Corps de l’article

Au cours des dernières années, un nombre impressionnant de spécialistes des Amériques ont abordé le thème de l’intégration régionale. Cette littérature multidisciplinaire met en exergue les transformations et les rapprochements des pays du continent américain. Bon nombre de publications ont su offrir des analyses de qualité de ces relations complexes, se transformant à un rythme effréné. Building The Americas s’inscrit donc cette lignée, traitant des multiples facettes de cette intégration continentale en plein déploiement.

Les seize chapitres de cet ouvrage collectif dressent un panorama plutôt complet de chacun des sujets. La formule homogène utilisée par les auteurs facilite la compréhension : historique de la question, suivi par les argumentations et par quelques pistes de solution. L’objectif premier de l’ouvrage est intimement lié à cette dernière partie, celle de trouver des réponses aux problèmes. Les exposés des auteurs mélangent les aspects concrets et abstraits de leur thématique. Parfois séditieux, l’ouvrage propose des idées assez progressistes.

Les outils sélectionnés par les auteurs sont mixtes : juridiques, économiques, sociaux, politiques, etc. L’organisation des chapitres dans l’ouvrage est articulée méticuleusement par Rioux. Les deux premières sections, plus pédagogiques et plus approfondies, sont suivies d’applications spécifiques. Cela fait en sorte que les néophytes, tout comme les lecteurs initiés, s’y retrouveront avec aisance.

La publication de Building the Americas représente un amalgame intéressant des thèmes traités précédemment par la directrice, Michèle Rioux. Membre du Centre d’études sur l’intégration et la mondialisation (ceim), celle-ci a aussi publié plusieurs ouvrages traitant de la globalisation et de la situation actuelle de l’économie à l’échelle mondiale (Globalisation et pouvoir des entreprises [2005], Les nouvelles régulations de l’économie mondiale [2005] et Quelle culture de la concurrence face aux limites de l’antitrust international et de la concurrence globalisée ?, P. Hugon et C.A. Michalet (dir.) [2005]). Elle a également collaboré, sous la direction de Christian Deblock et de Dorval Brunelle, à la publication d’ouvrages collectifs spécialisés sur la régionalisation dans le continent américain.

On notera, tout au long de l’ouvrage, la présence de balises issues du nouveau régionalisme. Ces questions se concentrent particulièrement sur le rôle hégémonique des États-Unis, sur les asymétries présentes dans la région ainsi que sur le caractère multidimensionnel de l’intégration et de ses institutions. Pour Rioux, deux avenues s’offrent au régionalisme : d’une part, être guidé par les structures institutionnelles ; d’autre part, être dirigé par les forces du marché.

Vu l’ensemble des textes proposés dans le recueil, il demeure difficile de proposer une critique détaillée de chacun des chapitres. Toutefois, il nous apparaît important de distinguer les principaux axes dans lesquels les textes se classent. Ainsi, la première partie est de loin la plus pédagogique. La gouvernance régionale dans les Amériques constitue l’objet principal de cette section où les principales caractéristiques liées aux enjeux économiques et à l’intégration régionale sont consciencieusement détaillées. Avec comme toile de fond les dichotomies Nord-Sud, les auteurs de la section réfléchissent au rôle des États-Unis dans la gouvernance économique du continent. Le rôle de l’hégémonie américaine et l’asymétrie entre les nations auraient selon eux une incidence particulière sur la poursuite de l’intégration hémisphérique.

Dans cette même section, Ninfa Fuentes et Jorge A. Schiavon proposent un texte particulièrement réussi. Ils voient l’absence d’une plate-forme structurelle régionale commune comme un obstacle majeur au régionalisme. Cette lacune représente pour les auteurs un des principaux facteurs ayant mené au blocage de la Zone de libre-échange des Amériques (zlea). Leur texte répond à un manque réel dans la littérature en tentant de dégager cette relation étroite entre réforme structurelle et intégration régionale. Les hypothèses et les prédictions présentées par les auteurs sont appuyées par une analyse historique approfondie et un travail empirique soutenu qui méritent d’être soulignés.

Les deuxième et troisième sections rassemblent plusieurs dimensions sociales de la régionalisation. Ces chapitres répondent aux questions suivantes : Comment contrer l’inégalité entre des pays si différents ? Que dire des droits humains dans ce contexte de transformation hémisphérique ? Quelles recommandations pouvons-nous apporter aux plus petits États du continent pour leur assurer un meilleur avenir à l’intérieur des projets d’intégration ? Le fil conducteur entre ces sections est particulièrement intéressant. Notamment, les chapitres traitant des droits humains sont suivis de solutions et d’outils pertinents. On y trouve des études de cas bien documentées et tout à fait complémentaires, qui s’attardent à la zlea, au caricom et à la situation des travailleurs immigrants.

Bien qu’elle soit trop brève, la quatrième section montre une dimension particulièrement étonnante de l’identité et des valeurs. Les auteurs s’adonnent à un exercice de théorisation et de définition de concepts polysémiques comme « l’hybridité », « le multiculturalisme » et « l’identité panaméricaine ». Guilhon Albuquerque propose une analyse comparative des élites du mercosur et plus particulièrement de la partie brésilienne de ce groupe puissant. Cette étude, qui s’appuie en très grande part sur l’analyse de sondages, livre une réflexion critique des perceptions nombreuses associées au mercosur.

De façon générale, le livre soutient un bon rythme dans la majorité des textes. Toutefois, vers la fin de l’ouvrage, le tempo s’accélère et les chapitres deviennent très concis. La dernière partie est ainsi quelque peu décevante. Elle propose trois chapitres, plus ou moins liés l’un à l’autre, qui agissent à titre de conclusion. Dans les parties iv et v, les textes sont courts et ne conservent pas la cohérence que l’on trouvait entre les chapitres des autres sections. L’une des critiques majeures que l’on peut adresser à l’ouvrage demeure le manque d’espace afin de mettre en place la méthodologie et le développement empirique nécessaires. Il aurait été souhaitable de disposer d’un nombre suffisant de pages pour chacun des chapitres. La rigueur et le rythme soutenu que l’on sentait dans les premiers chapitres semblent se relâcher en fin de parcours.

Hormis ces quelques points, Building the Americas propose un traitement stimulant des processus récemment mis en oeuvre dans les Amériques. Ainsi, les auteurs, venant de divers horizons, offrent des perspectives à la fois originales et complémentaires. Le choix des articles semble tout aussi minutieux qu’audacieux. La variété des perspectives étant particulièrement intéressante, l’ouvrage s’avère pertinent pour un grand éventail de lecteurs. Tout compte fait, Rioux et ses collègues proposent des outils d’analyse qui rallieront les adeptes de l’économie politique tout comme leurs collègues sociologues, historiens et juristes.