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Ce livre présente un bilan synthèse des recherches menées depuis 40 ans par le centre de recherche Gestion et Société, dirigé par Philippe d’Iribarne, dans un large ensemble d’entreprises de tailles et de secteurs d’activités divers, situés dans une cinquantaine de pays et territoires dans le monde. L’objectif de leurs travaux de recherche est de montrer que le management, loin d’être identique partout dans le monde, est enraciné localement, dans une société, dans une culture et que, par conséquent, il y prend diverses formes qui font sens pour les acteurs locaux.
Ce bilan permet aux cinq signataires de cet ouvrage de présenter leurs données sous un nouveau jour, notamment dans sa deuxième partie qui présente leurs résultats de recherche par grandes fonctions d’entreprise : leadership, consignes opératoires et contrôle, prise de décision, relations professionnelles, service à la clientèle et éthique et responsabilité sociale. Pour chaque grande fonction, le livre présente des cas de différents pays où le leadership, le contrôle, la décision, etc. sont vécus différemment tout en donnant le sens attribué par les acteurs locaux à ces pratiques de gestion.
L’ouvrage qui compte quatre grandes parties débute par une première partie qui remet en question l’universalité des pratiques de gestion dans le monde. Le premier chapitre, comme son titre l’indique, L’enracinement culturel du management américain, retrace les fondations de ce management dit universel dans son contexte d’origine, soit dans la culture américaine. À partir du cas de General Electric qui a développé avec l’aide de consultants, dont Peter Drucker, ce qui est devenu le management par objectifs, les auteurs montrent l’enracinement de cette pratique dans la société américaine. Le chapitre suivant, Le management américain à l’épreuve d’autres cultures, montre comment ce management universel/américain doit être réinterprété pour s’implanter durablement dans différents pays, la démonstration se faisant à partir de l’exemple de trois pays : Tunisie, France, Vietnam. Le chapitre 3, Une approche des cultures, présente la posture théorique des auteurs concernant le management interculturel. Le nouveau paradigme, mentionné dans le titre de l’ouvrage, est développé dans ce chapitre et renvoie aux travaux que mène P. d’Iribarne depuis plus de 30 ans. En fait, les auteurs reprennent la conception interprétative de la culture développée dans Penser la diversité du monde publié en 2008. En résumé, « des images idéales d’une bonne et d’une mauvaise façon de vivre ensemble et une crainte centrale » (p. 61) conditionnent les relations entre individus dans la société comme dans les organisations.
La deuxième partie, comme nous l’avons dit plus haut, reprend le matériel recueilli au fil des ans et le présente pour illustrer comment diverses fonctions de l’entreprise sont vécues dans différents pays. Une dizaine de pays sont cités à témoin dans l’ensemble, soit deux à trois pays par fonction. La France est des six chapitres de cette partie puisque les auteurs ont souvent, pour ne pas dire toujours, travaillé sur de grandes entreprises françaises ayant des activités internationales, ce qui leur ouvrait la porte de différents terrains et cultures. Outre le cas de la France, celui des États-Unis revient souvent en tant que porteur de ce management dit universel qui sert de référence (à contester comme management universel efficace). Dans cette deuxième partie, on parle aussi d’autres pays selon les fonctions examinées dans les chapitres 4 à 9 : l’Allemagne (leadership), le Cameroun (consignes opératoires et contrôle, prise de décision), les Pays-Bas (prise de décision), la Jordanie (prise de décision), la Nouvelle-Calédonie (relations professionnelles), la Chine (service à la clientèle, éthique et responsabilité sociale), la Côte d’Ivoire (service à la clientèle), le Mexique et l’Argentine (éthique et responsabilité sociale).
La troisième partie, intitulée « Se faire comprendre à l’international », fait la démonstration que parler la même langue ou une langue commune (l’anglais par exemple) est loin d’être suffisant pour bien se comprendre à l’international. De nombreux exemples sont développés dans les chapitres 10 et 11 pour nous convaincre de la nécessité de bien comprendre les cultures locales pour mieux interpréter ce que les acteurs disent comme pour mieux passer son message. Le chapitre 10, Communiquer et se comprendre, porte sur différents pays ou territoires (Japon-France; France-Suisse; France-Québec, France-Allemagne) et est riche d’enseignements. Le chapitre 11, Se faire connaitre à l’international, montre de son côté que la communication (documents internes, publicité) des entreprises se fait souvent dans l’esprit de la culture source et non pas dans la culture de destination rendant ainsi difficile de se faire bien connaître à l’étranger. Pour bien se faire connaitre, il faut adapter son message au contexte local, une évidence que trop d’entreprises négligent encore. Ce chapitre 11 s’appuie sur le cas d’entreprises françaises et chinoises pour illustrer ces méprises culturelles. Le chapitre 12, Les défis des équipes de travail multiculturelles, conclut cette troisième partie. Il s’appuie sur différents cas, soit d’échec ou de réussite (fusion Renault-Volvo, le cas d’une ONG française à Madagascar, un cas libano-français, une parfumerie latino en Floride), pour illustrer ces défis.
La quatrième et dernière partie du livre, De l’usage de l’approche interprétative, nous révèle plusieurs choses concernant l’approche interprétative utilisée par les chercheurs. Le chapitre 13, Une odyssée d’entreprise au sud, permet de suivre une entreprise au Cameroun, la Société d’électricité du Cameroun, sur plus de trente ans. Ce travail de longue haleine permet de bien faire ressortir les continuités culturelles de cette entreprise « ballotée entre les courants de la mondialisation et les forces de son environnement culturel. » (p. 245) au fil des ans. Le chapitre 14, Transférer les bonnes pratiques, conclut qu’en ces matières il est mieux de transférer dans sa propre société les bonnes pratiques locales plutôt que les bonnes pratiques venues de l’étranger. Comme le disent les auteurs : « En fin de compte, il s’agit de mettre en lumière des bonnes pratiques locales – culturellement enracinée –, d’en comprendre les conditions de réplicabilité, et d’accélérer leur diffusion au sein de leur environnement culturel. » (p. 279). Le chapitre 15, Améliorer le fonctionnement des équipes interculturelles, propose une démarche claire en six étapes pour y arriver : 1. identification des problèmes, 2. décryptage des univers culturels de sens encadrant leur lecture, 3. restitution aux acteurs, 4. constitution et animation de groupes de travail pour construire des modus vivendi, 5. expérimentations et 6. ajustements (p. 284). Le dernier chapitre, le 16 : Repères pour déchiffrer les cultures, explicite la démarche des auteurs pour comprendre les cultures. Un chapitre qui plaira particulièrement aux chercheurs et aux étudiants qui voudraient se familiariser avec la méthodologie développée au fil du temps par l’équipe de chercheurs qui signe cet ouvrage.
Au final, un ouvrage solide, rigoureux, qui rend compte de plus de 40 ans de recherches et qui nous permet d’avoir un autre point de vue sur le management que celui qui domine dans les écoles de gestion et dans les bureaux des grands consultants de ce monde.