Résumés
Résumé
L’expression {Stunde Null} ou « heure zéro » dénote l’aube d’un nouvel âge politique, économique et moral, un renouveau venant de l’anéantissement du Troisième Reich. Ici, nous proposons de situer l’Allemagne à l’heure zéro sur les plans matériel, démographique, économique, commercial, politique, social et culturel. L’heure zéro en Allemagne inaugure une époque de division mondiale en blocs utilitaristes, dont un aspect est un esprit post-national émanant de l’Allemagne.
Abstract
The expression, {Stunde Null} or zero hour points to the dawn of a new political, economic and moral age, a renewal following the annihilation of the Third Reich. In this article, we situate Germany at zero hour in material, demographic, economic, commercial, political, social and cultural terms. Zero hour in Germany inaugurates a period of the division of the world into two utilitarian blocks, of which one aspect is a post-national spirit, originating in Germany.
Corps de l’article
Mes remerciements à Gérard Raulet et Hélène Miard-Delacroix de la Sorbonne, Paris IV et à Alain Jay, philosophe à Chalon-sur-Saône.
L’expression “Stunde Null’, “heure zéro’, désigne un moment charnière de l’Histoire, et non pas seulement pour la nation allemande : il marque le début de la période d’après-guerre à une échelle mondiale. Nous proposons ici d’analyser l’évolution de l’utilisation de ce terme dans le contexte allemand de l’après-guerre. L’expression s’ouvre, tel le buste de Janus, sur des perspectives opposées : elle est porteuse d’intentions diverses, voire contradictoires, et tout en évoquant une expérience historique allemande, elle jette une lumière sur la condition humaine, qui est ponctuée par des clôtures et des ouvertures. Richard von Weizsäcker commente son sens politique :
« Zéro marque l’aube d’un nouvel âge avec ses origines dans la croyance et la doctrine, peut-être aussi dans l’ordre et l’autorité […] Dans l’histoire politique […] nous rencontrons des perceptions très différentes, voire opposées de zéro. Ce chiffre peut soit exprimer un effondrement irrévocable, un appel à l’éradication entière des événements vécus. Soit, c’est la certitude d’un nouveau début. Les révolutions marquent le début d’une nouvelle époque avec une nouvelle ère. La révolution française qualifiait 1792 de l’an 1. Au premier soir de la révolution de juillet à Paris en 1830, comme le rappelle Walter Benjamin, l’on a tiré sur les horloges – ordre au temps passé de s’arrêter, un nouveau début à zéro. »[1]
Notre objectif est de saisir un concept et de retracer un débat dans la vie politique, économique, sociétale et culturelle en Allemagne. « Stunde Null » est employé surtout pour désigner le « moment entre l’effondrement de l’ordre national-socialiste et le début d’un nouvel ordre, établi par les pouvoirs d’occupation. »[2] Le moment spécifique est minuit du 8 au 9 mai 1945 : Alfred Jodl, général en chef du bureau des opérations du commandement suprême de la Wehrmacht, signe la capitulation inconditionnelle à Reims le 7 mai. Sur l’exigence de Staline, Wilhelm Keitel, maréchal et commandant suprême des forces armées allemandes à Berlin, la signe de nouveau le 9 mai : pour ces deux officiers, l’heure zéro signifiera l’exécution par pendaison.
L’usage spécifique de cette tournure de phrase est généralisé en raison de l’importance du moment qui est encore plus empreint d’histoire que la défaite de Napoléon en 1815. L’expression connaît des transferts intéressants, s’enrichissant chaque fois de nouvelles perspectives et de nuances sémantiques, subjectives et émotives : au début, le terme est la traduction de l’expression militaire anglaise « zero hour », signifiant le début d’une nouvelle séquence d’événements ; pour les vainqueurs, l’heure zéro signifie la fin de la guerre, donc de l’ordre nazi. Mais son passage en allemand lui donne des sens ambigus et ambivalents, qui reflètent l’observation du premier président, Theodor Heuss, que ce moment paradoxal de l’Histoire signifia pour l’Allemagne à la fois le salut et l’anéantissement. Cette ambigüité se traduit par des tentatives nouvelles de situer le moment précis de Stunde Null : pour certains, c’est le moment de la reddition le 8 mai, pour d’autres la fondation d’une République fédérale en 1949, suivie, comme le suggère Weizsäcker, d’autres « heures zéro » en 1969 et 1989 ; pour d’autres encore, il y a une « longue heure zéro », s’étendant de la dissolution du Troisième Reich au milieu des années 1950 : cette extension de l’heure zéro permet d’associer, dans le récit du libéralisme, la victoire du pluralisme démocratique institutionnalisé et le succès industriel de l’économie allemande occidentale sur le marché mondial[3].
Dans la conscience idéologique et l’identité collective des deux Allemagnes, les heures zéro marquent les débuts dans les eschatologies opposées du capitalisme et du communisme. Alors que ce départ à zéro est supposé signifier l’éradication des différences sociales, l’abolition des classes dans la RDA, il marque, dans la République fédérale, le passage à une « nivellierte Mittelstandsgesellschaft », une société nivelée de classes moyennes : si ce constat sur la société allemande n’est dressé par Helmut Schelsky que plus tard, il est certain que le nivellement est dû, entre autres, aux destructions et à la légitimation de structures sociales en 1945. Pourtant, le terme « zero hour » tel qu’il a été employé par le militaire américain désigna initialement non un début mais une fin, et pas seulement une fin à la guerre : alors que les perspectives allemandes pouvaient varier autant que les histoires personnelles et les convictions, la défaite devait signifier pour la plupart une fin absolue – le terme d’un Reich dont on avait déclaré qu’il durerait un millénaire, de la société civile, de l’humanité. Au moment de la défaite, les Allemands semblaient pour les observateurs traîner les signes extérieurs de l’existence sans espoir ou perspectives : Hitler avait déclaré, le 30 avril 1945, qu’il n’était point nécessaire de considérer les besoins vitaux fondamentaux d’un peuple qui s’était révélé comme étant le plus faible. Pour comprendre Stunde Null comme une finalité, plutôt que comme un début, rappelons les circonstances matérielles, démographiques, politiques, sociétales et morales de l’Allemagne en mai 1945.
Politiquement, le Reich et l’État allemand avaient cessé d’exister, les bouleversements démographiques avaient rendu le peuple méconnaissable, de la même manière que les modifications des frontières avaient changé le visage géopolitique du pays : l’économie allemande s’était effondrée, les révélations des abîmes des pratiques du national-socialisme avaient démontré l’insolvabilité culturelle et morale de la nation, et les acquis minimaux d’une société civile qui étaient nécessaires pour l’existence physique du peuple semblaient menacés.
L’expression « Stunde Null » n’acquiert un sens optimiste qu’à un moment relativement tardif, longtemps après que l’envergure du « miracle économique » fut annoncée. « Stunde Null » ne pouvait signifier, pour les contemporains, que ce que Friedrich Meinecke appelle la « catastrophe allemande ». Mais ce terme, « catastrophe allemande » provoque en soi une division idéologique en Allemagne, puisqu’il désigne pour certains le jour de la capitulation, pour d’autres le moment encore plus lointain de l’accès au pouvoir d’Adolf Hitler, la « Machtergreifung » de mars 1933. La guerre est qualifiée par Alfred Weber de « départ de l’histoire précédente »[4], par Alexander Mitscherlich de la « plus grande catastrophe matérielle et morale de notre histoire. »[5] Les publications récentes portant sur les perspectives des acteurs – rescapés des camps de la mort, soldats de l’Armée rouge, journalistes constatant une apathie omniprésente[6] – ou les expositions sur l’époque, comme celle de Stunde Null organisée par le Musée des Cultures européennes à Berlin[7] soulignent avant tout la précarité de l’existence. La perspective des Allemands annoncée par le ministère de Propagande nazi, qui avait créé un néologisme pour désigner l’ignominie de la défaite – Siegerfriede – semblait confortée le 26 avril 1945 par la directive JCS 1067 du chef d’État major américain au commandement des troupes d’occupation américaines en Allemagne[8], qui détermina que le pays serait traité comme un pays ennemi et non comme un pays libéré, et par le projet du secrétaire au trésor américain, Henry Morgenthau, de rendre l’Allemagne incapable de faire la guerre, de diviser le pays en deux États, d’annexer les régions minières et industrielles, la Sarre, la Ruhr et la Haute-Silésie supérieure, et de démanteler toute industrie lourde pour transformer l’Allemagne, selon un mémorandum qui porte les signatures de Roosevelt et de Churchill, « en un pays à caractère principalement agricole et pastoral »[9]. Jusqu’en décembre 1945, le département d’État américain prive la population allemande de secours provenant d’organisations comme la Croix-Rouge, et le 5 juin 1946, les livraisons de paquets CARE sont autorisées aux particuliers. La politique américaine à l’égard des Allemands se traduit par une interdiction de fraternisation[10] – consigne toutefois peu respectée par les soldats. Si nous ne trouvons dans aucune autre Nation européenne une dévastation de la société aussi radicale et une dé-légitimation aussi totale des ordres précédents – politiques, sociaux et culturels – les bouleversements que l’Allemagne connaît alors seront également connus sous d’autres formes dans l’après-guerre par des sociétés européennes post-nationalistes, post-colonialistes, et post-classistes. Déchirée entre le socialisme de l’État et un capitalisme mitigé, l’Allemagne devient de surcroît un laboratoire idéologique pour la comparaison des grandes alternatives mondiales, fournissant des exemples de gouvernance dans lesquels l’État-nation avait perdu sa pertinence. Mais après la capitulation en 1945, les Allemands ne pouvaient pas concevoir de manière optimiste leur rôle comme celui d’acteurs centraux dans la construction de leur destin : leurs réalités matérielles rendaient cet optimisme impossible.
Les réalités matérielles de Stunde Null
Stunde Null signifie entre autres l’effort de la survie à l’heure du désespoir[11]. Les attaques aériennes avaient détruit un tiers des logements à Berlin, la capacité industrielle du pays, et une partie de ce qui subsiste sera démonté pour effectuer ailleurs des réparations, principalement pour l’Union soviétique. Les commodités de la société moderne étaient largement détruites – l’électricité, le gaz, l’eau et les infrastructures de transport comme le métro de Berlin étaient bombardés et inondés, en partie du reste par des Allemands déterminés à ne rien laisser aux vainqueurs à la suite de l’ordre de la « terre brûlée » (gebrannte Erde) dans le testament d’Hitler. Le pays était rongé par les épidémies : le cholera, la diphtérie et le typhus. Entre le début et la fin de la guerre, la population de la capitale s’était rétrécie de plus d’un million, et le rapport entre le nombre de femmes et celui des hommes à la fin de la guerre est de seize à dix. Berlin fut d’abord occupé par les soviétiques, les alliés occidentaux n’arrivant que le 4 juillet 1945. Les femmes d’entre quinze et soixante-cinq ans étaient recrutées comme Trümmerfrauen, ou « femmes des décombres », pour débarrasser les vestiges d’une ville bombardée, travaillant six jours par semaine à un tarif horaire de soixante pfennige pour préserver leurs familles de l’inanition. Puisque les cartes de rationnement n’avaient plus aucune valeur après l’effondrement de l’État allemand, la faim restant une menace jusqu’à la mise en place d’un nouveau système de rationnement par les Russes le 15 mai. Les marchés noirs et le troc fleurissaient et la cigarette était la monnaie la plus courante. Lorsque le cardinal de Cologne, Josef Frings bénit ceux qui volent pour nourrir leurs familles, le néologisme fringsen, ou voler pour survivre, jouit d’une popularité qui est le reflet de l’acceptation de la pratique. L’hiver de 1945-1946 est particulièrement dur, avec des températures qui baissent en dessus de moins trente, et la pénurie de carburant pour le chauffage provoque des milliers de morts par hypothermie. Les services d’urgence s’organisent sur fond de pillage. Stunde Null signifie les conditions matérielles de la vie dans une post-société ou une pré-société, avant la mise en place d’un nouvel État-nation avec des normes sociales contraignantes et une monnaie courante, situation décrite par Peter Kruse dans sa présentation de perspectives berlinoises entre avril 1945 et l’été 1948[12], ou dans le film de Roberto Rosselini, Germania anno zero, qui, à travers des acteurs non professionnels, illumine la vie d’un jeune garçon, Edmund Koehler, confronté dans les décombres à l’effondrement de toutes les normes : l’autorité désincarnée, représentée par la voix du Führer qui hante les ruines de la chancellerie, n’a plus aucune valeur, la survie se construit par la ruse sur le marché noir et à travers la petite délinquance, les normes s’estompent au point où la suggestion faite à l’attention du garçon par son ancien enseignant de mettre fin à la vie de son père infirme lui semble simplement raisonnable. La confrontation aux crimes du régime nazi se fait en partie à travers le film de Wolfgang Staudte de 1946, « Les assassins sont parmi nous », Die Mörder sind unter uns.
Populations : soldats, refugiés, expulsés et diaspora
Démographiquement, Stunde Null est un bouleversement de plus parmi ceux, innombrables, des années récentes, dans un pays régi par la mobilisation totale (totale Mobilmachung). Il termine aussi un chapitre de mouvements migratoires en Allemagne et autour de ses frontières. La multitude de nouveaux départs – de réfugiés, d’évacués, de déplacés, de prisonniers de guerres – ont suivi les déplacements contraints de Volksdeutsche dans le Reich à partir de 1939, la mise en œuvre d’une politique nazie de colonisation suivant l’annexion des Sudètes et le déplacement de millions de polonais dans le but final de refouler les slaves au-delà de l’Oural. La politique de repopulation mise en œuvre par le régime nazi se fondait initialement sur des traités, mais progressivement sur de simples actes administratifs qui placent environ un million d’Allemands sous le Generalgouvernement des nouveaux territoires. A la fin de la guerre, de vastes minorités germanophones seront de nouveau déplacées : on compte huit millions et demi d’Allemands ethniques en Union soviétique, Pologne, Tchécoslovaquie, Lituanie, Hongrie, Romanie, Yougoslavie et Estonie. Dès 1941, l’évacuation des jeunes à la campagne, Kinderlandverschickung, renforcée au moment des bombardements britanniques à partir du printemps 1943, participe à la dispersion de la population[13]. Neuf millions d’Allemands sont évacués pendant la guerre, et presque un cinquième des habitants des grandes villes laissent leurs maisons. En dépit de la peine de mort instaurée par les nazis pour tentative de fuite, les Allemands fuient en masse et dans la panique devant une Armée rouge assoiffée de vengeance contre la population civile : entre quatre et cinq millions d’Allemands quittent le Reichsgau Wartheland, la Prusse-Orientale, Dantzig, la Poméranie, la Silésie et le Brandebourg oriental et plus de deux millions tentent l’évacuation par la mer Baltique.
A la conférence de Téhéran de 1943, le déplacement des frontières de la Pologne avait déjà été évoqué, et l’évacuation de la population allemande décidée pour éviter tout conflit frontalier futur provoqué par des minorités restantes. Un gouvernement polonais, contrôlé par l’Union soviétique, intègre formellement des parties de la Poméranie, du Brandebourg oriental, de la Prusse occidentale, de la Silésie et du sud de la Prusse orientale, provoquant des migrations avant même que les transferts de population ne soient débattus à la Conférence de Potsdam – les Alliés occidentaux s’y indignent de ne pas avoir été consultés avant ces déplacements de populations, mais les acceptent pour obtenir la concession de l’Union soviétique et pour que cette dernière limite ses revendications de réparations à sa seule zone d’occupation.
Des seize millions d’Allemands qui vivaient en Europe de l’est, près de douze millions quittèrent leur domicile lors de la fuite ou de l’expulsion, deux millions sont morts, alors qu’environ deux millions et demi sont restés chez eux, pour alimenter par la suite une migration continue vers l’Allemagne[14]. En même temps, entre huit et dix millions de personnes expulsées de la Pologne, de l’Union soviétique, de l’Ukraine, de la Yougoslavie, de la Tchécoslovaquie et de la France vivent en Allemagne, étant venus comme des Zwangsarbeiter, des forçats ou comme des détenus dans les camps de concentration, qui voulaient soit rentrer chez eux, soit dans le cas d’un vaste nombre de pays de l’Europe de l’est, ne souhaitaient plus se rendre dans un pays occupé par l’Armée rouge ou craignaient, puisqu’anciens prisonniers, d’être inculpés de trahison[15]. Des centaines de milliers d’expulsés se trouvaient encore dans des camps ou dans des colonies en zones occidentales, même en 1949. Ce n’est qu’en avril 1951 que la République fédérale accorde aux étrangers sans domicile le droit de séjour et d’établissement. L’appel sous les drapeaux de millions d’hommes allemands dans la Wehrmacht avait aussi participé au mouvement : près de vingt millions d’Allemands y étaient impliqués. Les femmes se déplacent à l’intérieur de la société, occupant une position importante dans l’économie après le départ des forçats. Un grand nombre d’Allemands se trouvent prisonniers de guerre – 7,7 millions chez les Alliés occidentaux, 3,3 millions chez les Soviétiques, quoiqu’environ 1,8 million parmi eux sont transférés à l’Ouest. Au moment de la conférence de Moscou en avril 1947, la Grande-Bretagne en a encore quatre cent mille, la France plus de six cent mille, et les États-Unis seulement quatorze mille ; le nombre d’Allemands expatriés en Union soviétique est indéterminé. La décision est annoncée de permettre aux prisonniers de retourner en Allemagne avant le 31 décembre 1948, mais l’Union soviétique ne se montre pas coopérative : certains prisonniers ne sont relâchés qu’en septembre 1955, et environ un million de soldats allemands supposés être prisonniers soviétiques disparaissent tout simplement. Ces exodes et ces brassages nécessitent souvent une ouverture et provoquent parfois une libéralisation, mais on trouve aussi une autre stratégie psychologique chez les Vertriebenen, les expulsés, celle du repli identitaire qui s’est produit une fois qu’ils étaient arrivés dans les zones occidentales ; ils se retrouvent souvent dans des Landsmannschaften, des associations visant la préservation de leurs identités culturelles, et revendiquent les territoires perdus dont ils sont issus[16].
Le déclin de la population dû à la guerre est compensé en Allemagne par le rétrécissement du territoire : la population dans les quatre zones, y compris Berlin, augmente, entre 1939 et 1946, pour passer de 59,7 millions à 65,9 millions. Dans cette même période, un grand nombre d’hommes actifs étant morts ou détenus, le taux des 25-40 ans passe de 27,3 à 17,6 pour cent. La répartition d’actifs entre les régions ne suit pourtant pas les besoins. Dans certaines régions, des réfugiés représentent jusqu’à 50 pour cent de la population, et les autochtones se montrent souvent hostiles aux nouveaux venus, d’origine confessionnelle ou sociale différente. Les entrepreneurs craignent l’arrivée de concurrents désespérés à un moment de pénurie de matières premières. Dans l’agriculture, la mauvaise rémunération explique la difficulté de trouver de la main d’œuvre, et les occupants sont obligés de menacer de retirer les cartes de rationnement pour inciter la population à se mettre au travail. L’incidence des politiques ethniques du Reich est, contrairement aux objectifs affichés, une profonde déterritorialisation des populations et, en raison de l’intégration forcée de populations dans des localités dont ils n’étaient pas originaires, la relativisation des mœurs.
Heure zéro politique
La vision d’un empire millénaire prend fin avec la perte de l’autonomie et de la souveraineté allemandes. Le général Eisenhower, commandant en chef des troupes occupantes, déclare le 26 avril 1945 que les Allemands n’échapperaient pas à leur responsabilité. Les exactions du pouvoir américain sont loin d’être aussi terribles que celles de l’Union soviétique, qui avait connu l’occupation allemande. Les objectifs des puissances victorieuses s’établissent à la conférence de Potsdam du 16 juillet au 2 août 1945 : les Trois grands, représentés par Staline, Truman et Churchill d’abord avant Clement Attlee, fixent la démilitarisation, la dénazification, la décentralisation, la décartellisation et la démocratisation – termes qui permettent des interprétations très diverses – ainsi que l’expulsion des Allemands de la Tchécoslovaquie, de la Hongrie et des territoires situés à l’est de la ligne Oder-Neisse, jusqu’à la conclusion d’une paix comprenant la restitution de toutes les annexions – les Sudètes, l’Alsace, la Lorraine, l’Autriche et certaines parties de la Pologne.La démilitarisation est entreprise dès la capitulation. Le destin des États situés à l’est de l’Allemagne avait été déterminé à Yalta en février, mais les frontières occidentales de la Pologne sont dessinées à Potsdam.
En raison de la nature du régime, la dénazification est entreprise avec un zèle particulier par les États-Unis. Golo Mann affirme que la dénazification fut aussi « nécessaire qu’impossible », puisque la démocratie nécessitait un changement du personnel dans l’administration publique, mais qu’il était en même temps impossible pour la moitié de la Nation de juger l’autre moitié. Et il laisse sous-entendre que les officiels occupants avaient quelques sympathies avec les experts administratifs anti-communistes du régime renversé[17]. La dénazification visait l’écartement des nazis des positions importantes de l’administration, entre autres pour empêcher le sabotage, mais aussi pour garantir le progrès de la refondation de partis politiques, de syndicats et d’autres organisations de la société civile. Un formulaire de plus de cent-cinquante questions fut utilisé pour toute personne qui cherchait une position importante afin de déterminer le niveau d’implication de la personne dans le régime nazi, procédure tournée au ridicule dans l’ouvrage autobiographique Der Fragebogen d’Ernst von Salomon[18]. Le général Lucius Clay critique une mise en œuvre hésitante de la loi 104 sur la dénazification, y voit une condition nécessaire pour l’instauration de la démocratie, et se plaint en novembre de sa déception. Mais en même temps, l’un des aspects les plus remarquables de Stunde Null est l’empressement des Allemands à abandonner l’idéologie nazie en dépit ou à cause du contrôle totalitaire par l’État nazi de leurs vies : des nazis convaincus ne s’affichent pas facilement en public.
Les différents occupants poursuivent la décentralisation avec des objectifs opposés. La France vise davantage un pouvoir émietté dans un système fédéral, alors que la Grande-Bretagne ne souhaite pas une Allemagne trop faible, compte tenu de la menace posée désormais par l’Union soviétique. Quant à l’Union soviétique, elle prévoit pour sa zone une administration centrale. La politique de la décartellisation se base sur la reconnaissance selon laquelle la concentration de pouvoir industriel avait facilité le transfert du pouvoir politique à la dictature. Mais le rôle soutenu des géants industriels comme Krupp, Thyssen ou I.G. Farben incite une partie de la gauche à qualifier l’après-guerre en Allemagne de « restauration » plutôt que d’y voir un nouveau début ou une réforme. La déconcentration économique avait été préconisée par les ordolibéraux autour de Walter Eucken, opposant au nazisme engagé dans la lutte pour la liberté, mais la politique de concurrence à l’égard de corporations dans les années de la fondation de la République fédérale permet dans les faits un mariage des intérêts politiques de l’Union chrétienne-démocrate avec les intérêts économiques de la grande industrie. Alors que les trois pouvoirs de l’occident partagent une compréhension des conditions formelles de la démocratie dans la zone soviétique, Walter Ulbricht, qui avait été à la tête du groupe Ulbricht dans son exil soviétique et qui joue à partir d’avril 1945 un rôle clef dans la reconstruction orthodoxe stalinienne du parti communiste allemand, sera sous le président Otto Grotewohl le président adjoint du Conseil des Ministres de la nouvelle République démocratique allemande en octobre 1949. Il déclare que si tout doit sembler se passer d’une manière démocratique, il faut que les communistes maintiennent le contrôle[19]. Une démocratie « économique » n’a pas besoin, pour sa légitimation, du consentement des gouvernés. Alors que cette démocratie économique est imposée dans la zone soviétique, différents historiens prétendent que la démocratie fut autant « imposée » dans les zones occidentales[20].
L’objectif des États-Unis était la mise en place d’un système permettant la planification rationnelle à travers la technocratie[21]. En se référant aux catégories de Max Weber, Uta Gerhardt interprète Stunde Null dans les zones occidentales comme transformation d’une légitimation d’autorité charismatique et traditionnelle (les bases principales du nazisme), au légalisme rationnel, tel qu’il s’instaure dans la République fédérale[22]. Elle souligne surtout le rôle du gouvernement militaire américain (Office of Military Government, United States ou OMGUS) entre septembre 1944 et 1946[23], mis en avant aussi par d’autres auteurs[24]. En décembre 1945, une fois terminées les interdictions de secours imposées par le gouvernement américain, l’aide humanitaire de la société civile américaine contribue à un engouement auprès des Allemands pour tout ce qui vient des États-Unis : l’ouverture des Allemands à une culture décriée comme décadente par le régime précédent se comprend aisément sur le fond des efforts humanitaires transfrontaliers, dont le programme CARE est emblématique : entre 1946 et 1960, près de dix millions de paquets de CARE sont envoyés par le « Cooperative for American Remittances to Europe », et les Allemands sont les premiers à en bénéficier.
La fondation de deux États – « doppelte Staatsgründung » – découle de l’impossibilité de trouver un consensus entre les alliés occidentaux et l’Union soviétique. Alors que les premiers mettent en place les Länder et organisent des élections municipales (Kommunalwahlen) ainsi que des élections aux diètes, aux Landtage, construisant un système fédéral, la zone soviétique est assujettie à une seule administration qui entreprend l’expropriation de plus de sept mille grands propriétaires terriens selon la devise « Junkersland in Bauernhand ». Elle crée des coopératives de production agricole (Landwirtschaftliche Produktionsgenossenschaften) et des entreprises populaires, Volkseigene Betriebe. A partir de décembre 1945, les États-Unis annoncent leur intention de ne plus faire opposition à la croissance de l’économie allemande, et le 6 septembre 1946 James Francis Byrnes, secrétaire d’État, tient un discours à Stuttgart sur la reformulation de la politique américaine à l’égard de l’Allemagne, signalant que l’Allemagne pourrait jouer un rôle constructif en Europe avec un « avenir libre et paisible ». A la Conférence de Moscou de mars 1947, l’unité politique ou économique est définitivement écartée. En juin, les États-Unis et le Royaume-Uni créent la bizone, avec des administrations centrales pour le transport, la communication, la poste, l’agriculture, l’industrie et le commerce extérieur : les bases de la République fédérale sont jetées[25]. En décembre 1947 une conférence de ministres des Affaires étrangères à Londres révèle un fossé entre les pouvoirs occidentaux et l’Union soviétique, et les Alliés occidentaux annoncent, pour le 3 juin 1948, l’homogénéisation de leurs zones. Le 18 juin 1948, une réforme monétaire est mise en œuvre, et le deutschemark est introduit dans les zones occidentales, avec la distribution de 40 deutschemark à chaque Allemand et un échange de 40 deutschemark contre quarante reichsmarks et un échange de 1 pour 10 pour les comptes en banque. Les espoirs de la réforme monétaire sont liés au Plan Marshall, annoncé en juin de l’année précédente. Le marché noir disparaît, un boom de consommation suit, et Ludwig Erhard annonce la création d’une « économie sociale de marché », adoptant l’expression de l’économiste d’Alfred Müller-Armack[26]. L’Union soviétique répond avec une réforme monétaire dans la zone soviétique le 23 juin et le blocus de Berlin, qui dure du 23 juin 1947 au 12 mai 1949.
L’intégration de l’Allemagne occidentale au bloc occidental est renforcée par la mise en place d’un pont aérien sous la direction du gouverneur militaire américain Lucius D. Clay, livrant à la population de Berlin plus de deux millions de tonnes d’aliments jusqu’à la fin du blocus. La division de l’Allemagne est désormais inéluctable. Le 1er juillet 1948, les alliés occidentaux soumettent aux premiers ministres des Länder qui avaient été fondés entre 1946 et 1947 et à deux maires des zones occupées les « documents de Francfort », qui contiennent les recommandations élaborées par les États-Unis, le Royaume Unie, la France et les pays Benelux à la conférence de Londres entre février et juin 1948. Après délibération, le Conseil parlementaire, Parlamentarischer Rat, soixante-cinq délégués des diètes des Länder réunis à partir du 1 septembre 1948 à Bonn sous la présidence de Konrad Adenauer du nouveau parti CDU, Union chrétienne-démocrate d’Allemagne et Carlo Schmidt du SPD ou Parti social-démocrate d’Allemagne adoptent, le 8 mai 1949, une loi fondamentale, de vocation provisoire toutefois en raison de son application à une seule partie d’une Allemagne désormais divisée. Le parti communiste, KPD et la CSU, l’Union chrétienne sociale en Bavière s’y opposent, la CSU à cause de son opposition au pouvoir fédéral relativement fort. Adopté par toutes les diètes des Länder sauf la Bavière, la Loi fondamentale, ou Grundgesetz entre en vigueur le 24 mai 1949.
L’adoption de la loi fondamentale le 8 mai à l’ouest est suivie à l’est par la création d’un deuxième État allemand : un Congrès pour l’unité et la paix équitable, Volkskongreßbewegung für Einheit und gerechten Frieden organisé par l’Union soviétique en mars 1948, débouche sur la convocation du premier Conseil populaire ou Volksrat, qui est transformé par la suite en Volkskammer ou chambre populaire provisoire, laquelle adopte, le 7 octobre 1949, la Constitution de la République démocratique allemande. Pour nombre d’Allemands, l’adoption de la loi fondamentale de la République fédérale d’Allemagne, quatre années jour pour jour après la capitulation, marque une conclusion de l’heure zéro[27]. La rupture avec le régime précédent s’exprime visiblement par la place accordée aux droits imprescriptibles de l’Homme comme base de la société, de la paix et de la justice, dans le premier article de la Loi fondamentale. Mais peu d’observateurs auraient été certains de la durabilité de la nouvelle République.
L’économie à l’épreuve de la Stunde Null
On utilise souvent l’expression Stunde Null pour dénoter le début d’un modèle particulièrement fortuit de croissance et de prospérité, mais ce n’est qu’à partir des années 1950 que tout espoir lié au capitalisme rhénan se concrétise. Les balbutiements de la démocratie de l’après-guerre en Allemagne fédérale sont associés à une époque de pénurie[28]. L’économie allemande de l’après-guerre est confrontée à des difficultés pour monter des capitaux, à une pénurie de machines et de capacités de production, aux problèmes des dégâts provoqués par la guerre, le démontage pour régler [assurer] les réparations, à l’incapacité de l’Allemagne d’entretenir un commerce extérieur et à une capitalisation inadéquate – des difficultés et des problèmes qui ne seront résolus qu’à partir du boom qui suit l’engagement des États-Unis dans la guerre de Corée en 1952.
L’affirmation fréquente selon laquelle la Stunde Null permettrait une rapide modernisation de l’infrastructure de la République fédérale, détruite par chance et par guerre, ignore d’une part la continuité de l’économie allemande et d’autre part les difficultés de la reprise de l’économie industrielle de marché. Rolf Krengel de l’Institut für Wirtschaftsforschung a démontré que les équipements employés en 1945 avaient été modernisés à la suite d’investissements effectués vers la fin de la guerre[29]. Un mythe de la Stunde Null est ainsi mobilisé pour faire oublier l’optimisme des investisseurs au moment même de la déchéance du Reich et donc des racines de la richesse de la République fédérale dans le régime précédent. Dans le même temps, le parc technologique est en partie démonté par les puissances victorieuses : à titre d’exemple, le démontage de la mécanique de précision sous l’occupation française réduit cette industrie à la moitié de sa production de 1936, et le pourcentage de l’électricité exporté vers la France sous forme de réparations représente une entrave considérable au développement de l’Allemagne, encore en 1948[30].
Pour ce qui concerne le commerce extérieur, il reste dans un premier temps sous le contrôle des puissances occupantes, qui interdisent aux sociétés allemandes l’accès au commerce extérieur, imposant comme intermédiaire le Joint Export-Import Agency [31] , qui est fusionné plus tard avec l’agence française OFICOMEX. La JEIA veille principalement à ses marges, au détriment des producteurs allemands. La République fédérale obtiendra le droit de mener à bien des négociations commerciales à la suite de l’Accord de Petersberg du 22 novembre 1949, qui vient modifier le statut d’occupation. Jusqu’à cette date, toutes les exportations sont payables en dollars, ce qui rend plus difficile la vente sur d’autres marchés européens souffrant d’une pénurie de dollars. En plus, le crédit requis pour la promotion des exportations fait défaut. Les exportations allemandes à l’heure zéro ne sont donc pas des biens industriels, mais surtout les matières premières dont l’industrie allemande aurait également besoin : le bois, le charbon, la ferraille. Ces entraves à la production sont augmentées par les obstacles posés par la bureaucratie à la recherche de matières premières. La surévaluation du deutschemark à la suite de la réforme rendait les biens allemands trop chers, mais Erhard n’autorise pas la dévaluation nécessaire pour rendre les produits allemands concurrentiels, car il vise en premier lieu la stabilité des prix au détriment de la croissance[32]. L’Allemagne a du retard, n’ayant pas suivi les avances des États-Unis dans la rationalisation de la production hors l’industrie militaire. Le rattrapage nécessitait des crédits, des connaissances d’un marché mondial, dont l’Allemagne s’était écartée pendant une décennie, et une compréhension du marketing : les vainqueurs imposaient des nouvelles règles de jeu.
Les objectifs de la réforme de la monnaie sont entre autres la mise à disposition de crédits pour l’industrie, puisque le reichsmark ne servait plus de moyen de paiement, l’abandon de prix fixes, un terme mis au rationnement de biens non essentiels, et la transformation d’une économie largement planifiée en économie de marché[33]. Le problème de sous-capitalisation n’allait pas se résoudre par l’autofinancement, faute de moyens d’investissements, ni par des crédits. Le boom de courte durée qui suit la réforme monétaire ne se traduit pas par un investissement en biens d’équipement, et avec la perte du pouvoir d’achat à la suite de l’inflation, la consommation ralentit : la dynamique économique ne s’avère pas durable. La décimation de l’épargne suite à une méfiance à l’égard des dépôts et à une pénurie de capitaux chez les banques rend l’obtention de crédits difficile. Le Kriegslastenausgleich, une péréquation ou compensation pour ceux qui avaient perdu leur patrimoine pendant la guerre, ne contribue pas à l’épargne des classes moyennes qui en bénéficient. L’annonce du Programme européen de rétablissement (European Recovery Program) par le secrétaire d’État américain, George Marshall, le 5 juin 1947, n’a presque pas d’incidence immédiate sur les investissements, non plus, puisque le financement de la formation brute de capital fixe n’a lieu qu’en 1949 et est principalement consacré à l’infrastructure, au détriment des outils de production de l’industrie[34].
La politique monétaire rend le crédit peu accessible, et l’investissement industriel ne s’améliore qu’en 1949 à la suite d’incitations fiscales pour la constitution de capital et de réductions d’impôts sur les sociétés. L’inflation provoquée par la réforme monétaire provoque un plafonnement de salaires et de prix, et le programme Jedermann, mis en place par le ministère de l’Économie en 1948, incite les entreprises à produire les biens indispensables à la vie quotidienne en quantité économiquement viable. En 1949, les prix et les bénéfices baissent, les liquidités s’épuisent, l’épargne reste faible et le chômage augmente – il passe de 5,5 pour cent en septembre 1948 à 12,2 pour cent en janvier 1950. Mais à partir de 1950, l’économie de l’Allemagne fédérale connaît une reprise remarquable : le Plan Marshall, adopté par le Congrès américain en avril 1948, fournit à la République fédérale 1,5 milliard de dollars pour des investissements dans les industries clefs comme le charbon, l’énergie, le logement et les textiles, constituant 7 pour cent de l’investissement brut en 1949 et 13 pour cent en 1951. La dévaluation du deutschemark en décembre 1949 favorise les exportations, même si le déficit commercial de la République fédérale est exacerbé par d’autres dévaluations.
L’Accord de Petersberg entre le gouvernement de la République fédérale et la Haute commission alliée permet la percée par l’Allemagne fédérale des marchés mondiaux avec la liberté de choix de la monnaie de transaction. Mais c’est surtout la guerre en Corée, qui débute le 25 juin 1950, qui déclenche une reprise du cycle en raison d’une demande spéculative de matières premières, de biens d’équipement, de produits d’alimentation et de textiles : le taux de change relativement bas de la monnaie, les gains de productivité, les coûts stables de la main d’œuvre et une politique monétaire et financière visant la stabilité permettent de doubler les exportations allemandes entre 1950 et 1952.
Heure zéro socioculturelle ?
Face à l’unicité des crimes du régime nazi, vu les crimes de guerre comme ceux commis sous la dictature avant même l’ouverture des hostilités, et vu l’implication nécessaire d’un vaste nombre d’Allemands dans leur mise en œuvre, l’expression « Stunde Null » évoque pour certains la création d’une culture politique et sociale dans laquelle de tels actes de barbarie seraient inconcevables, alors que pour d’autres, elle désigne la tentative inadmissible de renier le passé. C’est ainsi que Günther Grass qualifie la « soi-disant » heure zéro de la « Lebenslüge », le mensonge vital de la République fédérale : ce mensonge permet de croire à une tabula rasa et au fait que le peuple n’aurait pas été conditionné et socialisé durablement par la dictature. Voilà aussi une raison pour laquelle Richard von Weizsäcker déclare, le 8 mai 1985, qu’il n’y avait pas eu, quarante années plus tôt, une heure zéro, mais simplement un « Neubeginn », un nouveau départ[35]. Les critiques de la République fédérale de gauche nient même, en raison du maintien d’un système mixte de capitalisme et d’intervention étatique à côté de la réhabilitation d’une partie importante des acteurs de l’administration nazie, qu’il y ait eu un nouveau départ, et décrient l’ordre du capitalisme rhénan comme une restauration de l’ancien régime. En effet, des études démontrent que la dénazification n’a été que partielle[36]. L’administration est davantage le produit d’une continuité que d’une épuration, et une loi rend dès 1951 obligatoire la réembauche d’une partie importante du fonctionnariat nazi qui avait été congédié lors de la dénazification[37].
Le ministère des Affaires étrangères évolue sous l’ombre de la continuité[38], tout comme le système judiciaire[39]. Pour ce qui concerne le point de vue du grand public, Michael Falser montre surtout, dans la ville de Francfort, des stratégies d’évitement[40]. La première mesure spectaculaire de dénazification, le tribunal de Nuremberg, mise en œuvre par des étrangers, juge 177 accusés, en condamne vingt-quatre à la peine de mort et en exécute douze[41]. D’autres mesures de dénazification comme le formulaire déjà mentionné provoquent de la résistance et des moqueries. Les coupables des crimes nazis semblent, moins d’une décennie après la capitulation, bénéficier d’une amnistie sinon d’une amnésie : le philosophe Hermann Lübbe parle ainsi d’un « kollektives Beschweigen », d’un mutisme collectif dans le pays. La Vergangenheitsbewältigung, la prise de conscience du passé, ne démarre que dans les années 1960. L’observateur Theodor W. Adorno note une tendance de « Schuld und Abwehr », de culpabilité et de déni, et d’un empressement chez les Allemands de recourir à un argumentaire fabriqué pour éviter même de considérer leur propre responsabilité. Alexander Mitscherlich regrette l’incapacité des Allemands de faire le deuil[42]. Dans certaines familles des nazis, les acteurs du national-socialisme sont parfois transformés en victimes[43].
Certains observent un nouvel antisémitisme, qui se traduirait par l’obsession de certains Allemands des défaillances d’Israël et par l’antisionisme en vigueur dans la République fédérale. Dans la RDA, le gouvernement trouve un accommodement avec la population, qui consiste à la présenter comme des victimes du régime nazi. Cela correspond à l’interprétation selon laquelle le nazisme n’est qu’une excroissance du capitalisme, un régime qui serait donc restauré dans la République fédérale. La nationalisation de l’industrie et des banques en RDA aboutit à une société d’une petite bourgeoisie qui se considère comme des alliés des vainqueurs de l’Union soviétique[44]. La direction du Parti socialiste unifié d’Allemagne (Sozialistische Einheitspartei Deutschlands) comprend des détenus ou des réfugiés du nazisme, retournés parfois de l’émigration en Union soviétique, comme ceux du groupe Ulbricht[45]. Ces communistes devaient, en revanche, trouver des arrangements avec les millions des nazis, dont un grand nombre allaient être recrutés par l’État[46]. La poursuite des anciens nazis et une critique du nazisme dans la population sont abandonnées au début des années 1950[47]. En RDA, sous le nouveau régime, les fonctionnaires du nazisme pouvaient accéder à une position sous la condition d’accepter le nouveau mot d’ordre de l’État et de coopérer[48]. Pourtant, une nostalgie du Troisième Reich permet une mobilisation continue à travers l’Allemagne : à la fin des années 1940, Hasso von Manteuffel, membre du FDP, est capable de proposer au premier gouvernement de la République fédérale deux divisions de soldats recrutés sur toutes les quatre zones d’occupation[49]. En RDA, les anciens nazis jouent un rôle dans la Volkskammer, dans le Zentralkommitee, dans l’armée, dans la politique et dans les médias. De la fondation en 1966 du Bund Deutscher Jugend par des jeunes néonazis, fils d’officiers de la Nationale Volksarmee (NVA) et de la Deutsche Volkspolizei (DVP)[50], aux manifestations nazies le 17 octobre 1987, en passant par les attaques contre l’église de Sion, la Zionskirche, des manifestations de l’extrême droite ternissent l’image de la RDA[51] . L’antisionisme est la politique officielle de la République démocratique, qui va jusqu’à comparer la politique étrangère d’Israël à celle du nazisme[52]. Et puisque le chiffre de juifs déclarés dans la RDA est de seulement 710 en 1976[53], certains remarquent que l’antisémitisme est-allemand semble même se passer de juifs. La RDA est rapprochée de la persécution des juifs[54], par exemple, par l’expropriation en juillet 1952 de la propriété juive et sa conversion en Volkseigentum, ou par l’interdiction aux retraités du droit de voyager en Israël[55].
A côté du déni des horreurs du passé, des membres éminents de la bourgeoisie allemande éduquée proposent la fuite dans l’esthétisme. Friedrich Meinecke déclare ainsi en 1946 que l’immersion dans la poésie profonde de Goethe et Schiller permet de trouver, dans tout le malheur de la patrie, un caractère indélébile et indestructible propre aux Allemands[56]. Mais les œuvres littéraires des auteurs comme Johannes R. Becher, Günter Eich, Paul Celan, Hans Bender, Werner Bergengruen et Oda Schaefer dénotent surtout le désespoir de l’heure zéro[57]. Theodor W. Adorno déclare que c’est impossible d’écrire un poème après Auschwitz, et le poème Inventur publié par Günter Eich en 1948 traite surtout de l’incapacité de la poésie à se récréer : le zéro marque un point au-delà duquel tout retour est impossible, face à une inhumanité que l’Allemagne incarne. La « Trümmerliteratur », la littérature des décombres, traite l’anéantissement de la conscience, lorsque par exemple un Allemand ne trouve pas les moyens, dans Draussen vor der Tür de Wolfgang Borchert, d’articuler sa culpabilité face à une société en déni.
Bilan
Si l’expression « heure zéro » s’employait avant l’effondrement du Troisième Reich[58], son sens actuel est lié à la traduction de cette expression anglo-saxonne en allemand et sa mobilisation dans des discours contradictoires et émotifs. L’expression désignait d’abord la fin : le moment de la capitulation n’est marqué par l’espoir que chez une infime minorité d’Allemands. Si Stunde Null semble désigner un moment précis, c’est-à-dire le 8 mai 1945, son utilisation hétérogène démontre que des acteurs différents utilisent ce terme pour faire référence à une période de fins et de débuts qui s’étale de la défaite allemande jusqu’au début des années 1950. L’expression désigne ainsi, suivant la définition de « chrononyme » proposée par Paul Bacot et al. « une portion de temps que la communauté sociale appréhende, singularise, associe à des actes censés lui donner une cohérence. » Deux particularités de cette expression sont ses origines étrangères, car il s’agit de la traduction de l’américain, et son adoption répandue par une communauté nationale divisée en deux pour désigner des complexes très différents[59]. Une expression voisine, l’an zéro, est aussi adoptée par un étranger, le Français Edgar Morin[60], pour être repris par un cinématographe italien et les Allemands par la suite[61].
Christoph Klessmann et plus tard Hans-Ulrich Wehler qualifient la société des premières années de l’après-guerre de Zusammenbruchsgesellschaft, de société effondrée, frôlant l’anarchie jusqu’à trois ans après la fin de la guerre, en raison de l’incapacité des alliés de restructurer et de reformer la société allemande à la suite de la dénazification[62]. Les fictions construites autour de l’expression Stunde Null par des cinéastes à l’ouest et à l’est ne traduisent que peu ce vécu : dans un film de la RDA, « Meine Stunde Null » de Jurek Becker et Karl Krug, un ouvrier allemand subitement conscient de la culpabilité de sa nation est transformé en héros d’un socialisme vainqueur après avoir été capturé par l’Armée rouge, alors que dans la République fédérale, Edgar Retz présente, dans son film « Stunde Null » de 1976, un autre protagoniste fuyant devant l’Armée Rouge et se préparant au départ pour le pays des opportunités illimités : les États-Unis. L’utopie que propose chacun de ces films vise à permettre de se délester des traumatismes et de la culpabilité de l’Histoire, par solidarité éclairée avec les forces émancipatrices du socialisme, ou par la mobilité illimitée promise par le libre monde.
Stunde Null ne pouvait être conçu, au moment de la capitulation en Allemagne, que comme occasion de partir compte tenu de l’impossibilité de la loyauté [63] . Les structures et les traditions de la société qui demeurent ne subissent pas une subite transformation mythique ; la démocratie mise en place en 1949 est caractérisée pendant des années par son esprit autoritaire. Toutefois, les évolutions dans la République fédérale promues par les forces américaines ouvrent des perspectives de nouveaux départs construits sur la croyance à l’épanouissement individualiste, aboutissant à un conservatisme libéral[64] à travers l’américanisation et l’occidentalisation[65]. On y assiste à une décentralisation et à une diffusion des pouvoirs compatibles avec la pensée de Locke et de Montesquieu, contraires à la légitimation indivisible fondée dans la pensée de Rousseau et de Marx retrouvée en RDA. La nouvelle ère allemande est en outre marquée par une moralisation de la politique étrangère. L’heure zéro dénote un profond bouleversement à travers le pays et de nouveaux départs, mais ce n’est que le regard vers l’arrière qui permet de voir ces débuts de renouvellements. Au moment des sinistres révélations du printemps 1945, l’heure n’était pas à l’espoir.
Parties annexes
Notes
-
[1]
Richard von Weizsäcker. Drei Mal Stunde Null? 1949 - 1969 – 1989. Siedler Verlag.
-
[2]
Liebhart, Wilhelm Liebhart : “Wiederaufbau unseres Heimatlandes: Zusammenbruch, Neubeginn und Wiederaufbau in Bayern’ p. 13ff, p. 13, dans : Norbert Göttler (Hrsg.) Dachau nach der ‘Stunde Null’ Stadt und Landkreis Dachau 1945 bis 1949. Munich, Herbert Utz Verlag, 2008.
-
[3]
Braun, Hans; Gerhardt, Uta; Holtmann, Everhard. Die lange Stunde Null. Gelenkter sozialer Wandel in Westdeutschland nach 1945. Baden-Baden, Nomos Verlag, 2007.
-
[4]
Alfred Weber. Abschied von der bisherigen Geschichte, in : Alfred Weber Gesamtausgabe Band 3, Herausgegeben von Richard Bräu, Marburg, Metropolis Verlag, 1997.
-
[5]
»größte materielle und moralische Katastrophe unserer Geschichte«.
-
[6]
Walter Kempowski. Das Echolot. Abgesang ’45, Munich, Albrecht Knaus Verlag, 2005.
-
[7]
Maren Eichhorn. ed. Ausstellung Die Stunde Null – Überleben 1945. Museum Europäaischer Kulturen. Berlin, SMB, 2006.
-
[8]
Rolf Steininger, Deutsche Geschichte Darstellung und Dokument in vier Bänden, Bd. 1, Francfort/M., Fischer, 2002, p. 46-52.
-
[9]
Dallek, Robert (1995). Franklin D. Roosevelt and American Foreign Policy, 1932-1945. Oxford, Oxford University Press. pp. 475. Rolf Steininger. Deutsche Geschichte 1945-1961, Darstellung und Dokumente in zwei Bänden, Bd. 1, Francfort/M., Fischer, 1983, p. 43-47
-
[10]
Perry Biddiscombe “Dangerous Liaisons: The Anti-Fraternization Movement in the U.S. Occupation Zones of Germany and Austria, 1945-1948’, dans : Journal of Social History, 34.3, 2001, p. 619.
-
[11]
Par exemple : Gerd Kadelbach, Die Stunde null : Ostpreussen 1945 , Weinheim/Bergstr. : Beltz, 1961.
-
[12]
Peter Kruse, (ed.). Bomben, Trümmer, Lucky Strikes. Die Stunde Null in bisher unbekannten Manuskripten. Berlin, Wjsverlag, 2004.
-
[13]
Dabel, Gerhard. Die erweiterte Kinderlandverschickung, KLV-Lager 1940-1945, Freiburg, VERLAG, 1981.
-
[14]
Reichling, Gerhard. Die deutschen Vertriebenen in Zahlen, Teil I : Umsiedler, Verschleppte, Vertriebene, Aussiedler 1940-1985. Bonn, Kulturstiftung der deutschen Vertriebenen, 1986.
-
[15]
Henke, Klaus-Dietmar, Der Weg nach Potsdam - Die Alliierten und die Vertreibung, in : Benz, Wolfgang (éd.), Die Vertreibung der Deutschen aus dem Osten. Ursachen, Ereignisse, Folgen, Francfort, Fischer Taschenbuch, 1985.
-
[16]
Tolksdorf, Ulrich, Phasen der kulturellen Integration bei Flüchtlingen und Aussiedlern, in : Bade, Klaus. Neue Heimat im Westen. Vertriebene - Flüchtlinge - Aussiedler, Münster, Westfälischer Heimatbund,1990.
-
[17]
Golo Mann. Deutsche Geschichte des 19. und 20. Jahrhunderts, Francfort/M., Fischer, 1966, p. 972f.
-
[18]
Ernst von Salamon. Der Fragebogen. Hamburg, Rowohlt 1951.
-
[19]
Cité : Edgar Wolfrum, Die geglückte Demokratie. Geschichte der Bundesrepublik Deutschland von ihren Anfängen bis zur gegenwart, Stuttgart, Klett-Cotta, 2006, p. 4.
-
[20]
Cf. Merritt, Richard, Democracy Imposed. U.S. Occupation Policy and the German Public, 1945-1949, New Haven, Yale University Press, 1995.
-
[21]
Rupieper, Hermann-Josef, Die amerikanische Demokratisierungspolitik in Westdeutschland 1945-1952, in : Oberreuter, Heinrich; Weber, Jürgen (éd.), Freundliche Feinde? Die Alliierten und die Demokratiegründung in Deutschland (Akademiebeiträge zur politischen Bildung 29), Munich, 1996, p. 197-216, p. 198; cf. : Hermann-Josef Rupieper. Die Wurzeln der westdeutschen Nachkriegsdemokratie. Der amerikanische Beitrag 1945-1952, Opladen, Westdeutscher Verlag, 1993.
-
[22]
Gerhardt, Uta. Soziologie der Stunde Null. Zur Gesellschaftskonzeption des amerikanischen Besatzungsregimes in Deutschland 1944-1945/46, Francfort am Main, Suhrkampf, 2005, p. 15.
-
[23]
ibid, 65f.
-
[24]
Henke, Klaus-Dietmar. Die amerikanische Besetzung Deutschlands (Quellen und Darstellungen zur Zeitgeschichte 27), Munich, VERLAG 1995, p. 25f..
-
[25]
Georg Müller. Die Grundlegung der westdeutschen Wirtschaftsordnung im Frankfurter Wirtschaftsrat 1947 – 1949. Francfort a. M., Haag + Herchen, 1982, p. 54 ff.
-
[26]
Ludwig Erhard. Wohlstand für Alle. Düsseldorf, Econ, 1957, S. 24 ff. ; Alfred Müller-Armack. Wirtschaftslenkung und Marktwirtschaft, Hamburg, Verlag für Wirtschaft und Sozialpolitik, 1947.
-
[27]
Kleßmann, Christoph. Die doppelte Staatsgründung. Deutsche Geschichte 1945-1955, Bonn, Bonn, Bundeszentrale für Politische Bildung,1991.
-
[28]
Paul Sauer. Demokratischer Neubeginn in Not und Elend. Das Land Baden-Württemberg von 1945 bis 1952. Ulm, Vaas Verlag, 1978, p. 370.
-
[29]
Rolf Krengel. Anlagevermögen, Produktion und Beschäftigte der Industrie im Gebiet der Bundesrepublik von 1924 bis 1956 (DIW, Sonderhefte NF 42, Reihe A). Berlin, Duncker & Humblot, 1958, p. 49 ff.
-
[30]
Rudolf Laufer. Industrie und Energiewirtschaft im Land Baden 1945 - 1952. Südbaden unter französischer Besatzung (Forschungen zur oberrheinischen Landesgeschichte Bd. XXVIII). Freiburg – Munich, VERLAG, 1979, p. 174 ff., 197 f., 217 f.
-
[31]
Ludwig Erhard. Deutschlands Rückkehr zum Weltmarkt. Düsseldorf, Econ, 1953, S. 69 ff.
-
[32]
Gert Kollmer-von Oheimb-Loup. ”Die Wirtschaftspolitik Erhards als Fessel des Aufschwungs? Kritische Forderungen der südwestdeutschen Wirtschaft“ dans : Vierteljahresschrift für Sozial- und Wirtschaftsgeschichte 82. Bd. (1995) Heft 4, S. 476.
-
[33]
Hans Möller : Die westdeutsche Währungsreform von 1948. dans : Währung und Wirtschaft in Deutschland 1876 - 1975. Ed. Deutschen Bundesbank. Frankfurt a. M., Deutsche Bundesbank, 1976, S. 433 ff.
-
[34]
Egon R. Baumgart. Investitionen und ERP-Finanzierung. Eine Untersuchung über die Anlage-Investitionen (DIW-Sonderhefte, NF 56: Reihe a). Berlin, 1961, S. 122 ff. Cf.: Hans-Jürgen Schröder (éd.): Marshallplan und westdeutscher Wiederaufstieg. Positionen - Kontroversen. Stuttgart, Steiner, 1990.
- [35]
-
[36]
Clemens Vollnhals et Thomas Schlemmer (éd.). Entnazifizierung, Politische Säuberung und Rehabilitierung in den vier Besatzungszonen 1945-1949, Munich, DTV Dokumente, 1991.
-
[37]
Wolfrum, op. cit.
-
[38]
Hans-Jürgen Döscher. Seilschaften – Die verdrängte Vergangenheit des Auswärtigen Amts. Berlin, Propyläen Verlag, 2005.
-
[39]
Ingo Müller. Furchtbare Juristen. Die unbewältigte Vergangenheit unserer Justiz. Munich, Knaur, 1989.
-
[40]
Michael Falser : 1945–1949: Die › Stunde Null ‹, die Schuldfrage, der ›Deutsche Geist‹ und der Wiederaufbau in Frankfurt a. Main. Dans : Michael Falser. Zwischen Identität und Authentizität. Zur politischen Geschichte der Denkmalpflege in Deutschland. Dresden, Thelem Verlag, 2008, p. 71-97.
-
[41]
Michael Biddiss, Victors’ justice: The Nuremberg tribunal.(Victory and ’Zero Hour’ 1945: The Experience and Consequences of the World at War), dans : History Today, mai 1995.
-
[42]
1959 Theodor W. Adorno : Was bedeutet: Aufarbeitung der Vergangenheit? dans : Theodor W. Adorno: Gesammelte Schriften Band 10.2, Kulturkritik und Gesellschaft II, Francfort am Main, Suhrkamp, 1977; Alexander Mitscherlich. Über die Unfähigkeit zu trauern. Grundlagen kollektiven Verhaltens, Munich, Piper, 2007.
-
[43]
Harald Welzer, Sabine Moller, Karoline Tschugnall: »Opa war kein Nazi«. Nationalsozialismus und Holocaust im Familiengedächtnis. Francfort am Main, Fischer, 2002.
-
[44]
Hermann Weber. Geschichte der DDR, Munich, Deutscher Taschenbuch Verlag, 1999.
-
[45]
Detlef Joseph. Nazis in der DDR, Die deutschen Staatsdiener nach 1945 woher kamen sie? Berlin, Edition Ost im Verlag Das neue Berlin, 2002.
-
[46]
Harry Waibel. Rechtsextremismus in der DDR bis 1989, Cologne, Papyrossa Verlags GmbH, 1996.
-
[47]
Wolfgang Leonhard. Die Revolution entlässt ihre Kinder, Cologne, Kiepenheuer & Witsch, 1990.
-
[48]
Ruth-Kristin Rößler, (ed.) Entnazifizierungspolitik der KPD/SED 1945-1948, Dokumente und Materialien, Goldbach, VERLAG, 1994.
-
[49]
Reinhard Opitz. Faschismus und Neofaschismus, Bonn, Pahl-Rugenstein Nachfolger, 1996 , p. 191.
-
[50]
Vertrauliche Dienstsache v. 11.11.1966, JA, IZJ, E 4.126 und Informationen über Besondere Vorkommnisse in Berlin, FDJ Abtg. Wohngebiete, Jugend und Staat, Vertraulich, Berlin, den 11.11.1966, JA, IZJ, E 4.126
-
[51]
Junge Welt du 4 décembre 1987 et du 12./13 décembre 1987.
-
[52]
Lothar Mertens: ”Staatlich propagierter Antizionismus: Das Israelbild der DDR“, dans : Wolfgang Benz (éd.): Jahrbuch für Antisemitismusforschung 2 (1993).
-
[53]
Angelika Timm, Hammer Zirkel Davidstern. Das gestörte Verhältnis der DDR zu Zionismus und Staat Israel. Bonn, Bouvier, 1997, p. 50. Information zur Vorlage an die Dienstbesprechung: Zur Situation, Struktur usw. in den jüdischen Gemeinden in der DDR, Abtg. I des Staatssekretariats für Kirchenfragen, Berlin, den 19.08.1975, IfGA, ZPA, IV B2/14/174; SED-Vorlage für die Dienstbesprechung, Information zur Situation der jüdischen Gemeinden in der DDR, NfD, Abteilung I, Berlin, 02.06.1976, IfGA, ZPA, IV B 14/174.
-
[54]
Lothar Mertens. ”Juden in der DDR“, dans : Siegfried Theodor Arndt/Helmut Eschwege/Peter Honigmann/Lothar Mertens: Juden in der DDR, Geschichte, Probleme, Perspektiven, Cologne, Boehlau, 1988.
-
[55]
Olaf Groehler: ”Antifaschismus und jüdische Problematik in der SBZ und der frühen DDR.“ dans : Helmut Meier/Detlef Nakath/Peter Welker (éd.): Forscher und Diskussionskreis DDR Geschichte. hefte zur ddrgeschichte 26, Berlin 1995, p. 14.
-
[56]
Friedrich Meinecke, Die Deutsche Katastrophe Betrachtungen und Erinnerungen. Wiesbaden, Brockhaus Verlag, 1946.
-
[57]
Stephen Brockmann. Germany literature culture at the zero hour. Colombia, S.C., Cambden House, 2004. Schröder, Jürgen. Die Stunde Null in der deutschen Literatur: ausgewählte Texte / éd. Jürgen Schröder, Stuttgart, Reclam, 1995.
-
[58]
Cf. par exemple Georg Grabenhorst. Fahnenjunker Volkenborn. Translated as Zero Hour by A. Featherstonhaugh, Brentano, London, 1929. Louis Charles Douhtwaite. Zero hour. London, Gramoi Publications, 1933.
-
[59]
Paul Bacot, Laurent Douzou, Jean-Paul Honoré. « Chrononymes. La politisation du temps. » Dans : Mots. Les langages du politique. ENS Éditions. No. 87 jullet 2008.
-
[60]
Edgar Morin. L’An zéro de l’Allemagne, La Cité Universelle, Paris, 1946.
-
[61]
Par exemple Guido Knopp, Stefan Brauburger. Damals 1945: Das Jahr Null. Munich, Deutsche Verlags-Anstalt, 1994.
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[62]
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