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La communication sociétale est définie par Gray et al. (1986) comme « le processus de communication à certains groupes d’intérêts et à la société en général, des effets sociaux et environnementaux des activités économiques des organisations ». Cette définition fait apparaître la diversité des formes que peut emprunter la communication sociétale, l’étendue des thèmes qu’elle couvre et la multiplicité de ses utilisateurs. Toutefois, cette définition, en faisant référence aux groupes d’intérêt, n’évoque qu’implicitement les motivations des entreprises émettrices pour la publication d’informations sociales et environnementales.

En France, la loi sur les nouvelles régulations économiques (NRE) du 15 mai 2001 fixe les obligations de communication et impose aux entreprises cotées de prendre en compte, dans leurs rapports annuels, les conséquences sociales et environnementales de leurs activités. Le décret d’application n° 2002-221 de la loi NRE établit la liste des informations de nature sociale et environnementale requises esquissant ainsi les premiers contours d’un reporting sociétal qui constitue « un instrument de justification des efforts accomplis par les entreprises dans les domaines environnementaux et sociaux » (Rivière-Giordano, 2007 : 10). La communication sociétale est encouragée par plusieurs démarches dont la « Global Reporting Initiative » (GRI) qui, depuis sa création en 1997, oeuvre pour l’élaboration et la construction d’une trame de travail commune afin de rendre compte des performances économique, environnementale et sociale des organisations.

Si la loi NRE représente une contrainte pour les entreprises cotées, l’imprécision de certaines dispositions, ainsi que l’absence de sanctions en cas de non respect, affaiblissent le caractère coercitif de cette contrainte (Quairel, 2004). La disparité des pratiques de diffusion sociétale illustre d’ailleurs le caractère discrétionnaire de ces pratiques. En effet, de plus en plus d’entreprises françaises ne se contentent plus aujourd’hui de satisfaire les obligations de communication et divulguent des informations en dehors du cadre légal et réglementaire (Chauvey et Giordano-Spring, 2007). La question se pose alors de savoir pourquoi certaines entreprises publient volontairement des informations sociétales.

Pour y répondre, nous avons réalisé une monographie des diffusions d’information sociétale de Péchiney (aujourd’hui Alcan) au cours de la deuxième moitié du XXe siècle. Cette recherche a le double objectif d’enrichir la connaissance des pratiques de communication sociétale d’un point de vue longitudinal et de contribuer à une connaissance approfondie des motivations des entreprises dans la mise en oeuvre de telles diffusions. L’observation sur une période de 30 ans doit permettre d’identifier des ruptures ou des constantes dans la communication de l’entreprise et d’en cibler l’origine. Le choix de Péchiney se justifie d’une part, car cette entreprise opère dans un secteur d’activité proche de celui étudié dans les travaux originels de Guthrie et Parker (1989), et d’autre part, en raison de la disponibilité de données concernant cette entreprise sur une longue période. En effet, Pechiney a développé un important centre d’archives.

Ces travaux font principalement appel à la théorie de la légitimité et envisagent la communication sociétale comme participant d’un processus de légitimation de l’entreprise. D’un point de vue méthodologique, l’intérêt de la recherche réside dans l’opérationnalisation de la pression du public. Dans cette perspective, nous proposons de recenser les thèmes sociétaux traités dans le journal Le Monde. Leur mise en relation avec les communications sociétales de Péchiney sur la même période permet de tester la validité de la théorie de la légitimité comme cadre explicatif de la communication sociétale. La démarche de validation de la théorie de la légitimité constitue l’intérêt de cette recherche d’un point de vue théorique.

Nous proposons, dans un premier temps, une revue synthétique de la littérature présentant la communication sociétale comme un outil de légitimation de l’entreprise. Puis, nous décrivons la méthodologie de la recherche. Nous terminons par une présentation et une discussion des résultats empiriques.

Le cadre théorique : la communication sociétale comme instrument de légitimation

Pourquoi les entreprises diffusent-elles des informations sociétales ? Si la plupart des recherches sur la communication sociétale tentent de répondre à cette question, les motivations des entreprises émettrices sont abordées sous des angles différents. Toutefois, quelle que soit l’approche retenue, il apparaît que la communication sociétale permet aux organisations d’acquérir une légitimité. Selon Pfeffer et Salancik (1978), pour acquérir les ressources dont elle a besoin, l’organisation doit inévitablement interagir avec son environnement social : parce qu’elle puise des ressources dans son environnement, elle dépend de celui-ci. Selon ces chercheurs, la pérennité de l’organisation dépend de sa capacité à gérer les demandes de son environnement, en particulier celles formulées par les groupes qui détiennent les ressources indispensables à sa survie. La légitimité va donc assurer à l’organisation l’approbation de la société et lui donner la possibilité d’obtenir les ressources dont elle a besoin pour survivre : « l’acceptabilité sociale qui résulte de la légitimité peut être plus importante que la performance économique » (Pfeffer et Salancik, 1978, p.194).

Dans le cadre de la théorie de la légitimité, dont les courants stratégique et néo-institutionnel sont synthétisés dans les travaux de Suchman (1995), la communication sociétale relève d’une stratégie de légitimation visant à satisfaire les attentes de la société civile. Les recherches dans ce domaine soulignent ainsi l’importance des pressions exercées par l’opinion publique (Patten, 1992) ou les lobbies (Deegan et Gordon, 1996). Certains chercheurs montrent aussi que l’appartenance à un secteur d’activité sensible se traduit par une diffusion nettement plus élevée d’informations environnementales (Wiseman, 1982).

Aussi la légitimité va-t-elle assurer à l’organisation l’approbation de la société et lui donner la possibilité d’obtenir les ressources dont elle a besoin pour survivre. Ce sont ces parties prenantes qui vont juger de l’efficacité organisationnelle. Par conséquent, la légitimité organisationnelle dépend en partie des réponses apportées aux attentes de l’environnement, d’où l’importance de la communication sociétale en tant qu’outil participant au processus de légitimation.

L’approche stratégique des processus de légitimation permet de bien rendre compte du rôle de la communication sociétale en mettant en évidence les outils plus ou moins formels dont disposent les organisations pour s’adapter à leur environnement. Ces stratégies relèvent d’un « management symbolique » (Ashforth et Gibbs, 1990) permettant à l’organisation de ne pas modifier son système de production et de le présenter par le biais de la communication sociétale de telle façon qu’il apparaisse conforme aux attentes et aux valeurs sociales. La diffusion d’information sociétale s’apparente alors à une politique de communication destinée à légitimer l’organisation.

Les travaux de Guthrie et Parker (1989), Brown et Deegan (1998), Deegan, Rankin et Tobin (2002), et Patten (1991) s’inscrivent dans le cadre de la théorie de la légitimité. Leur objectif est de démontrer que les diffusions d’information sociétale trouvent leur raison d’être dans la recherche de légitimité face à la pression du public. La mesure de cette dimension diffère selon les travaux. Dans une première approche (Patten, 1991), le degré de visibilité de l’entreprise ou de son secteur d’activité permet de formaliser la pression de l’opinion publique. Une deuxième orientation (Guthrie et Parker, 1989; Brown et Deegan, 1998; Deegan et al., 2002), mettant en oeuvre une approche historique, évalue l’intensité de cette pression en se fondant sur les principaux événements se rapportant à une entreprise ou à son secteur d’activité, recensés au sein d’études antérieures ou dans les media.

Ces études produisent des résultats contrastés. Alors que Patten (1991) et Deegan et al. (2002) vérifient la validité du cadre de la théorie de la légitimité, Brown et Deegan (1998) ne la vérifient que partiellement tandis que Guthrie et Parker (1989) n’aboutissent pas à des résultats concluants. Cependant, face à ce constat, l’ensemble des chercheurs ne remet pas en cause le pouvoir explicatif de la théorie de la légitimité mais davantage le mode d’évaluation de la pression du public. Dans notre étude, nous nous attacherons donc à proposer un mode d’évaluation de la pression du public préalablement validé par les travaux antérieurs, notre objectif principal restant de tester le pouvoir explicatif de la théorie de la légitimité.

Notre recherche se situe dans le prolongement de l’étude originelle de Guthrie et Parker (1989) et emprunte une méthodologie proche de celle proposée par Brown et Deegan (1998). Nous proposons d’étudier les diffusions d’information sociétale de Péchiney au cours de la deuxième moitié du XXe siècle.

A la suite de Guthrie et Parker (1989), nous posons la question des motivations des entreprises à diffuser des informations sociétales. Plus précisément, nous voulons montrer de quelle manière Péchiney a poursuivi une stratégie de légitimation en développant un discours relatif à la mise en oeuvre de sa responsabilité sociale, en réponse aux attentes du grand public.

La méthodologie : une confrontation des mesures de la diffusion d’information sociétale et de la pression du public

Dans le prolongement des travaux antérieurs, nous mettrons en perspective les diffusions sociétales de Péchiney, évaluées selon une analyse de contenu des rapports annuels, et la pression du public, opérationnalisée par la couverture des thèmes sociétaux par le journal Le Monde.

Mesure de la diffusion d’information sociétale

Nous avons choisi d’étudier Péchiney d’une part, car cette entreprise opère dans un secteur d’activité proche de celui étudié par Guthrie et Parker (1989). D’autre part, et d’un point de vue plus pratique, cette entreprise a développé un important centre d’archives, favorisant ainsi l’accès aux documents source de notre étude.

Le rapport annuel comme support d’analyse de la diffusion d’information sociétale

La plupart des études des pratiques de communication sociétale ont fondé leur analyse sur le rapport annuel. Les arguments que font habituellement valoir ces études pour justifier ce choix sont, d’une part, le degré de crédibilité de ce support (Neu, Warsame et Pedwell 1998). D’autre part, la large diffusion de ce media constitue une justification supplémentaire de ce choix (Ernst et Ernst, 1978). Enfin, la régularité de la production du rapport annuel est un autre critère mis en avant pour légitimer le choix de ce support dans l’analyse de la diffusion d’information sociétale. Pour Gray, Kouhy, Lavers (1995, p.82) le choix du rapport annuel comme support d’étude de la communication sociétale dans la plupart des recherches se justifie par le fait « [qu’]il s’agit non seulement d’un document réglementaire, diffusé avec régularité mais qui constitue ce que l’on peut considérer comme le document le plus important en terme de construction par l’organisation de sa propre représentation sociale ».

Ainsi, le rapport annuel des entreprises est le support d’information majoritairement utilisé pour étudier les pratiques de communication sociétale des entreprises.

Dans le cadre de cette étude, et à l’appui de cet ensemble d’arguments, nous choisissons de nous fonder sur les rapports annuels de Péchiney pour mesurer la diffusion d’information sociétale.

Nous nous sommes adressés à L’Institut de L’Histoire de L’Aluminium[1] et avons recensé les rapports annuels de Péchiney disponibles sur la période (1945 – 2001). La promulgation de la loi NRE a permis de déterminer la borne supérieure de cette période. Nous considérons, en effet, qu’au-delà de l’exercice 2001, les diffusions résultent à la fois d’une démarche volontaire de la part de l’entreprise et du respect de la réglementation. Dès lors, il apparaît nécessaire de distinguer parmi les diffusions celles à la discrétion de l’entreprise et celles qui répondent aux exigences légales. Au-delà de cette date, le cadre théorique explicatif de la légitimité n’apparaît plus pertinent.

S’agissant de la borne inférieure de la période, celle-ci correspond à l’année de la fondation du journal Le Monde, support de diffusion que nous avons utilisé pour formaliser la pression du public (voir infra).

Une fois déterminé le support d’analyse des diffusions d’information sociétale, la méthode d’analyse de ces diffusions doit être précisée.

Méthode d’analyse des diffusions

Nous proposons de procéder à l’analyse de contenu des diffusions d’information sociétale de Péchiney. A cette fin, nous utilisons la grille d’analyse des diffusions d’information sociétale mise en place par Oxibar (2003).

Cette grille présente en colonnes les catégories d’information qui relèvent de l’information sociétale. Les lignes de la grille correspondent à trois critères qualitatifs (forme, nature, profondeur de l’information) et aux différentes modalités de chacun des critères. Si nous conservons les critères qualitatifs de forme (monétaire, numérique, littérale), nature (bonne, neutre ou mauvaise) et profondeur (1 à 4 et +) de l’information issus de la grille d’origine, nous la faisons évoluer et proposons de faire figurer des sous-catégories d’information supplémentaires afin d’améliorer le caractère inter temporel de cette grille. En effet, Gray et al. (1995) font remarquer qu’il peut apparaître nécessaire de détailler certaines catégories en sous-catégories et précisent que ces sous-catégories sont susceptibles de varier selon les pays ou les époques. L’étude de Ernst et Ernst (1978) faisait déjà le constat de variations des diffusions d’information sociétale d’une année à l’autre et envisageait un raffinement continu des catégories de diffusion d’information sociétale des entreprises. A l’intersection des lignes et colonnes est consigné le volume correspondant d’information sociétale en proportion de page A4. Conformément aux techniques d’analyse de contenu mobilisées dans les travaux sur la diffusion d’information, cet instrument d’analyse est construit en suivant le postulat selon lequel le volume d’information est représentatif de l’importance accordée à un thème de diffusion. Pour chaque rapport annuel, les catégories d’information sociétale présentant les volumes les plus élevés indiqueront les thèmes prioritaires sur lesquels l’entreprise souhaite communiquer. D’un point de vue pratique, le codage des rapports annuels consiste à relever les thèmes sociétaux au fur et à mesure de notre lecture, à les associer à la catégorie correspondante de notre grille et à mesurer le score (proportion de page A4). Pour les besoins spécifiques de cette étude, nous ne retenons que le critère du volume, les critères qualitatifs n’éclairant pas davantage la question de recherche en raison du postulat propre à l’analyse de contenu et à la théorie du media-agenda setting.

Tableau 1

Grille d’analyse

Grille d’analyse

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Mesure de la pression du public

Après avoir justifié la relation entre pression du public et couverture médiatique des thèmes sociétaux, nous indiquerons la méthode d’évaluation de cette dernière.

La couverture médiatique comme modélisation de la pression du public

La théorie du media agenda setting pose l’existence d’une relation entre le degré de couverture d’un thème socio-politique par les media et le degré de priorité accordé à ce thème par le grand public. S’agissant du lien de causalité entre ces deux dimensions, la théorie du media agenda-setting précise que la couverture médiatique d’un sujet est à l’origine de l’intérêt manifesté par le public pour ce même sujet. Dès lors, les media sont supposés façonner l’opinion du grand public. Ainsi, selon McCombs et Shaw (1972), la presse se focalise sur certains thèmes et oriente les débats, contribuant ainsi à la construction de l’opinion du public. Dans leur étude sur l’influence des média dans le cadre d’une campagne électorale, ces auteurs démontrent une forte relation entre l’importance accordée par les média à certains thèmes socio-politiques et l’importance que ceux-ci revêtent pour les électeurs.

Zucker (1978) explique aussi que lorsque les individus ne sont pas directement confrontés à un thème et n’y sont donc pas familiers, ils se fient aux média pour obtenir des informations. Ainsi, Zucker prend-il l’exemple des questions environnementales qui, selon lui, constituent des thèmes pour lesquels le grand public ne dispose pas d’expérience concrète pour se forger une opinion. Et, dans la lignée de McCombs et Shaw (1972) pour qui les media fournissent la seule approximation d’une réalité politique conceptuelle, Zucker (1978) montre que ce n’est qu’en s’appuyant sur les informations diffusées par les media que le grand public peut s’approprier le thème de l’environnement.

Au-delà de la mise en évidence du lien de causalité entre media et intérêt du public, Ader (1995), s’intéresse au sens de cette relation. D’une part, il teste et établit une relation positive entre le degré de couverture par les media du thème de la pollution et l’intérêt du public pour ce thème. D’autre part, son étude conclut à l’absence de relation entre la réalité de la pollution et l’intérêt du public pour ce thème. Il démontre ainsi l’influence des media sur la perception de l’opinion publique.

Méthode d’analyse

Afin de mesurer la pression du public, nous avons procédé à une analyse de contenu du quotidien Le Monde sur la période d’étude, disponible en microfiches. L’analyse des articles de presse est une méthodologie couramment mobilisée dans les recherches néo-institutionnelles (Hoffman, 1999; Baum et Powell, 1995, Elsbach, 1994, Fombrun et Shanley, 1990). Hoffman (1999) rappelle que les médias, outre leur rôle de mémoire d’archive d’éléments clés, sont eux-mêmes des acteurs puissants et reconnus du champ institutionnel. Pour notre étude, nous avons retenu le journal Le Monde. En effet, dans le contexte français, Le Monde est considéré comme un journal de référence, remplissant les critères de reconnaissance par le champ institutionnel et de représentativité de l’opinion publique ou de prescripteur d’opinion. L’intérêt de ce quotidien est de couvrir l’actualité française et internationale élargissant ainsi le spectre des opinions représentées. Une autre justification du choix de ce journal est sa présence dans le paysage de la presse française depuis 1947, ce qui le distingue d’autres quotidiens français également représentatifs de l’opinion publique mais qui ne seront pas présents sur la période d’étude. L’analyse des articles de presse de ce journal reflètera les pressions de la société civile éclairant ainsi les incitations à communiquer sur les thèmes sociétaux.

En raison de l’important volume de données à coder, nous avons été conduits à effectuer un certain nombre de choix méthodologiques pour procéder à l’analyse de contenu de ce journal.

Nous avons choisi de ne coder que les Unes afin de faciliter la constitution de la base de données. Outre les raisons tenant aux contraintes matérielles de cette recherche, ce choix peut être justifié par le critère de profondeur de l’information selon lequel plus une information est située en profondeur dans un support de diffusion, moins l’émetteur est supposé lui accorder d’importance. Une fois opéré ce choix, nous avons balayé de façon systématique l’ensemble des Unes du quotidien au cours de la période (1971 – 2001). Le codage a consisté à distinguer les informations concernant, d’une part l’entreprise Péchiney ou le secteur Aluminium, Acier, Sidérurgie, d’autre part les informations relevant du champ du sociétal telles que définies dans la grille d’analyse présentée ci-dessus. Cette phase de codage nous a permis de préciser à nouveau certaines catégories de la grille d’analyse. En particulier, nous avons complété la catégorie Ressources Humaines avec deux sous-catégories : « Syndicats » et « Organisation du travail ». De même, le thème « Certification » a été ajouté à la catégorie « Environnement ». Une fois opérée cette distinction selon la nature des informations, nous avons effectué une mesure quantitative et qualitative des informations. Pour la mesure quantitative de l’information pertinente, nous avons retenu le volume d’information, soit en proportion de Une lorsque l’information était développée dès la première page, soit en profondeur (évaluée par le numéro de page) lorsque l’information se trouvait sous forme de manchette dans la Une.

Les résultats : la communication sociétale face à la pression du public

Nous avons procédé à l’analyse de contenu des rapports annuels de Péchiney pour la période 1971-1998. Cependant, les rapports annuels des années 1979 à 1982 ainsi que 1995 n’étaient pas disponibles. Il en résulte une observation des diffusions d’information sociétale de Péchiney sur 23 ans. Sur la même période, nous avons analysé les Unes du quotidien Le Monde. Nous pouvons, dans un premier temps, décrire les diffusions d’information sociétale de Péchiney. Cette phase de description nous permettra de signaler la permanence ou pas des thèmes sociétaux dans les diffusions du groupe et d’observer l’évolution de ces thèmes au cours de la période. Dans un second temps, nous préciserons les thèmes sociétaux abordés dans Le Monde.

La prise en compte de la dimension sociétale par le groupe Péchiney

Les résultats montrent, d’abord, que sur cette période les thèmes environnementaux et sociaux sont prépondérants dans les diffusions d’information sociétale. Ensuite, il apparaît que ces diffusions ne se sont pas accrues avec le temps : le volume de diffusion d’information sociale et environnementale est plus important dans les années 1970, par rapport aux pratiques de la période 1983-1998 (Graphique 1).

Graphique 1

Thèmes sociétaux en proportion de page de rapport annuel de Péchiney

Thèmes sociétaux en proportion de page de rapport annuel de Péchiney

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Des extraits de certains rapports annuels confirment l’intérêt que le Groupe Péchiney portait dès cette période à sa responsabilité sociale. Il apparaît que la communication sur l’exercice de la responsabilité sociale et environnementale n’est pas un phénomène récent pour Péchiney. Il est ainsi intéressant de noter que dès 1974, la société mentionne l’ajout d’une dimension humaine dans les plans à moyen terme des entreprises à côté de la traditionnelle dimension économique : « En 1974, comme les années précédentes, l’objectif des sociétés a été de chercher à répondre au mieux à la fois aux impératifs économiques et aux aspirations des hommes au travail. A cet effet, un certain nombre d’entre elles ont entrepris d’ajouter à la dimension traditionnellement économique de leur plan à moyen terme une dimension humaine [...] » Rapport Annuel 1974. D’autres diffusions illustrent l’importance accordée aux relations sociales « Porteur d’une large responsabilité sociale, Péchiney Ugine Kuhlmann qui emploie plus de 80 000 personnes en France a voulu atténuer dans toute la mesure du possible les effets de la crise pour le personnel. Chacune des sociétés du Groupe est responsable de sa politique sociale. Pour atteindre l’objectif commun qui était, en 1975, de préserver l’emploi et de faire le maximum pour éviter tout licenciement collectif, ces sociétés ont pris des dispositions adaptées à leur situation propre ». Rapport Annuel 1975.

D’autre part, l’extrait du rapport annuel de 1975 montre que cette entreprise fait l’objet d’observations et de critiques quant à sa politique environnementale : « Les problèmes de l’environnement ont pris une grande acuité au cours des dernières années et ont provoqué à l’égard du Groupe des critiques rendues excessives par leur caractère systématique. Les sociétés portent à cette question la plus grande attention » Rapport Annuel 1974. D’où des diffusions pour tenter d’y répondre : « Lorsque les sociétés du Groupe construisent de nouvelles usines ou modernisent des ateliers situés dans des unités anciennes, elles prévoient les équipements antipollution les plus efficaces qui permettent de satisfaire aux normes les plus sévères en la matière. Elles poursuivent des efforts constants pour améliorer l’environnement des usines anciennes, construites à une époque où les techniques antipollution n’étaient pas encore maîtrisées » Rapport Annuel 1975.

Péchiney a d’ailleurs l’occasion de souligner le dialogue qu’elle entretient avec le grand public quant à l’exercice de sa responsabilité sociale lorsque dans son rapport annuel 1973 elle indique : « […] Le caractère nouveau de cette grève, qui a provoqué l’arrêt total des séries d’électrolyse pendant 45 jours, a conduit la Direction de la société à publier un « Livre blanc » pour informer largement l’opinion publique » Rapport Annuel 1973.

Il est possible de noter une évolution des préoccupations du Groupe au sein de chaque thème.

Le traitement du thème Environnement

En ce qui concerne l’environnement, le thème de la pollution est le plus traité au sein des rapports annuels mais n’apparaît que par phase au cours de la période (Graphique 2). Tout d’abord entre 1971 et 1976 puis entre 1990 et 1998. Cependant, la proportion des rapports annuels consacrée à ce thème est relativement faible, représentant selon les années 0,5 à 1,5 % des diffusions. L’année 1974 constitue une exception, les diffusions relatives à la pollution atteignant 4,23 % du rapport annuel. Ainsi, Péchiney évoque-t-il les mesures prises en faveur de la lutte contre la pollution en précisant que les sociétés du Groupe « consacrent une part notable et croissante de leurs investissements aux actions de lutte contre la pollution. En 1974, 100 millions de francs environ ont été affectés à cette lutte. (…) » Rapport Annuel 1974. Au-delà de ces précisions concernant les investissements réalisés, le Groupe décrit des projets mis en oeuvre limitant la pollution, par exemple en engageant des « discussions avec le Ministère de la Qualité de la Vie pour la signature d’un contrat général de protection de l’environnement » ou « l’installation de captation des fumées » ou bien encore « la réalisation d’un premier centre [de traitement des déchets industriels] confiée par l’Association Patronale Anti-pollution de la Région Rhône-Alpes » Rapport Annuel 1974. En 1975, le rapport annuel reprend et complète les informations sur la lutte contre la pollution et fait état de la signature d’un accord avec le Ministère de la Qualité de la Vie prévoyant « d’établir de façon concertée avec les pouvoirs publics des programmes qui visent à améliorer l’environnement des usines anciennes » Rapport Annuel 1975. Péchiney précise la mise en oeuvre d’un programme dans la branche Aciers et Electrométallurgie. Les actions en matière de lutte contre la pollution peuvent s’inscrire dans une démarche volontaire mais également résulter uniquement de l’application d’une réglementation. Ainsi, « aux Etats-Unis, les usines d’emballage plastique ou de boîtes-boisson ont engagé d’importants efforts pour réduire l’utilisation de matières à haute teneur en composants volatiles afin de suivre les nouvelles prescription de l’US Clean Air Act . En outre, de nouvelles normes applicables aux émissions de poussière et à la protection de la couche d’ozone ont été adoptées en 1997 » Rapport Annuel 1997.

Graphique 2

Les thèmes environnementaux en proportion de page de rapport annuel de Péchiney

Les thèmes environnementaux en proportion de page de rapport annuel de Péchiney

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Le thème du recyclage est également couvert durant ces mêmes périodes et reflète la mise en oeuvre de préoccupations à la fois environnementales et économiques. Péchiney indique ainsi que « La récupération des déchets industriels [est, à la fois,] une préoccupation et une activité » Rapport Annuel 1974. Le Groupe comprend ainsi une filiale (Anti-pollution – Industrie – Recherche) qui se consacre à la récupération et au traitement des déchets industriels solides et liquides. La citation suivante est à cet égard emblématique de l’intérêt économique du Groupe par rapport à la lutte contre la pollution : « Le Groupe met ainsi à profit l’expérience qu’il a acquise dans la lutte contre la pollution et dans l’élaboration de produits spécifiques du traitement des déchets » Rapport Annuel 1974.

Le thème de l’énergie est abordé sous un angle économique envisageant d’une part l’économie de coût de production qui pourrait résulter d’une consommation réduite d’énergie et d’autre part le développement du marché de ses produits et services liés à des préoccupations d’économies d’énergie chez ses clients.

Plus récemment, apparaît le thème de la certification. Ainsi, en 1998, Péchiney indique que « la mise en place progressive d’ici à 2003 de la norme environnementale ISO 14001 sur 12 sites permettra d’améliorer les performances environnementales » Rapport Annuel 1998.

Le traitement des Ressources Humaines

Pour ce qui est de la dimension sociale, on peut distinguer une pluralité des thèmes diffusés sur l’ensemble de la période (Graphique 3).

Graphique 3

Les thèmes des ressources humaines en proportion de page de rapport annuel de Péchiney

Les thèmes des ressources humaines en proportion de page de rapport annuel de Péchiney

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La formation est le thème le plus traité sur toute la période avec des volumes variables d’une année à l’autre mais globalement décroissants. L’année 1974 constitue un pic de diffusion et représente 4,03 % du rapport annuel. Le Groupe expose les actions de formation entreprises à destination de son personnel ouvrier, employé et cadre. Il est également fait référence au budget discrétionnaire consacré à ces activités. Péchiney précise ainsi que « le coût a dépassé de plus de la moitié les exigences légales » Rapport Annuel 1974. Le Groupe quantifie de manière précise l’effort de formation lorsqu’il indique par exemple qu’en 1975 « les dépenses consacrées à ces actions ont atteint 54 millions de francs soit 2,1 % de la masse salariale et ont intéressé 30 % de l’effectif » Rapport Annuel 1975. Au-delà de la quantification monétaire, Péchiney peut détailler ses actions en matière de formation en précisant les contenus ou le nombre de jours de formation organisés au cours d’une période : « en 1998, 4000 journées formation ont été organisées (…). Un programme de trois jours centré sur la rentabilité et la création de valeur a été lancé pour les 2900 cadres de Péchiney » Rapport Annuel 1998.

Le thème de l’hygiène et sécurité est également évoqué tout au long de la période mais de façon moins intense que le thème précédent. Péchiney indique les réalisations en matière d’amélioration des conditions de travail, par exemple avec la création de commissions d’atelier destinées à étudier les questions relatives à l’ambiance, à l’hygiène, à la sécurité et à l’organisation des postes de travail (Rapport Annuel 1975). Par ailleurs, le Groupe quantifie les accidents du travail en termes de fréquence et de gravité pour des usines appartenant à chacune de ses branches et présente pour chacun de ces critères l’évolution entre deux exercices (Rapport Annuel 1977). Pour ce thème, Péchiney n’hésite pas à diffuser une information négative dans une situation où : « En matière de sécurité, la performance n’a pas été à la mesure des efforts accomplis et doit être améliorée » Rapport annuel 1996

Le thème des rémunérations n’apparaît que ponctuellement au cours de la période. D’abord en 1975 et 1977 et ne réapparaît qu’à la fin des années 1980. Il est à noter que dans les années 1970, les références aux rémunérations ne sont qu’allusives et montrent que Péchiney se conforme au minimum légal. Ainsi, en 1975, on peut lire : « Les décisions en matière de rémunération ont été prises à l’initiative de chaque société selon les modalités fixées par les Conventions Collectives dont elles relèvent, les sociétés françaises du Groupe s’attachant à suivre l’évolution du coût de la vie, tout au moins pour les rémunérations les moins élevées » Rapport annuel 1975.

Au total, il ressort que les diffusions d’informations sociale et environnementale sont relativement plus importantes dans les années 1970, ces années constituant des pics de diffusion. On note également l’importance quasi exclusive des thèmes Environnement et Relations Humaines. Aussi nous a-t-il semblé judicieux de limiter notre analyse comparative à ces deux objets de communication.

Nous souhaitons à présent étudier de quelle façon les thèmes sociétaux sont couverts par le journal Le Monde au cours de la période. En effet, nous avons fait appel dans cette étude à la théorie du media agenda-setting. Aussi, afin de formaliser l’intérêt du public pour un thème sociétal, avons-nous procédé à l’analyse de contenu du journal. Les thèmes sociétaux abordés par ce media au cours de la période étudiée ont ainsi pu être identifiés.

La prise en compte de la dimension sociétale dans le quotidien Le Monde

Les thèmes abordés et leur poids en proportion de Unes sont détaillés dans le graphique 4.

Graphique 4

Les thèmes sociétaux en proportion de page de Unes du Monde

Les thèmes sociétaux en proportion de page de Unes du Monde

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Entre 1971 et 2001, tous les thèmes sociétaux apparaissent dans Le Monde (Graphique 4). Les thèmes des ressources humaines et de l’environnement sont les seuls thèmes abordés de façon systématique chacune des années. Les autres thèmes, en particulier ceux liés à l’éthique ou à l’implication des entreprises dans la société civile apparaissent de façon ponctuelle avec plus ou moins d’intensité. Le thème de l’environnement est traité en Une du journal de façon assez constante (en volume), quelle que soit l’année considérée. Le thème des ressources humaines, bien que plus erratique, affiche un volume de diffusion plus élevé par rapport à l’ensemble des thèmes, et ce quelle que soit l’année. Guidés par les résultats issus de l’analyse des rapports annuels et poursuivant un objectif d’analyse longitudinale des communications sociétales, nous nous focalisons sur l’étude des thèmes Environnement et Ressources Humaines.

Le traitement de l’Environnement

Si l’on entre dans le détail des sous-thèmes abordés au sein de chacune de ces catégories, on peut observer que, pour l’environnement (Graphique 5), la pollution constitue le seul thème abordé de façon continue à partir de 1983 mais avec des volumes variables. Pour les années antérieures, le thème apparaît de façon ponctuelle. L’étude des Unes du Monde montre que le thème de la pollution fait référence, pour la plupart des occurrences, à des faits conjoncturels survenus au cours de la période. Il s’agit par exemple de crises environnementales telles que les marées noires (l’Amoco-Cadiz en 1978, année de pic de diffusion relative à la pollution, Exxon-Valdez en Alaska en 1989 ou l’Erika en 2000), d’autres catastrophes industrielles (Seveso en 1976, Bhopal en 1984, Usine Sandoz à Bâle en 1986). Le Monde consacre sa Une à ces événements lors de leur survenance mais également ultérieurement pour une analyse des conséquences (procès, réaménagement, dépollution, indemnisation). A partir de la fin des années 1980 apparaissent des préoccupations beaucoup plus structurelles concernant la protection de la couche d’ozone (« Les gouvernements mobilisés pour protéger la couche d’ozone », 1989), l’effet de serre (« Un rapport alarmant sur l’effet de serre », 1990) et la pollution de l’air (« La qualité de l’air en France », 1993).

Graphique 5

Les thèmes environnementaux en proportion des Une du Monde

Les thèmes environnementaux en proportion des Une du Monde

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Les thèmes du nucléaire et de l’énergie ne sont traités qu’occasionnellement. S’agissant du nucléaire, les Unes consacrées à ce thème correspondent à des réflexions sur les orientations stratégiques des politiques nationales (« Le nucléaire inquiète à nouveau les Français », 1986) et internationales (« Le grand désordre nucléaire international », 1985). Pour ce qui est du thème de l’énergie, les contributions sont là aussi d’ordre politique (« La France prépare un programme de recherches sur l’utilisation de l’énergie solaire », 1974). Il ressort de l’analyse des diffusions environnementales en Une du Monde que les entreprises sont rarement interpellées sur les différentes thématiques en dehors de situations conjoncturelles, sachant que dans ce dernier cas, ce sont des entreprises ou des secteurs d’activité très précis qui sont concernés.

Le traitement des Ressources Humaines

S’agissant des ressources humaines (Graphique 6), il n’est pas possible de dégager un thème prépondérant sur l’ensemble de la période. Entre 1984 et 1993, le thème des relations sociales est le plus présent. Si ce thème continue à être traité jusqu’en 2001, il est remplacé, à partir de 1996, par le thème de l’aménagement du temps de travail, déjà abordé, mais de façon, moins dense au cours des années 1984-1987, ou ponctuellement dans la période précédent 1996.

Graphique 6

Les thèmes des ressources humaines en proportion des Unes du Monde

Les thèmes des ressources humaines en proportion des Unes du Monde

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Les Unes du Monde consacrées au thème des relations sociales font référence aux problématiques suivantes : négociations sur les retraites, négociations sur les conditions de travail et le temps de travail, chômage et grèves. Ces sujets apparaissent alternativement au cours de la période, à l’exception du traitement des grèves qui disparaît en 1978 pour n’apparaître ensuite qu’une fois en 1988. Parmi ces Unes relatives aux grèves, certaines abordent l’exercice du droit de grève et sa réglementation, d’autres concernent directement Péchiney (« Les conflits sociaux se durcissent chez Pechiney et LIP », 1973) ou son secteur d’activité (« La CGT et la CFDT s’efforcent d’étendre la grève des mineurs à l’ensemble des bassins », 1971).

Pour ce qui est de l’aménagement du temps de travail, deux thèmes apparaissent au cours de la période : tout d’abord, la flexibilité du travail; puis, et de façon majoritaire à partir de 1995, la réduction du temps de travail avec les lois Robien et Aubry (« Temps de travail : les risques de la loi Robien », 1996 et « 35 heures, la croisade de Mme Aubry », 1997).

Le thème de la rémunération apparaît épisodiquement dans les années 1970 puis de façon continue à partir de 1986. Les Unes traitent du niveau du SMIC et des bas salaires, du poids des charges sociales ainsi que de l’actionnariat salarié.

Les autres sous-thèmes font l’objet d’une couverture fortement discontinue sur l’ensemble de la période. S’agissant des restructurations, les Unes du Monde concernent principalement le secteur d’activité de Péchiney (« Le patronat de la sidérurgie présente son plan de restructuration », 1977) ou les secteurs et entités connexes (« Regroupements dans la métallurgie », 1987; « Restructurations chez Usinor », 1998).

Synthèse

Une première analyse nous conduit à constater une convergence entre les thèmes sociétaux abordés dans les rapports annuels de Péchiney et ceux couverts par le journal Le Monde. Les thèmes prépondérants sont l’environnement et les ressources humaines. Et, en moyenne, une part plus importante est accordée au thème des ressources humaines autant dans les rapports annuels que dans le quotidien.

Si l’on poursuit l’analyse, en abordant les sous-thèmes de diffusion sur l’environnement, une convergence supplémentaire entre les rapports annuels et le journal est à souligner. En effet, nous avons pu observer que la pollution constitue le thème de diffusion privilégié quel que soit le support sur toute la période d’observation.

A l’inverse, si le thème des ressources humaines est traité de façon prépondérante, autant dans les rapports annuels de Péchiney que dans le journal Le Monde, les thématiques abordées au sein de cette catégorie divergent fortement. Ainsi, alors que les thèmes des relations sociales et de l’aménagement du temps de travail sont les plus présents dans les unes du Monde, les problématiques de la formation et de l’hygiène et sécurité sont abordées de façon privilégiée dans les rapports annuels de Péchiney.

Dès lors, pour ce dernier thème, les communications sociétales de Péchiney ne semblent pas formulées dans le sens d’une réponse à des pressions du public s’exprimant via Le Monde. Nous avons souhaité cependant poursuivre l’analyse du lien entre diffusion environnementale et publication médiatique en raison de l’identité des thèmes environnementaux couverts par ces deux supports. Cet approfondissement nous conduit à rechercher l’existence d’une simultanéité d’occurrences des diffusions sur les deux médias période après période. Ainsi pourrait être justifiée la recherche de légitimation induite par la pression de l’opinion publique.

De cette analyse, il ressort une permanence de la couverture du thème de la pollution dans les Unes du quotidien Le Monde entre 1971 et 2000, à l’exception de quatre années où cette thématique n’est pas abordée. Sur cette même période, les diffusions sur la pollution au sein des rapports annuels de Péchiney, bien que prépondérantes par rapport aux autres sous-thèmes, apparaissent plus erratiques.

Les diffusions sur la pollution connaissent une forte amplitude autant dans les rapports annuels que dans les Unes du Monde et l’on peut constater une succession de pics de diffusion notamment au sein du quotidien. Les diffusions de Péchiney, qui ne présentent qu’un seul pic de diffusion, ne paraissent pas suivre ce même mouvement.

Discussion et conclusion

De la synthèse qui précède, il ressort que sur la base des seules données quantitatives nous n’avons pu établir de lien direct entre communication d’information sociétale et pression du public. Ce résultat est conforme aux études antérieures, notamment celle de Guthrie et Parker (1989). Toutefois, à l’instar de ces chercheurs, nous pouvons avancer que les choix effectués et les hypothèses retenues pour opérationnaliser la pression du public sont susceptibles d’expliquer ce résultat, et ce malgré les améliorations apportées à l’outil d’analyse mobilisé dans les premiers travaux.

Cette recherche procure cependant un certain nombre de résultats patents. Tout d’abord, l’étude des diffusions d’information sociétale qui couvre une période de 30 ans, permet de constater qu’il ne s’agit pas d’une pratique nouvelle ou « à la mode » mais qu’elle existe depuis de nombreuses années et de façon continue sur la période. Il est même intéressant de constater que Péchiney a pu consacrer une part très importante de son rapport annuel aux informations sociétales au cours des années 1970 (près de 13 % du rapport annuel en 1975). De l’analyse qui précède, certains éléments peuvent être soulignés qui sont susceptibles de confirmer le lien entre communication sociétale et mise en oeuvre d’une stratégie de légitimation. Ce sont en particulier les extraits des rapports annuels 1974 et 1975 qui apparaissent comme des éléments participant d’un discours visant à légitimer auprès du grand public les actions de l’entreprise. Godelier et Le Roux (2005) confirment l’existence d’une pression de l’opinion publique, celle-ci considérant les géants industriels comme responsable de la crise économique. Ils notent un échec de la direction de Pechiney dans la communication à l’attention du grand public. Ils indiquent ainsi que la stratégie du PDG Pierre Jouven a échoué parce qu’il n’avait pas préparé l’entreprise à une exposition de ses politiques sociales, économiques et écologiques.

Ce constat a pu être confirmé lorsque nous avons confronté la couverture médiatique des thèmes sociétaux par le journal Le Monde et les diffusions réalisées par Péchiney au sein de son rapport annuel. En effet, nous avons pu établir une identité des thèmes traités dans l’un et l’autre des media et souligner la prépondérance du thème des Ressources Humaines et de l’Environnement. Toutefois, si le thème des ressources humaines est le thème sociétal majeur dans Le Monde et dans les rapports annuels de Péchiney, les thématiques abordées relevant de cette catégorie diffèrent quelque peu. Pour ce qui est de l’environnement, nous avons pu constater que les deux medias traitaient de façon continue du thème de la pollution mais avec des intensités variables et à des moments distincts.

Au-delà de la signification des résultats, l’apport de cette recherche réside également dans le recours à des verbatim tirés des rapports annuels de Péchiney. Ces données qualitatives permettent de conforter l’hypothèse initiale d’une communication sociétale comme participant d’une stratégie de légitimation.

Enfin, cette recherche ouvre d’autres perspectives. Par exemple, des facteurs autres que la pression du public pourraient être envisagés pour expliquer les pratiques de diffusions sociétales de Péchiney : la personnalité du dirigeant, la structure du capital, le mimétisme sectoriel, le contexte socio-économique.

S’agissant de l’influence du dirigeant sur la politique de communication, Bowman et Haire (1975), Trotman et Bradley (1981) et Gibbins, Richardson et Waterhouse (1990) relèvent l’importance de la personnalité du dirigeant ainsi que leur horizon de décision pour comprendre le processus de diffusion de l’information sociétale.

Pour ce qui est de Péchiney, au cours de la période 1971 – 1998, l’entreprise a connu sept PDG avec des mandats de durée variable, de un an pour M.Grezel à huit ans pour M.Gandois. Cette succession de dirigeants aux personnalités et aux horizons de décision multiples est susceptible d’expliquer la discontinuité dans la diffusion d’informations sociétales du groupe au cours de la période et la variété des thèmes abordés.

Par ailleurs, pendant la période étudiée, Pechiney a connu plusieurs changements dans la composition de son actionnariat, et en particulier une nationalisation entre 1982 et 1995. La présence de l’Etat au capital de l’entreprise n’a pas semblé avoir été déterminante de sa politique de communication sociétale.

Le mimétisme sectoriel inciterait les entreprises à adopter une politique de communication similaire. Toutefois, Godelier et Le Roux (2005), dans leur comparaison de l’évolution des situations de Péchiney et Usinor après 1970, remarquent que l’appartenance à un même secteur n’implique pas une stratégie identique.

Concernant le contexte socio-économique, la crise des années 1970 et les restructurations qui lui sont associées ont obligé Pechiney à prendre en considération les conséquences sociales de ses activités. Ces facteurs structurels sont susceptibles d’expliquer les pics de diffusion constatés dans cette décennie. Ce constat renforce notre hypothèse d’une communication sociétale relevant d’une stratégie de légitimation.