L’industrie de l’aménagement, née de la coupe, n’a que peu de reconnaissance. C’est assez particulier. Si la société québécoise, plus précisément l’élite, décide de reconnaître à juste titre l’industrie d’aménagement, celle-ci sera mieux réalisée et les conditions de travail seront améliorées. Les planteurs d’arbres et les débroussailleurs ne disposent pas des mêmes conditions que les bûcherons (qui travaillent dans l’industrie de la coupe) bien qu’ils dépendent du même ministère. Un traitement différent s’opère. Cette culture est jeune, elle apparaît dans le paysage forestier à partir du milieu des années 1980 et permet à la coupe de perdurer mais elle n’est pas pratiquée par de « vrais bûcherons » : ce sont des jeunes, des immigrants, des travailleurs qui plantent et régénèrent en opposition à une culture noble. Pendant longtemps, le métier de débroussailleur n’était assuré – dans l’esprit de plusieurs personnes – que par des personnes qui sortaient de prison, des alcooliques, ceux qui n’arrivaient pas à se trouver un métier. Il s’agissait d’un sous-métier. C’est en train de changer. Peut-être que le film contribuera à ce changement. J’ai rencontré Mamadou à Rouyn-Noranda où il vit toujours, et ça a été un coup de foudre. Je le rencontre pendant le tournage en juillet et nous le filmons en août. Ce ne sont que deux jours de tournage. Il ne nous a jamais été donné à nouveau de pouvoir le rencontrer dans le bois. Cela n’a pas l’air de ça dans le film, mais les trois personnages principaux ne sont jamais dans le même lieu en même temps. Je cours trois lièvres à la fois : Mamadou, Gérard et Antonie dans trois camps différents à des centaines de kilomètres. Ces hommes prennent des pauses et reviennent à peu près aux trois semaines, avec Mamadou ça n’a jamais fonctionné. Nous ne l’avons filmé que pendant deux jours mais nous l’avons fait vivre dans le film sur l’année grâce à la magie du montage et au talent de ma merveilleuse monteuse, Aube Foglia. C’est là tout le rapport à la forêt, à l’être québécois, au bois. Le fait qu’un Malien, un Philippin, un Roumain s’inventent bûcherons est le signe qu’ils appartiennent au Québec. C’est cela que je trouve fabuleux, une transculturalité en plein bois s’opère : « J’habite le territoire de l’ours, je combats la mouche noire, je sens l’épinette, j’appartiens donc au Québec ». Un imaginaire, notamment autour de la forêt, a été fabriqué au Québec après la lecture des travaux de Robert Harrison. Il s’agit d’une construction occidentale. Les grands films des années 1930 à Hollywood, Blanche-Neige et les sept nains (David Hand, 1937), Robin des bois (Michael Curtiz, 1938), etc., mettent en scène la forêt. Elle se révèle à travers les sept nains et devient une alliée de Blanche-Neige ; dans Le Seigneur des anneaux (Peter Jackson, 2002), les arbres se déplacent. La forêt occupe un espace très fort dans notre imaginaire et cependant quelque chose m’étonne : si la figure de l’agriculteur a été beaucoup travaillée au niveau historique, celle du forestier l’est beaucoup moins. Des travaux ont été menés à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), mais il n’y en a pas tant que cela. Pourquoi ? Pourquoi dans la cinématographie québécoise, dans la fiction et l’animation avec notamment L’Homme qui plantait les arbres (Frédéric Back, 1987), la forêt est présente, alors que dans le documentaire, elle est quasi-inexistante ? Dans le cas d’Antonie, il est arrivé ici en tant que réfugié politique et entre en forêt par dépit. Lorsqu’il décrit son périple, il précise : « Quand tu n’as plus rien à perdre, c’est toujours en avant, …
Parties annexes
Références
- Dugay R., 1978, « La Bittt à Tibi », Vivant avec Toulmond (CD). Toronto, Capitol EMI.
- Harrison R., 1992, Forêts : essai sur l’imaginaire occidental. Paris, Éditions Flammarion.