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01. Introduction et état de la question

Le Québec vieillit rapidement. En 1971, les personnes ainées de 65 ans et plus composaient 7% de la population, alors que quelque trente ans plus tard, en 2021, elles forment 20,6% (Statistique Canada, 2021) et passeront à 26% de celle-ci en 2041 (Institut de la statistique du Québec, 2022). Dans ce contexte démographique, l’inclusion et la participation sociale des personnes ainées sont au centre des politiques sociales en matière de vieillissement (Marchand et Firbank, 2016; Raymond et al., 2018). Si d’aucuns évoquent l’instrumentalisation de la participation citoyenne par l’État (Breviglieri et Gaudet, 2014; Carrel, 2017) et, en l’occurrence, celles des personnes ainées (Raymond et Grenier, 2013; Raymond et al., 2018; Van Hees et al., 2015), plusieurs recherches et travaux montrent toutefois les bienfaits de la participation sociale sur le bien-être et la santé physique et mentale (Dehi Aroogh et al., 2020; Gilmour, 2012; Holt-Lunstad et al., 2015; Levasseur et al., 2010; Reynold et al., 2022). Rappelons néanmoins que la participation sociale reste traversée par les inégalités sociales (Gaudet et Turcotte, 2013). Par exemple, la question de l’accès aux lieux de participation reste un enjeu central pour divers groupes d’aîné·e·s, en raison notamment des inégalités socioéconomiques, de genre, de capacités, etc. (Marchand, 2018; Raymond et Grenier, 2013).

Nonobstant ces réalités, la participation sociale demeure un paramètre important de la citoyenneté (Marshall, 1963; Van Hees et al., 2015), car elle permet non seulement le bon fonctionnement des sociétés démocratiques (Trentham et Neysmith, 2017), mais aussi le développement des communautés (Levasseur et al., 2018). Différentes formes de participation des personnes ainées ont été documentées dans les sphères de la vie sociale, notamment sur le plan de la participation politique et des mouvements sociaux (Charpentier et Quéniart, 2007; Gottlieb et Gillespie, 2008; Serrat et al., 2018), dans l’action bénévole accomplie au sein d’organismes et d’associations (Castonguay et al.2015; Gagnon et al., 2004; Grenier, 2012; Lie et al., 2009; Pavelek, 2013; Sévigny et Vézina, 2007) et dans la proche aidance (Arriagada, 2020; Lavoie et Guberman, 2009; Saillant et Gagnon, 2001). Levasseur et al. (2018) indiquent également que les activités familiales ou amicales représentent les pratiques les plus investies par les personnes âgées. Finalement, le sport et les loisirs s’inscrivent aussi comme des pratiques participatives (Provencher et Carbonneau, 2019), de même que les activités de la vie quotidienne (Carbonneau et al., 2013; Levasseur et al., 2018; Raymond et al., 2015) et religieuse.

Bien que ces études permettent de mettre en lumière les contributions plurielles des personnes ainées à la société, rarement leurs pratiques participatives et leur apport ont été étudiés sous l’angle du développement des communautés locales. Dès lors, les pratiques participatives des personnes ainées à l’échelle territoriale et locale restent « d’arrière-scène », pour reprendre le terme de Breviglieri et Gaudet (2014), parce qu’elles ne sont pas évaluées comme étant « productives » ou « actives » (Marchand et Firbank, 2016), faisons-nous l’hypothèse. L’invisibilité de la contribution des personnes ainées dans les communautés locales est aussi à mettre en lien avec les représentations âgistes, les décrivant comme des citoyens « inactifs » ou « receveurs passifs de soins » (Buffel, 2018; Trentham et Neysmith, 2017). Un collectif d’auteur·e·s évoque le discours paternaliste de l’État, durant la COVID-19, qui a véhiculé des représentations homogénéisantes des personnes aînées, qui ont été dépeintes comme toutes vulnérables (Fraser et al., 2021). Cette conjecture de l’exacerbation de l’âgisme (Dangoisse et al., 2021) vient édulcorer l’importance de l’implication communautaire et bénévole des personnes aînées dans la société en général, à l’échelle locale plus particulièrement. Il apparait ainsi pertinent de se pencher sur les pratiques de participation des personnes ainées dans les communautés locales. À partir des résultats d’une étude qualitative, conduite en contexte pandémique (2020-2023), l’objectif de cet article consiste à mettre en lumière les manières dont les pratiques participatives des personnes aînées se matérialisent, et en quoi celles-ci influencent le développement des communautés rurales et périurbaines.

Notre contribution se déclinera en quatre parties. En premier lieu, la problématique définira le concept de la participation sociale des personnes ainées et son articulation avec le développement des communautés locales et territoriales. Le cadre méthodologique de l’étude, conduite dans une perspective de recherche-action participative, menée avec la Table de concertation régionale des ainés des Laurentides, sera précisé en deuxième lieu. Les résultats aborderont, en troisième lieu, les différentes formes de participation déployées par les personnes ainées dans trois municipalités régionales de comté (MRC) des Laurentides, et ce, s’attardant à la manière dont les pratiques participatives se matérialisent dans les communautés afin de soutenir leur développement. La discussion mettra en dialogue l’agir participatif au regard des enjeux sociaux et territoriaux du vieillissement qui caractérisent les communautés locales à l’étude.

02. Cadre conceptuel

La participation sociale est un concept ambigu et polysémique, car sa définition, ses usages, ses caractéristiques ainsi que ses indicateurs ne font pas consensus et restent tributaires des champs disciplinaires dans lesquels il est mobilisé (Carbonneau et al., 2013; Dehi Aroogh et al., 2020; Raymond et al., 2015). En gérontologie sociale, cette notion recouvre un large spectre d’activités diversifiées « offrant des possibilités d’interactions avec d’autres individus et avec la communauté » (Levasseur et al.,2010 : 2141, traduction libre). À partir d’études empiriques, Raymond et al. (2008: iii) proposent quatre « familles sémantiques » pour décrire la participation sociale des personnes ainées:1) les activités ayant trait au fonctionnement de la vie quotidienne; 2) les interactions sociales; 3) le réseau social; 4) les activités associatives structurées dans un cadre organisationnel. En suivi, Carbonneau et al. (2013 : 5) ont conceptualisé une taxonomie présentant un continuum de six niveaux d’activités participatives, « allant d’une implication proximale à distale avec les autres dans les activités sociales selon des buts différents. Au niveau 1, l’individu est seul; au niveau 2, il est en parallèle; aux niveaux 3 à 6, l’individu est en interaction ».

Dans le champ du vieillissement, Bukow, Maas et Lampert (2002) ont aussi décliné empiriquement la notion à l’aide de trois formes: 1) la participation sociale collective est appréhendée à partir d’activités partagées entre les membres d'un groupe, où l'objectif est lié à l’intérêt du groupe lui-même (ex. troupe de théâtre); 2) la participation sociale productive implique la dispensation de services ou de produits où les personnes partagent des aptitudes similaires dans un contexte donné (ex. bénévolat associatif); et 3) la participation sociale politique, quant à elle, renvoie à la prise de décisions d’individus ou de groupe où ces derniers partagent des compétences (ex. comité en défense de droit). Elle exprime une action qui est dirigée vers autrui ou la communauté : « participer signifie prendre part à une action pour laquelle on se sent concerné » (Balard, 2018 : 18). Dans une analyse étayée du concept à l’aide de la méthode de Walker et Avant (2004, cités dans Dehi Aroogh et al.), les auteurs (2020 : 68) définissent la participation sociale des personnes ainées comme :

« (…) l'engagement conscient et actif au sein d’activités sociales conduisant à l'interaction et au partage de ressources avec d'autres personnes de la communauté; la personne éprouve une satisfaction personnelle résultant de cet engagement (Dehi Aroogh et al., traduction libre) ».

La participation sociale des personnes ainées a ainsi des implications sociales et personnelles. Elle apparait aussi tributaire des expériences de vie antérieures, et elle est influencée par des déterminants sociaux et environnementaux tels que le support social, la discrimination à l’égard de l’âge (âgisme), l’accès aux transports, aux loisirs et aux services, le sentiment de sécurité, etc. (Dehi Aroogh et al., 2020). À cet égard, Levasseur et al. (2018), aux termes d’une large Action concertée menée au Québec, précise que « la participation sociale [des personnes ainées] ne diffère pas d’un milieu [métropolitain, urbain ou rural] à l’autre, mais qu’elle serait associée à des variables environnementales différentes » (Ibid : 27).

2.1 Conceptualiser la participation des personnes ainées à l’aune du développement des communautés locales

Dans le champ du développement local, territorial ou encore du développement des communautés, la participation sociale et citoyenne et celles des personnes concernées sont une notion centrale (Levasseur et al., 2018; Mercier et al., 2009; Mercier et Bourque, 2021). Elle implique une forme de responsabilité à la fois collective et individuelle afin d’agir pour l’amélioration des conditions de vie d’une communauté. Mais qu’entend-on par communauté ? La notion est polysémique; différentes formes de communauté ont été conceptualisées (d’identité, d’intérêt, géographique, religieuse, etc.), mais dans le contexte du développement des communautés, elle renvoie à « un regroupement de personnes vivant sur un territoire [...] elle est circonscrite par le sentiment d’appartenance que confère le territoire ‘vécu’ » (Lavoie et Panet-Raymond, 2011 : 106). Dans une perspective similaire, une communauté peut aussi être appréhendée comme « un système social structuré de personnes vivant à l’intérieur d’un espace géographique précis (ville, village, quartier, arrondissement) » (Institut national de santé publique du Québec, 2002 : 17).

La notion de communauté locale s’infère ici avec celle du développement local où les ressources endogènes sont mobilisées afin d’améliorer le bien-être et la qualité de vie des populations (Bourque, 2012; Klein, 2006). L’acteur·rice local·e agit comme un·e agent·e de transformation dans sa communauté, dans un processus participatif qui vise la résolution de problèmes à l’échelle locale, et ce, dans une dynamique ascendante (Comeau, 2007; Fontan et al., 2005). Le concept du développement des communautés permet ainsi d’articuler les liens communautaires, entre les citoyen·ne·s et les diverses organisations, lesquels structurent l’action sociale déployée sur le territoire, qui agit comme catalyseur d’une identité territoriale (Caillouette et al., 2009). Ces « processus de coopération volontaire, d’entraide et de construction de liens sociaux entre les résidents et les institutions d’un milieu local [visent] l’amélioration des conditions de vie sur le plan physique, social et économique » (MSSS, 2008 : 16). La participation sociale et ses différentes déclinaisons : citoyenne, civique, politique et, plus récemment, territoriale – qui permet de penser l’appartenance au territoire vécu (Mercier et Bourque, 2021) – est une condition sine qua non au développement des communautés locales.

03. Méthodologie

Les résultats de recherche émanent d’une enquête qualitative menée auprès des personnes âgées de 60 ans et plus, entre 2020 et 2023[1]. Trois objectifs spécifiques ont été poursuivis : 1) Répertorier les pratiques de participation déployées par les personnes ainées dans trois communautés locales des Laurentides; 2) Mettre en lumière la valeur et le sens associés à ces pratiques à travers lesquelles les personnes âgées donnent du temps pour une personne, un groupe ou une communauté; 3) Analyser l’apport de ces pratiques participatives dans la communauté locale, notamment leur portée et leur contribution au développement des communautés. Le présent article rend compte des résultats concernant les objectifs un et trois.

Une méthode de recherche-action participative (RAP) a été privilégiée afin, entre autres, de bénéficier l’expertise des personnes ainées impliquées dans leur communauté. Dans cette perspective, l’étude repose sur la co-construction des connaissances, plus encore, de « croisement des savoirs et des pouvoirs » (ATD Quart Monde, 2008). L’objectif poursuivi est dès lors de valoriser les savoirs expérientiels et locaux des personnes âgées, dans une visée d’autodétermination, d’empowerment et de justice sociale. Qui plus est, lorsqu’elle est mobilisée auprès des personnes ainées, la RAP permet également de combattre l’âgisme et l’exclusion sociale (Buffel, 2018). Le processus de recherche tiendra compte des critères établis par Gélineau et al. (2012 : 35) pour respecter les principes d’une RAP, soit « la tenue en compte des droits 1) de parole 2) de produire, 3) d’analyse ainsi que 4) de cité ». Le dispositif méthodologique a été pensé selon un processus circulaire dans une approche de RAP, plus précisément, du modèle RAP avec les personnes âgées développé par Buffel (2018). Pour ce faire, en collaboration avec la Table de concertation régionale des ainés des Laurentides (TCRAL), un comité de coordination impliquant cinq personnes ainées a été mis sur pied. Toutes les étapes de la recherche ont été discutées par le comité de coordination et sont illustrées à la figure 1.

Figure

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L’étude a été menée dans la région des Laurentides, laquelle connaitra, d’ici 2044, une des augmentations les plus marquées de sa population âgée par rapport au reste du Québec (Institut de la statistique du Québec, 2022). Plus précisément, quatre communautés locales des Laurentides (soit la ville de Saint-Jérôme, une zone rurale de la MRC d’Argenteuil, et deux sites ruraux de la MRC d’Antoine-Labelle) ont été choisies. Les critères de sélection ont été influencés par le découpage des territoires selon les zones d'influence métropolitaine de recensement (ZIM), produits par l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ, 2023), soit : 1) Zone rurale ayant des liens faibles ou nuls avec un noyau urbain (deux sites dans Antoine-Labelle); 2) Zone rurale ayant des liens forts avec un noyau urbain (site dans Argenteuil); 3) Zone urbaine (Saint-Jérôme).

Cinq groupes de discussion en présentiel ont été organisés - deux à Saint-Jérôme (n :11), un à Argenteuil (n :5), et deux à Antoine-Labelle (n : 11) - entre l'automne 2021 et le printemps 2022, composés de 4 à 7 participant·e·s chacun (N : 27). Deux assitant·e·s de recherche ont animé les groupes, et ce, sous la supervision étroite de la professeure. Les critères de participation ont été les suivants : 1) Être âgé·e de 60 ans et plus​; 2) habiter les sites concernés; 3) se considérer comme une personne impliquée dans sa communauté. Les groupes étaient principalement composés de femmes (n :21). Les participant·e·s avaient des états civils variés et s’identifiaient à des groupes d’âge se situant entre 60 ans et 90 ans, avec une concentration marquée pour le groupe âgé de 71-80 ans.

Figure

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Le recrutement a été fait par la méthode boule-de-neige, ainsi que la publicisation d’une affichette de recrutement qui a circulé via la TCRAL et les membres du comité de coordination. Une grille d’entrevue de groupe, révisée et validée par le comité de coordination, a permis d’encadrer les discussions du groupe et a exploré les thèmes suivants : les diverses pratiques de participation sociale faites par les personnes aînées, les motivations et le sens donné à la participation sociale, l’impact de leur participation sociale dans la communauté locale. Également, en vue d’enrichir les données, vingt-deux (N : 22) personnes actrices dans leur communauté (PAC) – en mesure d’offrir un regard extérieur sur les pratiques des personnes aînées dans leurs communautés – ont été interrogées dans le cadre d’une entrevue individuelle semi-dirigée avec l’assistant de recherche ou la chercheuse principale. Près de la moitié des entrevues s’est déroulée en présentiel (N :10), l’autre moitié via les plateformes de vidéoconférence (Zoom/TEAMS) (N :12).

Les groupes d’âge recensés variaient de 18 ans à 80 ans, avec une concentration dans les groupes d’âge de [51 à 60 ans] (n :6) et de [61 ans à 70 ans] (n :7). La majorité des PAC exerçaient leur occupation dans des municipalités à zones urbaines et périurbaines (n :16); les autres PAC (n :6) œuvrent dans des municipalités à zones rurales sur le territoire laurentien. Les critères de sélection choisis ont été : 1) Être un acteur ou une actrice œuvrant dans la communauté, soit à titre de travailleur·euse ou de bénévole, depuis 5 ans minimum, afin d’être en mesure de se prononcer sur l’apport des pratiques de participation sociale des personnes aînées​ dans leur communauté; 2) habiter les sites concernés. Un canevas d’entrevue a permis de circonscrire l’entretien en explorant des thèmes communs aux groupes de discussion précédemment faits : une recension sommaire des secteurs d’implication sociale des personnes aînées, les apports et les retombées de la participation sociale des personnes aînées dans la communauté locale, et se projeter vers une communauté de bienveillance. Les secteurs d’emploi et de bénévolat occupés par les PAC relevaient des domaines communautaires, municipaux et de services psychosociaux.

En ce qui concerne le traitement des données, l’ensemble du matériau a fait l’objet de transcription intégrale à partir des enregistrements audios. À l’aide du logiciel Nvivo, le verbatim a été codé à l’aide d’un arbre de codage, qui contenait de thèmes prédéfinis et d’autres émergents, afin de procéder à une analyse thématique (Paillé et Muchielli, 2012). Une saturation des données a été constatée par l’équipe de recherche. Par la suite, les thèmes ont été regroupés sous différentes catégories; le processus d’aller-retour dans le raffinement des catégories a permis de faire émerger la théorisation. Également, les particularités des contextes territoriaux dans lesquels les données ont été recueillies font l’objet d’un diagnostic territorial afin d’alimenter l’interprétation des résultats. Finalement, les résultats ont été discutés dans le cadre d’une rencontre de co-interprétation, réalisée avec le comité de coordination, ce qui a permis d’étayer et de contextualiser certains résultats.

04. La participation plurielle des personnes ainées : des implications porteuses pour les communautés locales

Les récits montrent que les personnes ainées sont impliquées dans une diversité de lieux de participation dans leur communauté. Plusieurs agissent comme bénévoles dans les organismes communautaires, notamment au sein des conseils d’administration, dans l’offre de services, par exemple, dans les popotes roulantes, les services de transport, les « visites d’amitié et appels de bienveillance » auprès de clientèles en situation de vulnérabilité. Les personnes ainées interrogées sont aussi impliquées au sein des municipalités, par exemple, dans les programmes des Municipalités amies des aînés (MADA), ou encore dans l’offre culturelle et sportive de leur municipalité. D’autres sont aussi engagées dans l’action politique et la défense de droits, par exemple, au sein de « comités logement » et dans les comités de personnes usagères de services (publics et privés). Une majorité a aussi rappelé leur rôle essentiel comme personne proche aidante (auprès d’une parenté très âgée, d’un·e enfant, ou d’un·e ami·e). Finalement, l’entraide informelle dans le voisinage et la communauté occupe aussi une partie de leur « temps de bénévolat ». La pandémie a d’ailleurs mis en relief différentes activités accomplies pour prendre soin d’une autre personne, que ce soit dans une dynamique d’entraide mutuelle, ou de souci pour un autre en situation de vulnérabilité. Les résultats présentés plus bas illustrent ces différentes formes de participation, et reflètent la contribution qu’apportent les personnes ainées au développement de leur communauté, principalement en soutenant l’amélioration des conditions de vie des citoyen·ne·s de leur localité.

4.1 Des ressources bénévoles indispensables au sein des organismes communautaires

Les récits témoignent du fait que la participation sociale des personnes aînées dans les organismes locaux est indispensable à l’offre de services communautaires. En tant que bénévoles, elles agissent dans plusieurs secteurs, dont l’alimentation, la citoyenneté municipale, la proche aidance, la concertation régionale, dans les résidences privées pour personnes aînées (RPA), le transport, la défense de droits (des personnes aînées), les conseils d’administration, le loisir, les groupes de soutien, les soins de santé, l’accompagnement dans l’accès à différents services, etc. Comme l’évoquent des PAC, si ce n’était pas de l’engagement des personnes aînées, les organismes n’auraient pas les ressources pour offrir des services et les maintenir :

« Le programme de soutien pour les proches aidants […], c’est un bénévole qui a parti ça il y a 11 ans, en faisant la demande de financement et l’embauche de l’intervenante. Ce programme dure depuis 11 ans, et c’est grâce à lui qu’on a ce programme-là. […]. Les organismes communautaires ne pourraient offrir tous les services sans l’implication bénévole des aînés » (PAC #2, zone rurale).

« Je pense que sans bénévole, notre organisme ne pourrait pas fonctionner. La majorité des bénévoles sont des personnes âgées » (PAC #6, zone (péri)urbaine).

« Sans eux, il n’y aurait pas d’activités culturelles, du théâtre dans notre municipalité » (PAC #14, zone (péri)urbaine).

Dans plusieurs organismes, les personnes aînées constituent la majorité des bénévoles. Ces derniers permettent non seulement la pérennisation des organismes, mais favorisent aussi leur développement, voire la création de nouveaux projets et organisations dans certains cas :

« Seigneur ! S’ils n’étaient pas là [les personnes ainées], on serait vraiment dans de beau drap. On perdrait énormément [...]. Dans chaque projet ou programme, on pense à la pérennisation. […]. On pense toujours au bénévolat, on pense à construire [les projets] pour les impliquer. C’est vraiment un vase communicant. Sans eux, on ne pourrait pas se permettre de développer, on stagnerait » (PAC #1, zone rurale).

« Notre présidente, elle est bénévole. Elle est à la retraite et elle fait quasiment une job à temps plein à la Table des aînés. Si elle n’était pas là pour l’organiser, il n’y aurait probablement pas de table d’aînés » (PAC #2, zone rurale).

« Je connais beaucoup, beaucoup d’organismes qui ont été fondés par le biais de communautés d’aînés. » (PAC #15, zone (péri)urbaine)

L’implication des personnes aînées dans les organismes communautaires constitue ainsi un socle sur lequel repose l’offre de services communautaires, tout en favorisant la création de projets et de programmes. Sur le plan gestionnaire et administratif, elle permet leur bon fonctionnement, voire leur « survie » dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre, exacerbé par la pandémie (Observatoire sur l’action communautaire autonome, 2022). Soulignons aussi que cet apport - qu’il soit en termes d’expertises, de soutien communautaire ou de création de ressources dans la communauté - favorise la transmission intergénérationnelle « de différentes formes de savoir-faire et de savoir-être » (4) dans les organismes, comme l’expriment ces PAC :

« Par exemple, la personne qui a 83 ans sur notre C.A. [conseil d’administration] occupe un poste de secrétaire. Dans sa vie, elle a été secrétaire de direction, alors son expertise et son expérience, sa façon de rédiger les choses [elle sait] ce qui est important, ce qui n’est pas important. On n’a pas à se soucier de ça. Elle nous éduque à comment faire les choses correctement » (PAC #20, zone (péri)urbaine).

« C’est comme si leur apport, leur opinion, leur vision, leur expérience permettent d’être novateur et de voir les choses différemment. On sous-estime beaucoup leur expertise […] » (PAC #12, zone (péri)urbaine).

Pour paraphraser un·e PAC (#10), l’engagement des personnes aînées leur donne une certaine « maturité » et « une présence rassurante » au sein des organismes et dans les services offerts dans la communauté. Ces attributs et compétences des personnes ainées sur divers plans permettent une implication soutenue dans la défense des droits des personnes ainées, en suscitant de plus la mobilisation autour d’enjeux citoyens:

« Avec le vieillissement de la population, les besoins seront là. [...] Le logement, plus ça va, plus ça gruge le portefeuille des aînés. [...] Moi, je veux faire un projet citoyen pour améliorer l’accès [au logement] à tous [mais], il faut quand même créer le plan d’action, il faut être patient et maintenir la position de défendre » (Groupe de personnes ainées, zone (péri) urbaine).

« Je suis conseillé municipal à [zone rurale]. Je suis le président de MADA [Municipalités et amis des ainés]. Je fais partie de la Croix-Rouge et je suis vice-président d’une organisation qui s’appelle [X]. […] Je m’occupe en général des personnes qui sont dans le besoin » (Groupe de personnes ainées, zone rurale).

En somme, pour les gestionnaires d’organismes communautaires, considérer les initiatives et les savoirs expérientiels et professionnels des personnes aînées, vues comme « des bibliothèques d’information » (PAC #4, zone (péri)urbaine), est crucial pour le développement de services communautaires « forts » pour les communautés locales. Lorsque les initiatives et les savoirs des personnes ainées sont pris en considération, les services qui en découlent répondent vraisemblablement à des besoins communautaires qui concernent une majorité de citoyen·ne·s.

4.2 Contrer la dévitalisation des communautés rurales

Le processus de déclin ou de fragilisation qui caractérise la dévitalisation territoriale de certaines communautés rurales au Québec (Alberio et Klein, 2022; Simard et al., 2015) a également été nommé par les personnes des groupes de discussion tenus dans les sites ruraux. L’exode de jeunes, des travailleur·euse·s qualifié·e·s, la position géographique, « vivre au bout de la route », comme le mentionnait un·e participant·e ainé·e, et le vieillissement des populations, entre autres facteurs, entraine la dévitalisation d’une communauté. Dans les petites municipalités rurales, l’implication des ainé·e·s apparait ainsi cruciale pour pallier les effets de ce phénomène et maintenir « une communauté vivante »[2]. Dans les trois groupes de discussion de personnes ainées tenus dans les sites ruraux de ces deux MRC, la participation des personnes ainées notamment dans l’action bénévole et l’entraide communautaire est primordiale, autrement « la municipalité serait morte », affirmait un·e participant·e (groupe de discussion, zone rurale). D’autres témoignages vont dans le même sens :

« Moi, je dis que c’est le bénévolat qui aide au développement de la communauté. Je te dirais que tous les projets que l’on a mis en place, c’est fait par des aînés. C’est des projets qui durent et qui aident à toute la communauté. (PAC #16, zone rurale).

« Il ne faut pas oublier qu’ici [zone rurale] est une communauté qui, comme on dit, est au bout de la route ici. Si on ne s’organise pas ici, il faut faire beaucoup de kilomètre et aller à l’extérieur pour avoir des services. Alors [ici, zone rurale], on est reconnu pour organiser nos loisirs et nos services » (Groupe de discussion de personnes ainées, zone rurale).

Selon les récits, les citoyen·ne·s de cette localité sont depuis longtemps engagé·e·s dans la vie communautaire. Par exemple, en 2004, un service de prise de sang, en collaboration avec le Centre intégré de la santé et des services sociaux (CISSS) des Laurentides, a été mis sur pied grâce à leur implication soutenue dans la mise en œuvre de cette initiative. Ce service réduit considérablement les déplacements des personnes aînées qui devaient faire, auparavant, une centaine de kilomètres pour effectuer leur prise de sang à l’hôpital du pôle régional. Leurs implications à différents niveaux dans la communauté créent une vitalisation qui est remarquée par les nouvelles personnes qui s’installent dans la localité, comme l’observe un·e PAC (#16, zone rurale) : « Les personnes [qui ont acheté à ici à la zone rurale] disent que c’est vivant et qu’il y a de l’entraide ». De façon globale, il est souligné par l’ensemble des PAC à l’étude que la participation sociale des personnes aînées contribue à une richesse communautaire et collective, en créant des « des communautés riches » :

« Des communautés riches, ce sont des communautés où il y a des organismes communautaires vigoureux, où il y a des activités [où] ils [les ainés] ont des clubs sociaux, où les aînés sont impliqués et qu’ils ont à cœur le bien-être de leurs citoyens, ce qui est essentiel à la qualité d’une communauté » (PAC #9, zone (péri)urbaine).

4.3 La proche aidance comme pratique participative

La proche aidance est considérée comme une pratique de « bénévolat informel » par plusieurs personnes participantes et PAC. Une majorité souligne le rôle important joué par les personnes ainées dans cette forme de participation sociale. De fait, une personne ainée de 65 ans et plus est proche aidante (21%)[3]. La proche aidance est appréhendée comme une forme de « bénévolat très exigeant » ou encore d’un « devoir familial », qui demande beaucoup de temps et d’investissement. La proche aidance s’actualise dans la sphère privée, mais aussi dans les institutions de santé, comme l’exemplifie une PAC « Si je n’avais pas été là [pendant l’hospitalisation de ma femme], ça aurait mis plus de charges sur le personnel de soin » (PAC #22, zone (péri)urbaine).

D’un point de vue économique, une PAC rappelle que la proche aidance pour soutenir le vieillissement chez soi engendre moins de coûts sociaux: « Ça coûte beaucoup moins cher à la société que d’être obligé de mettre ces personnes dans des résidences où ça coûte un prix de fou » (PAC #11, zone rurale). Dans cette logique, les personnes participantes reconnaissent que plusieurs services essentiels (soins, transports, soutien à domicile, etc.) ne peuvent être offerts par le système public et que les personnes proches aidantes comblent la majorité des besoins en matière de soutien à domicile; elles pallient les manques de services publics :

« Les proches aidants ainés […] ils font énormément de travail et d’intervention auprès des leurs. S’ils n’étaient pas là… on oublie le SAD [soutien aux activités domestiques]. C’est du 24/7 si le proche aidant et la personne aidée vivent ensemble. […] C’est aussi beaucoup de temps […] et de don de soi » (Groupe de discussion de personnes ainées, zone rurale).

Durant la pandémie de COVID-19, rappelons que le rôle des personnes proches aidantes ainées a été particulièrement contraint en raison des mesures sociosanitaires associées, particulièrement durant la première vague. Entre autres, les visites non essentielles dans l’ensemble des milieux de services et d’hébergement au Québec ont été interdites, incluant celles des personnes proches aidantes afin de protéger les personnes les plus vulnérables ainsi que le personnel du réseau de la santé et des services sociaux (gouvernement du Québec, 2020). « Avec la pandémie, ils ont mis les aidants dehors, et ils ont eu besoin de l’armée ! », s’est indignée une personne ainée du groupe (zone rurale). Les récits convergent dans le même sens : sans la participation des personnes ainées dans la proche aidance, des conséquences désastreuses sont prévisibles, comme en témoigne une PAC, éprouvée par la crise sanitaire et les conséquences chez les personnes ainées: « La preuve [de l’importance des ainés], retirons les aînés des CHSLD de leur rôle de proche aidant, et les gens meurent. Quand on enlève les aînés qui prennent soin de leurs contemporains, le monde meurt » (PAC #13, zone (péri)urbaine).

4.4 L’invisible : l’entraide et la solidarité nécessaire au bien-être d’une communauté

Certains récits rendent compte de pratiques de la vie quotidienne, de « petits gestes » divers qu’accomplissent les personnes aînées dans leur voisinage qui témoignent de leur engagement dans leur communauté. Les pratiques sont décrites dans une perspective « de rendre service » et « d’entraide communautaire ». À la différence de la proche aidance, l’aide apportée à l’autre ne vise pas seulement les proches; elle s’étend aux voisinages et même à toute la communauté. Pour une majorité des participant·e·s ainé·e·s et PAC habitant les sites ruraux investigués, l’entraide dans le voisinage prend une importance capitale, car elle s’inscrit dans un réseau de soutien local, en palliant l’éloignement géographique de la famille, notamment des enfants, le cas échéant : « Le réseau familial est éloigné, alors [....] l’implication du voisinage, tu sais, le support, il est quand même important » (Groupe de discussion, zone rurale). Cette entraide se matérialise sur différents plans, que ce soit en matière de transport ou encore de menus travaux à domicile, d’accompagnement à des activités, etc. Dans les récits, ce sont les personnes ainées qui sont aux premières loges de cette aide informelle fournie à une personne de leur localité. La pandémie a aussi mis en exergue cette réalité selon les témoignages :

« Il y a du covoiturage. Je pense à un aîné qui vient chercher une personne âgée qui n’a pas d’auto et qui l’amène faire ses commissions, va à la messe et tout ça. […]. Il y a beaucoup d’entraide dans la communauté. […] Il y a un monsieur qui a 70 ans, qui va faire le gazon. Il offre toujours son aide à aider les gens. (PAC #6, zone (péri)urbaine).

« C’est toute une gamme de bénévolat informel qui se donne. Spontanément, les personnes vont venir aider » (Groupe de discussion, zone rurale).

En ce qui concerne les dynamiques relatives à ce réseau local de soutien, des formes de vigie informelles semblent ainsi exister au sein du voisinage. Elles se matérialisent via des échanges entre citoyen·ne·s qui se partagent leurs préoccupations à l’égard d’une personne en situation de besoin, comme le précise ce·tte participant·e du groupe de discussion : « Si quelqu’un à de la misère dans le village, ça se parle, ça se dit. Quelqu’un dit : ‘moi, je le connais, je vais y aller’ » (groupe de discussion, zone rurale). Dans d’autres cas, les interactions visant à fournir de l’aide se transigent par l’entremise des organismes d’aides, lesquels reçoivent des appels de voisins inquiets :

« On reçoit beaucoup d’appels au CAB [Centre d’action bénévole] de personnes qui ont des inquiétudes à l’égard d’une personne de leur voisinage. [...]. Ce sont des voisins qui offrent une certaine vigie : « ah, un tel n’a pas déneigé son entrée de garage. Il y a quelque chose qui se passe ». Il y a tout l’informel qui se passe autour de ça. Il y a tout un réseau qui se crée. Ils vont [les ainés] partager des informations, y a un tel qui n’est pas là, qu’est-ce qui se passe? »  (PAC #2, zone rurale).

Ainsi, l’entraide mutuelle et communautaire au sein des localités et des municipalités où s’est déroulé l’étude repose notamment sur le souci de l’autre en vue des répondre aux besoins et enjeux communs vécus par une collectivité. Qui plus est, dans un contexte de vieillissement accéléré de plusieurs milieux ruraux au Québec, et au regard des enjeux liés à la dévitalisation territoriale, le « bénévolat informel ou non institutionnalisé » accompli par les personnes ainées dans leur communauté contribue à la résilience et la durabilité des communautés rurales, ce qui permet aussi d’affronter les crises, comme celle vécue lors de la pandémie du COVID-19, raconte cet·te intervenant·e :

« Si les aînés n’étaient pas là, en disponibilité et à l’écoute de l’autre, je pense que l’on sombrerait en tant que communauté. Je suis bien heureux que cette sorte de bénévolat là, non institutionnalisé, existe. Je pense qu’il faut le laisser comme ça, sans l’organiser et le structurer […] en tissant des liens un peu partout et faire en sorte que ça supporte la communauté. […] Ce type de bénévolat est très présent dans la région. On a une région et une communauté pauvre et démunie. Je pense que c’est essentiel que ça existe comme tissu pour se supporter et faire en sorte que la communauté se maintienne et traverse des moments difficiles comme la COVID » (PAC #10, zone rurale).

En somme, les récits témoignent du fait que les pratiques de participation sociale des personnes ainées, principalement leur action bénévole, qui se déploient sous différentes formes, sont essentielles à la communauté locale, car elles permettent d’atténuer les défis liés à la dévitalisation territoriale, à l’offre de services publics et communautaires – incluant en cela les pratiques de proche aidance – ainsi qu’aux nombreux besoins en matière de soutien à domicile (menus travaux, transport, entretien, etc.) d’autres personnes ainées, qui ont besoin de ce type de soutien communautaire pour vieillir dans leur communauté. Comme le résumait un·e répondant·e, « les ainé(e)s sont indispensables au développement communautaire […]. Sans eux, ça ne fonctionne pas » (PAC #4, zone (péri)urbaine).

05. Discussion

Les récits mettent l’accent sur trois dimensions de participation sociale déclinée par Gaudet (2015) : 1) l’action bénévole accomplie dans les structures organisées et associatives; 2) les mouvements sociaux, par exemple ici, les comités mis en place pour la défense de droits des personnes ainés en matière de logement et 3) dans les pratiques d’entraide et de care, qui prennent forme dans les sphères de proximité, à savoir l’entraide dans les voisinages ou encore dans l’attention et le soin (le care) offert aux proches que l’on aide, soutient ou prend en charge (proche aidance). La participation des personnes ainées renvoie en l’occurrence à une contribution en termes de don gratuit de son temps à la collectivité (Gaudet, 2015). Leurs pratiques sont marquées par le sentiment de responsabilité, de se sentir « concernées » envers des proches, des voisins, des organismes et, plus largement, envers leur communauté. L’individu n’agit pas seulement par intérêt personnel, mais aussi par attention aux autres et aux liens sociaux à travers lesquels se transige la solidarité dans une communauté d’appartenance (Gaudet, ibid).

Les pratiques participatives déclinées ainsi font référence à l’implication des personnes ainées au sein d’actions qui ont une portée collective, et qui permettent l’amélioration des conditions de vie des citoyen·ne·s et, ce faisant, contribuent au développement des communautés. Il s’agit ici d’un développement local ou endogène, qui ne repose pas uniquement sur la croissance économique, mais surtout sur l’amélioration de la qualité de vie des individus et la réponse aux besoins fondamentaux dans la perspective d’un « buen vivir » (Fontan et Klein, 2020). Les pratiques de participation des personnes ainées agissent sur des problématiques qui sont ‘territorialisées et localisées’, car la réalité territoriale, par exemple, vivre dans une localité éloignée des services, agit comme « principe d’action et vecteur d’intégration » (Bourque, 2017 : 6).

Les témoignages des personnes aînées et des PAC issus des milieux ruraux insistent en ce sens sur l’importance de « s’organiser pour avoir des services et des loisirs ». L’action territoriale et collective qui émerge en réponse aux besoins locaux s’appuie sur des valeurs partagées ainsi qu’une « conscience territoriale », laquelle génère l’empowerment et l’action intersectorielle en vue du développement d’initiatives locales, qui nécessiteront la mobilisation de ressources endogènes et exogènes au territoire (Klein, 2006). Dans les récits, les personnes aînées agissent souvent comme moteur de l’action collective (en prenant des initiatives, développant des programmes et des services); elles sont partie prenante d’un système d’action local (Klein, 2006; Fontan et Klein, 2020); leur participation se décline in fine comme de l’engagement au sein de processus d’innovation et dans la collaboration intersectorielle qui en résulte. Contrairement aux idées reçues qui les positionnent comme des réceptacles passifs de soin, les résultats montrent que les personnes aînées sont aussi des propulseurs d’innovations socioterritoriales. Dans le cas des territoires ruraux étudiés, elles participent à l’amélioration de leur qualité de vie.

Finalement, l’ancrage territorial joue un rôle important dans le développement des communautés, car il agit comme un levier de la participation citoyenne (Bourque, 2017; Mercier et Bourque, 2021). C’est ce que sous-tend le concept du « territoire vécu » (Lavoie et Panet-Raymond, 2011), lequel exprime le sentiment d’appartenance et l’attachement identitaire des citoyen·ne·s à leur territoire (Caouillette et al., 2009). Ainsi, le territoire n’est pas seulement un lieu géographique (ibid), mais un espace qui agit comme un lieu d’ancrage et d’affiliation sociale. Ce sentiment d’appartenance au territoire se construit via les interactions sociales, car ce sont « l’ensemble de ces petites interactions qui permet le sentiment de participer à un territoire » (PAC #14, zone (péri)urbaine). Le territoire est ainsi générateur de liens sociaux (Klein, 2006), sur lequel se construisent des rapports de réciprocité et d’interdépendance, où circulent différentes formes d’aide (formelle, informelle). Par-delà le système local d’action qui permet l’innovation socioterritoriale, les récits issus des sites ruraux permettent de penser un système de réciprocité des échanges, qui se transigent via l’(entr)aide mutuelle et colorent les milieux ruraux. Ce bénévolat informel soutient le tissu communautaire, comme l’évoquait un·e participant·e, pérennise la communauté et lui donne force et résilience pour traverser les crises.

Par ailleurs, différentes limites liées à l’étude sont à noter, notamment celles relatives au contexte pandémique dans lequel cette recherche de type RAP a été menée. D’abord, durant les deux premières années, les rencontres du comité de coordination ont été faites via la plate-forme Zoom. Or, au regard de notre expérience en RAP, les rencontres virtuelles ne favorisent pas systématiquement la création du lien entre les personnes, peuvent générer une certaine anxiété à prendre la parole lorsqu’on se sent moins à l’aise de s’exprimer via un dispositif intermédiaire, ou encore moins familier·ère avec ce type de nouvelles technologies. Également, les discussions informelles – qui permettent de créer un climat propice à la collaboration et au partenariat- se trouvent souvent réduites. Conséquemment, dans cet un environnement virtuel, les espaces d’échange où se transigent l’expression des savoirs et l’expertise de vécu se retrouvent ainsi restreints. D’autre part, les vagues successives de la COVID-19 ont rendu le recrutement difficile, ainsi que la tenue des groupes de discussion en présence[4], considérant en sus la fracture numérique qui affecte certains sites ruraux ainsi que l’accès et la connaissance des nouvelles technologies de l’information. Par ailleurs, il aurait été intéressant de questionner les variables territoriales entre les milieux ruraux et (péri)urbains qui peuvent influencer la participation des personnes ainées dans le développement des communautés, considérant que les enjeux des milieux ruraux liés au transport et à la mobilité, à la difficulté d’accès aux services, à des réseaux de sociabilité, etc. sont des facteurs qui entravent la participation sociale des personnes ainées vivant en milieu rural (Gucher, 2013; Levasseur et al., 2020). Finalement, si les groupes de discussion avec les personnes aînées ont permis de cerner les différentes formes de participation dans l’avancée en âge, ils se sont avérés moins fructueux pour en étayer tangiblement leurs contributions dans leurs communautés locales. Or, les entrevues individuelles ont permis d’enrichir cet aspect de la recherche.

06. Conclusion 

Contrairement aux discours âgistes qui posent les personnes ainées comme un poids pour la société, ou encore un « handicap » pour les territoires ruraux (Gucher, 2013), notre recherche montre que ces dernières ont une influence certaine sur l’amélioration des conditions de vie en participant à l’effort collectif pour bâtir des communautés résilientes et vivantes. Qui plus est, l’action bénévole des personnes ainées, qu’elles soient « formelles » ou « informelles », permet de soutenir d’autres personnes dans un objectif d’entraide communautaire. Dans des contextes ruraux où des enjeux de dévitalisation sont davantage l’objet de préoccupation que dans les milieux (péri)urbains, l’entraide mise en relief dans les témoignages se matérialise dans les réseaux de réciprocité et d’échange, qui rythment l’aide qui se transige entre les individus, voire entre les organisations et les citoyen·ne·s. À l’échelle territoriale, les personnes aînées agissent au sein du système local d’action et développent des initiatives permettant l’innovation socioterritoriale afin de répondre à un problème social ou à un besoin de leur communauté.

Également, considérant que la participation sociale des personnes ainées dans les communautés pallie le retrait de l’État dans certains secteurs, notamment dans les services de soutien à domicile (Sévigny et Vézina, 2007) et de proche aidance, il importe de rester vigilant quant aux discours dominants sur la participation ou la citoyenneté « active », qui posent les notions comme des stratégies individuelles pour promouvoir les obligations liées au statut citoyen (Van Hees et al., 2015). Ainsi, la mobilisation de la participation par l’État québécois se confine trop souvent à une représentation idéalisée du citoyen actif et en santé, laissant ainsi dans l’ombre plusieurs catégories d’ainé·e·s, dont ceux du grand âge ou aux prises avec des handicaps (Raymond et Grenier, 2013). Aller à la rencontre de ces groupes dans les études sur le vieillissement s’avère d’ailleurs un défi, et une limite en ce qui concerne la présente recherche, mais reste crucial pour contrer l’exclusion sociale et promouvoir l’inclusion sociale.

Finalement, afin de poursuivre les réflexions sur la participation sociale des personnes ainées au développement des communautés, il importe, comme l’évoque Bourque (2017), de repenser le développement en fonction des nouvelles réalités sociales et collectives. En l’occurrence, le vieillissement de la population au Québec, et de ses localités rurales plus particulièrement, représentent des enjeux collectifs qui ne doivent pas seulement être abordés sous l’angle du déclin ou de l’insuffisance des ressources territoriales, mais aussi sous la perspective de la participation, voire de l’innovation socioterritoriale que peuvent insuffler les personnes ainées au sein des milieux ruraux.