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01. Introduction - Des crises et de l’éducation

La crise de l'éducation que nous connaissons n'est ni nouvelle ni isolée. Il y a un peu plus d’un siècle de cela, après la Première Guerre mondiale, des pédagogues du monde entier unissaient leurs efforts pour tenter de répondre aux défis de l’éducation suite aux ravages de la guerre en créant la Ligue internationale pour l’éducation nouvelle à Calais en 1921 (Condette et Savoye, 2016). Les principes édictés dans la charte posaient clairement l’intention des pédagogues de former un homme nouveau, qui soit un citoyen du monde éclairé, à l’instar du septième principe de ralliement publié dans les premiers numéros des revues en trois langues de la ligue :

« L'éducation nouvelle prépare, chez l'enfant, non seulement le futur citoyen capable de remplir ses devoirs envers ses proches, sa nation, et l'humanité dans son ensemble, mais aussi l'être humain conscient de sa dignité d'homme » (Serina-Karsky, 2013, p. 154).

En ce début du XXIe siècle, les défis de l’éducation semblent de plus en plus nombreux au regard de l'évolution des crises qui secouent la planète et semblent s'accélérer avec la perte de biodiversité, l'épuisement des ressources naturelles et l'apparition des pandémies. Déjà en 1972, le professeur Denis Meadows, auteur du rapport sur « Les limites de la croissance », avait averti de la nécessité de revoir le modèle de développement en vigueur. Il s'agissait non seulement d'éduquer la population à transformer ses habitudes de consommation extrême en un mode de vie plus conscient de la nécessité de sauver la planète, mais aussi de changer la façon dont le développement était envisagé : « Nos élites ont passé leur vie à concevoir la croissance comme la solution à tous les problèmes » (Hortense et Meadows, 2022).

La période de grands changements que nous vivons s’accompagne d’importantes révolutions, telles que l’avancée des nouvelles technologies avec le métavers et l’intelligence artificielle, mais aussi d’une période d’incertitude, de catastrophes naturelles à cause du dérèglement climatique et de la recrudescence de la pauvreté et des inégalités croissantes (Morin, 2020). Nos sociétés se voient confrontées à un contexte ambivalent : d’une part la démocratisation du savoir et de la communication et d’autre part l’existence d’un monde de plus en plus fracturé. La prise en compte du monde dans sa complexité ne peut plus être ignorée et suppose d’envisager l’éducation sous ce nouvel angle pour former l’humain de demain à devenir un citoyen du monde capable d’évoluer dans l’incertitude (Unesco, 2021).

Les populations et les sociétés les plus pauvres subissent principalement les conséquences du réchauffement climatique (sécheresses, inondations) et ne bénéficient pas facilement d’un accès aux nouvelles technologies. L’exemple le plus significatif est celui de la pandémie du Covid 19. Les actions des gouvernements et de la société civile n’ont pas été les mêmes, faute des capacités financières et des tissus sociaux. Au niveau du secteur éducatif, les pays les plus riches ont pu maintenir les liens avec les étudiants et relever les défis de la continuité pédagogique en utilisant les nouvelles technologies. Ainsi que l’ont démontré des organismes internationaux, les pays mieux pourvus financièrement obtiennent de meilleurs résultats en matière éducative :

« Les inégalités de richesse influent sur l’éducation de multiples manières. Elles se traduisent par l’exclusion des pauvres, laquelle sape la cohésion nécessaire à la prospérité, et à la bonne gouvernance des sociétés. Elles rendent également plus difficile la mission des écoles, qui doivent uniformiser les règles du jeu pour des publics issus de situations hétérogènes et chez qui le niveau de soutien à l’éducation est très différent-problème d’autant plus crucial que la garantie pour tous d’une égalité des chances à l’école est une condition préalable pour des futurs plus justes et équitables » (Unesco, 2021, p. 27).

Les pays en voie de développement quant à eux, ainsi que les communautés et le monde rural, ont souffert de la pénurie des équipements technologiques, d’un grand manque de professeurs formés pour affronter ces défis et d’une lente adaptation par l’absence de ressources économiques et du capital social (OCDE, 2020).

Toutefois, si la jeunesse profite de cette démocratisation du savoir grâce à de nouveaux outils de communication tels les réseaux sociaux ou les programmes d’intelligence artificielle, l’utilisation de ces nouveaux moyens de communication est dépourvue d’esprit critique et il apparaît dès lors nécessaire de mettre en place un cadre éthique. Au-delà d’un cadre, il est nécessaire de redonner à l’éthique toute sa place dans la connaissance. En considérant que « l’éthique se manifeste à nous, de façon impérative, comme exigence morale » tant par une source intérieure à l’individu que par une source extérieure provenant des normes sociales et culturelles et par une source antérieure transmise génétiquement (Morin, 2008a, p. 2219), Edgar Morin invite à utiliser la pensée critique pour relier éthique et connaissance. C’est en référence à Pascal, pour qui le principe de la morale réside dans l’action de travailler à bien penser, que Morin exprime dans son éthique de pensée que « l’éthique doit mobiliser l’intelligence pour affronter la complexité de la vie, du monde, de l’éthique elle-même » (Morin, p. 2266). Il reconnait ainsi la pensée complexe comme établissant le lien entre le savoir et le devoir, l’éthique ne pouvant être conçue comme insulaire. Il s’agit de « travailler à bien penser » pour reconnaitre la complexité humaine en reliant individu, société, espèce, et permettre d’inscrire l’action morale dans l’écologie de l’action (p. 2268-2269). Si toute connaissance peut être mise au service de la manipulation, Morin précise que la pensée complexe, par la pensée critique qu’elle comprend, conduit à une éthique de la solidarité, qu’elle « nourrit d’elle-même l’éthique » (p. 2270). Or à l'ère des réseaux sociaux, nous sommes submergés par une marée d'informations parmi lesquelles il est difficile de distinguer le vrai du faux, ce qui a donné naissance au concept de « fake news » ou « infox ». Le Nouveau Monde de l'information a ouvert la porte à la démocratisation de la production de connaissances. Ce ne sont plus uniquement les journaux qui les diffusent, mais aussi les citoyens qui ont le pouvoir de participer au débat démocratique à travers les réseaux sociaux. Cette nouvelle réalité mêle également la rapidité du flux d'informations, la difficulté de vérification de la vérité et une grande quantité d'émotions. C’est pourquoi il est nécessaire d’éduquer les nouvelles générations à la réflexion, à la comparaison de plusieurs points de vue et à la recherche d'informations concernant les possibles intérêts qui sous-tendent telle ou telle information. Cette nouvelle donne sociétale implique également une éducation sur les limites et les devoirs de tout citoyen dans le débat démocratique. L'esprit critique et l'éthique sont fondamentaux dans l’éducation des nouvelles générations :

« Enfin, peut-être surtout, il faudra, pour échapper aux griffes des médias addictifs et destructeurs, penser à un autre rapport au temps. Cela supposerait de réduire la vitesse de circulation des informations et des messages personnels ; d’apprendre à se déconnecter régulièrement des médias, de ne pas se contenter de la gratification sommaire du nombre de gens qui approuvent les messages ; de lire des livres, de prendre le temps de réfléchir, de converser avec des gens réels, sans être connecté, d’imaginer de rêver, de méditer » (Attali, 2021, p. 413).

Dans ce contexte, le dernier Rapport Mondial sur les Futurs de l’éducation de l’UNESCO paru en 2021 expose clairement comment notre modèle économique est basé sur une consommation excessive de ressources, sur un modèle individualiste qui privilégie les profits à court terme et la concurrence, où la concentration des richesses est dans les mains d’un groupe très restreint de la population mondiale. Ce scénario économique s’accompagne au niveau politique de divers phénomènes : la montée des autoritarismes, de l’extrémisme politique et l’avancée des gouvernements populistes. Ces situations amènent aussi à une recrudescence de la polarisation politique, à l’institutionnalisation d’un discours de la haine, du racisme, de l’intolérance, des discriminations et d’une violence qui se banalise dans nos sociétés (Unesco, 2021).

L’accélération de la mondialisation augmente les déplacements ainsi que l’asservissement des groupes autochtones, des réfugiés, des migrants, des défenseurs de l’environnement ; tel est notamment le cas des pays latino-américains, et plus particulièrement de la Colombie. Le cas de la Colombie est assez emblématique en raison de la guerre qu'elle a menée pendant plus de cinquante ans contre les guérillas d'extrême gauche, de sa lutte contre le trafic de drogue qui s'est répandu dans plusieurs pays de la région, notamment au Mexique, et de l'accueil relativement récent d'une vague de migrants en provenance du Venezuela, composée de près de deux et demi de millions de personnes que l'État colombien a accueillies. Selon l’Organisation des Nations unies, le chiffre des Vénézuéliens exilés dans le monde est équivalent au chiffre des Ukrainiens exilés :

« Il y a 6,8 millions de réfugiés et migrants vénézuéliens dans le monde entier, dont environ 5,7 millions se trouvent en Amérique latine, selon la plateforme R4V, la Plateforme Régionale de Coordination Interagences pour les Réfugiés et les Migrants du Venezuela, dirigée conjointement par le HCR et l'OIM. Ce chiffre mondial équivaut au nombre de réfugiés ukrainiens et dépasse celui des Syriens, selon l'ONU. La Colombie est le pays qui a accueilli le plus de Vénézuéliens : en février 2022, selon Migración Colombia, ce nombre atteignait près de 2,5 millions. Derrière la Colombie, et à une grande distance se trouve le Pérou, où les chiffres officiels indiquent qu'il y a environ 1,3 million. En troisième position se trouve l'Équateur, qui abrite environ 500 000 citoyens vénézuéliens » (CNN Español, 2022).

Tous ces éléments font de ce pays un exemple, non seulement en raison de la réalité inhumaine de la guerre et des déplacements de la population pour des raisons politiques ou économiques, du fléau de la drogue et de ses enjeux transnationaux, mais aussi des conséquences environnementales sur la déforestation. Ce pays, qui a signé la paix entre la guérilla d’extrême gauche FARC-EP[1] et le gouvernement de l’ancien président et Prix Nobel de la Paix Juan Manuel Santos en 2016, se retrouve avec un nombre important de leaders paysans assassinés par des groupes illégaux. En 2019, l’ONG britannique Global Witness, constate que 212 défenseurs ont été tués en Colombie. Les militants de l’environnement se retrouvent au centre d’un conflit entre différents groupes paramilitaires, dissidents d’extrême gauche qui veulent contrôler le territoire pour la production illégale de feuilles de coca (Thirouard, 2020).

Cette réalité complexe nous amène à une crise de confiance envers les institutions, à une recrudescence de la polarisation politique et à un manque de débats éclairés sur « la chose publique », sur la démocratie et sur le bon devenir de nos sociétés :

« Et que trouvons-nous en face ? Des consciences dispersées, des révoltes réprimées, des associations de solidarité, un peu d’économie sociale et solidaire, mais aucune force politique cohérente disposant d’une pensée guide telle que celle que je préconise » (Morin, 2021, p. 117).

Comment cette crise s’inscrit-elle dans nos institutions éducatives et comment nos institutions éducatives peuvent-elles y faire face ?

La crise de l’éducation telle qu’elle a été présentée par le Secrétaire Général des Nations Unies, Antonio Guterres, au Sommet sur la transformation de l’éducation le 16 septembre 2022, est profonde et ne regarde pas uniquement les défis de l’égalité ou de l’équité[2]. Deux éléments participent à cette évidence. Les systèmes éducatifs ne sont plus adaptés à leurs objectifs et l’enseignement actuel omet des axes essentiels : celui des compétences pour réussir aujourd’hui et demain, telles que les compétences cognitives pour renforcer la pensée critique, mais aussi des compétences relationnelles telles que l’empathie, nécessaires pour apprendre à vivre dans un monde commun (Guterres, 2022). Son message rejoint les pensées d’intellectuels contemporains, responsables et leaders provenant de continents divers. Des similitudes existent en effet entre les rapports des Nations Unies, les pensées d’un intellectuel français reconnu comme Edgar Morin, ou encore de la philosophe américaine Martha Nussbaum.

Les deux philosophes plaident pour une éducation qui refuse toute discrimination basée sur la nationalité, l’origine, la religion, le sexe, le genre. Ils plaident pour une éducation qui concoure à ce que les nouvelles générations se préoccupent et soient concernées par la vie des autres, qu’elles aient la capacité de concevoir leur pays comme une fraction d’un ordre mondial complexe. En d’autres termes, une éducation qui forme des citoyens capables de débattre, de penser et soient dotés d’émotions morales pour favoriser la coopération et la compassion envers autrui. Ces éléments sont en fin de compte les aspects qui définissent l’éducation à la citoyenneté mondiale, ce concept qui nous interroge sur la nécessité de nourrir les consciences de tous et de chacun à la fois, ayant une vision commune du vivre ensemble, au-delà des frontières (Tawil, 2013).

En nous attachant à centrer nos propos sur l’éducation complexe en référence aux travaux d’Edgar Morin sur l’éducation[3], enrichis de ceux de Martha Nussbaum sur la citoyenneté mondiale, nous souhaitons par cette contribution apporter un éclairage pour répondre aux défis que pose l’éducation à la citoyenneté mondiale, à partir de questions, de réflexions théoriques, mais également d’expérimentations en cours.

Pourquoi est-il important aujourd’hui d’éduquer les nouvelles générations au regard de cette philosophie éducative ?

Qu’elles sont les valeurs qui peuvent guider notre engagement en tant que citoyen du monde à la lumière de la pensée complexe d’Edgar Morin ?

Comment une citoyenneté active peut-elle contribuer à trouver des solutions durables ?

Finalement, quels sont les moyens de collaboration et les actions que nous devons encourager ?

Pour aborder ces questions dans toute leur complexité et dans le but d'explorer non seulement les défis actuels de l'éducation, mais aussi de tracer des voies et un chemin d'espoir pour esquisser une solution à la crise mondiale d'aujourd'hui, nous commencerons par définir le concept de « citoyenneté mondiale » et exposer les défis qu'il engendre dans un monde en constante évolution.

Dans un deuxième temps nous présenterons le regard des intellectuels pour penser l’éducation dans ce monde complexe, à partir des principaux axes soulevés par Edgar Morin dans son livre Les sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur (2000) ainsi que les propositions de la philosophe américaine Martha Nussbaum, présentes principalement dans son ouvrage Les émotions démocratiques (2011) et qui rejoignent les idées du philosophe français sur la citoyenneté mondiale.

Ensuite nous aborderons quelques exemples susceptibles de constituer une piste pour forger cette citoyenneté mondiale, en exposant notamment le cas de la philosophie africaine Ubuntu, mis en avant par le prix Nobel de Paix Nelson Mandela et la vice-présidente de Colombie Francia Marquez. Ce choix vise à démontrer comment des approches académiques et scientifiques, telles que les concepts discutés par deux philosophes, Martha Nussbaum et Edgar Morin, travaillant sur deux continents différents, l'Amérique et l'Europe, convergent, non seulement entre elles, mais aussi avec les racines culturelles et philosophiques des sociétés africaines. À cela s'ajoute la réalité de la vice-présidente de Colombie, Francia Marquez, la première femme noire à occuper cette fonction, qui plaide en faveur d'une véritable réconciliation nationale et, plus largement, régionale en Amérique latine, tout en promouvant les valeurs universelles de solidarité, d'égalité et de fraternité inhérentes à la philosophie de l'Ubuntu. Cette approche comparative permet d'illustrer que la citoyenneté mondiale n'est pas simplement une idée théorique ou idéaliste, associée aux pays occidentaux, mais une réalité nécessaire pour coexister dans un monde commun. Enfin nous exposerons les activités que notre institution, la Faculté d’Éducation et de Formation de l’Institut Catholique de Paris, développe sur cette thématique.

02. Les défis de l’éducation à la citoyenneté mondiale dans un monde complexe

2.1 Un monde en mutation et de plus en plus interconnecté

D’après les travaux de la sociologue française Dominique Schnapper sur la citoyenneté (2000), il est indispensable que les membres d’une société aient un minimum de confiance pour établir des liens. L’acceptation des différences d’origines, des croyances et des conditions sociales caractérise la citoyenneté. Il s’agit d’un espace abstrait au sein duquel les individus sont libres et égaux, sont dotés de droits et de devoirs et sont reliés par un « vivre ensemble » :

« Le citoyen n’est pas un individu concret. On ne rencontre pas le citoyen, c’est un sujet de droit. Il dispose à ce titre de droits civils et politiques. Il jouit des libertés individuelles, la liberté de conscience et d’expression, la liberté d’aller et venir, de se marier, d’être présumé innocent s’il est arrêté par la police et présenté à la justice selon une loi égale pour tous. Il dispose des droits politiques : participer à la vie politique et être candidat à toutes les fonctions publiques. En revanche, il a l’obligation de respecter les lois, de participer à la vie politique et être candidat à toutes les fonctions publiques. En revanche, il a l’obligation de respecter les lois, de participer aux dépenses collectives en fonction de ses ressources et de défendre la société dont il est membre, si elle se trouve menacée. La citoyenneté définit un ensemble de droits et de devoirs réciproques. Le citoyen réclame légitimement de l’État le respect de ses droits parce que l’État réclame légitimement du citoyen l’accomplissement de certains devoirs […] La citoyenneté organise une société dont tous les membres sont juridiquement et politiquement égaux, quelles que soient leurs origines et leurs caractéristiques. Elle repose sur l’idée d’égale dignité de tous les êtres humains » (Schnapper, 2021, p. 17).

Pour l’historien René Rémond, la citoyenneté va de pair avec la notion de civisme qui implique d’être acteur dans une collectivité, de s’intéresser, de se former et de participer aux actions qui touchent à la vie de la communauté. En constatant que le civisme est un comportement et que la citoyenneté est vécue au quotidien, Rémond affirme que « le civisme, c’est aussi s’intéresser à la chose publique, s’en tenir informé, y prêter attention, se former de convictions raisonnables et éclairées. C’est également participer aux divers processus dont dépendent les décisions intéressant les affaires communes, notamment les consultations électorales. Sur ce point, le civisme donne la main à la citoyenneté. Souhaitable sous tous les régimes, il est un impératif en démocratie qui repose sur le principe que tout citoyen est acteur : elle ne saurait se passer de son concours actif ». Il poursuit que le civisme est un comportement, qu’il « se pratique dans le respect des règles et [qu’]il s’exprime par des gestes élémentaires qui facilitent la vie commune. Ceux-ci peuvent paraître insignifiants. Mais le civisme, c’est aussi de se dire que rien n’est inutile et de se conduire à chaque instant comme si de notre comportement personnel dépendaient le cours de l’histoire et l’avenir du monde » (Rémond, 2021, p. 18).

En ce sens, la citoyenneté mondiale repose sur une capacité de comprendre les enjeux mondiaux, d’apprécier la diversité culturelle et l’un de ses buts est d’agir pour un monde plus juste, pacifique et durable. Il faut noter que c’est surtout un sentiment d’appartenance à une collectivité qui reconnaît des principes qui ont vocation de devenir universels : justice, égalité, dignité et solidarité.

Dans le document intitulé L'éducation pour la citoyenneté mondiale élaboré par Sobhi Tawil, directeur des Futurs de l'éducation à l'Unesco, les principaux débats autour de cette notion sont soulevés. Tout d'abord, il est important de noter que la citoyenneté mondiale, également nommée citoyenneté cosmopolite ou citoyenneté active, suppose non pas un statut juridique avec des droits et des devoirs, mais plutôt un sentiment d'appartenance à une communauté mondiale qui relie l'échelle locale et l'échelle internationale :

« En effet, l’éducation à la citoyenneté mondiale n’est rien d’autre que la tentative d’enrichir et de renforcer la pertinence de l’éducation à la citoyenneté locale ou nationale. En adaptant ce qui a été esquissé plus haut, nous pouvons dire que les systèmes éducatifs contribuent à la formation de la citoyenneté dans le contexte de la mondialisation au travers de la promotion de savoirs, de savoir-faire et de valeurs permettant aux apprenants de développer une identification, une compréhension et une prise de conscience, ainsi qu’un engagement dans l’action, à la fois avec leur environnement social, culturel et politique ainsi qu’avec l’humanité et la communauté mondiale dans son ensemble » (Tawil, 2013, p. 133-144).

Elle se nourrit d'un apprentissage qui englobe une éducation tout au long de la vie, depuis la petite enfance, en passant par l'adolescence jusqu'à l'âge adulte, et peut avoir lieu dans des cadres formels ou informels. Cette éducation peut inclure des domaines tels que « l'éducation à la paix », « l'éducation aux droits de l'Homme », « l'éducation axée sur le développement durable » et « l'éducation à la compréhension internationale », et elle est présente dans différentes régions du monde, du Nord au Sud (Tawil, 2013).

La citoyenneté mondiale inclut également une « éducation civique », présente dans des contextes de post-conflit, comme c'est le cas dans des pays qui ont signé un accord de paix, tel la Colombie en Amérique latine.

Après cinquante ans de guerre, il est nécessaire de reconstruire le tissu social détérioré, de renforcer la participation démocratique et les principes universels de justice, d'égalité, de liberté et plus généralement de respect des droits de l’Homme :

« La Commission pour l'Éclaircissement de la Vérité, la Coexistence et la Non-Répétition, en tant que mécanisme temporaire et extrajudiciaire du Système Intégral pour la Vérité, la Justice, la Réparation et la Non-Répétition (SIVJRNR), vise à découvrir la vérité sur ce qui s'est passé dans le cadre du conflit armé, à contribuer à élucider les violations et infractions commises pendant celui-ci, et à fournir une explication approfondie de sa complexité à l'ensemble de la société » (Comision de la verdad, 2022).

Ce concept peut également être abordé selon deux approches complémentaires. Par des approches minimalistes et conservatrices dont l'objectif est de transmettre l'histoire de l'ordre social et du fonctionnement des institutions : dans cette perspective, les axes les plus développés sont l'histoire de l'ordre social, le fonctionnement des institutions, l'éducation à la citoyenneté et l'éducation civique. Il existe aussi une approche plus progressiste et critique qui encourage les apprenants à participer dans un cadre social en évolution. Cette dimension s'inscrit dans un monde en mutation qui reconnaît les droits des minorités et qui lutte pour un rôle de plus en plus important des femmes dans la société, ainsi que pour une éducation inclusive (Tawil, 2013).

La société d'aujourd'hui est marquée par une large mobilité des individus de plus en plus interconnectés, des transformations rapides sur le marché du travail, une économie interdépendante et une communication quasi instantanée grâce aux nouvelles technologies. C'est dans cette approche avant-gardiste et novatrice que la participation civique active des apprenants favorise une éducation qui les conduit à devenir de véritables acteurs.

On peut affirmer qu’il y a deux grands éléments où repose la notion de citoyenneté mondiale :

  • Une interconnexion croissante à partir des échanges entre les individus, les sociétés et les nations à l'ère de la mondialisation

  • Les défis mondiaux auxquels nous sommes tous confrontés, au Nord et au Sud, tels que le changement climatique, les inégalités, les conflits, les migrations et la pauvreté.

2.2 Les enseignements de la pandémie Covid-19

La pandémie Covid-19 a mis en évidence ces deux concepts de manière frappante. Elle a révélé la fragilité le système éducatif dans le monde entier. Selon une étude de l'OCDE, 1,7 milliard d'élèves et d'étudiants ont été touchés par la fermeture des écoles à travers le monde (OCDE, 2020).

Cette crise mondiale a bouleversé la manière d'enseigner. Nous avons tous vécu la fermeture des établissements, la transition vers l'enseignement à distance, le retour progressif en classe et les stratégies d'urgence mises en place, que ce soit dans l'organisation de l'apprentissage, les conditions de travail des enseignants ou les conséquences pour les étudiants et les professeurs. Selon les indicateurs de l'OCDE en 2022, le nombre de jours d'absence des enseignants a considérablement varié d'un pays à l'autre[4]. Il a augmenté pendant la pandémie, tant dans l'enseignement primaire que dans l'enseignement secondaire. Cependant, il a été difficile de déterminer si cette augmentation était due à l'infection au Covid-19, à la mise en quarantaine des enseignants, ou indirectement à des problèmes de santé causés par le stress engendré par la pandémie.

La réponse des pays pour atténuer les effets négatifs de la fermeture des écoles et des universités a été unanime avec la mise en place de l'enseignement à distance. Aujourd'hui, la transmission des connaissances, entendue dans le cadre de l’éducation formelle nationale, se répartit en cours en présentiel, en cours hybrides ou asynchrones, se déroulant ainsi uniquement en salle de classe, ou bien en classe avec des étudiants à distance, ou encore totalement à distance avec des étudiants se formant à l'aide de matériel pédagogique préparé à l'avance par les enseignants. Ces modalités pédagogiques sont généralisées dans tous les systèmes éducatifs du monde, dans toutes les disciplines et dans tous les établissements d'enseignement supérieur.

Un autre élément qui démontre cette interconnexion résulte de la santé mentale des élèves qui est au cœur des préoccupations des pouvoirs publics lors des mesures de relance postpandémie. Selon la même étude, dans 21 des 30 pays membres de l'OCDE, les élèves inscrits dans l'enseignement primaire et secondaire ont bénéficié d'un soutien psychologique et socio-affectif supplémentaire en raison de la pandémie de Covid-19. Cependant, cela n'a pas été le cas dans certaines régions du monde, comme l'Amérique latine et l'Afrique, qui sont confrontées à de nombreux défis. Non seulement elles ont une éducation de mauvaise qualité, un manque de systèmes de bien-être et une situation d'exclusion, mais elles sont également confrontées à un sous-financement des systèmes éducatifs.

Ces deux situations – des méthodes pédagogiques de plus en plus globales et des conséquences communes – nous amènent à réfléchir à l'activation d'une citoyenneté mondiale qui permettrait a priori aux nouvelles générations de contribuer à trouver des solutions durables.

2.3 Les défis de notre temps

Les défis mondiaux auxquels nous sommes confrontés nous amènent à discuter ensemble du chemin à suivre pour mettre en place des actions durables. C’est ce qui a été réalisé dans le Rapport de la Commission Internationale sur les futurs de l’éducation de l’Unesco, un nouveau contrat social pour l’éducation, une discussion mondiale sur le rôle que l’éducation devra jouer d’ici 2050 (Unesco, 2021). Ce texte expose les préoccupations et les espoirs de la communauté éducative mondiale et propose des axes de travail. Trois grands thèmes sont soulevés : la coopération, la solidarité et l’interdépendance.

Parmi les différents défis, citons celui du changement climatique qui a des effets directs sur l’accès à l’éducation des populations. Les effets climatiques, des canicules ou des sécheresses, peuvent déplacer les populations des lieux d’enseignement. Le bien-être peut être aussi menacé par l’insécurité alimentaire, comme tel est déjà le cas dans des pays d’Amérique Latine et d’Afrique. La propagation de maladies peut aussi empêcher le droit à l’éducation.

C'est pourquoi aujourd'hui, nous avons besoin d'approches éducatives innovantes qui favorisent le développement de compétences d'adaptation face aux changements climatiques, ainsi que de compétences civiques pour promouvoir la coexistence. Les formidables avancées technologiques choquent avec les exclusions des sociétés les plus pauvres. Il est nécessaire aussi de penser dans un concept large l’alphabétisation numérique pour tous, le droit à la connectivité, aux données et à l’information.

Les curricula sont un instrument précieux pour transmettre le savoir sur les axes écologiques, technologiques et une vision transdisciplinaire. C’est le moyen aussi de développer l’intérêt et les consciences des étudiants et de renforcer des principes à vocation de devenir universels, tels que la dignité humaine, les droits de l'Homme, la justice sociale ou la paix. Ces instruments sont à la base d’une éducation à la citoyenneté mondiale active et ces valeurs peuvent guider l’engagement en tant que citoyens du monde.

Historiquement, nous avons été éduqués formellement à acquérir quasi exclusivement des compétences nécessaires au monde du travail (Nussbaum, 2011). Certes, si l’éducation doit s’adapter aux besoins du marché de travail, il ne faut pas regarder uniquement des connaissances pointues pour le marché du travail ou des compétences entrepreneuriales. Le dossier de l’Unesco atteste la nécessité de « désapprendre » une idéologie de l’individualisme passif. La pédagogie doit refléter l’interdisciplinarité, une pédagogie de l’interdépendance et de la solidarité. En effet le sentiment d’engagement, apprendre au service d’autrui et la pédagogie de la solidarité sont les éléments centraux du concept de la citoyenneté mondiale du XXIe siècle.

03. Les apports de l’éducation complexe à l’éducation à la citoyenneté mondiale : le regard des intellectuels

Ces éléments nous permettent de comprendre pourquoi il est essentiel que nous travaillions dans un nouveau cadre pour penser une éducation à la citoyenneté mondiale. Il apparait nécessaire de développer des compétences pour comprendre les enjeux mondiaux, promouvoir un dialogue interculturel et agir en tant que citoyen engagé, dans un monde complexe.

3.1 L’éducation complexe d’Edgar Morin

Edgar Morin est un sociologue et philosophe français né en 1921. Il est l'auteur de plus de soixante ouvrages et a reçu trente-huit doctorats honoris causa à travers le monde qui témoignent de l’importance accordée à sa « Méthode », à travers laquelle il propose une approche de ce qu’il nomme la complexité et qui correspond à une vision holistique du monde.

On ne peut comprendre la pensée de l’éducation de Morin sans reprendre ce qui constitue pour lui l’enjeu de l’éducation aujourd’hui, celui d’éduquer à l’humain, pour apprendre à vivre (Serina-Karsky, 2022). Morin expose ses idées en matière de réforme pédagogique en une trilogie : La tête bien faite (1999), Les sept savoirs de l’éducation du futur (2000), Enseigner à vivre (2014). Sa vision anthropologique de l’éducation s’inscrit dans une visée sociétale qui fait de chacun un citoyen d’un monde qui se transmet, et qu’il lui appartient tant de préserver que de construire. L’éducation complexe apparaît ici comme un préalable et un socle nécessaire à toute réforme éducative (Serina-Karsky, Parayre et Mutuale, 2020).

Qu’en est-il de ces réformes ? C’est dans Les sept savoirs de l’éducation du futur (2000) que Morin développe sept axes nécessaires à la création d’un nouveau modèle non seulement éducatif, mais aussi politique, économique, social et culturel. Un modèle où le profit et la croissance ne soient pas le but ultime de la société. Pour cela, il faut engager une réforme éducative susceptible de changer les mentalités des citoyens et leurs valeurs. Tout au long du texte, nous retrouvons ce qui fait sens pour Morin : le lien. Il s'agit en effet de mettre au jour le caractère dialogique « qui unit de façon complémentaire des termes antagonistes », pour instaurer une démocratie qui permet une relation riche et complexe entre individu et société :

« Où les individus peuvent s'entraider, s'entre-épanouir, s'entre-réguler, s'entre-contrôler » (2014, p. 60-61). Afin de réaliser « l'épanouissement et la libre expression des individus », Morin propose d'ajouter à cette relation celle qui unit individu et espèce « dans le sens de la réalisation de l'Humanité », et de considérer ainsi la triade « individu ↔ société ↔ espèce », comme participant à instaurer « une communauté planétaire organisée » (p. 66-67).

Le premier axe consiste en une réforme de la connaissance. Il est indispensable de relier les disciplines pour comprendre un monde devenu de plus en plus complexe. Le sociologue affirme que la meilleure manière d’affronter les défis est d’examiner l’ensemble, ce qu’il nomme « le tout », sans compartimentation des savoirs. Tel que raconté par Morin dans son ouvrage Leçons d'un siècle, c'est son ami Georges Delboy, fortement marqué par son professeur de philosophie marxiste, qui l'encouragea à suivre la pensée de Marx :

« La pensée de Marx me guida, notamment celle des Manuscrits économico-philosophiques, où il avance que sciences de la nature et sciences de l’homme doivent s’entre-embrasser. J’étais alors convaincu que les infrastructures des sociétés humaines sont matérielles et économiques et que les idées, mythes ou croyances ne sont que superstructures dépendantes » (Morin, 2021, p. 71).

Cependant, quelques années plus tard, en écrivant L'Homme et la mort, il se rendit compte que les processus idéologiques, le mythe et la religion étaient tout aussi importants que le processus économique. Cette découverte l'influença pour abandonner la vision marxiste :

« Mon cheminement vers une connaissance complexe de l’humain m’a amené à l’ultime question inéluctable : qu’est-ce que la connaissance humaine peut connaitre de l’homme lui-même ? J’ai perçu les carences de notre mode de connaissance dominant fondé sur la disjonction (de ce qui est lié) et la réduction (d’un tout à ses éléments constitutifs), d’où les difficultés de connaissance » (Morin, 2021, p. 76).

Aujourd’hui plus que jamais pour affronter les défis de notre temps, il est nécessaire d’aborder les différentes dimensions des événements – économiques, sociales, politiques ou culturelles – si l’on veut proposer des solutions.

Dans ce cadre, la réforme de l’éducation doit également préparer les jeunes à détecter les possibles erreurs et illusions. La connaissance est un processus individuel au cours duquel chacun effectue une traduction et une reconstruction cérébrale tout à fait subjectives. L’éducation doit permettre à chacun à détecter des erreurs ou des illusions qui pourraient interférer dans le processus cognitif. Plusieurs exemples, tels que l’égocentrisme ou l’endoctrinement, peuvent conduire tout individu à des errements. L’éducation requiert par conséquent de former des femmes et des hommes qui puissent critiquer, mais aussi et surtout s’autocritiquer. L'immédiateté de l'information et la pauvreté des débats nous incitent à concentrer l'éducation à la citoyenneté mondiale sur le débat d'idées et la lutte pour la lucidité.

Un deuxième aspect de la réforme repose sur l’enseignement de la complexité. Outre le lien entre les individus, il s'agit également de recréer le lien entre les connaissances sans lequel elles restent vides de sens. La question est alors de savoir comment avoir accès aux connaissances, comment les articuler et les organiser et, enfin, comment « percevoir et concevoir le Contexte, le Global (la relation tout/parties), le Multidimensionnel, le Complexe », autant de dimensions que l'éducation doit permettre de rendre évidentes si l'on veut garder à la connaissance sa pertinence. Morin prend alors appui sur le principe de Pascal pour penser l'éducation du futur :

« Toutes choses étant causées et causantes, aidées et aidantes, médiates et immédiates, et toutes s’entretenant par un lien naturel et insensible qui lie les plus éloignées et les plus différentes, je tiens impossible de connaître les parties sans connaître le tout, non plus que de connaître le tout sans connaître particulièrement les parties » (2000, p. 16).

C'est ainsi que l'éducation, en s'attachant à tisser ensemble les différents éléments qui constituent un tout, permet d'entrer dans la dimension globale de la connaissance qui fait sens, c’est-à-dire une connaissance multidimensionnelle qui vise à différencier et unir plutôt que séparer et réduire.

Pour le troisième aspect de la réforme proposée, Morin nous questionne : qui sommes-nous ? d’où venons-nous ? Au XXIe siècle, l’humain est à considérer dans toutes ses dimensions. Nos facultés ne sont pas seulement d’ordre rationnel (Homo Sapiens), utilitaires (Homo economicus) ou techniques (Homo faber). Nous sommes tout autant des êtres irrationnels (Homo Demens), imaginaires (Homo imaginarius) et poétiques (Homo proeticus). Cet homme complexe qui ne vit pas uniquement de rationalité est donc aussi l’homme construit à partir de mythes ou de rites provenant des différentes cultures. L’éducation doit ainsi former « à la conscience de la complexité humaine » qui prend sa source dans le mélange des cultures et l'éthique de l'ère planétaire (2008b, p. 51). L’éducation à la citoyenneté mondiale est le terreau essentiel de cette proposition.

C'est là qu'intervient une quatrième dimension éducative, l'enseignement de l'entité terrestre. Selon Edgar Morin, il est essentiel d'enseigner l'histoire planétaire. Les leçons d'histoire, la connaissance des identités, des cultures et des diversités sont fondamentales pour instaurer une plus grande solidarité humaine. Partisan d'un enseignement à la compréhension humaine, d'une éducation à la civilisation, Morin prône une vision de l'élève dans sa globalité, en relation avec l'univers qui l'entoure et auquel il participe. Cela peut sembler étonnant, mais dans certains pays, comme en Colombie, l'histoire a été éliminée des programmes scolaires. Après 50 ans de guerre avec les guérillas d'extrême gauche, il est aujourd'hui vital d'éduquer les nouvelles générations avec une vision complète de l'histoire de la violence, des conflits et des victimes. C'est un défi majeur pour la société colombienne de connaître le récit de tous les acteurs impliqués.

Une cinquième réforme se situe autour de l’enseignement des incertitudes. Il importe de montrer que toute opportunité comporte également un risque. C’est pourquoi l’éducation doit se donner des principes et des stratégies pour affronter les vicissitudes du réel. Un exemple concret de cette approche est le projet « Coschool », une ONG[5] qui a été créée en réponse au besoin de développer les compétences socio-émotionnelles dans l'éducation du XXIe siècle en Amérique latine :

« Coschool naît en réponse à la nécessité du développement des compétences socio-émotionnelles dans l'éducation du XXIe siècle. Il existe un consensus mondial selon lequel ces compétences sont essentielles pour favoriser le bien-être individuel et collectif, ainsi que pour promouvoir des transformations positives dans la société. Coschool y parvient grâce à une méthodologie pédagogique innovante appelée "Edumoción", qui intègre l'émotion dans l'éducation et crée des environnements d'apprentissage positifs, ce qui se traduit par le développement réussi de compétences socio-émotionnelles et de bien-être tant chez les jeunes que chez les enseignants. Grâce à des méthodologies disruptives, à l'utilisation de la technologie et à des partenariats dynamiques avec les secteurs public, privé et caritatif, Coschool a déjà eu un impact direct sur 23 000 jeunes et 16 500 éducateurs » (Sarah-Kennedy, 2023, p. 3).

Aujourd’hui les résultats d’apprentissage des élèves vont de pair avec ceux de leur santé; c’est un processus complémentaire qui améliore le bien-être émotionnel et les compétences.

Les deux dernières réformes proposées par Edgar Morin s’insèrent dans l’enseignement de la compréhension humaine et de l’éthique du genre humain. Il est fondamental de former des personnes empathiques, généreuses et ouvertes à comprendre autrui.

Une telle éducation amènerait à plus de solidarité et développerait une plus vaste conscience de la citoyenneté planétaire. Si nous nous demandons en quoi est pertinent cet ensemble de réformes que préconise Edgar Morin, nous ne pouvons que constater à quel point, dans un monde marqué par la montée des périls populistes, les fanatismes ou la détérioration de l’environnement, et dans le contexte d’un modèle économique de plus en plus inégalitaire, un « humanisme régénéré » apparaît comme une alternative plus que souhaitable.

Au cours de ses nombreux écrits, Edgar Morin nous livre une défense du régime démocratique. Le sociologue, qui dans ses ouvrages reconnaît avoir connu les guerres et les totalitarismes du XXe siècle, s'alarme aujourd'hui des différentes crises de la pensée, de la famille, du sacré, écologique ou politique, et propose un humanisme régénéré. C'est à travers le régime démocratique qu'il encourage la participation citoyenne, la recherche d'un modèle plus juste et équitable, ainsi que la création d'une société plus transparente et responsable.

Une société capable de débattre, ouverte à la pluralité d’idées, est le terreau essentiel de toute vie démocratique. Dans un monde de plus en plus individualiste et compétitif, il est nécessaire de construire les bases d’une société qui se reconnaisse autour de la différence et qui puisse construire une véritable communauté. Éduquer à la complexité et en tenant compte des phénomènes complexes qui parcourent l’éducation apparaît dès lors comme une voie possible pour éduquer à la citoyenneté mondiale.

Les propositions soulevées par la communauté éducative à partir du nouveau contrat pour l’éducation de l’UNESCO vont de pair avec la pensée du philosophe français. Morin qui a célébré ses 100 ans en 2021, a saisi cette occasion pour publier un nouveau livre intitulé Changeons de voie : leçons du coronavirus. Celui qui connut ce siècle termine son introduction de la manière suivante :

« Cette crise ouverte par la pandémie m’a grandement surpris, mais elle n’a pas surpris ma façon de penser, elle l’a plutôt confirmée. Car finalement je suis l’enfant de toutes les crises que mes 99 ans ont vécues. Le lecteur peut comprendre maintenant que je trouve normal de m’attendre à l’inattendu, de prévoir que l’imprévisible peut advenir. Il comprendra que je craigne les régressions, que je m’inquiète des déferlements de barbarie et que je détecte la possibilité de cataclysmes historiques. Il comprendra aussi pourquoi je n’ai pas perdu espérance. Il comprendra donc que je veuille éveiller, réveiller les consciences en consacrant mes ultimes énergies à ce livre » (Morin, 2020, p. 23).

Certes, nous devons dire que depuis, le philosophe a écrit trois nouveaux livres, le dernier concernant l’actualité : De guerre en guerre. De 1914 à l’Ukraine (2023). Morin rappelle que depuis 1972, le professeur Dennis Meadows, auteur du rapport sur Les limites de la croissance (1972), a soulevé la nécessité de revoir le modèle économique en vigueur. Il faut éduquer et transformer les habitudes des citoyens. Il est nécessaire que la société passe d’une consommation extrême à un mode de vie plus conscient sur la nécessité de sauver la planète.

Avec l’étude de Meadows et son idée de revoir le modèle de développement, Morin sollicite un modèle moins compétitif et plus solidaire. Les crises, la précarité et le futur incertain nous questionnent en effet sur notre façon de concevoir le monde et la manière dont nous nous relions aux autres.

C’est pourquoi la réforme éducative que propose le sociologue est au cœur de la citoyenneté mondiale : elle doit permettre une régénération politique, une meilleure protection de la planète ainsi que l’humanisation de la société.

3.2 Former le citoyen du XXIe siècle selon Martha Nussbaum 

Martha Nussbaum est une philosophe américaine renommée qui a étudié dans des universités prestigieuses aux États-Unis et qui a écrit plusieurs ouvrages, dont un en 2010 parut en français l’année suivante sous le titre Les émotions démocratiques : comment former le citoyen du XXI e siècle ? (2011).

Elle affirme dans un entretien pour le journal italien Il corriere della sera, être née et avoir grandi dans une famille privilégiée, qui lui a permis de faire ses études dans des écoles prestigieuses de Philadelphie et postérieurement à Harvard (Scorranese et Nussbaum, 2020). Bien qu’elle ait eu la chance d’être éduquée dans des institutions favorisées, elle a compris très tôt que dans sa famille il n’y avait aucun intérêt pour les mauvaises conditions des communautés afro-américaines, l’oppression ou les problèmes de ségrégation. Dans cet entretien elle dévoile comment depuis très jeune, elle s’est attachée à comprendre l’autre, surtout ses souffrances.

C’est dans son livre Les émotions démocratiques qu’elle insiste sur une crise silencieuse dont personne ne parle. En citant des cas de l’enseignement secondaire ou supérieur aux États-Unis et en Inde, elle a montré comment la communauté éducative privilégie la création des curricula plutôt proches des matières scientifiques et techniques, laissant de côté l’enseignement humaniste : la musique, le théâtre, la philosophie ou les arts. Nussbaum rejoint ainsi la pensée morinienne et propose un changement : l’éducation devrait revaloriser les humanités ce qui permettrait d’éduquer des jeunes plus curieux, actifs, autonomes, indépendants et capables de penser par eux-mêmes, plus critiques et plus intéressés envers autrui. Elle oppose l’éducation du profit à l’éducation de la citoyenneté. Elle insiste sur le rôle du débat socratique, fondamental pour vivre en démocratie et dans les sociétés multiculturelles.

Ainsi, Nussbaum ne s’oppose pas à l’étude des disciplines dites dures, à l’économie ou encore à l’ingénierie, elle cherche à revaloriser les humanités. Dans le cas des États-Unis, la philosophe constate que l'abolition de l'éducation socratique et des humanités a conduit à l'adoption d'une approche axée sur la mémorisation en vue de préparer aux examens standards traditionnels.

Elle prend notamment l'exemple de l'Inde, lorsque cette dernière a été brièvement gouvernée par le Parti Nationaliste Hindou. Selon Nussbaum, ce parti a proposé des manuels éducatifs décourageant la pensée critique. L'histoire de l'Inde présentée dans ces manuels ne faisait pas mention des réalités telles que les injustices liées à la classe sociale, à la caste, au genre ou à l'appartenance religieuse. Ce programme visait à inculquer aux étudiants une vision idéalisée de l'Histoire, dépeignant une image de bonté sans faille. L'objectif de ce programme était également de présenter les questions contemporaines de développement en mettant l'accent exclusivement sur la croissance économique, sans aborder les inégalités et les difficultés liées à la répartition des richesses.

La philosophe soulève le débat en Inde et dans le monde en ce qui concerne la prédominance des apprentissages technologiques et de gestion, au détriment des apprentissages humanistes. En d'autres termes, elle préconise une éducation qui s'appuie sur les principes exposés dans l'œuvre Émile ou De l’éducation de Jean-Jacques Rousseau (1762), qui a influencé plusieurs pédagogues renommés tels que le Suisse John Pestalozzi (1746-1827), le pédagogue allemand Friedrich Fröbel (1782-1852), les Américains Bronson Alcott (1799-1888) et John Dewey (1859-1952), ainsi que l'indien et lauréat du prix Nobel de littérature en 1913, Rabindranath Tagore (1861-1941).

Elle consacre dans son livre un chapitre aux « Citoyens du monde » dans lequel elle affirme :

« l’éducation pour la citoyenneté mondiale est un sujet vaste et complexe qui doit inclure des contributions de l’histoire, de la géographie, l’étude disciplinaire de la culture, l’histoire du droit et des systèmes politiques et l’étude de la religion - toutes ces disciplines interagissant les unes sur les autres et opérant de manière toujours plus sophistiquée à mesure que l’enfant grandit » (Nussbaum, 2010, p. 110).

Elle ne cache pas qu’une telle éducation est exigeante. Ce seront les écoles et les universités qui devront cultiver chez les étudiants leurs intérêts pour comprendre la société dans laquelle ils habitent et la relation de celle-ci avec le monde. Cette éducation doit aussi inclure l’apprentissage de plusieurs langues et cultiver l’imagination à partir de la littérature et des arts.

À l'Université, cet apprentissage peut être proposé de manière transversale, tant pour les disciplines humanistes que pour celles liées aux mathématiques, à la biologie ou à la physique. Un exemple concret en la matière est celui de l'Institut de technologie et de gestion de Mumbai qui a intégré l'étude des sciences humaines dans l'ensemble de son cursus. Un responsable de cet institut a confié à Nussbaum que cette innovation favorisait le respect mutuel entre les étudiants issus de différentes religions et castes. Selon la philosophe, bien que certaines universités travaillent sur la problématique de la citoyenneté mondiale, cela n'est pas du tout abouti durant les années cruciales de la croissance, c'est-à-dire de la petite enfance à l'adolescence.

Il est effectivement nécessaire de créer un paradigme de développement humain qui tienne compte des chances et des capacités de chacun. Les idées de Nussbaum trouvent de plus en plus d'écho. Un article récent du journal italien La Repubblica constatait une augmentation de 121% des choix d'études dans les domaines des humanités (langues, histoire, philosophie, études des médias) au sein de l'université renommée de Berkeley, ainsi que dans d'autres universités prestigieuses américaines. Cela démontre un intérêt croissant pour ces disciplines et une prise de conscience de leur importance dans l'éducation.

« Le nombre de diplômés postulant à Berkeley pour étudier les sciences humaines a augmenté de 43,2% par rapport à il y a cinq ans, et de 73% par rapport à il y a dix ans. À l'université d'Arizona, les diplômés en histoire et en langues ont augmenté de plus 30% par rapport à 2016, et de nouvelles tendances sont enregistrées dans d'autres facultés de premier plan, comme l'université d'État de l'Arizona et l'université de Washington. Ce qui est en train de se passer pourrait être le début d'un changement mental chez les jeunes, un changement qui pourrait lentement modifier, ou peut-être restaurer, le tissu social du pays au cours des vingt prochaines années, car il indiquerait la répudiation d'une approche qui, selon de nombreux observateurs, a fini par favoriser l'aspect économique des études, accélérant le déclin culturel, en faveur de l'affirmation du mensonge et de la haine » (Vacile, 2023).

04. Des pistes pour penser et construire une éducation à la citoyenneté mondiale

4.1 Un regard sur les racines africaines

Les réalités dans d'autres cultures peuvent s’assimiler aux propositions du sociologue Morin ou de la philosophe Nussbaum. L'exploration des racines culturelles africaines, en particulier la philosophie humaniste de l'Ubuntu, offre des perspectives intéressantes sur l'éducation à la citoyenneté mondiale. Tel qu’il est présenté par Adrien Chœur (2020), l'Ubuntu contient des canons de l’éducation à la citoyenneté mondiale, à savoir :

  • « Le sens de la communauté humaine ».

  • « Exister grâce aux autres »

  • « L’humanité de chacun est liée à l’humanité des autres »

  • « Une personne se construit à travers les autres personnes » (c’est la signification de la formule zouloue « umuntu ngumuntu ngabantu »)

  • « Je suis, car tu es »

Effectivement, la philosophie de l'Ubuntu a été développée en Afrique du Sud par des leaders tels que Nelson Mandela et Desmond Tutu dans le contexte de la lutte contre l'apartheid (1948-1991).

« Desmond Tutu est sans doute, avec Nelson Mandela, le principal promoteur de l’Ubuntu, cette philosophie humaniste africaine basée sur une culture de partage, d’ouverture, de dépendance mutuelle, de dialogue et de rencontre interpersonnelle. Dans l’Ubuntu, l’existence humaine s’épanouit en tant que partie d’un tout, la société prospère grâce à une humanité commune, et le pardon et la réconciliation sont des conditions préalables pour préserver l’harmonie sociale. 60 années d’indépendance n’ont pas réussi à faire de l’Afrique un continent où il fait bon vivre. Nous sommes donc toujours en quête d’une philosophie politique à même de nous aider à construire des sociétés plus justes et plus conviviales, parce que fondées sur une éthique du bien-être et du mieux-être. L’Ubuntu est une philosophie de vie, une philosophie politique » (Sagadou, 2021).

Elle est devenue un instrument essentiel pour la réconciliation nationale et la promotion de l'égalité. Mungi Ngomane, la petite-fille de Desmond Tutu, a écrit un livre, intitulé Ubuntu : Je suis, car tu es. Leçons de la sagesse africaine (2019), dans lequel elle présente cette philosophie étroitement liée à l'éducation humaniste.

Selon Ngomane, le terme « Ubuntu » peut avoir plusieurs significations selon les langues africaines locales, telles que l'humanité, la générosité, la communauté ou l'interdépendance. Elle insiste sur le fait que cette manière de vivre encourage chacun à écouter les autres et à se mettre à leur place, favorisant ainsi la compréhension et l'empathie.

Il est intéressant de noter que le mouvement « Je suis, car tu es » est également le nom d'un mouvement politique en Colombie, dirigé par l'actuelle vice-présidente Francia Marquez. En tant que militante écologiste, elle a subi les conséquences de la guerre en raison de son engagement pour l'environnement. Francia Marquez a reçu le prix Goldman (2018), souvent appelé le « prix Nobel de l'environnement », pour son travail et son dévouement.

Ces exemples illustrent comment les principes de l'Ubuntu et l'idée d'interdépendance peuvent s'appliquer à différents contextes culturels et être utilisés pour promouvoir des valeurs telles que l'égalité, la réconciliation, l'écoute et la protection de l'environnement. Ils montrent également comment ces idées sont portées par des personnes engagées dans divers domaines, de l'éducation à la politique et à l'activisme.

Dans ses discours, Francia Marquez exprime l'importance de la philosophie de l'Ubuntu en tant qu'héritage africain et philosophie qui transcende les liens du sang. Elle souligne que l'Ubuntu est non seulement un engagement individuel, mais aussi un engagement collectif qui nous invite à nous voir comme une famille élargie. Pour elle, cette vision collective a été cruciale pour résister aux injustices, à l'exclusion et au racisme structurel dans les régions du Pacifique colombien et des Caraïbes, où le peuple afro-descendant a enduré des années de barbarie, de douleur et de souffrances liées à la guerre.

Aujourd'hui, elle invite toute l'Amérique à adopter la perspective de l'Ubuntu, car elle considère que cette philosophie nous incite en tant qu'humanité à penser selon une logique différente, celle du soin de la vie collective. L'Ubuntu appelle à la solidarité, à la reconnaissance de notre interdépendance et à la responsabilité envers les autres membres de notre communauté, qu'ils soient liés par le sang ou non.

Dans cette période morose marquée par de multiples crises, il est pertinent de se demander si les nouvelles générations, plongées dans un monde interconnecté, démontrent une plus grande ouverture quant à leur appartenance et leur responsabilité envers la communauté mondiale. S'engagent-elles davantage en faveur de l'humanité et reconnaissent-elles la diversité culturelle ?

Un article du journal Le Monde présente une récente enquête menée dans 35 pays européens entre 2017 et 2020, dans le cadre de l'étude sur les valeurs des Européens concernant la famille, le travail, les loisirs, les relations avec autrui, la religion et la politique, constatant que l'individualisme a diminué. Cette étude révèle que la quête d'autonomie n'incite pas les individus à se replier sur eux-mêmes, bien au contraire, elle les prédispose à s'ouvrir davantage au monde et aux autres.

« L'individualisme était plutôt répandu parmi les Européens de 1999 à 2008, mais il a nettement régressé au cours de la dernière décennie : le pourcentage de personnes fortement individualistes est passé de 52% à 44%. Les populations européennes sont aujourd'hui plus ouvertes, moins centrées sur elles-mêmes, même si, bien sûr, on peut soutenir qu'elles le sont encore trop ! Le recul de l'individualisme n'est presque jamais reconnu par les observateurs, dans un contexte de grand pessimisme et d'inclination au déclinisme. Parallèlement, l'individualisation et la culture de l'autonomie se sont fortement répandues tout au long de la période, avec une accélération au cours de la dernière décennie (de 37% à 53% de fortement individualisés » (Bréchon, 2023).

4.2 Des idées aux faits

Ces évolutions nous incitent à nourrir la réflexion sur ce que nous entendons aujourd'hui par le concept de « citoyen du monde ». Ainsi, l'un des objectifs de notre travail à la Faculté d'Éducation et de Formation de l'Institut Catholique de Paris (ICP) est de créer un lieu de débat et un laboratoire pour développer l'engagement des nouvelles générations. Dans cette perspective, nous participons à deux programmes qui s'inscrivent dans le projet facultaire appelé « Communauté Éducative Inclusive ». L'objectif est de penser et de construire des institutions éducatives inclusives et durables, susceptibles d'accueillir chacun avec ses forces et ses faiblesses, et d'amener chaque personne au plus près de sa propre excellence (Mutuale, Serina-Karsky et Parayre, 2022).

Le premier s’inscrit dans le cadre d’un Grand Cours sur l'Éducation à la Citoyenneté Mondiale, proposé à tous les étudiants de Licence des différentes facultés de l'ICP, de la première à la troisième année. Son objectif principal est de susciter des prises de conscience et d'initier les étudiants aux domaines d'excellence de cette institution, en leur faisant découvrir de nouvelles disciplines et en leur permettant d'appréhender de nouvelles méthodes de travail.

Les nouveaux enjeux liés au numérique et à l'intelligence artificielle, la montée des mouvements populistes, le manque de débats dans la société et la détérioration de l'environnement sont autant de thématiques qui nécessitent des orientations pour les nouvelles générations afin de relever les défis de l'éducation future. Dans ce contexte, les analyses des chercheurs, les réflexions des décideurs politiques et les études des organisations internationales telles que l’Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO) ou l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sont présentées lors des cours. Ces ressources ont pour objectif de permettre aux étudiants d'appréhender l'état actuel de l'éducation et d'acquérir les connaissances nécessaires pour s'adapter aux changements en cours et contribuer de manière éclairée à la société de demain.

L’approche interdisciplinaire sur les enjeux contemporains, les défis de l’intelligence artificielle, la pertinence de l’art et de la culture et l’éducation à la citoyenneté active permettra d'acquérir des connaissances et des savoirs sur les défis de la société actuelle. L'objectif est bien de développer l'esprit critique, l'autocritique et la connaissance de soi, afin de construire une vision humaniste engagée, solidaire et éthique, qui prend en compte la créativité et l'imagination comme ressource pour répondre aux problèmes complexes exposés.

Parallèlement, nous intervenons dans le cadre des conférences du nouveau programme « Les Chemins de l'Excellence » lancé par l'ICP en 2023, qui vise à susciter l'intérêt pour les études supérieures et à enseigner les méthodes de travail à des lycéens de Première et de Terminale d’établissements classés en zone d’éducation prioritaire. Ces séances permettent aux lycéens de bénéficier d'une initiation à diverses disciplines et de se familiariser avec les exigences des études supérieures. Il s’agit d’aider chacun à ouvrir les chemins des possibles pour participer activement à un monde commun.

Ces programmes axés sur la citoyenneté mondiale visent à permettre à chaque jeune de prendre conscience des grands défis contemporains, de choisir ou de s'adapter à une responsabilité sociale et d'agir en faveur de tous. Notre travail vise à être un lieu d'échange intergénérationnel à fort impact, favorisant le partage d'idées, d'expériences et de connaissances entre les enseignants et les apprenants. Il s’agit de renouer le dialogue avec les nouvelles générations, tisser des liens de confiance, souder les transmissions des savoirs et des valeurs pour que tous ces citoyens soient prêts à défendre cet espace commun, une patrie commune en étant toute des acteurs actifs.

05. En conclusion

Tout au long de cet article, notre démarche a consisté à présenter l'éducation à la citoyenneté mondiale dans le contexte de l'éducation complexe, à explorer les défis auxquels elle est confrontée, à partager les points de vue de deux intellectuels qui soutiennent cette éducation, à savoir Edgar Morin et Martha Nussbaum, et à proposer des pistes pour penser et construire ce projet. Nous avons également examiné différents scénarios où cette éducation prend vie, que ce soit à travers les racines africaines incarnées par Nelson Mandela ou au sein d'un projet politique de gauche mené par la première vice-présidente noire, Francia Márquez, en Colombie.

Si nous avons évoqué les principaux axes de la citoyenneté mondiale, tels que l'éducation à la paix, aux droits de l'homme, aux médias, à la compréhension internationale et au développement durable, entre autres, ce concept suscite un débat plus large. Il nous invite à réfléchir à la manière dont nous abordons des notions essentielles telles que les droits de l'homme, la diversité culturelle et les responsabilités mondiales. Il est également important de prendre en compte les différentes perspectives présentes dans les études académiques et d'éviter de se concentrer sur une seule vision. L'interdisciplinarité, prônée par Morin et Nussbaum, est l'outil par excellence pour aborder les dimensions politiques, sociales, économiques et culturelles de la citoyenneté mondiale. Les réalités complexes d'un monde de plus en plus interconnecté nous poussent à travailler ensemble et à nous engager en tant que citoyens dans notre vie quotidienne pour construire un monde plus juste, durable et pacifique.

Rappelons les paroles de Nelson Mandela lors de son discours d'investiture le 10 mai 1994, qui demeurent d'actualité près de 30 ans plus tard :

« Le temps de soigner les blessures est arrivé. Le temps de combler les fossés qui nous séparent est arrivé. Le temps de construire est arrivé. […] Nous sommes conscients que la route vers la liberté n’est pas facile. Nous sommes conscients qu’aucun de nous ne peut réussir seul. Nous devons donc agir ensemble comme un peuple uni, vers une réconciliation nationale, vers la construction d’une nation, vers la naissance d’un Nouveau Monde. Que la justice soit la même pour tous. Que la paix existe pour tous » (Labiausse, 2008, p. 81).