Volume 45, numéro 2, été 2014 Montréal, Paris, Marseille : la ville dans la littérature et le cinéma contemporains. Plus vite que le coeur des mortels Sous la direction de Émilie Brière et Pierre Popovic
Sommaire (15 articles)
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Présentation
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Pour un imaginaire grand parisien
Régine Robin
p. 13–24
RésuméFR :
La place de Paris dans l’imaginaire collectif hexagonal et international est énorme. L’étude décrit la naissance et l’évolution de la représentation enchantée de la capitale française, capitale du romantisme à laquelle la littérature, le cinéma, la chanson, l’art en général ont donné une aura qui s’est étendue sur le long XXe siècle et jusqu’à nos jours. Mais dans les temps récents, le dynamisme de cette célébration symbolique s’est atténué, comme s’il y avait eu un trop-plein de chromos et une usure progressive des signes. Cette érosion et cette surabondance ont engendré des clichés et des stéréotypes indéfiniment reconduits et ressassés. Après avoir dressé ce constat et montré comment se construit ce Paris « carte postale » dont Midnight in Paris de Woody Allen fournit un exemple, l’étude propose d’aller vers la ville réelle d’aujourd’hui et de reconnaître en elle un projet potentiel qui n’attend que des écrivains, des cinéastes, des penseurs pour avoir des assises imaginaires solides. Abolissant le périphérique, liant le centre historique aux banlieues, ce projet vise à donner naissance à cette grande métropole multiculturelle de 10 millions d’habitants qui porte déjà un nom, celui de « Grand Paris ».
EN :
Paris plays a superlative role in the collective imagination of both the French and the rest of the world. This essay looks at how the capital of romanticism gained and held its magical aura through literature, cinema, song and other art forms throughout the 20th century and beyond. More recently, however, the city’s reputation has paled, falling prey to a vibrant and excessive popularity that led to endlessly overused clichés and stereotypes. Having revealed the history behind the postcard city epitomised in Woody Allen’s Midnight in Paris, this essay moves on to the real Paris of today and how it can become the new imaginary inspiration for writers, moviemakers and philosophers alike. Erasing the ring road that separates suburbs from the historical core of the city, this would make what is already a multicultural metropolis of 10 million people truly become known as Greater Paris.
Études
Montréal
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Arcanes de Montréal : la métropole dans les romans de Nelly Arcan
Gilles Dupuis
p. 27–40
RésuméFR :
Montréal est au coeur de l’oeuvre romanesque de l’écrivaine québécoise Nelly Arcan. Non seulement la métropole fournit-elle le décor à l’intrigue des quatre romans de l’auteure, mais aussi elle s’émancipe progressivement de sa seule fonction de cadre pour constituer, d’un opus à l’autre, un topos à part entière du récit, inséparable du sort des personnages qui y jouent leur destin. Tour à tour sordide et branchée à travers les quartiers de prédilection fréquentés par la romancière, virtuelle et fantastique dans le passage remarqué de l’autofiction à la science-fiction, la ville désirante mise en scène par Nelly Arcan ne livre pas d’emblée tous ses secrets. C’est en interrogeant les arcanes de l’oeuvre, à la lumière de Montréal interdite d’Alain Médam et de Paris insolite de Jean-Paul Cléber, que la cybermétropole arcanienne révèle sa part insoupçonnée de mystère.
EN :
Quebec author Nelly Arcan sets her four novels in Montreal, a mysterious city that she both depicts and recasts beyond the physical into a full-fledged element of her narrative, inseparable from the characters whose lives are being played out. Arcan describes Montreal not only through the gritty or upscale neighbourhoods she knows so well, but also as a virtual and imagined backdrop to her forays into science fiction. It is only through Alain Médam’s Montréal interdite and Jean-Paul Cléber’s Paris insolite that one can study Arcan’s oeuvre to glimpse at Montreal’s mystery.
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L’intérêt romanesque de la banlieue chez Michael Delisle
Michel Biron
p. 41–50
RésuméFR :
Roman de la banlieue, Dée (2002) de Michael Delisle propose un portrait particulièrement poignant et dur d’une jeune femme dépressive, vivant dans un nouveau développement à Longueuil, sur la Rive-Sud de Montréal. Rien de romanesque n’arrive à ce personnage qui cependant incarne la misère d’un monde « déconflictualisé » (au sens de Marcel Gauchet) où l’individu n’a même plus le désir de se révolter contre la société. La souffrance n’est pas fixée et dramatisée par quelque événement tragique, mais diluée dans une série de minuscules tragédies qui révèlent l’insurmontable désarroi de l’être.
EN :
Michael Delisle’s 2002 Dée is a gritty tale of suburbia, centered on the harsh life of a depressive young woman from a new residential development in Longueuil, on the south shore of Montreal. Far from a storybook narrative, hers is the bleak existence of those resigned to living in a dulled world (as Marcel Gauchet would mean it), with no longer any desire to challenge the social norm. Rather than being derived from one given tragic occurrence, her suffering permeates a series of smaller misfortunes indicative of her insurmountable despair.
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Vivre et écrire Hochelaga
Micheline Cambron
p. 51–62
RésuméFR :
Le roman montréalais actuel configure souvent un espace géographique beaucoup plus vaste que la ville elle-même, celle-ci se situant au croisement de trajectoires qui étendent ses frontières imaginaires aux dimensions du monde. Pensons à Nikolski de Nicolas Dickner, par exemple, ou au dernier roman de Monique LaRue, L’Œil de Marquise. Mais, tout aussi bien, certains écrivains choisissent, dans un mouvement inverse, de condenser l’espace urbain, saisissant Montréal à travers l’un de ses quartiers. Je me pencherai sur deux oeuvres fort différentes, le roman 20h17 rue Darling de Bernard Émond, et le recueil de poèmes L’Œil au calendrier de Gabriel Landry, afin de comprendre comment l’urbanité montréalaise s’y vit dans les limites d’un quartier, Hochelaga, qui devient ainsi l’incarnation intime de la ville. Je m’intéresserai à la forme qui se trouve donnée au temps, dans cet espace métonymique, et à la manière dont le temps et l’espace se trouvent croisés au fil des déambulations des sujets narrateurs qui font d’Hochelaga le lieu improbable du vivre-ensemble montréalais le plus contemporain.
EN :
Contemporary writings set in Montreal often narrate a much broader area than the city proper, a focal point in an imaginary web that reaches across the planet : Nicolas Dickner’s Nikolski or Monique LaRue’s latest opus, L’Œil de Marquise, are but two examples. Conversely, some authors elect to shrink Montreal down to just one of its neighbourhoods. Bernard Émond’s 20h17 rue Darling, a novel, and Gabriel Landry’s collected poems L’Œil au calendrier are the two quite different sources through which this essay seeks to understand how life in Montreal can be understood from, and embodied in just one of its neighbourhoods, Hochelaga. In particular, this essay looks at how this metonymic and improbable representation of Montreal’s collective and contemporary soul addresses time and its interaction with space as experienced by narrators.
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Sur la banquette arrière d’un taxi montréalais : à propos de Cosmos (1996)
Simon Harel
p. 63–72
RésuméFR :
Faisant appel au film culte Cosmos (1996), Simon Harel étudie les figures montréalaises de la mobilité géographique et culturelle. À ce sujet, le taxi représente, dans Cosmos, un espace identitaire, capteur de mobilité, traceur de parcours autant réels qu’imaginaires et figure emblématique de la ville. Cette analyse permet une réflexion sur les récits de soi et d’espace du sujet en mouvement. Aux yeux de Simon Harel, le chauffeur de taxi est un véritable « homme-récit » (pour reprendre l’expression de Tzvetan Todorov) ayant une fonction d’interprète de la parole des autres, de l’actualité de la vie urbaine et de la tradition orale.
EN :
Calling on that 1996 cult movie Cosmos, Simon Harel focuses on geographic and cultural comings and goings in Montreal. In the movie, the taxicab embodies the city and acts as an identity bubble that captures motion and traces routes both imagined and real. Harel’s exploration fosters an analysis of the various narratives expounding the self and the environment of those in motion. To the author, the cab driver himself is a true “narrative” as Tzvetan Todorov would understand it, tasked with interpreting his passengers’ words, life in his city and oral tradition.
Paris
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Martine Sonnet et le Montparnasse monde : « un petit écosystème dans la symbiose générale »
Émilie Brière
p. 73–82
RésuméFR :
La gare Montparnasse est emblématique d’une certaine conception de l’urbanisme parisien et de l’évolution de ses principes depuis les années 1960 : brouillage des frontières entre centre et périphérie ; nouveaux modes de transit et démocratisation du tourisme ; gestion ergonomique des espaces en trajets standardisés, dont le fléchage guide des foules aveugles d’individus indifférents et indifférenciés. Pendant quelques années, Martine Sonnet « lit » la gare, lui cherche des significations et interroge la possibilité d’« habiter » ce non-lieu. En résulte un projet multimédia : sur son blogue, elle collecte images et courts vidéos de la vie quotidienne dans l’univers ferroviaire. Dans son récit, paru en 2011, elle rassemble ses observations et ses souvenirs. Le style télégraphique de sa prose entérine la disparition du sujet au profit d’un usager anonyme et désincarné. Pour autant, sa description du « Montparnasse monde » laisse progressivement place à des îlots de narration de plus en plus nombreux, et donne à voir des aventures, accidents et accrocs de vie réelle que la normalisation voulue par les principes d’urbanisation moderne n’est pas parvenue à éradiquer tout à fait. Ce qui se donne au premier abord comme un univers déshumanisé, en camaïeux de gris et entrecroisements d’escaliers mécaniques, apparaît progressivement comme un écosystème que le vécu personnel, la mémoire familiale et l’histoire sociale ne cessent de colorer. La chose n’est pas banale pour qui fréquente régulièrement la gare Montparnasse : par la description très personnelle qu’elle en fait, Martine Sonnet parvient à élaborer une image de la gare qui traduit sa profonde « empathie pour le Montparnasse monde », et par-delà, pour le Paris du début du XXIe siècle.
EN :
In Paris, the Montparnasse train station embodies the evolution of a certain school of urban design that started in the 1960s, which sought to abolish the city centre versus suburbs dichotomy, foster new transit means, democratise tourism, and manage public spaces through ergonomic and standardised paths indicated by signage meant to steer blind crowds of bland and indifferent individuals. While spending a few years “deciphering” the Montparnasse station and trying to determine whether it could be “lived”, Martine Sonnet launched a multimedia project that combined a blog containing pictures and short videos of daily events at the station, and a compilation of her observations and memories that got published in 2011. While her telegraphic prose replaces named persons with anonymous passengers lacking substance, her depiction of the “Montparnasse microcosm” relies increasingly on the narration of adventures, accidents and daily mishaps that survived the standardisation advocated by modern urban design principles. While at first glance a soulless, grey fog of escalators, the station finally comes across as an ecosystem coloured by individual lives, family memories and social history. Those who often walk through Montparnasse will realise the full impact of Martine Sonnet’s very personal and empathetic take on the station, a world of its own nested within 21st-century Paris.
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La Clôture de Jean Rolin. Le territoire circumparisien : entre ironie et mélancolie
Sarah Sindaco
p. 83–95
RésuméFR :
Journaliste et écrivain, Jean Rolin a construit, dès le début des années 1980, une oeuvre originale dont le point de départ est le plus souvent « l’exploration d’un territoire ». La Clôture (2002) s’ancre dans un lieu de déshérence sociale et urbaine où le narrateur fait la rencontre d’un monde marginal et interlope : le boulevard Ney, espace tampon entre Paris intra-muros et sa périphérie. Mêlant fiction et autobiographie et érigeant la déambulation en une véritable démarche littéraire, l’auteur-narrateur entend articuler le présent et l’Histoire et déchiffrer le réel en conciliant engagement subjectif et réflexivité critique — Jean Rolin prenant ici ses distances avec les grands discours totalisants qui ont caractérisé son passé de militant maoïste. Pour ce faire, aux côtés d’autres formes de l’ironie, il a recours à l’ironie romantique, tout en mettant en scène une série de héros paradoxaux, incarnations d’une ironie de l’Histoire dans laquelle s’expose, comme en miroir, la propre mélancolie de l’auteur, consécutive à la perte des espoirs qui sous-tendaient son engagement révolutionnaire.
EN :
Since the early 1980s, journalist and author Jean Rolin has been writing original works that often start with the exploration of a given place. His 2002 La Clôture is set around the Ney Boulevard, a social and urban wasteland populated by marginals and criminals that separates Paris proper from its suburbs. The author-cum-narrator weaves his story, both fictional and autobiographical, around his route, telling the now and the then, and taking a subjective yet critical look at his surroundings. In so doing, Jean Rolin foregoes the all-encompassing discourse of the maoist activism of his past. As he stages a series of paradoxical heroes, he resorts to various shades of sarcasm, including romantic satire, to illustrate the irony of a history that reveals his own melancholy at the loss of his revolutionary ideals.
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En terrains connus ou « choses vues » dans Paris : Night and Day (2008) de Hong Sang-soo
André Habib
p. 97–107
RésuméFR :
Paris est, avec peut-être New York comme seul rival, un des « personnages » les plus illustres de l’histoire du cinéma. Des « vues Lumière » jusqu’aux pérégrinations des héros de la Nouvelle Vague, de la psychogéographie de Debord aux cartographies affectives de Rohmer, en passant par les Paris vu par (1965, 1985) et autres Paris je t’aime (2006), peu de villes ont été autant filmées, et peu de villes ont eu autant d’influence sur l’imaginaire cinématographique. Il est notamment fascinant de constater la migration de cet imaginaire au sein des cinématographies asiatiques contemporaines. Cet article se penche sur le film Night and Day (2008) de Hong Sang-soo, tourné principalement dans le XIVe arrondissement à Paris, seul film de ce cinéaste sud-coréen à avoir été réalisé à l’extérieur de son pays. Le cinéma de Hong Sang-soo tourne autour d’un périmètre très limité et obsessif de lieux (cafés, bars, appartements), de quartiers et de situations (beuveries, triangles amoureux, vacances). Night and Day, avec le XIVe arrondissement comme toile de fond, en offre une énième variation, délocalisée, certes, mais totalement marquée par la présence du familier. Plutôt que d’être une expérience de la ville fondée sur le choc des cultures ou la rencontre avec l’autre, Night and Day propose un regard tout à fait décomplexé sur Paris, attentif aux « choses vues » les plus triviales, et marqué par un attachement aux lieux ordinaires, au commun, au quotidien, aux parcours du héros (qui n’y rencontre, à peu de choses près, que des Coréens). Par ailleurs, comme pour Tsai Ming-liang (Et là-bas, quelle heure est-il ? [2001], Visage [2009]) ou Hou Hsiao-hsien (Le Voyage du ballon rouge, 2007), l’appropriation de Paris est indissociable d’une culture cinéphilique (en l’occurrence, dans le cas de Hong Sang-soo, du cinéma de Rohmer). Il s’agira donc d’essayer de décrire les modes d’appropriation de l’espace de la ville dans ce film, et l’imaginaire culturel par lequel ils transitent.
EN :
With the possible exception of New York City, Paris is one of cinema’s most beloved “characters”. From the Lumière brothers to New Wave heroes, from Debord’s psychogeography to Rohmer’s emotional cartography, from the 1965 Six in Paris and the 1985 Japanese takes on the city to the 2006 Paris je t’aime, no other city has graced film and influenced filmmakers so often as Paris. Of general interest is the evolution of that city in contemporary Asian filmography and, in particular, the 2008 Night and Day by Hong Sang-soo, the only movie he shot outside his native South Korea. In keeping with his obsession with paring down locales (coffee shops, bars, apartments), neighbourhoods and events (drunken binges, love triangles, holidays), Night and Day is restricted to a familiar take on the city’s 14th arrondissement. Focussed not so much on culture clash or encounters as on the city itself, Night and Day zooms in on the most trivial sights, the most ordinary settings, the drudgery of daily life and the paths trodden by the main character (who ends up meeting mostly South Koreans). Much like in Tsai Ming-liang’s 2001 What Time Is It Over There? or 2009 Visage, or Hou Hsiao-hsien’s 2007 Flight of the Red Balloon, the appropriation of Paris owes much to movie-making culture. Rohmer’s influence on Hong Sang-soo is a case in point and this essay will look at how and through which cultural references the latter appropriates Paris in his movie.
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Dédales, carrefours et coïncidences : Paris et la mémoire dans Pont de l’Alma de Julián Ríos
Laura Shine
p. 109–119
RésuméFR :
La ville peut-elle préserver la mémoire de ceux qui ne sont plus ? Voilà l’une des questions que pose Julián Ríos dans son roman Pont de l’Alma (2010). L’auteur espagnol tisse autour de la princesse Diana un récit de culte et de souvenir, faisant de sa mort dans la Ville Lumière le noeud de son oeuvre complexe. Promenant le lecteur dans un Paris fragmenté et peuplé de revenants, il propose de réexaminer la ville et de remotiver les signes qu’elle offre en les considérant comme des formes d’existence post-mortem. Ce faisant, il donne « sens » au paysage urbain, conjuguant les trois acceptions du mot : sensation, direction et signification.
EN :
Can the deceased live on in a city through memories ? This is one of the questions raised by Julián Ríos in his 2010 Bridge of Souls. Woven around Princess Diana’s accidental death in Paris, the Spanish author’s novel cultivates her memory, ambling through a shattered city of ghosts. He takes a closer look at the French capital, recasting its symbols as post-mortem forms of life, all the while redrawing, redefining and “re-viewing” its topography.
Marseille
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Chourmo, la nostalgie d’un autre présent
Bernabé Wesley
p. 121–134
RésuméFR :
Chourmo, le second volume de la trilogie de Fabio Montale, est une refondation du mythe fondateur de Gyptis et Protis, représentation privilégiée de Marseille d’après laquelle le roman recrée un espace d’invention singulière de la mémoire collective phocéenne. Tel que l’oeuvre de Jean-Claude Izzo le réinterprète et le reformule, le mythe apparaît dans une version déceptive qui montre que sa légende est en panne dans la Marseille du milieu des années 1990. Moment mythique de la fondation de la ville, récit constitutif d’une mémoire et d’une identité multiculturelle chevillée à un imaginaire méditerranéen particulier, le mythe de Gyptis et Protis est le récit légendaire de Marseille que le roman de Jean-Claude Izzo convoque comme un sous-texte et qu’il passe au crible de sa propre désillusion contemporaine pour donner forme à sa représentation de la ville. Étudier la dimension discursive, cognitive, générique, poétique et narrative de ce recours à la légende et à son imaginaire mythologique dans Chourmo est l’objet de cet article.
EN :
The second instalment in the Fabio Montale trilogy, Chourmo revisits the myth of Gyptis and Protis as founders of Marseille. Jean-Claude Izzo’s novel is a unique fiction that reinterprets and recasts the collective memories of Phocaea around a legend that has lost its lustre in the mid-1990s Marseille. He uses the legendary marriage of Gyptis and Protis and their mythical foundation of Marseille as a sub-text for his disillusioned depiction of the city. This essay looks at the discursive, cognitive, generic, poetic and narrative components of Izzo’s take on legend and myth in Chourmo.
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Les mots et les maux de Marseille : La Ville sans nom de Frédéric Valabrègue
Amélie Dorais et Pierre Popovic
p. 135–146
RésuméFR :
Campé du côté de la Calanque de Maldormé, un SDF nommé Faria harangue et interpelle ceux qu’il appelle les « Innommables », c’est-à-dire les Marseillais (la ville fut privée de son nom durant quelques mois en 1794 par la Convention). Le choix décentré du lieu, la faconde et le caractère du personnage, le jeu sur l’intertexte (Le Comte de Monte-Cristo de Dumas et son abbé Faria), l’hétérogénéité générique (roman, monologue, résidus épiques) sont autant de moyens mis au service d’une critique des repères culturels, des schémas discursifs, du légendaire et des stéréotypes marseillais. C’est ainsi toute la rumeur sociale d’une ville qui est prise en écharpe, innervée par un orateur des quais qui, tour à tour, se révèle rhapsode, prédicateur ou prophète.
EN :
“Unmentionables” is how Faria, a hobo having set up camp by the Maldormé creek, calls the people of Marseille (the ruling National Convention had stripped the city of its name for a few months in 1794). Faria’s remote location, his verbose harangues, echoes of Dumas’ Count of Monte Cristo and its namesake priest, a heterogeneous style (novel, monologue, epic remnants), all contribute to a critique of cultural benchmarks and discursive schemes, not to mention the legends and stereotypes of Marseille. Thus, the entire social rumour of the city is upended through the diatribes of a dockside orator who is at times preacher, rhapsodist or prophet.
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Par la porte intime du paysage marseillais : le cinéma politique de Robert Guédiguian
Marion Froger
p. 147–163
RésuméFR :
Depuis quelques années, les études urbaines tentent de faire du paysage un « bien commun » et se faisant, sont amenées à tenir compte de la dimension affective et intime du rapport que les habitants entretiennent avec le paysage tout autant que des divers intérêts qui sont en jeu dans ses définitions et ses usages. Les débats que le programme Euroméditerranée de transformation de la ville de Marseille a suscités en portent la trace. Au centre de la filmographie de Robert Guédiguian, on retrouve une notion essentielle à la compréhension de l’expérience de la ville et du rôle de ses paysages : celle d’un « attachement » éprouvé envers elle, moins comme demeure individuelle que comme lieu d’une expérience collective. Parce que la filmographie de Robert Guédiguian couvre trois décennies marseillaises, on y trouve aussi une attention particulière aux transformations de la ville ; parce que le cinéaste pose un regard d’enfant du pays sur la cité phocéenne, on y trouve encore une mise en question du sentiment de territoire ; et parce qu’il raconte des histoires dites communautaires, on y trouve enfin une interrogation lancinante sur les ressources intimes de l’engagement collectif. Dans la cinématographie de Robert Guédiguian, le paysage habité, ressenti et aperçu, autant par les personnages que par les spectateurs, sert de révélateur à une expérience inquiète de la ville, qui met le collectif — et le politique — au coeur de l’intime
EN :
Of late, urban designers have considered the land as a shared benefit and have taken to minding the emotional and intimate relationship the people have with it as well as the various interests at play in defining and using it. This is reflected in the discussions surrounding the Euroméditerranée programme and how it will transform Marseille. Robert Guédiguian’s movies share a common core essential to understanding Marseille and its land: a proven attachment to the city, not so much on an individual level as a collective experience. Spanning three decades, his filmography pays much attention to how the city has evolved. As a child looking at the Phocean town, he questions the notion of land; as a narrator of the community, he finally questions the individual requirements for collective action. His movies use the land as experienced and witnessed by both its inhabitants and the viewers as a backdrop to the worries about Marseille that mesh the individual, the collective and the political.
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En rade : les descendants du chiffonnier. Lire Gilles Ascaride
Pierre Popovic
p. 165–176
RésuméFR :
L’oeuvre de Gilles Ascaride élabore sans cesse des personnages qui, par leur fonction, par leur trajectoire existentielle, par leur situation sociale sont amenés à jeter un regard décentré sur la ville. Vue de leur point de vue, Marseille devient étrange, cruelle, contradictoire et n’a plus rien à voir avec la ville de la beauté et de la joie de vivre méditerranéenne ou avec la ville de la réussite commerciale planétaire que proposent les récits joviaux de l’industrie touristique et du néolibéralisme hégémonique. Le chômeur royal d’Un Roi à Marseille, l’instituteur retraité de Retrouver Pétofi et le SDF de Sur tes ruines j’irai dansant remobilisent et transforment le « chronotype » du chiffonnier, que Walter Benjamin avait naguère débusqué dans l’oeuvre de Charles Baudelaire.
EN :
Whether as a result of their role, their past or their social standing, the characters flowing from Gilles Ascaride’s pen are always remote observers who make Marseille to be a strange, cruel and contradictory city, far removed from the idyllic, joyful and successful Mediterranean destination concocted by the tourist industry and overbearing neoliberals. From the princely unemployed in Un roi à Marseille to the retired teacher in Retrouver Pétofi and the hobo in Sur tes ruines j’irai dansant, Ascaride rekindles and recasts the scavenger first unearthed by Walter Benjamin in Charles Baudelaire’s writings.
Analyse
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Le Papineau de Louis Fréchette : l’exproprié de l’histoire
Jonathan Livernois
p. 179–208
RésuméFR :
On note une importante fictionnalisation de la figure de Louis-Joseph Papineau (1786-1871) dans le corpus littéraire canadien-français du XIXe et du début du XXe siècle. Louis Fréchette (1839-1908), dans ses poèmes, dans le drame Papineau ainsi que dans ses Mémoires intimes, magnifie le chef du Parti patriote, lui confère un statut de grand homme politique, de la trempe de Cicéron et de Caton. Pourtant, du même souffle, la figure de Papineau est subrepticement désamorcée, déradicalisée. Dans cette étude, nous verrons les ressorts littéraires qui expliquent ce double phénomène et ce qu’ils peuvent révéler des rapports entre la politique et la littérature canadiennes-françaises puis québécoises.
EN :
Louis-Joseph Papineau (1786-1871) was a popular inspiration behind French-Canadian literature in the 19th and early 20th centuries. In his poems, his play Papineau and his childhood recollections Mémoires intimes, Louis Fréchette (1839-1908) extolls the leader of the Patriot Party. The writer makes a towering figure of the politician, akin to a Cicero or Cato, all the while taking the radical edge off Papineau. This article focuses on the literary roots of this dual phenomenon and how they shine a light on the links between French-Canadian (and then Québec) politics and literature.