vider une question complexe, mais il apporte un témoignage pertinent et verse au dossier une pièce à laquelle il sera toujours bon de se référer.