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« Tous les citoyens ont le droit de constater par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement d’en suivre l’emploi et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée ».
Article 14, Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, 26 août 1789
La référence introductive à la déclaration des droits de l’homme et du citoyen peut éclairer d’une manière inhabituelle l’accord des chefs d’État et de gouvernement du 8 février 2013 sur le cadre financier européen pluriannuel 2014-2020. Si l’on mesure l’existence d’une citoyenneté européenne à la capacité qu’ont les représentants du « peuple européen » les députés européens à approuver leurs ressources budgétaires, on ne peut que conclure que la citoyenneté européenne n’existe pas.
L’accord du 8 février 2013 nous rappelle que la construction européenne fut à l’origine et reste encore en partie l’œuvre de diplomates travaillant dans l’intérêt des États qu’ils représentent. L’attribution graduelle de pouvoirs au Parlement européen en matière budgétaire pourrait en partie tempérer cette logique. Elle ne saurait dissimuler le fait que les ressources propres de l’Union européenne sont aujourd’hui dérisoires et que le Parlement a des prérogatives plus symboliques qu’effectives en la matière. C’est ainsi que le budget européenne sera en baisse pour toute la période 2014-2020 par rapport à la période 2007-2013, alors même que les économies européennes sont affectées par la crise. Le budget européen sera au total de 960 millions d’euros sur l’ensemble de la période à venir, alors qu’il était de 993 millions d’euros sur la période précédente.
La programmation pluriannuelle des ressources et des dépenses des Communautés européennes puis de l’Union européenne est jusqu’ici indissociable des négociations entre États en quête d’un « juste retour » entre les montants versés et les bénéfices attendus des politiques publiques européennes. L’écart entre les contributions versées et les subventions reçues avait ainsi été dénoncé par le Royaume-Uni dès 1984. Il obtint, dans la foulée, une réduction de sa contribution. Le maintien de cette « réduction britannique » en dépit des élargissements successifs a entamé la solidarité financière entre les pays européens. Un nombre croissant d’États membres réclame ainsi une réduction de leur capacité contributive au budget européen en invoquant le précédent britannique.
Leur revendication prend appui sur la faiblesse des ressources propres traditionnelle de l’Union européenne qui ne représentaient, en 2012, que 16,2% des recettes budgétaires européennes, alors que la contribution des États membres assise sur leur revenu national brut (RNB) représentait 72,6% du budget et le versement de la TVA par les États membres représentait 11,2% du budget. Ainsi, le budget européen ne peut être financé en l’absence d’accord entre les États membres sur leur contribution RNB et leur versement TVA ; ce qui donne lieu aux incontournables marchandages interétatiques. Le maintien de la règle de l’unanimité pour l’adoption du cadre financier pluriannuel conduit, de surcroît, à accorder un droit de veto à un seul État, favorisant ainsi le primat des égoïsmes nationaux sur la solidarité européenne.
La règle de l’unanimité a positionné le Royaume-Uni en porte-étendard des contributeurs nets. Le nombre des pays disposant désormais d’une réduction partielle ou de leur contribution au budget européen a ainsi augmenté avec l’accord du 8 février 2013 puisque l’on dénombre – outre le Royaume-Uni – l’Allemagne, l’Autriche, le Danemark, les Pays-Bas et la Suède.
L’accord du 8 février 2013 est ainsi le fruit d’un compromis entre trois groupes d’États membres aux intérêts divergents.
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Les bénéficiaires nets veulent sanctuariser les niveaux de dépense dans les champs les concernant sans modifier la structure du budget. Ils se réunissent au sein du groupe des amis de la cohésion (Pays d’Europe centrale et orientale, Portugal, Grèce, Espagne et Irlande).
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Les contributeurs nets veulent limiter leur engagement financier (Royaume-Uni, Allemagne, Suède, Danemark, Pays-Bas, Autriche) et réclament une modification de la structure du budget.
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La France – bien que contributeur net – adopte une position singulière en raison de ses intérêts pour la préservation de la politique agricole commune (PAC) qui lui interdit de demander une diminution de sa contribution ou une modification de la structure du budget. L’Italie adopte une position proche de la France en raison de ses intérêts pour la préservation du fonds européen de développement régional (FEDER) pour le Mezzogiorno.
L’article 312§2 TFUE prévoit que le Parlement européen doit approuver le règlement portant sur le cadre financier pluriannuel afin qu’il soit adopté par le Conseil de l’Union européenne. Bien que le Parlement ne puisse pas amender la proposition du Conseil, la nouvelle procédure offre aux parlementaires européens l’occasion d’obtenir quelques aménagements à l’accord du 8 février 2013. Cette nouvelle procédure marque ainsi une augmentation non négligeable des prérogatives du Parlement européen en matière budgétaire. En effet, ce dernier ne dispose d’une compétence égale à celle des États-membres qu’en matière de dépense avec l’approbation des actes sectoriels. Ses prérogatives en matière de recette sont, en revanche, très limitées puisqu’il ne peut approuver qu’un acte sur les cinq concernant les ressources propres et doit rendre un simple avis sur les autres.
Les leaders des quatre principaux groupes parlementaires ont ainsi rapidement indiqué qu’ils s’opposeraient à l’accord qui leur serait soumis, ouvrant ainsi la voie à des négociations avec le Conseil ainsi qu’avec la Commission. Le Parlement européen avait déjà annoncé ses souhaits en matière budgétaire dans sa résolution du 23 octobre 2012[1]. Les parlementaires européens n’ont obtenu dans l’accord intergouvernemental que le pouvoir de reporter dans le temps les crédits non consommés afin de disposer de plus de moyens alors qu’ils réclamaient :
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La possibilité de contourner la structure du budget européen en faisant glisser des crédits d’une rubrique à l’autre ; ce qui modifierait le poids relatif de chaque politique. Cette modification serait toutefois limitée entre 5 et 10% du montant total.
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L’obtention d’une clause de révision à mi-parcours du budget européen (en 2017 ou en 2018) qui permettrait d’aborder les points suivants :
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La révision de la gouvernance budgétaire avec la fin du vote à l’unanimité au sein du Conseil qui permet de désamorcer les menaces de veto.
La diminution des contributions des États membres compensée par une augmentation des ressources propres de l’Union. Cela passerait par l’harmonisation des assiettes de TVA et l’adoption d’une ou de plusieurs nouvelle(s) ressource(s) propre(s), notamment la taxe sur les transactions financières, une taxe sur les transports ou encore une taxe sur l’économie numérique. Il serait alors possible de mettre fin à la logique du "juste retour".
La modification de la structure du budget européen qui reste encore largement dominé par la PAC et les fonds structurels dans la mesure où ces politiques ne seraient pas les leviers les plus efficaces pour stimuler la croissance et l’innovation au niveau européen.
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Les parlementaires demandent, de surcroît, l’abolition de la différence entre les crédits d’engagement (960 milliards d’euros) et les crédits de paiement (908 milliards d’euros) afin de dégager des moyens supplémentaires. Il semble toutefois peu probable que les parlementaires européens obtiennent une révision de l’enveloppe globale par les chefs d’État et de gouvernement.
La création de nouvelles ressources propres est une question démocratique dans la mesure où le premier pouvoir d’un Parlement est de voter l’impôt et d’en contrôler l’affectation. Elle répondrait également à la nécessité de donner des moyens à la conduite d’une politique de recherche et développement répondant aux objectifs du Conseil européen de Lisbonne … de mars 2000[2]. Une Europe ambitieuse ne peut faire l’économie d’une réflexion sur ses moyens.