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Cet ouvrage est le fruit d’une collaboration entre des historiens des six États qui avaient signé le traité de Rome en 1957. Il vise à présenter une synthèse de 50 ans d’intégration européenne.
Ce livre est divisé en trois parties. La première est consacrée au traité lui-même ainsi qu’à son histoire. On y examine l’élaboration du traité en 1955-1957, puis sa ratification et son entrée en vigueur, ainsi que sa mise en application progressive dans une phase de 12 ans. Cette première partie passe aussi en revue les nombreux textes qui ont modifié le traité de Rome, comme l’Acte unique européen et le traité de Maastricht.
Les deuxième et troisième parties présentent un bilan des résultats obtenus en portant l’attention sur les domaines les plus significatifs. Elles offrent ainsi un large tour d’horizon des différentes politiques publiques de la Communauté/Union européenne comme l’agriculture, la pêche, l’économie, la politique étrangère, le développement, la sécurité intérieure, etc.
Cet ouvrage pose malheureusement de nombreux problèmes. Tout d’abord, il ne contient pas d’introduction qui explique les objectifs, l’originalité et la méthodologie du recueil. Ensuite, on constate un manque de prise en considération des travaux réalisés en science politique, en science économique et en droit. Comme si ces approches étaient largement inutiles. Il est certes tout à fait légitime de privilégier une démarche historiographique relativement classique aux dépens d’autres méthodologies. Il est certes également salutaire que des chercheurs réaffirment avec conviction la nécessité de revenir aux textes originels, aux sources et aux archives. Mais les rédacteurs de l’ouvrage ne montrent jamais en quoi leur approche est différente de celles des autres perspectives de science sociale et quelles rectifications elle pourrait amener. En fait, l’immense majorité des analyses exposées dans cet ouvrage ne proviennent pas d’un travail issu de la découverte de documents qui étaient jusqu’alors fermés au public. Ce ne serait d’ailleurs pas possible, puisque le livre couvre même les périodes jusqu’à 2007. Notons aussi que certains chapitres sont incomplets, comme ceux sur les crises internationales qui n’incluent pas les formidables développements de la Politique européenne de sécurité et de défense (pesd), à tel point que les 23 opérations menées par l’ue à l’extérieur de ses frontières ne sont même pas mentionnées.
Le chapitre de conclusion rédigé par Gilbert Trausch ajoute à la déception, car il ambitionne en 13 pages de refaire un tour d’horizon de l’ensemble des 50 premières années de la construction européenne tout en dégageant des perspectives d’avenir. Cela aboutit malheureusement à des jugements hâtifs qui sont parfois en contradiction avec les analyses développées par d’autres auteurs du livre.
Cela conduit ainsi Trausch à véhiculer les poncifs les plus éculés sur le Royaume-Uni et sa supposée hostilité à une Europe politique, alors même que le chapitre rédigé par Jean-Christophe Romer sur la défense avait bien montré le rôle déterminant de Tony Blair dans le lancement de la pesd. De même, l’accusation que Tony Blair aurait favorisé l’élargissement de l’ue pour en torpiller son approfondissement procède du même raccourci. Gilbert Trausch en arrive même à écrire dans la phrase finale de la conclusion de l’ouvrage que « tôt ou tard, une question “anglaise” se posera à l’Union ». Il est bien entendu libre de le penser. Mais on est là plus dans le « propos de bistrot » que dans la recherche historique et l’analyse empirique.
Autre exemple, Gilbert Trausch prétend vouloir rassurer l’ancien secrétaire d’État américain Henry Kissinger en affirmant que « l’Europe aura son numéro de téléphone » grâce au traité de Lisbonne. Mais Jean-Christophe Romer avance dans son chapitre que l’ue « a déjà un visage et… un numéro de téléphone » depuis le traité d’Amsterdam. Rappelons quand même que le propos attribué à Kissinger est apocryphe (Gideon Rachman, Financial Times, 22 juillet 2009). Et, de toute manière, tout le monde s’accorde aujourd’hui sur l’observation que la création par le traité de Lisbonne de plusieurs postes prestigieux à la tête de la gouvernance de l’ue ne permet assurément pas de déterminer un seul numéro de téléphone. Qui faut-il appeler ? Le président du Conseil européen, la Haute Représentante pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, le président de la Commission ou le premier ministre du pays qui exerce la présidence tournante du Conseil des ministres ?
Notre déception est d’autant plus grande que cet ouvrage est rédigé par d’incontestables grands spécialistes de leur domaine et que certains chapitres sont remarquables de précision et de subtilité. Ajoutons que les recherches très méticuleuses de Michel Dumoulin, de Marie-Thérèse Bitsch et de Robert Franck, qui se basent sur des archives qui avaient été souvent rédigées en français, devraient davantage être prises en considération par des chercheurs qui ne s’appuient que sur des textes écrits en anglais.
Enfin, certaines analyses de ce recueil mériteraient d’être mieux connues de la part de certains politologues qui passent parfois trop rapidement sur certains faits qui les dérangent quand ils n’entrent pas dans leur grande théorie. À cet égard, les chapitres de Gilbert Noël sur « l’Europe verte et l’Europe bleue », ainsi que celui de Jean-Marie Palyret sur les relations avec les pays acp peuvent faire figure de référence.