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Ce livre fait partie de la vaste littérature, surtout en anglais, qui étudie les problèmes de santé publique face à la division entre les mondes industrialisés et en développement, tout en examinant particulièrement l’utilité du droit international dans ce domaine.
Estimant que la distinction entre santé nationale et internationale est devenue obsolète avec la mondialisation, l’auteur considère que leur vulnérabilité mutuelle exige une approche multilatérale face à l’internationalisation des maladies. Il prône une collaboration plus active entre juristes internationaux, épidémiologistes, et spécialistes d’autres disciplines concernées par la santé publique.
Le premier chapitre établit la structure conceptuelle et la méthodologie de l’auteur : il se réfère au « village, ou voisinage global », à la «mutualité de la vulnérabilité » et à la « vulnérabilité du multilatéralisme ». Il examine certains problèmes de la politique Sud-Nord (expression qu’il préfère à celle, plus usuelle, de « Nord-Sud ») dans les débats de l’Organisation mondiale de la santé (oms). Il fait ensuite une critique de l’initiative de l’oms « Faire reculer le paludisme » (Roll Back Malaria). De nombreuses références sont faites aux ouvrages d’histoire, de relations internationales, du développement, d’épidémiologie et de droit. L’étude est fondée sur le droit international ainsi que sur les sciences sociales et les relations internationales.
Au chapitre 2, l’auteur expose les limites du droit à la santé inclus dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, dans la Convention des droits de l’enfant et dans la Constitution de l’oms, dont la réalisation dépend de l’importance des ressources financières et techniques disponibles. Il examine également l’impact sur la santé des programmes d’ajustement structurel des institutions financières, basés sur l’idéologie de la supériorité du marché par rapport à la planification économique. Il affirme que, dans de nombreuses régions du monde en développement, les réformes de la Banque Mondiale ont précipité la réapparition de maladies contagieuses, dont la tuberculose, le paludisme et le choléra.
Au chapitre 3, l’auteur examine le potentiel de l’« auto-intérêt », (self-interest) des pays pour promouvoir le multilatéralisme humain de santé publique. Il rappelle l’historique de la santé publique internationale, les conférences et les conventions sanitaires internationales, la création des organisations de santé publique. Il décrit la réapparition de la menace de la tuberculose en Europe et en Amérique du Nord et l’importation du paludisme dans les pays du Nord. D’où l’intérêt bien compris, par exemple, des États-Unis à promouvoir la santé mondiale.
Le chapitre 4 reprend l’historique de la diplomatie des maladies infectieuses du 19e siècle, les origines coloniales et postcoloniales du multilatéralisme de la santé publique, les questions politiques Sud-Nord à l’Assemblée mondiale de la santé : la demande d’admission de la Palestine et de Taïwan comme membres de l’oms, la requête d’une Opinion consultative à la Cour internationale de justice sur la licéité de l’utilisation d’armes nucléaires compte tenu de leurs effets sur la santé et l’environnement. L’auteur constate la présente timidité de l’oms, en contraste avec d’autres agences des Nations Unies, à utiliser des mécanismes juridiques internationaux (conventions) pour mettre en oeuvre son mandat de santé mondiale, qu’il attribue, pour une part importante, à la culture interne de l’organisation dominée par une communauté médicale conservatrice.
Il rappelle la capacité de l’oms à adopter des conventions, règlements ou recommandations (art. 19-23 de sa Constitution), l’adoption des règlements sanitaires internationaux et de la Convention Cadre pour la Lutte Antitabac de l’oms.
Le chapitre 5 est une étude de cas sur l’Initiative Roll Back Malaria de l’oms, le partenariat qui allie l’industrie pharmaceutique et le secteur public, et d’autre part les médecines traditionnelles. L’auteur décrit l’enquête qu’il a menée par interviews sur les thérapies traditionnelles contre le paludisme au Nigéria. Il déplore que l’Initiative n’inclue pas ces thérapies dans leurs modes opératoires, bien que les herbes et racines soient disponibles et utilisées efficacement, à des coûts bien inférieurs à ceux des traitements à base scientifique. L’inconciliable tension entre le centre – la politique globale de contrôle du paludisme – et la périphérie – les thérapies traditionnelles indigènes – demande des solutions : la validation scientifique de ces thérapies, des mécanismes de gouvernance mondiale qui respectent la mondialisation à partir « du bas » (des populations) et non pas imposés par « le haut », et les échanges entre les écoles théoriques majeures des régimes internationaux.
Au chapitre 6, l’auteur note que la Banque mondiale est l’institution qui finance le plus de projets de santé publique dans le monde en développement et recommande qu’elle modifie son approche néo-libérale mercantiliste des soins de la santé en faveur des « soins de santé primaires » prônés par l’oms : il y a un besoin urgent de collaboration entre la Banque, avec ses immenses ressources, et l’oms et l’unicef. En raison de la baisse des ressources accordées par les gouvernements au titre de l’aide publique au développement, l’auteur encourage les gouvernements, les agences multilatérales, les fondations et les philanthropes à soutenir une attaque concertée contre les maladies contagieuses, y compris le vih/sida, la tuberculose et le paludisme. Le Fonds mondial de lutte contre ces maladies a été créé en janvier 2002. En conclusion, il demande que l’apparente passivité du droit international dans les débats de la santé mondiale soit modifiée pour reconnaître la synergie entre droit et santé mondiale d’une part, et d’autre part, la promotion de la vie et de la dignité humaines.
Le livre est fortement étayé par de nombreuses références théoriques de spécialistes – le texte lui-même a 131 pages, suivies de 51 pages de notes (une bibliographie et l’index terminent l’ouvrage). L’écriture est dense et plutôt destinée à des théoriciens de santé publique et juristes qu’à des étudiants. Les thèses principales sont connues : les maladies ne connaissent pas de frontières, l’intérêt bien compris des pays riches est de contribuer à la lutte contre les maladies contagieuses et pour une santé mondiale. L’appel à une « conversion » de la Banque mondiale paraît utopique, l’appel à un meilleur financement du Fonds mondial contre le sida, la tuberculose et le paludisme n’a malheureusement pas été entendu par les donateurs : les ressources promises ou accordées sont bien inférieures aux besoins. L’appel à l’ « auto-intérêt » des pays riches n’est entendu qu’à l’occasion de menaces proches, telles que celle de la grippe aviaire.
Le plaidoyer pour une expansion du droit international, qui ne constitue cependant pas l’essentiel du livre, et l’appel à un recours plus fréquent par l’oms à des conventions internationales sont étayés par l’adoption de la récente Convention cadre antitabac. Cependant, la réticence passée de l’oms à recourir à des instruments juridiques obligatoires est liée aux conflits créés par la négociation du Code international de commercialisation des substituts du lait maternel, adopté en 1981 et à la codification internationale avortée du Programme d’action pour les médicaments essentiels (non mentionnés par l’auteur).
Pour l’auteur, un monde sans maladie est une utopie et une impossibilité. Par contre, on peut souscrire à sa conviction qu’un « village global » qui empêcherait la prolifération des maladies est possible dans la mesure où l’humanité ferait les choix et les sacrifices nécessaires.