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Ce numéro portant sur les approches pédagogiques innovantes est le premier de deux numéros de la revue Enjeux et société qui ont été pensés dans l’effervescence de la création de l’Université de l’Ontario français (UOF). En effet, celui-ci sera suivi du numéro « Enraciner une nouvelle université au 21e siècle ». Les deux numéros sont constitués en partie de textes qui ont été sollicités auprès de collaborateurs et de collaboratrices au développement de cette nouvelle université.
Le 25 août 2016, la ministre ontarienne des Collèges et Universités approchait Dyane Adam pour présider le Conseil de planification pour une université de langue française. Ce conseil était chargé de proposer un modèle pour cette université francophone en Ontario, un projet revendiqué depuis plus de quarante ans par la communauté franco-ontarienne.
Le Conseil de planification a analysé de nombreux rapports et études, rencontré plus de 400 spécialistes universitaires, employeurs, organismes sociaux et communautaires et, surtout, posé la question à des recteurs et rectrices, cadres, professeurs et professeures à savoir ce qu’ils feraient différemment s’ils avaient la chance de créer une nouvelle université.
Ce projet est devenu l’Université de l’Ontario français et en son coeur réside une conception pédagogique innovante de l’enseignement supérieur. L’UOF se distinguera des autres établissements d’enseignement postsecondaire (EEPS) par l’originalité de la formation initiale et continue offerte aux étudiants de l’Ontario. Cette originalité se définit par un assemblage créatif des quatre fonctions fondamentales d’un établissement moderne d’enseignement postsecondaire : la conception des contenus de formation, les méthodes de livraison de cette formation, la validation des apprentissages et l’obtention du diplôme. Outre l’accent sur le développement des compétences plurilingues et interculturelles, la transdisciplinarité, les approches pédagogiques inductives, l’apprentissage par l’expérience, les stages et les programmes coopératifs, le lien robuste entre l’enseignement et la recherche, l’usage du numérique et une capacité à fédérer en feront une université innovante et d’avant-garde.
Au cours des trois dernières années, de nombreux groupes d’experts ont été invités à partager leurs visions d’une pédagogie inspirée de la transdisciplinarité, des approches inductives, de l’apprentissage par l’expérience, des approches par compétences, du tiers lieu et de l’apprentissage en milieu de travail (coopératif) afin de nourrir la réflexion et les choix de la direction de l’UOF.
De nombreuses questions ont guidé les discussions, notamment : comment favoriser l’inclusion et l’équité? Quelles approches pédagogiques peuvent favoriser un lien plus fort avec la communauté? Comment assurer un lien adéquat entre enseignement et recherche? Comment favoriser les démarches réflexives chez les apprenants? Comment utiliser adéquatement les technologies pour placer les apprenants au centre de l’activité universitaire?
La particularité fondatrice de l’UOF est bien sûr d’être de langue française et d’être gérée par et pour les francophones. Elle a été créée en 2017 par le gouvernement de l’Ontario afin d’offrir une éducation universitaire à la francophonie ontarienne, plus particulièrement dans la région du Centre Sud-Ouest. L’UOF est établie à Toronto, métropole canadienne et région effervescente, et elle est ancrée dans une communauté francophone grandissante qui incarne la diversité de la francophonie.
Le Conseil de planification a aussi voulu une université d’un genre nouveau. L’objectif était de préparer les étudiants au monde d’aujourd’hui avec des approches à la connaissance et des méthodes d’analyse et de résolution de problèmes repensées pour répondre aux grands enjeux contemporains, tels que la transition écologique, la transition numérique, la mondialisation, la diversité humaine, la justice sociale, l’apprentissage tout au long de la vie et la gestion responsable. Ainsi, l’UOF se donnerait une signature pédagogique qui la distinguerait des autres établissements.
Les programmes d’études de l’UOF ont été conçus en partant des compétences que les étudiants doivent développer, plutôt qu’à partir des connaissances qu’ils devraient acquérir. Les compétences sont de l’ordre de l’action dans laquelle des ressources sont mobilisées dont les connaissances, les habiletés, les attitudes. Les compétences se développent par l’apprentissage progressif. Avec une approche axée sur les compétences, l’UOF privilégie la coconstruction des apprentissages plutôt que le paradigme traditionnel de la transmission et de l’acquisition du savoir. Les compétences ciblées dans les programmes de l’UOF sont inspirées, entre autres, de ce que l’on nomme les compétences du 21e siècle dans plusieurs organismes internationaux, de même que des orientations proposées par le Conseil des ministres de l’Éducation (Canada) et le gouvernement de l’Ontario.
Par l’approche de coconstruction des connaissances, l’UOF assure une meilleure intégration de l’enseignement et de la recherche. Le corps enseignant fonde une part importante de ses activités de recherche autour des thèmes des programmes d’études et des besoins du milieu et il mobilise les activités d’apprentissage dans le cadre de cette recherche collaborative.
L’UOF a aussi choisi de se démarquer et de répondre aux besoins du temps présent en offrant des programmes transdisciplinaires. Ces programmes s’attardent à l’analyse de situations réelles, et donc complexes, afin de bien saisir les enjeux qui les entourent et de développer la capacité des étudiants à y manoeuvrer, comme citoyens, employés, créateurs ou entrepreneurs.
La transdisciplinarité est une approche collaborative au développement des connaissances qui est ouverte et évolutive, écosystémique et intégratrice des différents champs, modes et disciplines du savoir qu’elle traverse afin de mieux comprendre et d’agir sur les enjeux complexes qui sont présents dans nos sociétés. L’approche collaborative s’enracine dans la mobilisation et la valorisation des acteurs qui confrontent leurs savoirs scientifiques issus des disciplines établies, leurs savoirs pratiques issus des milieux d’intervention et leurs savoirs traditionnels qui ont résisté à l’épreuve du temps. Dans cette approche, le développement des connaissances se réalise à la fois par l’apprentissage de la communauté apprenante de l’université, par la recherche – notamment la recherche collaborative – et par la mobilisation des connaissances avec une diversité de partenaires du milieu. Cette approche est ouverte et évolutive, c’est-à-dire qu’elle constitue une démarche innovante qui se nourrit des savoirs et des incertitudes, reste à l’affût de l’inconnu et se projette dans l’avenir. Elle est écosystémique et intégratrice par la prise en compte des multiples niveaux de la réalité dans une perspective qui distingue puis relie une diversité de savoirs afin de trouver une unité de la connaissance. Enfin, cette approche s’inscrit dans des enjeux complexes, c’est-à-dire les problèmes et les défis qui marquent notre temps et sur lesquels nous devons agir individuellement et collectivement.
L’apprentissage par raisonnement inductif est corrélatif à la transdisciplinarité. Les étudiants sont appelés à découvrir les réalités par l’observation systématique des faits, par l’expérience, puis à recourir aux outils conceptuels et théoriques pour construire une compréhension des réalités. Cette approche rompt avec l’enseignement traditionnel qui procède par divulgation des théories et elle engage davantage les étudiants dans la construction de leurs apprentissages.
L’apprentissage s’appuie donc sur l’expérience, c’est-à-dire qu’il se réalise au contact direct avec les réalités, que ce soit par des échanges dans la salle de classe, des visites sur le terrain, des observations, des stages, des mises à l’essai ou des simulations. Suite à cette expérience, les étudiants entament une démarche réflexive qui leur permet de décrire ce qui s’est passé, ce qui a été perçu et ressenti, puis tentent de l’expliquer en recourant à des outils conceptuels et théoriques. En bouclant la boucle de l’apprentissage, ils tirent des leçons de la démarche et la réexpérimentent afin de l’intégrer à leur propre pratique.
On comprend bien que cette signature pédagogique favorise la collaboration entre les équipes enseignantes, les personnes apprenantes et le milieu. La collaboration est plus que jamais requise dans le monde actuel et elle est clairement visée comme résultat d’apprentissage. Elle est aussi nécessaire à la démarche transdisciplinaire et l’enseignement se réalise ainsi en bonne partie par des équipes enseignantes qui sont appelées à planifier, animer et évaluer ensemble les activités d’apprentissage. La collaboration est enfin engagée au sein de la communauté apprenante universitaire afin d’assurer la pertinence sociale des apprentissages.
De plus, la signature pédagogique de l’UOF s’appuie sur le potentiel du numérique. Le numérique offre en effet diverses possibilités d’accroître l’accès aux études universitaires, d’enrichir l’expérience d’apprentissage, de favoriser la créativité innovante, d’engager des actions responsables autour d’enjeux sociaux, éthiques ou environnementaux et de faciliter le suivi et la gestion des études. Avec l’apport du numérique, l’UOF choisit d’offrir ses activités d’enseignement et d’apprentissage en utilisant plusieurs modalités : formation en présentiel sur le ou les sites d’enseignement, à distance, hybride ou comodale. Le numérique sert de plateforme pour toutes ces modalités. En outre, le numérique est lui-même un objet d’étude qui traverse les différents programmes de l’UOF (par exemple les technologies, les arts, l’apprentissage, le travail, la gouvernance).
Pour ce numéro d’Enjeux et société, en plus d’inviter des collaborateurs et des collaboratrices à la création de l’Université de l’Ontario français à soumettre des textes en lien avec tout le travail qui s’est déroulé entre l’automne 2016 et l’été 2020, moment de la nomination du premier recteur et du premier vice-recteur académique permanents, nous avons aussi publié un appel à textes portant sur les approches pédagogiques innovantes.
Nous nous sommes montrés intéressés par des contributions portant sur les pratiques pédagogiques innovantes. Nous étions notamment intéressés par la transdisciplinarité, les approches inductives, l’apprentissage par l’expérience, les approches par compétences, le tiers lieu et l’apprentissage en milieu de travail (coopératif), mais nous étions aussi ouverts à recevoir des textes qui pourraient porter sur d’autres thématiques ou qui aborderaient diverses questions, par exemple : comment inciter à la résolution et à la redéfinition de problèmes? Comment favoriser une approche centrée sur l’apprenant qui adopte une posture active? Par quoi remplacer les exposés magistraux? Devons-nous tous les remplacer? Comment engager les apprenants dans un processus continu? Comment favoriser une approche ouverte et inclusive dans laquelle les contenus théoriques font suite à l’apprentissage plutôt que de le précéder?
Le contenu de ce numéro constitue une abondante ressource de réflexions, de questionnements et de pistes d’action pour quiconque s’intéresse à la pédagogie en enseignement supérieur.
Le premier article, de Didier Paquelin, titulaire de la Chaire de leadership en pédagogie de l’enseignement supérieur de l’Université Laval (Québec), met la table de manière riche et nuancée en identifiant avec rigueur les défis liés au tournant que vivent actuellement les universités avec l’exigence de l’innovation. Ce texte constitue un programme de questions à se poser lorsqu’on veut fonder une université ou en réformer une. Il repose sur la consultation de plusieurs spécialistes et sur une analyse fine des diverses dimensions en jeu dans les organisations universitaires, au-delà de la relation pédagogique.
Le deuxième article, de François Guillemette, directeur de l’Observatoire de la pédagogie en enseignement supérieur, présente les résultats d’une recherche-action qui avait comme objet d’étude les orientations adoptées progressivement par les dirigeants de l’UOF sur le plan spécifique des stratégies pédagogiques. Cet article présente la signification et les implications du passage d’un modèle transmissif à un modèle d’apprentissage guidé. Ce passage constitue un changement de paradigme qui irradie sur bien des aspects concrets de la fonction pédagogique des enseignants universitaires.
Comme premier article d’une série sur différentes innovations pédagogiques, le texte de Sana Boudhrâa et Tomás Dorta, directeur du Laboratoire de recherche en design Hybridlab, expose les résultats d’une étude exploratoire sur le vécu des étudiants dans une expérience pédagogique de codesign dans des ateliers de conception de projets. Cette approche d’apprentissage actif et créatif se situe en rupture avec une approche traditionnelle basée sur l’analyse critique de projets existants. Elle favorise l’engagement des étudiants dans leur apprentissage jusque dans la complexité exigeante de la création collaborative.
L’article de Marina Frangioni, Patrick Pelletier et Nathalie Lachapelle a été rédigé avant le début de la pandémie de la Covid-19, mais il trouve une grande pertinence dans le développement actuel de l’enseignement à distance. À partir de l’exemple de la formation à l’entrepreneuriat, la recherche à la base de cet article propose des principes importants pour tout enseignant qui veut améliorer son enseignement dans un autre contexte que le présentiel. On trouve ici un éclairage réaliste sur les possibilités qu’offre le numérique sans en nier les contraintes.
L’article de Clermont Gauthier, cofondateur et chercheur émérite au Centre de recherche interuniversitaire sur la formation et la profession enseignante (CRIFPE) et membre de la Société royale du Canada, Steve Bissonnette et Marie Bocquillon propose d’introduire de l’innovation dans la pratique traditionnelle de l’exposé magistral, notamment en aménageant des stratégies qui engagent les étudiants dans un apprentissage actif. Leur posture évite la rigidité du tout ou rien. Ils montrent à la fois les avantages et les limites de différentes stratégies dans l’aménagement de l’exposé lui-même et dans la mobilisation de stratégies plus participatives.
Pour leur part, Sylvie A. Lamoureux, titulaire de la Chaire de recherche de l’ILOB en gestion des langues, vice-doyenne à la gouvernance et aux relations extérieures à la Faculté des arts de l’Université d’Ottawa et membre du Collège de la Société royale du Canada, Marie-Josée Vignola et Johanne S. Bourdages abordent un sujet qui est tellement au centre des études postsecondaires qu’il est dans un point aveugle. Il s’agit de la rédaction de textes universitaires. Elles ont étudié une innovation pédagogique en lien avec la littératie universitaire chez les étudiants francophones en milieu minoritaire. La description du caractère spécifique de cette situation permet de transférer la problématique dans d’autres situations de littératie universitaire.
Dans une étude sur un cours d’éducation relative à l’environnement, Virginie Boelen et Philippe Chaubet ont porté leur attention sur des stratégies pédagogiques orientées vers la réflexivité et le développement du pouvoir d’agir chez les étudiants. L’analyse fine et rigoureuse des processus de réflexivité montre comment tout apprentissage doit mener à l’autonomisation, c’est-à-dire à la transformation de l’action sur son environnement.
L’article de Geneviève Demers et Diane-Gabrielle Tremblay, titulaire de la Chaire de recherche sur les enjeux socio-organisationnels de l’économie du savoir à la TELUQ, met en lumière les enjeux et les défis d’une stratégie d’apprentissage innovante : les communautés de pratique en milieu universitaire. Ces communautés sont de plus en plus des pratiques courantes dans les organisations, notamment dans les universités. En étudiant deux cas particuliers, les chercheuses mettent en lumière les opportunités positives de même que les pièges à éviter dans ces pratiques collaboratives.
En articles hors thème, on trouve deux textes qui relèvent des sciences du loisir et de la culture ainsi que de la communication. Le premier, de Marie-Claude Lapointe, Jason Luckerhoff et Anne-Sophie Prévost, aborde le sujet des différentes dimensions du vécu des jeunes Québécois relativement à ce qui joue un rôle dans leurs goûts et leurs pratiques de consommation culturelle. Les résultats de leur recherche mettent à mal plusieurs préjugés répandus sur les jeunes et leurs pratiques en matière de culture, notamment en ce qui a trait à l’influence des nouveaux médias, et plus spécifiquement des réseaux sociaux numériques.
Enfin, Caroline Lacroix, journaliste et présentatrice de nouvelles, et Marie-Ève Carignan, directrice du pôle médias de la Chaire UNESCO en prévention de la radicalisation et de l’extrémisme violents, présentent les résultats d’une étude récente sur les menaces qui pèsent sur le droit à l’information dans le contexte de la pandémie de la Covid-19. Chacun sait que cette pandémie impose des contraintes nouvelles sur la pratique journalistique. L’intérêt de cet article dépasse largement le cercle de la profession de journaliste, notamment parce qu’il aborde les enjeux de l’information et de la désinformation.
Notons en terminant que plusieurs de ces auteurs ont activement collaboré au développement de l’UOF. Par exemple, Didier Paquelin, François Guillemette et Tomás Dorta ont participé à la confection de sa pédagogique innovante, alors que Diane-Gabrielle Tremblay, Sylvie A. Lamoureux et Sana Boudhrâa ont appuyé le développement de ses premiers programmes transdisciplinaires. D’ailleurs, madame Tremblay et messieurs Paquelin, Dorta et Guillemette sont au nombre des premiers professeurs et professeures associés de l’UOF. Jason Luckerhoff a participé à la création de l’Université de l’Ontario français d’abord comme consultant au sein du Conseil de planification pour une université de langue française en Ontario (2017) et ensuite à titre de premier vice-recteur chargé du développement des programmes et des savoirs à l’Université de l’Ontario français et de membre du Conseil de gouvernance (2019-2020). Marc L. Johnson a été directeur du développement des programmes à l’UOF de 2017 jusqu’à la nomination de la première équipe de gestion permanente.