Lire et commenter l’ouvrage de Dupuis et Segal dans la revue Management International est pour moi un plaisir triplement personnel. Né à Montréal, scolarisé en France, professeur en Suisse, je garde ma curiosité d’enfant face aux cultures et aux identités nationales, à la manière dont elles évoluent et dont elles interagissent, y compris dans l’espace complexe et finalement peu homogène de la francophonie; un plaisir personnel aussi, car Dupuis et Segal ont été des tuteurs éclairants dans mon parcours de chercheur, et les recherches de plus de trente ans qui alimentent le livre ont alimenté régulièrement mes propres travaux. Enfin, Dupuis et Segal, ce sont aussi pour moi les deux Jean-Pierre, ce tandem de chercheurs (voir la référence citée en introduction Barmeyer/Davoine, 2020) qui aiment échanger ensemble pour croiser régulièrement leurs perspectives et leurs accents et partager leurs réflexions doublement réflexives avec les communautés francophones de la revue Management International et de l’association Atlas-AFMI. L’ouvrage traite certes en premier lieu des interactions entre Français et Québécois mais change régulièrement d’axe d’analyse, et présente au final un bouquet de contributions originales sur les cultures de gestion de la France et du Québec. Le premier chapitre, introductif, présente d’abord avec un grand nombre de sources et de statistiques les différentes phases historiques de l’évolution du Québec, des phases où les relations avec Paris et la France sont variables, et où Londres et l’Empire britannique, Rome et l’Eglise catholique, mais aussi les Etats-Unis, le pouvoir fédéral et les autres provinces canadiennes, jouent des rôles de premier plan. Cette partie historique permet de mieux comprendre l’identité complexe du Québec, la multiplicité de ses influences et de ses positionnements, et par conséquent la relation plutôt ambivalente que les Québécois entretiennent avec la France, entre « Je me souviens. » et « maudits Français ». Les chapitres suivant de l’ouvrage se construisent sur plusieurs études empiriques, ce qui permet de présenter Français et Québécois dans différents contextes et avec différentes perspectives, tout en revisitant et en mettant en tension les stéréotypes classiques. Une annexe de l’ouvrage détaille le corpus d’entretiens, d’observations ethnographiques et de questionnaires, accumulé grâce à plusieurs études, dont certaines données ont pu faire l’objet de publications dans un autre format (par exemple, Dupuis, 2005; Segal, 2014; Dupuis et Segal, 2020) mais repris dans l’ouvrage avec une démarche complètement nouvelle. La première partie, avec les chapitres 2, 3 et 4, est consacrée aux Français travaillant au Québec et aux Québécois travaillant en France, et l’on retrouve plusieurs thématiques communes chez les uns et les autres : la conception des relations hiérarchiques, la légitimité des compétences et des qualifications, les styles de communication, les prises de décision, mais aussi la construction des relations interpersonnelles. Les auteurs mobilisent dans leur analyse un très grand nombre d’extraits d’entretien ainsi que des statistiques qui permettent d’illustrer, de différencier et de nuancer leurs conclusions. La seconde partie, avec les chapitres 5 à 8, nous invite à prendre de la distance avec les seules interactions franco-québécoises en rappelant l’importance des contextes d’interaction. Les chapitres 5 à 7 proposent une analyse plus précise de différents contextes organisationnels, PME et filiales de multinationales, ainsi que celle d’une organisation française en Nouvelle Calédonie où les Québécois sont particulièrement appréciés pour être francophones sans être Français. L’analyse contextualisée met en évidence l’importance des configurations de pouvoir et des stratégies d’acteurs pour comprendre comment les représentations des identités nationales se mettent en jeu différemment d’un contexte à l’autre. De même le chapitre 8 présente la France et le Québec à travers la perspective d’immigrants qualifiés ayant des profils ethniques et nationaux variés, et propose une …
Parties annexes
Bibliographie
- Barmeyer, Christoph, et Eric Davoine (2021), “Intercultural challenges of ‘rapport in French–German organizational field research–insights from a binational research tandem.”, In Field guide to intercultural research, p. 230. https://doi.org/10.4337/9781788970129.00027
- Dupuis, Jean-Pierre (2005), « Être un « maudit Français » en gestion au Québec. », Gérer et comprendre, Vol. 81, p. 51-61. https://doi.org/10.7202/1012405ar
- Dupuis, Jean-Pierre, et Jean-Pierre Segal (2020), « Diplôme et mise à l’épreuve des compétences des immigrants qualifiés dans les entreprises : une comparaison France-Québec. », Management international, 24 (6), p. 101-113. https://doi.org/10.7202/1077352ar
- Friedberg, Erhard (2005), « La culture « nationale » n’est pas tout le social : Réponse à Philippe d’Iribarne. », Revue française de sociologie, 46(1), p. 177-193.
- Iribarne (d’), Philippe (1991), « Culture et » effet sociétal », Revue française de sociologie, p. 599-614.
- Iribarne (d’), Philippe, Segal, Jean-Pierre, Chevrier, Sylvie, Henry, Alain, et Tréguer-Felten, Geneviève (2020). Cross-cultural management revisited : A qualitative approach. Oxford University Press. https://doi.org/10.1093/oso/9780198857471.001.0001
- Maurice, Marc, François Sellier, et Jean-Jacques Silvestre (1992). « Analyse sociétale et cultures nationales : Réponse à Philippe d’Iribarne. » Revue française de sociologie, 33(1), p. 75-86.
- Segal, Jean-Pierre (2014). “Gestion & Société’s approach to cooperation of French firms.” International journal of organizational analysis, 22 (4), p. 470-485. https://doi.org/10.1108/IJOA-06-2013-0682