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Federalism and Territorial Cleavages s’interroge sur les formes que prennent les États. Plus précisément, c’est un ouvrage qui cherche à comprendre comment s’intègrent les différentes minorités au sein des États. Quelles sont leurs positions vis-à-vis de l’ensemble national ? Quelle est leur marge d’autonomie dans l’exercice du pouvoir politique ? Dans la lignée des travaux de Stein Rokkan, de Charles Tilly…, les coordinateurs reviennent ainsi sur l’idée de construction statonationale, sur l’idée de territorial cleavages (économiques, religieux, identitaires…). Car même si l’idée d’État-nation est devenue une notion communément admise, les États ne correspondent que très rarement à des organisations identiques rassemblant une population parfaitement homogène. L’idée de ce travail est d’explorer ces situations : comment les États s’accommodent-ils de leurs différences ? Le mouvement de la globalisation économique, le développement de coopérations supranationales n’engendrent-ils pas de nouvelles représentations des espaces territoriaux ? Plus précisément, la centralité de la construction statonationale peut-elle nourrir des conflits entre les différentes entités d’un ensemble décrit comme « national » ? Tant dans les sociétés industrielles que dans le reste du monde, celle-ci a produit des phénomènes très disparates et ce sont ces différences que cet ouvrage cherche à analyser.
Aussi, en ce qui concerne la gestion des questions et des conflits territoriaux, Ugo Amoretti et Nancy Bermeo ont-ils choisi le fédéralisme comme angle d’approche. Car le système fédéral se fonde sur une division institutionnelle du pouvoir entre le gouvernement central et les gouvernements fédérés. L’hypothèse avancée dans cet ouvrage est que le système fédéraliste permet de réduire les conflits propres aux cleavages territoriaux. La nécessité pour les États unitaires de développer une autonomie territoriale (décentralisation) tendrait à le démontrer. Évidemment, le fédéralisme en tant que système politique est suffisamment hétérogène pour rendre difficile une approche exhaustive. Alors chaque étude de cas visite des expressions fédérales distinctes. C’est pourquoi la première partie du livre (Advanced Industrial Democracies) s’interroge sur un groupe composite mais comparable dans ses réalités fédéralistes : les démocraties éprouvées des pays industrialisés. On y retrouve la Suisse où les conflits semblent intégrés par le système tout entier (André Bächtiger et Jürg Steiner), la Belgique où les communautés flamande et wallonne, pour l’essentiel, discutent constamment la forme fédéraliste qu’a pris le pays depuis 1993 (Liesbet Hooghe), le Canada qui connaît une véritable décentralisation fédérale opérante en dépit des velléités indépendantistes (Richard Simeon), l’Espagne qui tend à se fédéraliser au sein des États des autonomies (Pablo Beramendi et Ramón Máiz). Toutes ces études de cas suggèrent que les conflits ne débouchent que très marginalement sur des conflits d’ordre politique. L’analyse comparative, avec d’autres situations étatiques, nous invite ensuite à relativiser le rôle des systèmes politiques dans la résolution des conflits. Ainsi, analyser comment la France, incarnation du modèle idéal-typique de l’État-nation, maîtrise la situation en Bretagne, en Corse ou au Pays basque (Marc Smyrl), comment le Royaume-Uni gère les questions écossaise et nord-irlandaise (Michael Keating) ou comment l’Italie réfléchit sur ses déséquilibres régionaux (Ugo Amoretti)… témoigne de la remise en question constante des structures étatiques. Dans l’hypothèse défendue par l’ouvrage, cette série d’études de cas suggère une nécessaire dévolution de l’exercice démocratique à un échelon plus territorialisé. Dans le cas français notamment, émergent certaines formes de violence politique pour lutter à la fois contre les représentations hégémoniques de la France et contre la corruption de l’élite locale traditionnelle, qu’un véritable exercice décentralisé du pouvoir pourrait corriger. En fin de partie, R Kent Weaver nous propose un examen des systèmes électoraux (Electoral Rules and Party Systems in Federations). Le choix de présenter un article sur les lois électorales et les systèmes de partis dans les systèmes fédéralistes est une très bonne initiative de la part des coordinateurs. Le lecteur regrettera simplement que cette analyse ne soit pas plus systématiquement mise en perspective avec les systèmes électoraux dans les États unitaires ; ceci aurait notamment permis de mieux appréhender l’espace dont disposent les partis ethnorégionalistes, nationalistes ou des petits partis (small parties)… et ainsi mesurer l’étendue de l’ouverture aux minorités nationales de ses États. Le dernier article de ce chapitre réfléchit ensuite sur la qualité démocratique dans un État fédéral multinational (Ferran Requejo « Federalism and the Quality of Democracy in Multinational Contexts »).
La seconde partie (Developing Democracies and Postcommunist Regimes) s’intéresse aux pays en voie de développement et aux États de l’ex-bloc communiste. Il apparaît alors que la réalité étatique et le fédéralisme s’expriment de manière très hétérogène. La stabilité que les diverses structures étatiques offrent dans les pays industrialisés ne se vérifie pas systématiquement pour les États nés de la décolonisation ou de la chute du Mur de Berlin. En effet, l’Inde fédérale gère difficilement ses minorités au Cachemire (Atul Kohli), l’État unitaire turc ne parvient pas plus à contrôler ses territoires kurdes (Michele Penner Angrist). Les Russes s’embourbent dans la question tchétchène (Kathryn Stoner-Weiss), le Mexique voit se mobiliser ses minorités indiennes (Guillermo Trejo) et le Nigeria a du mal à se défaire de ses guerres fratricides (Rotimi T Suberu). Nous sommes confrontés à des approches contrastées tant de la réalité statonationale que de la solution fédéraliste face au problème de cleavages. Les pérégrinations indiennes (A. Kohli) laissent à penser que l’élément moteur de la mise à l’écart de la violence est l’institutionnalisation de l’ensemble des institutions, fédérales et fédérés. Sans cela, les uns et les autres n’auront de cesse de négocier constamment plus ou moins de pouvoir, provoquant de ce fait, instabilités et troubles. Le cas russe est contrasté car, selon K. Stoner-Weiss, même si le centralisme russe peut échouer dans sa gestion territoriale, notamment en Tchétchénie, le fédéralisme offre des possibilités de gestion souple face à d’autres conflits potentiels. Au Nigeria (R. Suberu), le centralisme est le plus grand danger qui menace. En effet, il est perçu comme tout-puissant, concentrant l’essentiel des richesses du pays, accentuant les cleavages territoriaux, alors que le Nigeria a besoin d’une répartition homogène de ses ressources, sur l’ensemble national. En ce qui concerne les États-Unis du Mexique, G. Trejo démontre que les mobilisations indigènes se sont produites sur des territoires qui ne permettaient pas aux minorités indiennes, généralement pauvres, de participer pleinement à la vie des institutions (Chiapas, Oaxaca, etc.). Le renforcement des cleavages territoriaux au Mexique s’expliquerait essentiellement par le système corruptif (omnipotence du pri), par un exercice autoritaire de la vie politique locale, par un haut degré de concurrence et une répression agressive à l’égard des minorités indigènes dans ces États. L’exemple kurde illustre ensuite les échecs successifs de la politique ultra-centralisatrice turque. La diffusion d’une idéologie nationaliste assimilationniste, l’autoritarisme des militaires sur l’ensemble des échelons locaux ont conduit à l’exacerbation des tensions entre le centre turc et la périphérie kurde. Valerie Bunce conclut ensuite cette partie en s’interrogeant sur les liens entre les formes étatiques et la définition des identités nationales, la formulation des demandes séparatistes (Federalism, Nationalism and Secession). Alfred Stepan remet le phénomène fédéral dans une perspective plus sociohistorique. Partant de l’exemple des États-Unis d’Amérique, il insiste surtout sur le fait qu’il faut des institutions centrales fortes et soutenues par tous pour que les structures fédérées prennent tout leur sens. En conclusion, Nancy Bermeo revient, tout comme V. Brunce et A. Stepan, sur l’importance des phénomènes sociohistoriques. C’est l’histoire des États et de leurs structures politiques qui font que les cleavages territoriaux sont plus ou moins bien assimilés dans un projet politique. Elle sous-entend ainsi que les formes des États répondent à des déterminants propres. Finalement, le moteur fondamental de l’assimilation des territorial cleavages semble être l’institutionnalisation de l’ensemble des institutions.
À travers ce survol des différences étatiques, les auteurs nous permettent de relativiser la toute-puissance des États en confirmant leurs profondes dissemblances. En dépit d’un système de relations internationales, c’est-à-dire d’un système de collaboration mondiale qui privilégie les relations entre États-nations, les États sont chacun inégaux face à leur capacité de résolutions de leurs conflits internes et de leur capacité d’action. Ce recueil d’études illustre parfaitement cette idée. Par ailleurs, la diversité des exemples a le mérite de remettre au goût du jour l’analyse comparative qui reste, semble-t-il, le meilleur moyen de comprendre aujourd’hui une notion telle que l’État, qui en étant aussi générique et universelle en devient extrêmement polysémique et complexe.