Arborescences
Revue d’études littéraires, linguistiques et pédagogiques de langue française
Numéro 12, décembre 2022 Pratiques métatextuelles dans les littératures francophones du Maghreb, d’Afrique subsaharienne et des Caraïbes Sous la direction de Morgan Faulkner et Julia Galmiche-Essue
Sommaire (7 articles)
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Introduction
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Les méandres et l’au-delà du texte : La Lézarde d’Édouard Glissant
Olga Hel-Bongo
p. 7–24
RésuméFR :
Cet article entend examiner la poétique d’écriture de La lézarde d’Édouard Glissant sous l’angle du métatexte. La nature réflexive du métatexte passe par le questionnement des personnages, de l’écrivain et du lecteur et s’articule autour d’un thème unificateur du roman : la filiation. Celle-ci s’inscrit dans une dynamique de la quête (historique, nationale, existentielle, générique et énonciative). Nous montrerons que le questionnement en jeu n’est pas que thématique ou mimétique. Il est formel, syntaxique et stylistique, engageant l’écriture dans un procès allant du sens vers sa signifiance, de l’énoncé vers son énonciation. En d’autres termes, le métatexte désigne un à-côté et un au-delà du texte qui unit systématiquement deux plans, et travaille sans cesse les mots et l’imaginaire des personnages, le style d’écriture, leur rapport au monde, dans un retour du texte sur sa propre énonciation. Tous ces éléments s’interpénètrent et disent une façon singulière, caribéenne et poétique, d’être au monde.
EN :
This article intends to examine the poetics of writing of La Lézarde, first novel written by Édouard Glissant, from the angle of the metatext. The reflexive nature of the metatext, which passes through the questioning of characters, of the writer and the reader, and is articulated around the unifying theme of the novel: filiation. Filiation is part of a historical, national, existential, generic and enunciative quest. We will show that the questioning at stake in the metatext is not only thematic or mimetic. It is formal, syntactical and stylistic, engaging the writing in a process going from meaning to significance. In other words, the metatext in La Lézarde designates a next and beyond of the text which unites two levels, and constantly works on words, on imagination, style, their relation to the world, from within, the text returning to its own enunciation. Elements intertwine and express a singular, Caribbean and poetic way of being in the world.
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Texte, métatexte et posture dans Gerbes de sang de René Depestre et Cette igname brisée qu’est ma terre natale de Sonny Rupaire
Maëva Archimede
p. 25–39
RésuméFR :
Le présent article examine le recours au métatexte en poésie dans un contexte d’urgence sociale, à partir des recueils Gerbe de sang de René Depestre et Cette Igname brisée qu’est ma terre natale de Sonny Rupaire. Le retour du poète sur sa propre fonction est l’expression d’une traditionnelle interrogation littéraire, inépuisable, que l’on peut reformuler ainsi : quel est le rôle du poète dans la société, que peut la poésie ? Dans le métatexte se dessinent des postures singulières que nous proposons de mettre au jour.
EN :
This article examines reflexivity in poetry within the context of social upheaval analyzing René Depestre’s volume of poetry Gerbe de sang and Sonny Rupaire’s Cette Igname brisée qu’est ma terre natale. The reflections on writing contained within the poems, as well as the reflections of the poets on their own function constitute the expression of a traditional, infinite literary interrogation that could be rephrased as follows: what can poetry accomplish and what is the poet’s purpose in society? In the metatext, singular postures emerge that we propose to analyze.
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De l’écriture N’Zassa à la métatextualité dans D’éclairs et de foudres de Jean-Marie Adiaffi
Germain Guehi
p. 40–60
RésuméFR :
La parole poétique, tout en servant de vitrine à la manifestation de l’art oratoire dans le milieu traditionnel, transcende, à partir des attributs culturels, l’écriture jusqu’au mélange des genres littéraires dits écriture N’zassa, source de pratique métatextuelle. Un style d’écriture qui fait intervenir dans l’énoncé écrit, les proverbes, le mythe, le conte, le chant, la danse, les sonorités tambourinées, sédiments esthétiques normalement réservés à la production artistique en milieu traditionnel. Cette littérature exige du lecteur, une connaissance des valeurs du terroir de l’écrivain. Comment la poésie N’zassa participe-t-elle de la métatextualité ? Il s’agit de dévoiler, dans le cadre de cette étude, la poésie orale comme étant une essence de l’oralité ; d’analyser les procédés métatextuels dans l’écriture hybride avant d’identifier les enjeux sous-jacents. Grâce aux outils méthodologiques de la sociocritique et de la psychocritique, il ressort que la parole poétique procède de l’oralité ; la métatextualité est présente dans l’énoncé N’zassa à divers degrés ; la pratique fictionnelle développe un double enjeu de construction d’une écriture conforme aux valeurs traditionnelles négro-africaines et de quête de dignité culturelle.
EN :
The poetic word, while serving as a showcase for the manifestation of public speaking in the traditional environment, transcends, from cultural attributes, writing to the mixture of literary genres called N’zassa writing, a source of metatextual practice. A style of writing that involves in the written statement, proverbs, myth, storytelling, singing, dancing, drummed sounds, aesthetic sediments normally reserved for artistic production in a traditional environment. This literature requires the reader to know the values of the writer’s terroir. How does N’zassa poetry participate in metatextuality? It is a question of revealing, within the framework of this study, oral poetry as being an essence of orality; to analyze the metatextual processes in hybrid writing before identifying the underlying issues. Thanks to the methodological tools of sociocriticism, and the psych criticism, it emerges that poetic speech proceeds from orality; metatextuality is present in the N’zassa utterance to varying degrees; the fictional practice develops a double challenge of constructing a writing that conforms to traditional Negro-African values and the quest for cultural dignity.
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Métathéâtralité et invisibilité sociale : Le Petit Frère du rameur de Kossi Efoui
Morgan Faulkner
p. 61–77
RésuméFR :
Dans la pièce de théâtre Le Petit Frère du rameur, l’auteur togolais Kossi Efoui problématise le monde des représentations (littéraires, médiatiques, cinématographiques, etc.) et, parallèlement, la condition de l’exilé. En quoi la conscience critique de l’oeuvre, l’écriture et la dramaturgie sont-elles mises au service d’une interrogation sur l’appartenance, l’identité et la mémoire en contexte d’exil ? Comment, à travers cette métathéâtralité, Efoui éclaire-t-il la violence de l’invisibilité sociale, mais aussi les possibilités créatrices qui émergent des marges ? Cette étude explorera les formes et fonctions de la métathéâtralité mobilisées dans cette pièce, en particulier « l’oeuvre dans l’oeuvre » et l’élaboration du chantier de l’écrivain.
EN :
In the play Le Petit Frère du rameur, Togolese author Kossi Efoui problematizes the world of representations (literary, media, cinematographic, etc.) while simultaneously investigating the condition of exile. How does this play develop a critical consciousness of the work itself, writing and theatre and how does it use this metatheatrical register to examine questions of belonging, identity, and memory in contexts of exile? How, through metatheatre, does Efoui highlight the violence of social invisibility and, also, the creative possibilities that emerge from the margins of society? This study will explore the forms and functions of metatheatrical practices mobilized in this play, in particular the “internal spectacle” and the representation of the writer’s workshop.
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Du Serment des barbares à Lettre d’amitié, de respect et de mise en garde aux peuples et aux nations de la terre : Boualem Sansal ou la fabrique du lecteur engagé
Lisa Romain
p. 78–91
RésuméFR :
L’écrivain algérien Boualem Sansal est confronté à une équation complexe : comment dénoncer fermement l’autoritarisme idéologique du pouvoir algérien et des islamistes sans risquer de tomber soi-même dans l’autoritarisme idéologique ? Peut-on promouvoir l’autonomie et la réflexion du lecteur-citoyen alors qu’on cherche en même temps à le convaincre de ses propres opinions ? En d’autres termes, peut-on imposer la démocratie ? C’est pour tenter de résoudre ce paradoxe qu’il expérimente dès son premier roman l’hybridation de deux logiques apparemment antagonistes : celle du roman à thèse et celle de la métafiction postmoderne. De la fusion de ces deux ennemies naturelles naît l’idée de l’espace romanesque comme champ d’entraînement à la pratique démocratique, à travers une série de stratégies d’implication du lecteur que le présent article entend explorer.
EN :
The Algerian writer Boualem Sansal faces a complex equation: how to firmly denounce the ideological authoritarianism of both the Algerian government and the Islamists without risking falling into ideological authoritarianism. Can the citizen/reader’s autonomy and critical thinking be promoted while one is trying to convince him-her of one’s own opinion? In other words, can democracy be imposed? It is to solve that paradox that, from his very first novel, Sansal experiments the hybridization of two seemingly antagonistic logics: that of the roman à thèse and that of metatextual fiction. The merging of those two natural enemies gives birth to the idea of the fictional space as the training field for democracy through multiple strategies which aim to strongly engage the reader.
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L’enfant mis en scène : reflet déformé et porte-parole de l’écrivain dans Une enfance créole de Patrick Chamoiseau et Demain j’aurai vingt ans d’Alain Mabanckou
Charlène Walther
p. 92–112
RésuméFR :
Dans Chemin-d’école et Demain j’aurai vingt ans, Patrick Chamoiseau et Alain Mabanckou créent chacun un personnage-enfant ambivalent, construit à partir d’une tension entre la biographie de l’auteur et un ancrage dans la fiction dévoilant son caractère artificiel. Cette artificialité est, selon Laurent Lepaludier, à la base de la métafiction. Cet article a pour objectif d’analyser la dimension métatextuelle du personnage-enfant dans ces deux récits, en montrant comment l’enfant apparaît comme un porte-parole de l’écrivain dans l’oeuvre. L’auteur utilise le métatexte pour faire de son personnage une mise en scène fictive de lui-même. En créant un personnage à la fois lecteur et écrivain en devenir, il fait de ce dernier une mise en abyme lui permettant de représenter sa vision de la littérature, qu’il peut ensuite mettre en pratique dans l’écriture de son oeuvre.
EN :
In Chemin-d’école and Demain j’aurai vingt ans, Patrick Chamoiseau and Alain Mabanckou both create an ambivalent character, reflecting on the author’s biography while presenting clear elements of fiction. This highlighting of the child’s artificiality is, according to Laurent Lepaludier, a foundation of metafiction. This article will analyze the metafictional function of the child-character in these novels, by showing that the child appears to represent the author in the text. The author uses the metatext to transform his character into a fictional recreation of himself. Both a reader and a writer, the child-character is also a mise en abyme of the author’s vision of literature, which he puts in practice in his text.