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Alors que le travail reste la source quasi exclusive des revenus des plus pauvres et constitue une des principales sources d’inégalités de revenus, les évolutions à l’oeuvre sur les marchés du travail (types d’emplois, évolution des rémunérations, discriminations, difficultés d’insertion etc.) ont fait l’objet de peu d’études dans les pays africains. Les travaux comparatifs récents mettent pourtant en exergue des défaillances structurelles préoccupantes dans les grandes villes ouest-africaines : mise au travail précoce des enfants, inadéquation entre formation et embauches des jeunes, discrimination à l’encontre des femmes, généralisation du sous-emploi, montée du secteur informel (Brilleau, Roubaud et Torelli, 2004). Les études sur des données rétrospectives se centrent sur l’interaction des événements démographiques qui affectent les trajectoires professionnelles, et en particulier sur les conditions d’insertion sur le marché du travail (Bocquier, 1996a, sur l’agglomération de Dakar ; Antoine, Razafindrakoto et Roubaud, 2001, dans une perspective comparative sur Dakar, Yaoundé et Antananarivo ; Calvès et Schoumaker, 2004, sur Ouagadougou et Bobo Dioulasso).

Ce travail est centré sur l’agglomération d’Antananarivo, capitale de Madagascar, et met en évidence des tendances assez différentes de celles constatées dans les autres capitales africaines, confirmant des constats antérieurs, par exemple la montée du secteur formel pour les jeunes générations, surtout pour les femmes (Antoine, Bocquier, Razafindratsima et Roubaud, 2000). Il a pour objet l’étude de l’évolution des niveaux de vie des individus sur leur cycle de vie. Alors que les études empiriques portant sur les revenus sur le cycle de vie portent essentiellement sur des données de pays développés connaissant des trajectoires de croissance de long terme, cette analyse se situe au contraire dans un contexte de récession macroéconomique durant les quatre dernières décennies. En effet, sur la période 1960-1995, on observe une chute de 45 % des niveaux de vie (Ravelosoa et Roubaud, 1996). La conjoncture récessive des années 1980 et de la première moitié des années 1990 est partagée par de nombreux pays africains ; toutefois, Madagascar se distingue par l’ampleur et la continuité de l’inflexion économique, celle-ci ayant débuté dès le début des années 1970 (Razafindrakoto et Roubaud, 2002a). Par ailleurs, comme dans d’autres pays d’Afrique subsaharienne, les inégalités régionales ont augmenté à Madagascar ; le coefficient de Gini se situait en 1962 entre 0,391 (estimation basse) et 0,460 (estimation haute) (Pryor, 1988), et en 1993 il était passé à 0,434 sur la base des dépenses de consommation ou à 0,456 sur la base des revenus (Banque mondiale, World Development Indicators, 1998 et 2004). En revanche, il semble que la croissance récente ait profité à toutes les couches de la population, au moins dans les zones urbaines (Razafindrakoto et Roubaud, 2002a).

Dans ce contexte fortement récessif sur longue période, comment le niveau de vie a-t-il varié au cours du cycle de vie des individus ? Les jeunes tananariviens plus nombreux et mieux éduqués perçoivent–ils des revenus inférieurs à ceux de leurs aînés au même âge ? Les individus voient évoluer leur revenu par étapes au cours du cycle de vie de sorte que des effets d’âge affectent l’ensemble des individus d’un âge particulier, indépendamment de la période. D’autre part, ils connaissent au même âge des évolutions de leur environnement spécifiques à la période qui influencent l’évolution de leurs revenus. Des effets de génération jouent ainsi sur l’ensemble des individus qui ont connu le même événement au même moment ou encore une conjoncture macroéconomique particulière [1].

Fondée sur l’exploitation conjointe d’une enquête biographique originale réalisée en 1998 et d’une enquête Emploi de la même année, cette analyse appréhende à la fois des événements biographiques individuels (mobilité géographique, insertion sur le marché du travail) et familiaux (fécondité, taille du ménage) pour estimer les revenus monétaires issus des trajectoires de vie d’individus appartenant à trois générations successives, mettre en évidence les principaux déterminants des revenus et mesurer les inégalités qui en découlent entre les individus ou les cohortes. À l’heure actuelle, les connaissances sur l’évolution des inégalités dans les pays en développement sont parcellaires ; le niveau même des inégalités de revenu — particulièrement dans les pays d’Afrique subsaharienne — est encore mal connu. Il a fait l’objet d’un examen récent concernant Madagascar (Guénard et Mesplé-Somps, 2004), mais également d’autres pays africains, examens rendus possibles par la disponibilité croissante de données microéconomiques. Dans l’analyse qui suit, le niveau d’inégalité une année donnée est comparé avec le niveau calculé sur tout le cycle de vie, et la mobilité des individus est calculée afin de déterminer si le marché du travail offre ou non des possibilités d’ascension dans l’échelle des revenus. Des effets autres que ceux relatifs au cycle de vie sont recherchés : des effets de revenus, d’activité, de cohortes, des effets conjoncturels, en plus de ceux relatifs à l’hétérogénéité des individus.

Après avoir caractérisé la dynamique macroéconomique récessive de Madagascar et présenté les données et méthodes utilisées, nous mènerons une estimation des revenus par tête de trois cohortes successives, puis une analyse des inégalités intra- et intergénérationnelles sur les trente dernières années.

Contexte macroéconomique malgache depuis 1960

Contexte macroéconomique général

Depuis le milieu des années 1980, Madagascar, un des pays les plus pauvres au monde, se plie aux exigences de l’ajustement structurel, à l’instar de beaucoup de pays africains. Après une expérience catastrophique de fermeture du pays au cours des années 1970 (qui s’est traduite par une régression continue de la consommation), celui-ci s’est engagé dans la voie de la libéralisation et de l’économie de marché, contraint par une crise économique sévère. La consommation par tête des ménages de la capitale sur longue période a en effet chuté, en volume, de 44,5 % entre 1961 et 1994-1995 (Ravelosoa et Roubaud, 1996) (voir le tableau 1). L’année 1994 a été particulièrement critique pour les ménages, l’aggravation de la situation s’expliquant par l’accélération sans précédent du processus inflationniste, sans que la grande majorité des revenus soient indexés à l’augmentation des prix à la consommation.

Dans le même temps (1961 à 1994-1995) au niveau national, le PIB par tête a chuté de 36,8 % et la consommation privée au sens de la comptabilité nationale de 46,8 %, soit un taux de croissance moyen de – 1,8 % par an (Ravelosoa et Roubaud, 1996). Aujourd’hui, la majorité des malgaches, toutes générations confondues, n’a jamais connu de phase de croissance durable du revenu durant sa vie adulte, du moins jusqu’en 1995. À de rares et brèves exceptions près (1967-1971, 1979-1980, 1988-1990), la chute du niveau de vie de la population a été continue depuis l’indépendance du pays au début des années 1960 (figure 1), sans pour autant que le pays ait connu de période de conflit. À tel point que l’inversion de tendance à partir de 1997, avec cinq années successives de croissance par la suite, peut être considérée comme exceptionnelle, même si cette trajectoire positive permet tout juste de retrouver le niveau de PIB par habitant du début des années 1990 (Razafindrakoto et Roubaud, 2002a).

Tableau 1

Évolution de la consommation par tête entre 1968 et 1998 (en Fmg a constants 1995)

Évolution de la consommation par tête entre 1968 et 1998 (en Fmg a constants 1995)
a

Francs malgaches.

Source : chiffres tirés de Ravelosoa et Roubaud, 1996.

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Sur la période récente, la pauvreté semble en effet avoir régressé dans la capitale, passant de 39,1 % en 1995 à 28,4 % en 1998 puis 19 % en 2001, au seuil d’un dollar US  (en parité de pouvoir d’achat 1985) par personne et par jour. Depuis le milieu des années 1990, le processus de réformes commence à porter ses fruits : à partir de 1997, Madagascar semblait enfin accéder à un cercle vertueux de croissance économique, de transformation de ses structures productives et de stabilité politique (Roubaud, 2002). En 1997, la croissance du PIB par tête est positive (+ 1 %) pour la première fois depuis de nombreuses années, puis elle atteint +4 % en 2001. L’amélioration du contexte sociopolitique (élections fin 1996 sans retour à l’instabilité, poursuite et crédibilité du processus de réformes en cours, reprise des activités des bailleurs de fonds multilatéraux et bilatéraux, confiance des investisseurs étrangers — dans la zone franche qui diversifie ses exportations, le tourisme, les exploitations minières —, annulation et réaménagement d’une partie de la dette extérieure) constitue clairement un des facteurs explicatifs de la dynamique positive obtenue depuis 1997 (Razafindrakoto et Roubaud, 2002a). Les dynamiques en cours sur le marché du travail doivent également être mentionnées (nous y reviendrons). Cependant, les élections présidentielles contestées de décembre 2001, suivies d’une crise politique ouverte durant les six premiers mois de 2002, ont compromis les progrès économiques, et le niveau de vie s’est depuis remis à décroître.

Figure 1

Trajectoire de l’économie malgache, 1960-2002

Trajectoire de l’économie malgache, 1960-2002
Source : Razafindrakoto et Roubaud (2002a).

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Évolutions de la demande et de l’emploi urbain

Depuis le milieu des années 1990, la relance de l’économie résulte principalement de l’accroissement des dépenses publiques, mais aussi et surtout de la croissance de la consommation privée urbaine. La consommation dans la capitale a effectivement augmenté de 29,7 % en volume (soit de 9,05 % par an) de 1995 à 1998 (voir le tableau 1). Le pouvoir d’achat des salaires publics et privés a fortement augmenté, sous le double effet d’une politique de réévaluations continues et d’un processus de désinflation rapide après trois années de forte hausse des prix à partir de 1994 (Razafindrakoto et Roubaud, 2002a). Par ailleurs, la dynamisation de la demande intérieure a eu des effets d’entraînement importants pour les entreprises locales et sur pratiquement tous les secteurs de l’économie urbaine.

Le spectaculaire renversement de tendance du processus d’informalisation du marché du travail constitue sans doute le meilleur indicateur du renouement avec une dynamique positive depuis 1997. Alors que le secteur informel employait 22,3 % des actifs en 1960 puis 39,2 % en 1995 (Ravelosoa et Roubaud, 1996) et 56 % en 1999, le secteur public a connu la tendance inverse : 26,3 % des actifs en 1960, 13,2 % en 1995 et moins de 10 % en 1999. La contribution à la création nette d’emplois du secteur informel est de 80 % entre 1995 et 1997 puis devient négative entre 1997 et 1998, le relais étant pris par le secteur privé formel (82 % des emplois nets créés) (Razafindrakoto et Roubaud, 1999), et notamment par la zone franche créée en 1990 (Razafindrakoto et Roubaud, 2002b). Parallèlement, l’augmentation du pouvoir d’achat de la rémunération du travail touche tous les secteurs, y compris l’informel. Les revenus nominaux ont plus que doublé de 1995 à 1999, soit un gain de 33 % en termes réels, un gain de pouvoir d’achat de 43 % pour le revenu moyen et de 48 % pour le revenu médian. Cette amélioration a profité à toutes les catégories de ménages, particulièrement aux « ménages informels » (+ 58 % de gain de pouvoir d’achat), puis aux « ménages privés formels » (+ 54 %) et aux entreprises franches (+ 52 %), et enfin, dans une moindre mesure, aux « ménages publics » (+ 32 %) (Razafindrakoto et Roubaud, 1999) [2]. Entre 1995 et 2001, la capitale voit le revenu moyen en termes réels augmenter de 53 % ! Cette embellie se traduit également par une baisse importante du chômage et un recul significatif du sous-emploi, qui touchait 60 % des actifs en 1995 et seulement 44 % d’entre eux en 2001 [3]. Cependant, après avoir légèrement baissé de 1995 à 1996, les inégalités sur le marché du travail se remettent à augmenter sur la période 1996-1999, l’indice de Gini sur les revenus par tête déclarés passant de 0,46 à 0,51. À la fin de la décennie 1990, elles restent plus fortes au sein des secteurs privés formel et informel (indice de Gini de 0,50 environ) que dans le secteur public (0,48), qui a connu une tendance à la baisse du fait d’une politique favorisant les bas salaires de l’administration.

Alors que le taux d’activité féminin était passé de 41,2 % en 1960 à 60,5 % en 1995 en n’épargnant aucune classe d’âge, traduisant ainsi une trajectoire naturelle pour des femmes de plus en plus instruite, mais surtout la mobilisation prépondérante d’une main-d’oeuvre secondaire, également enfantine, en temps de crise (Ravelosoa et Roubaud, 1996), la tendance récente est au contraire au retrait relatif des femmes du marché du travail ainsi qu’à un recul du différentiel de salaires hommes-femmes (Nordman et Roubaud, 2005).

Néanmoins, les tendances passées de détérioration des conditions sur le marché du travail restent lourdes : la décroissance du nombre d’emplois publics pour les plus jeunes générations touche particulièrement les femmes (Antoine et al., 2000). Après 30 ans, 25 % des femmes de la génération 1943-1952 travaillent dans le secteur public, alors qu’elles ne sont que 10 % pour la génération 1953-1962 et plus que 5 % pour la plus jeune génération (1963-1972). Elles continuent à occuper les emplois les plus précaires dans le secteur informel, sont plus touchées par le chômage et sont plus souvent inactives que les hommes (Nordman et Roubaud, 2005). En revanche, leur présence dans le secteur privé formel, notamment dans la zone franche, s’améliore de génération en génération (voir plus loin), de manière encore plus marquée que pour les hommes.

Ainsi, alors que le recul du secteur public en tant que pourvoyeur d’emplois pour les jeunes, même diplômés, est une tendance que l’on retrouve dans beaucoup de pays d’Afrique sub-saharienne, le dynamisme du secteur formel depuis le milieu des années 1990 et le recul concomitant du secteur informel constituent assurément une spécificité malgache.

Données et méthodes

Données

Pour ce travail, des données biographiques ont été utilisées qui constituent une source d’informations statistiques très riche et rare. En effet, Madagascar est un des rares pays en développement à disposer d’une telle source de données. À ma connaissance, il n’existe que six autres enquêtes du même type en Afrique, menées sur les villes de Bamako en 1992 (Mali), Yaoundé en 1998 (Cameroun), Dakar en 1989 et en 2001 (Sénégal), Lomé en 2000 (Togo) et Nairobi en 2001 (Kenya).

En réalité, deux sources de données différentes réalisées dans le cadre du projet MADIO à Antananarivo ont été utilisées. L’enquête biographique Biomad98, qui constitue la principale source utilisée, a été effectuée sur un échantillon de 2403 individus dans la capitale malgache. Trois générations successives de Tananariviens sont représentées : des individus nés entre 1943 et 1952, soit âgés de 45 à 54 ans à la date de l’enquête ; la génération suivante, composée d’individus nés entre 1953 et 1962, donc âgés de 35 à 44 ans ; et enfin la jeune génération des 25-34 ans, nés entre 1963 et 1972 [4]. Les notions de « génération » et de « cohorte » utilisées ici désignent donc toutes deux l’ensemble des personnes nées durant une même période au sens démographique, et non pas généalogique. Ce principe d’enquête tri-biographique — suivant le principe élaboré par Daniel Courgeau pour l’enquête 3-B en France (Courgeau et Lelièvre, 1989) — permet des analyses complexes d’interférences entre les événements de différents ordres connus par chaque individu (Bocquier, 1996b). En effet, trois modules d’enquêtes sont distingués : le premier sur l’itinéraire résidentiel des individus, un second sur leur parcours professionnel et un dernier sur leur vie matrimoniale et génésique. Pour permettre une analyse des interactions entre les divers événements, la date précise — exprimée en mois à partir de l’année 1900 — et la localisation de ces événements sont nécessaires. On utilise donc un fichier où sont enregistrées, pour chaque individu, des séries temporelles concernant sa vie familiale (mariage, veuvage, divorce, naissances), sa carrière professionnelle, ses migrations etc. On dispose par conséquent de séquences chronologiques jalonnées d’échéances de nature diverse dont l’ordre d’arrivée diffère d’un individu à l’autre et qui ne sont pas obligatoirement présentes dans toutes les biographies.

Ainsi, une analyse dans le temps est possible grâce à des questions rétrospectives sur les événements qui ont ponctué la vie des gens, permettant d’appréhender leurs parcours de vie.

Le module d’enquête sur l’emploi (phase 1) de l’enquête 1-2-3, effectuée en 1998, a constitué la seconde source de données utilisée. Il porte sur 3002 ménages (soit 14094 individus) de la capitale en 1998, dont l’enquête biographique constitue un sous-échantillon. Un tirage exhaustif a été effectué sur la génération 1943-1952, et la moitié des individus de la génération intermédiaire (1953-1962) et un tiers des individus de la plus jeune génération (1963-1972) ont été retenus. Les plus jeunes individus sont donc sous-représentés dans l’enquête biographique. Aussi, afin d’assurer une structure représentative identique à celle de l’enquête Emploi, les poids respectifs des générations ont dû être corrigés.

Cadre théorique de référence : cycle de vie et modèles de revenus

La littérature économique centrée sur le cycle de vie est très variée [5] : dans sa version la plus simple, c’est-à-dire dans un monde sans incertitude, avec des marchés parfaits, la théorie suppose l’existence d’un profil de richesse en forme de « U inversé » au cours du cycle de vie. La richesse est censée croître durant l’âge adulte intermédiaire, atteindre un maximum à l’âge de la retraite puis décliner aux âges élevés pour avoir une valeur nulle au moment du décès [6].

Cette hypothèse théorique a été critiquée largement, voire invalidée empiriquement (Masson, 1986 ; Lollivier et Verger, 1999) ; il n’existe pas un profil type d’accumulation individuelle sur le cycle de vie. Par ailleurs, malgré le fait que les modèles de cycle de vie de « seconde génération » introduisent des considérations plus réalistes, telles que l’imperfection du marché du crédit ou la prise en compte de l’hétérogénéité des décisions individuelles et des trajectoires familiales dans la détermination des revenus sur le cycle de vie, les travaux empiriques omettent souvent de prendre en compte la diversité des parcours individuels et familiaux. Peu d’études considèrent conjointement la taille du ménage et ses effets sur les arbitrages épargne-consommation pour estimer l’évolution des revenus sur le cycle de vie (Davies, 1988 ; Attanasio et Browning, 1995 ; Cardoso et Gardes, 1996). Or, non seulement la taille des ménages et les changements dans les structures par âge perturbent le profil de revenu sur le cycle de vie, mais ils affectent également la tendance d’évolution des inégalités (Deaton et Paxson, 1994).

De façon générale, les modèles de revenus traditionnels à partir de données transversales permettent d’estimer les revenus individuels d’après les caractéristiques individuelles observées, comme l’âge de l’individu, son niveau d’instruction etc. Ces modèles expliquent entre 30 % et 50 % de la variance du logarithme du revenu. Le modèle général est de la forme suivante :

La méthodologie consiste ensuite à imputer les coefficients α et β issus de cette analyse économétrique portant sur les revenus par tête des individus de l’enquête biographique en 1998 sur tout leur cycle de vie adulte. À partir de la régression sur 1998, les revenus sont estimés sur chaque période de vie ponctuée par des événements (changement de logement, de vie matrimoniale, professionnelle, changement dans la constitution de la famille) puisque nous disposons des mêmes variables dans la régression initiale et sur toutes les périodes de vie des enquêtés.

Dans un premier temps, on prend comme données les conditions socio-économiques de 1998 et on analyse l’évolution des revenus par tête sur le cycle de vie. On recourt donc à une hypothèse sous-jacente forte de stabilité des conditions socio-économiques dans le temps. En particulier, on suppose que les rendements de l’éducation sont constants sur la période, ce qui constitue une limite au modèle. Cependant, l’hypothèse d’une croissance effective des rendements de l’éducation à Antananarivo des années 1960 aux années 1990 n’est pas assurée. Pour exemple, sur la période 1995-1999, Cogneau (2001) a pu mettre en évidence une « surprenante stabilité des rendements de l’éducation » dans chaque secteur d’activité en comparant les équations de salaires horaires potentiels des deux années. « La seule différence statistiquement significative entre les estimations des deux années est le mouvement des constantes des deux équations, traduisant les fortes hausses de rémunérations nominales (mais également réelles) » sur la période (Cogneau, 2001), ce que reflète par ailleurs l’évolution de la consommation par tête (voir le tableau 1).

Par la suite, une correction de la constante wt de la régression du revenu permet une prise en compte des évolutions macroéconomiques qui ont affecté l’agglomération sur le temps correspondant aux trajectoires de vie reconstituées par l’enquête biographique. Les tendances générales de la consommation par tête (voir le tableau 1) ont été intégrées à l’analyse pour corriger la constante de la régression par périodes de la façon suivante :

Une autre méthode aurait consisté à mesurer l’évolution des revenus estimés au niveau agrégé par périodes puis à rectifier la constante de la régression de telle façon que la tendance estimée suive celle que l’on observe pour la consommation par tête. Cependant, cette méthode présente la même limite que celle qui a été mise en oeuvre, à savoir que dans la population de référence en 1998, une faible proportion d’individus d’âge actif est présente au début de la décennie 1960 alors que les tendances agrégées concernent à chaque période une population d’individus dont la structure est différente de celle de l’enquête. Ainsi, les tendances générales reflètent à la fois des effets de conjoncture et des effets de structure. Dans la correction appliquée à la constante, ces deux types d’effets ne sont pas dissociés.

Variables retenues et hypothèses sous-jacentes

Dans cette analyse, l’estimation porte sur les revenus par tête des individus, et non pas sur leurs salaires individuels, afin d’appréhender l’influence de la taille du ménage sur les niveaux de vie au cours du cycle de vie.

La prise en compte de l’activité principale et d’une éventuelle activité secondaire des membres du ménage permet de connaître les revenus des ménages enquêtés en 1998 (phase 1 « Emploi » de l’enquête 1-2-3). Les montants de revenus perçus sont soit déclarés directement par les individus rémunérés, soit déclarés uniquement par tranches de revenus. Dans ce dernier cas de figure, les revenus moyens correspondant aux tranches de revenus sont calculés avec les montants effectivement déclarés et ils sont imputés aux individus qui n’ont déclaré que des tranches. Connaissant les revenus du ménage d’appartenance des individus enquêtés en 1998 et la taille du ménage, les revenus par tête ont été calculés. Malgré les limites attachées aux revenus ainsi obtenus (revenus informels potentiellement mal appréciés, revenus soumis à d’amples variations du fait de travaux saisonniers ou de périodes de chômage ou d’inactivité, minimisation de la variance des revenus attribués aux déclarants par tranches, etc.), on dispose ainsi de données utilisables pour une estimation des revenus sur le cycle de vie.

Les revenus observés en 1998 sont ensuite régressés sur les caractéristiques des individus âgés de 20 à 55 ans de l’enquête biographique. Pour ce faire, seules les informations biographiques concernant l’année 1998 sont utilisées. Les événements infra-annuels de 1998 présents dans le fichier initial et susceptibles d’influencer le revenu (divorce, décès d’un enfant, veuvage, perte d’emploi) ont été introduits dans le modèle économétrique comme autant de variables dichotomiques. Aucune de ces variables ne s’est avérée significative, ce qui conforte le choix de travailler par la suite sur des périodes annuelles. En effet, le fichier brut de données, qui contient à la fois des intervalles infra- et supra-annuels en fonction des biographies individuelles, a dû être transformé en un fichier dans lequel chaque année, au maximum entre 1960 et 1998, comporte des renseignements pour chaque individu depuis sa naissance, cela afin d’obtenir une sorte de panel sur la période.

Les variables retenues pour l’estimation sont assez classiques. Ce sont tout d’abord des variables sur les caractéristiques démographiques des individus ou de leur ménage d’appartenance, puisque l’on estime des revenus par tête : l’âge (regroupé en classes), dont on attend un effet positif sur le revenu perçu, le sexe, qui, selon un résultat assez universel, devrait montrer une discrimination à l’égard des femmes, la structure familiale (nombre d’enfants à charge), qui devrait influencer négativement le revenu par tête et le statut familial, les chefs de ménage étant supposés disposer d’un revenu supérieur à celui des autres membres. Le lieu de résidence est introduit ici afin de distinguer d’éventuels effets de la migration temporaire hors de la capitale durant le cycle de vie, sans hypothèse particulière sur le signe attendu.

D’autre part, des variables relatives au niveau de capital humain des membres du ménage sont introduites dans l’estimation : le niveau d’instruction de l’enquêté, celui du père lorsque l’enquêté avait 15 ans et celui du conjoint. On attend de ces variables un effet positif sur le niveau de revenu par tête, soit un rendement positif du capital humain.

Enfin, des variables concernant l’emploi sont introduites : le statut d’activité (actif, chômeur, scolarisé, autres inactifs), la catégorie professionnelle (cadre, ouvrier, apprenti et aide familial, « à son compte »), le secteur institutionnel d’activité (privé formel, public, service aux ménages et associatif), le caractère enregistré ou non de l’activité, le lieu d’activité, le type de rémunération (fixe ou non) ; ces trois dernières caractéristiques captent le caractère informel ou non de l’emploi. On suppose que plus le travail est qualifié et formel, plus le revenu par tête est susceptible d’être élevé.

Ces variables sont potentiellement des sources d’inégalités ; aussi, une étude du niveau d’inégalité obtenu à l’issue de l’estimation des revenus par tête a été effectuée.

Coefficients d’inégalités et de mobilité

On mesurera les inégalités monétaires en utilisant deux indicateurs qui, au moyen d’un chiffre unique, caractérisent le niveau d’inégalité : le coefficient de Gini, couramment utilisé (dérivé des courbes de Lorenz qui montrent comment se répartissent les parts de revenu entre des groupes de population de même taille, allant des plus pauvres aux plus riches), et l’indice de Theil, qui présente l’avantage d’être décomposable par sous-groupes de population.

L’analyse de la mobilité repose sur le rapport R(I) entre l’inégalité des revenus moyens reçus sur l’ensemble de la période considérée et la moyenne des inégalités annuelles (pondérées par les revenus annuels moyens). Ce rapport indique dans quelle proportion l’inégalité annuelle moyenne au sein d’une cohorte surestime l’inégalité sur le cycle de vie (Bourguignon et Morrisson, 1984). Plus le rapport R(I) est proche de 1, plus les inégalités annuelles et les inégalités sur le cycle de vie sont identiques et par conséquent moins la mobilité est forte. Notons qu’il ne s’agit pas ici d’une analyse de la mobilité strictement comparable à celles que l’on trouve habituellement dans la littérature concernant cette problématique sur la base de matrices de transition. En effet, les estimations des revenus par tête en 1998 et au début du cycle de vie (à 20 ans) sont différentes, dans le sens où les caractéristiques individuelles non observables en 1998 représentent 20 % de l’estimation (80 % du résidu ayant été imputé aux effets fixes individuels), alors que cette part de « bruit aléatoire » est nulle dans l’estimation rétrospective des revenus par tête à l’âge de 20 ans. Néanmoins, une comparaison de la situation des individus dans la distribution par déciles à ces deux instants permet une certaine appréciation de la mobilité sur le cycle de vie.

À l’instar de Bourguignon et Morrisson (1984), on peut calculer le taux d’immobilité et le saut absolu moyen, deux indicateurs qui résument la mobilité de manière plus synthétique et appréhendent la mobilité entre déciles. Ces deux indicateurs, adaptés à l’analyse de la mobilité, sont habituellement calculés à partir de matrices de transitions. Le taux d’immobilité « strict » représente la proportion d’individus inscrits dans la diagonale principale du tableau croisant les déciles de revenus (tableau 6), où se trouvent tous ceux qui n’ont pas changé de classe de revenu. Le taux que nous avons qualifié « d’élargi » inclut les individus se situant dans les deux diagonales mineures, au-dessus et en-dessous de la diagonale principale. Une mobilité parfaite, c’est-à-dire une probabilité égale pour chaque individu de se trouver dans chacun des déciles, quelle que soit sa position initiale, correspond à un taux d’immobilité de 28 %, et non 30 %, puisqu’il n’y a pas de décile immédiatement inférieur ou supérieur pour les déciles extrêmes (Bourguignon et Morrisson, 1984). Le saut absolu moyen calculé plus loin est défini comme la moyenne des différences, en valeurs absolues, entre le rang de la classe de revenu d’un individu à un certain moment de son cycle de vie et ce rang une année donnée. En cas de parfaite mobilité, il est égal à 3,3 dans une matrice par déciles.

Estimation des revenus par tête sur le cycle de vie

Déterminants des revenus par tête en 1998

Le modèle d’estimation retenu permet d’expliquer 41,3 % de la variance des revenus par tête des individus enquêtés, ce qui constitue un résultat satisfaisant.

Caractéristiques individuelles et familiales

Le sexe semble avoir une influence significative sur les revenus par tête au profit des hommes, cela bien que le travail féminin soit devenu de plus en plus une norme, même si les taux d’activité des femmes restent inférieurs à ceux des hommes [9]. Les individus appartenant aux plus vieilles générations, âgés de plus de 44 ans, ont un revenu supérieur à celui des plus jeunes après 30 ans. Cependant, le revenu est corrélé de manière non significative avec les classes d’âge inférieures à 26 ans. Aux âges élevés (plus de 50 ans) la corrélation est fortement négative, bien qu’elle ne soit pas très représentative en raison de la petite taille de l’échantillon à ces âges. Seul le statut familial présente des résultats surprenants, dans la mesure où le fait d’être le conjoint de l’enquêté semble garantir un revenu supérieur à celui du chef de ménage ; il en est de même avec les membres non apparentés au ménage.

La taille des ménages influence négativement le revenu par tête : en effet, le nombre d’enfants est corrélé négativement avec le revenu, du moins jusqu’à 20 ans, les actifs devant supporter les enfants, qui constituent une charge d’autant plus importante qu’ils sont nombreux dans le ménage. Cela explique la baisse des revenus par tête dans les tranches d’âge qui correspondent à la constitution de la famille et à son élargissement. En revanche, à partir de 20 ans, les enfants semblent plutôt contribuer positivement aux revenus du ménage, bien que cet effet soit non significatif.

Niveau d’instruction et activité

Comme on s’y attendait, le niveau d’instruction paraît discriminant dans la perception des revenus par tête, surtout lorsque l’individu a poursuivi ses études au-delà du lycée. D’autre part, le fait que son père soit instruit est corrélé positivement au revenu courant de l’enquêté. De même, un conjoint qui a fait des études secondaires ou supérieures est un élément assurant un meilleur revenu par rapport à un conjoint non instruit.

Le statut d’activité dans la dernière période de vie connue met en évidence le fait que les actifs ont un revenu plus élevé que toutes les autres catégories d’activité (étudiant, chômeur, inactif). Les individus travaillant à leur propre compte sont dans une meilleure position que les ouvriers, les apprentis et les aides familiaux. En revanche, la catégorie des cadres moyens et supérieurs ne se distingue pas significativement des premiers. La catégorie professionnelle du père ne joue pas de manière significative sur les revenus des individus.

L’étude du secteur d’activité montre que les salariés du secteur public sont avantagés par rapport aux salariés du secteur privé. Les individus dispensant des services aux ménages ou travaillant dans le domaine associatif sont ceux qui perçoivent les plus faibles revenus. La variable dichotomique appréhendant le caractère formel (enregistrement ou non) de l’entreprise est corrélée positivement avec le revenu par tête. Ainsi, le secteur formel assure un meilleur niveau de vie, ce qui semble corroborer le fait que la perception d’une rémunération fixe pour le travail effectué est corrélée positivement avec le revenu. Les conditions de travail caractéristiques de certaines formes d’activités informelles — travail ambulant ou à domicile — confirment ce constat puisque la localisation dans un local professionnel tend toujours à assurer un meilleur revenu par tête que les autres conditions d’exercice de l’activité professionnelle.

Tableau 2

Régression du revenu par tête en 1998 (sur les 2403 individus âgés de 20 à 55 ans). Variable expliquée : log du revenu mensuel par tête

Régression du revenu par tête en 1998 (sur les 2403 individus âgés de 20 à 55 ans). Variable expliquée : log du revenu mensuel par tête

Tableau 2 (suite)

Régression du revenu par tête en 1998 (sur les 2403 individus âgés de 20 à 55 ans). Variable expliquée : log du revenu mensuel par tête
a

Lorsque l’enquêté avait 15 ans

b

Malades, personnes au foyer, retraités, invalides.

*** significatif à 1 % ; ** significatif à 5 % ; * significatif à 10 %. Écart type entre parenthèses. Ref : modalité de référence.

Source : Enquête 1-2-3 (phase 1) 1998, enquête Biomad98, calculs de l’auteur.

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L’isolement de certaines variables du modèle (R2 partiels) met en évidence le fait que les variables relatives à l’emploi appréhendent plus de 7,75 % du pouvoir explicatif total des estimations économétriques sur les revenus par tête. Les variables concernant le nombre d’enfants à charge par tranche d’âge y contribuent pour 11,33 % sur tout l’échantillon et pour 13 % sur l’échantillon restreint aux non-migrants [10]. Le statut familial capte 2,30 % du pouvoir explicatif du modèle et les variables relatives à l’instruction — de l’enquêté, du père et du conjoint — en expliquent entre 2,58 % et 1,26 % (voir le tableau 3). L’appartenance aux différentes classes d’âge explique en revanche une faible part de la variance des revenus par tête. Ainsi, les caractéristiques propres à l’activité des individus et à la taille des ménages auxquels ils appartiennent peuvent constituer des facteurs explicatifs puissants de l’évolution des revenus estimés sur le cycle de vie. Les autres variables testées isolément contribuent à expliquer une moindre part du modèle économétrique.

Tableau 3

2 partiels des variables explicatives du revenu par tête en 1998 (%)

2 partiels des variables explicatives du revenu par tête en 1998 (%)
a

Variable absente de la régression car tous les individus résident dans la capitale depuis leur 20e anniversaire.

Source : Enquête 1-2-3 (phase 1) 1998, enquête Biomad98, calculs de l’auteur.

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Analyse générationnelle de l’évolution des revenus par tête sur le cycle de vie

Les revenus par tête agrégés sur la période 1968-1998 [11], après correction de la constante, suivent finalement l’évolution représentée par la figure 2, toutes générations confondues.

L’estimation des revenus par tête rend bien compte de la décroissance de la consommation par tête jusqu’en 1995, avec une forte chute en 1994, puis de la reprise qui caractérise la période récente. Il est alors possible de reconstituer le profil de l’évolution des revenus par tête sur le cycle de vie des individus au même âge en les distinguant par générations (figure 3).

L’analyse exclut le début du cycle de vie, de 0 à 20 ans, pour lequel les revenus des individus suivent l’évolution de situations souvent transitoires ou sont tributaires des revenus de leur ménage d’appartenance : imputer le revenu des parents en 1998 aux jeunes de moins de 20 ans aurait faussé l’image de l’évolution du revenu sur le cycle de vie. Les analyses économétriques précédentes ne portent que sur des individus âgés de 20 à 55 ans au moment de l’enquête. Les bornes des classes d’âge ont été déterminées de telle façon qu’un effectif statistiquement suffisant d’individus soit présent dans chacune des classes. Examinons à présent l’évolution du revenu par tête estimé [12] des différentes générations par regroupement en classes d’âge.

Figure 2

Évolution du revenu mensuel moyen par tête estimé (en milliers de Fmg), 1968-1998

Évolution du revenu mensuel moyen par tête estimé (en milliers de Fmg), 1968-1998

Note : Avec effets fixes à 80 % et après correction de la constante.

Source : Enquête Biomad98, calculs de l’auteur.

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Sur ce cycle de vie « tronqué », on constate une tendance à la baisse des revenus moyens par tête jusqu’à environ 43 ans, puis un redressement du profil au-delà de cet âge pour les deux plus vieilles générations. Dans les tranches d’âge élevées (plus de 44-49 ans), qui représentent la plus vieille génération (1943-1952), le revenu moyen par tête augmente dans le temps et avec l’âge sur tout l’échantillon, puis stagne en fin de vie active. Néanmoins, les revenus par tête à ces âges permettent tout juste de retrouver le niveau de vie moyen perçu par les mêmes individus lorsqu’ils étaient âgés de 20-25 ans, vers le milieu des années 1960. Nous n’avons malheureusement pas de possibilité de comparaison avec les autres générations à ces âges.

Figure 3

Évolution du revenu mensuel moyen par tête (en milliers de Fmg) selon les générations

a

Tous les individus

Tous les individus
Source : Enquête Biomad98, calculs de l’auteur.

b

Individus ayant toujours vécu à Antananarivo

Individus ayant toujours vécu à Antananarivo
Source : Enquête Biomad98, calculs de l’auteur.

Lecture des figures : Le dernier point pour chaque génération correspond à l’année 1998 pour les âges les plus élevés de la cohorte. En suivant le tracé du revenu par tête par génération, on recule donc dans le temps et dans l’âge des individus, par intervalles de 6 années.

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Entre 38 et 44 ans, les revenus par tête commencent à augmenter pour les deux générations concernées et atteignent des niveaux supérieurs à ceux perçus en début de vie adulte pour la génération intermédiaire. Cette génération 1953-1962 présente un profil de revenu supérieur à celui de la génération qui la précède. Les revenus par tête stagnent aux âges correspondant à la constitution des familles, entre les classes 26-31 ans et 38-43 ans. Toutefois, on constate que la génération des individus nés entre 1953 et 1962 subit moins fortement la baisse de niveau de vie constatée sur la génération 1943-1952, les revenus moyens se stabilisant avec l’âge de manière plus précoce dans le cycle de vie — dès 26-31 ans — par rapport à la vieille génération. Pour ceux qui sont nés entre 1963 et 1972, le profil présente une tendance à la hausse dès la seconde classe d’âge (26-31 ans), mais à des niveaux d’abord inférieurs par rapport à leurs aînés au même âge, après une baisse moins forte entre 20 et 26 ans, puis supérieurs par rapport à leurs aînés au même âge. Cette génération semble s’en sortir mieux que les deux générations qui la précèdent autour de la trentaine. Plusieurs explications sont possibles, concernant la taille des ménages et les conditions offertes sur le marché du travail.

Tableau 4

Évolution du revenu mensuel moyen par tête (en milliers de Fmg) par classe d’âge, selon les générations a

Évolution du revenu mensuel moyen par tête (en milliers de Fmg) par classe d’âge, selon les générations a
a

Avec effets fixes à 80 %.

Source : enquête Biomad98, calculs de l’auteur.

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Tout d’abord, la descendance finale a fortement chuté au cours des trois dernières décennies. En effet, à 30 ans, les individus de la génération intermédiaire ont une descendance atteinte (nombre d’enfants nés vivants) de 2,7 enfants, inférieure à celle de leurs aînés, qui ont eu en moyenne 3,4 enfants au même âge. La plus jeune génération n’a eu en moyenne que 1,8 enfant à cet âge. De même, à 40 ans, la descendance atteinte est de 4,8 enfants pour la vieille génération et de 3,9 enfants pour la génération intermédiaire. De plus, le calendrier des naissances a reculé dans le temps avec les générations. Les femmes de la jeune génération sont 21 % à avoir eu leur premier enfant avant 20 ans, alors que celles de la vieille génération étaient 35 % au même âge. L’âge médian à la première naissance est de 22,1 ans pour les femmes nées entre 1943 et 1952, de 22,3 ans pour celles de la génération 1953-1963 et de 24,3 pour les plus jeunes (1963-1972) (Antoine et al., 2000).

Les naissances sont de plus en plus espacées : une naissance sur trois — ce qui correspond à 34 % des femmes — de la génération la plus âgée est survenue moins de deux ans après la précédente, comparativement à une naissance sur quatre (26 % des femmes) pour la génération intermédiaire et à une naissance sur cinq (22 % des femmes) pour la jeune génération. Puisque les enfants sont moins nombreux et arrivent moins précocement dans la vie des jeunes générations, les revenus par tête ne chutent pas autant que ceux de la vieille génération aux âges correspondant à l’agrandissement des familles.

D’autre part, de meilleures conditions sur le marché du travail (accès à plus d’emplois formels privés depuis le début des années 1990, meilleure insertion des femmes dans ce segment de l’emploi pour les plus jeunes générations) peuvent expliquer la moindre baisse de niveau de vie en début de vie active pour les plus jeunes. La jeune génération est en effet celle qui compte la plus grande proportion de salariés du secteur formel. On définit les emplois formels comme les emplois du secteur privé enregistrés statistiquement et donnant lieu à une rémunération fixe. Des définitions moins restrictives (emplois privés et enregistrés seulement ou encore privés et à salaire fixe uniquement) mènent aux mêmes conclusions : entre 26 et 31 ans, la jeune génération compte 20,7 % de travailleurs formels, contre 14,6 % pour la génération intermédiaire et 18,2 % pour la vieille génération au même âge. Entre 32 et 37 ans, ils sont respectivement 26,3 %, 15,5 % et 18,3 % à travailler dans le secteur formel, alors que l’insertion dans ce secteur est plus difficile pour les jeunes générations avant 26 ans : entre 20 et 25 ans, les taux s’élèvent à seulement 10,9 % pour la jeune génération, alors que 15,2 % des individus de la plus vieille génération étaient dans le secteur formel au même âge.

Le profil de revenu par tête moyen sur le cycle de vie des individus ayant toujours vécu à Antananarivo présente une allure générale plus marquée, avec un « creux » plus important que pour l’ensemble de l’échantillon. Les individus adultes durablement installés dans la capitale auraient ainsi des caractéristiques leur assurant un revenu par tête inférieur en moyenne au revenu de ceux qui migrent ailleurs, même temporairement. En outre, la part des migrants à partir de 20 ans dans chaque génération a tendu à diminuer, passant de plus de 50 % dans la génération la plus âgée à environ 30 % pour la génération intermédiaire et à 20 % pour la plus jeune. Rappelons que les générations les plus jeunes n’ont pas traversé toutes les tranches d’âge de 20 à plus de 50 ans, ce qui minore leur propension à migrer hors de la capitale au cours de leur cycle de vie.

Quant aux jeunes non migrants, leur position reste proche de celle de la génération qui les précède à 20-25 ans, se dégrade moins fortement et semble se maintenir à un niveau plus faible que celui estimé sur tout l’échantillon. Les non-migrants de cette génération connaissent une chute du revenu par tête moyen jusqu’à 26 ans comme les générations aînées. C’est peut-être dû à la dégradation des conditions d’activité pour le premier emploi des individus de la jeune génération dans la capitale. En effet, le délai d’accès à un premier emploi « de qualité » s’est allongé dans le cycle de vie pour les plus jeunes par rapport aux générations précédentes, même s’ils s’insèrent mieux par la suite sur le marché du travail par rapport à leurs aînés (Antoine et al., 2000). Les deux plus vieilles générations ne retrouvent pas, en fin de vie professionnelle, le niveau de revenu moyen qu’elles avaient avant leur trentième année, malgré une reprise à la hausse de ce niveau après 38-43 ans.

Finalement, alors que, au niveau macroéconomique, la période étudiée est caractérisée par une baisse continue du PIB par tête (36,8 % entre 1961 et 1995), malgré les limites de la méthode, ces résultats microéconomiques mènent à un constat moins pessimiste. Les taux de croissance du revenu par tête moyen entre les âges extrêmes sont de – 22,6 % pour la génération 1943-1952, de 7,77 % pour la génération 1953-1962 et de 5,5 % pour la génération 1963-1972, compte tenu des évolutions macroéconomiques (correction de la constante) [13]. La conjoncture semble avoir été neutre pour la génération intermédiaire et légèrement favorable à la jeune génération, puisque les taux de croissance des revenus par tête moyens sur le cycle de vie sont respectivement de 7,92 % et de 3,91 % avant la correction de la constante de la régression. À l’inverse, l’évolution macroéconomique semble avoir été particulièrement préjudiciable en termes de niveau de vie pour la génération la plus vieille, dont le cycle de vie est « complet » : son taux est de 0,5 % avant correction de la constante [14].

Pour la plus jeune génération, dont le cycle de vie est court, on ne peut prendre cette croissance du revenu moyen de 5,5 % qu’avec précaution. Néanmoins, aux même âges, jusqu’à 32-37 ans, les revenus par tête de la génération 1943-1952 avaient chuté de presque 31,9 % et ceux de la génération 1953-1962 de presque 10 %. In fine, la génération intermédiaire (1953-1962) s’en sort mieux que la génération aînée, et on peut s’attendre à une évolution encore plus favorable pour la jeune génération dans la poursuite de son cycle de vie si les tendances d’amélioration macroéconomiques perceptibles depuis 1995 et avant la crise politique de 2002 se poursuivent. Malheureusement, il est encore trop tôt pour le dire, même si on peut supposer que « la paralysie de la production pèsera lourdement sur la croissance […] et qu’elle risque de compromettre la dynamique économique vertueuse » amorcée depuis 1997 (Roubaud, 2002).

Ces constats ne portent que sur des évolutions moyennes du revenu par tête estimé sur le cycle de vie. Il convient désormais de s’attacher aux disparités de revenus durant les trois dernières décennies, puis sur la période récente (1988-1998) pour répondre aux questions suivantes : quelle mobilité dans l’échelle des revenus observe-t-on sur longue période ? Quelles sont les inégalités entre les individus ou les cohortes lorsqu’on les évalue sur tout le cycle de vie ?

Inégalités de revenus et mobilité au cours du cycle de vie

On peut mettre en doute les niveaux d’inégalités africains tels qu’ils ressortent des bases de données internationales. Les données microéconomiques de revenus et de dépenses sont en effet affectées par de fortes erreurs de mesure qui sont susceptibles d’exagérer le niveau d’inégalités mesuré, même si d’autres arguments également valables peuvent laisser croire à une sous-estimation (sous-déclaration des hauts revenus, biais d’échantillonnage en haut et en bas de la distribution, absence des expatriés etc.). Dans le cas malgache, les bases de données récentes disponibles indiquent en 1993 un coefficient de Gini national de 0,434 sur la base des dépenses de consommation et de 0,456 sur la base des revenus (Banque mondiale, World Development Indicators, 1998 et 2004). Nos propres travaux (Guénard et Mesplé-Somps, 2004) montrent que ces niveaux peuvent être l’objet d’une forte réévaluation lorsqu’on effectue un certain nombre de corrections élémentaires des données d’enquête qui sont à la base de ces chiffres, mais aussi lorsqu’on prend en compte, avec des hypothèses de revenus réalistes, les populations étrangères non enquêtées : le coefficient de Gini national sur les revenus malgaches passe de 0,69 sans apurement des données à 0,41 après correction des erreurs de saisie ou encore à 0,485 en intégrant la population étrangère (0,2 % de la population). Or la mesure des inégalités est une question essentielle à plus d’un titre. Alors qu’il a été montré qu’un niveau élevé d’inégalités réduit l’élasticité de la pauvreté à la croissance (Bourguignon, 2002 ; Cling, De Vreyer, Razafindrakoto et Roubaud, 2004), une réévaluation des niveaux d’inégalités peut remettre en cause les effets attendus de la croissance sur la réduction de la pauvreté. Il reste que ces estimations du niveau d’inégalités au niveau national ne peuvent être comparés aux niveaux calculés ici, qui ne concernent que la capitale.

Inégalités sur les trois dernières décennies : 1968-1998

Sur la période 1968-1998 [15], qui correspond aux âges moyens compris entre 20 et 48 ans pour la génération 1943-1952 (figure 4), on constate une augmentation des inégalités à Antananarivo pour les deux générations les plus vieilles, année par année, alors que la plus jeune génération connaît une évolution plus stable des inégalités avec une légère tendance à la hausse, sur un cycle de vie et une durée plus courts bien entendu. La comparaison des inégalités évaluées sur la moyenne des revenus par tête estimés sur tout le cycle de vie — lui-même borné inférieurement par un âge moyen de 20-21 ans pour chaque génération — et des inégalités annuelles montre que les inégalités annuelles sont globalement surestimées, pour toutes les générations et sur la plus grande partie des âges moyens analysés.

Figure 4

Mesures des inégalités annuelles et sur le cycle de vie, par génération

Mesures des inégalités annuelles et sur le cycle de vie, par génération

Note : Revenu par tête avec effets fixes à 80 % et après correction de la constante. Tous les individus.

Source : Enquête Biomad98, calculs de l’auteur.

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Tableau 5

Rapport R(I) des inégalités sur le cycle de vie sur les inégalités annuelles

Rapport R(I) des inégalités sur le cycle de vie sur les inégalités annuelles
Source : enquête Biomad98, calculs de l’auteur.

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D’autre part, le revenu sur le cycle de vie est légèrement plus concentré que le revenu courant, les indices de Gini en 1998 étant respectivement de 0,409 pour ceux qui ont toujours vécu à Antananarivo et de 0,45, toutes générations confondues, pour l’ensemble des individus (voir le tableau 8), comme dans l’étude de Lollivier et Verger (1999), qui montre que le revenu permanent [16] est légèrement moins concentré que le revenu courant. Il en est de même des estimations menées par Blomquist (1981) sur des données suédoises et de celles de Sabelhaus et Groen (2000) sur des données américaines.

On remarque que sur les années 1978, 1988 et 1998, le rapport R(I) [17] est supérieur à 0,94 pour le coefficient de Gini et compris entre 0,88 et 0,95 pour l’indice de Theil. Ces valeurs sont supérieures à celles calculées par Bourguignon et Morrisson (1984) sur un échantillon de 500 profils de cadres français entre 1950 et 1978 : 0,87 pour le coefficient de Gini et 0,75 pour l’indice de Theil. Elles indiquent que la mobilité est très limitée sur notre échantillon, quelles que soient la génération et l’année considérées.

Tableau 6

Tableau croisé des déciles des revenus par tête moyens en 1998 et estimés en début de cycle de vie, tous les individus (%)

Tableau croisé des déciles des revenus par tête moyens en 1998 et estimés en début de cycle de vie, tous les individus (%)
a

Revenus par tête (avec effets fixe à 80 % et constante corrigée) estimés en début de vie adulte des individus (à 20 ans).

Source : enquête Biomad98, calculs de l’auteur.

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En croisant les déciles du revenu moyen courant (en 1998) et du revenu en début de cycle de vie, on détermine si les individus se situent au même niveau de la distribution pour ces deux types de revenus et on peut apprécier ainsi également leur mobilité (voir le tableau 6).

La distribution du revenu annuel moyen dans les déciles de revenu sur le cycle de vie (colonnes) peut être lue en descendant dans les déciles de 1998 (lignes). Par exemple, un individu dont le revenu en début de cycle de vie le place dans le premier décile (moins de 27,24 milliers de Fmg par mois) a 50,73 % de chances en 1998 (voir le tableau 6) de se situer dans le premier décile de revenu courant (27,07 milliers de Fmg par mois). À l’opposé, un individu qui se situe dans le dernier décile de revenu courant en 1998 (plus de 269,66 milliers de Fmg par mois) a 44,77 % de chances d’avoir appartenu au dernier décile au début de son cycle de vie (plus de 329,23 milliers de Fmg par mois) [18].

Entre l’âge de 20 ans et l’année 1998 (quel que soit l’âge), le taux d’immobilité « élargi » interdéciles est de 52,50 % (voir le tableau 7). Autrement dit, les individus ont environ 50 % de chances de se trouver dans des déciles de revenus contigus, entre le début de leur vie active et l’année de l’enquête, ce qui traduit une mobilité relativement faible. Les générations les plus âgées ne paraissent pas plus mobiles que la plus jeune génération, même si leur cycle de vie n’est pas strictement comparable en termes de durée. Au sens strict, les individus ont environ 23 % de chances de se trouver dans la même classe de revenu en 1998 et au début de leur cycle de vie.

Tableau 7

Taux d’immobilité (%) et saut absolu moyen entre revenu par tête en 1998 et revenu estimé à différentes étapes du cycle de vie a, par génération et par décile

Taux d’immobilité (%) et saut absolu moyen entre revenu par tête en 1998 et revenu estimé à différentes étapes du cycle de vie a, par génération et par décile
a

Revenu par tête avec effets fixes à 80 % et constante corrigée.

Source : enquête Biomad98, calculs de l’auteur.

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La mobilité des non-migrants entre 20 ans et 1998 se situe globalement à un niveau similaire mais les différences générationnelles semblent plus marquées : la mobilité élargie de la jeune génération semble moins importante que celle des deux autres cohortes mais elle concerne moins d’individus qui sont moins avancés dans leur cycle de vie, ce qui rend la comparaison délicate.

Entre 30 ans et l’année 1998, la mobilité (élargie et stricte) est en moyenne plus faible par rapport au tout début de la vie active (environ 60 % et 30 % respectivement, pour les deux catégories d’échantillon). Ce constat est surtout vrai pour les deux plus vieilles générations, qui, rappelons-le, sont à 30 ans dans une phase de décroissance du revenu par tête qui a débuté par une chute encore plus marquée dès l’entrée dans la vie adulte. La jeune génération, en revanche, semble avoir une plus grande probabilité de mobilité : à 30 ans, la fin du cycle de vie de ces jeunes tel que l’on peut l’observer est presque atteinte et ces derniers connaissent une situation plutôt favorable de redressement des revenus par tête.

La décomposition par déciles de revenu pour le calcul du saut moyen absolu met en évidence une mobilité moyenne entre revenu courant et revenu à 20 ans pour les déciles intermédiaires (saut moyen absolu compris entre 1,45 et 2,09 du 2e au 9e décile), alors que pour les déciles extrêmes, la mobilité est plus faible. Les individus appartenant aux déciles extrêmes ne peuvent « bouger » que vers le décile immédiatement supérieur (2e décile) ou inférieur (9e  décile), ce qui explique cette plus faible mobilité.

À 30 ans, la probabilité de se situer dans un décile différent du décile d’appartenance en 1998 est plus faible qu’à 20 ans : certains événements — professionnels comme l’insertion sur le marché du travail, familiaux comme la descendance atteinte ou l’âge au premier enfant — ont d’ores et déjà imprimé leur marque sur les parcours de vie et les perspectives d’évolution des niveaux de vie.

Inégalités sur la période récente : 1988-1998

La répartition des revenus moyens, tous âges et toutes générations confondus, montre que, sur la période 1988-1998, les écarts entre les plus riches et les plus pauvres ont eu tendance à augmenter légèrement. En effet, alors qu’en 1988 les 10 % des individus les plus riches gagnaient en moyenne 8,92 fois le revenu des 10 % les plus pauvres, ce rapport du dernier décile sur le premier décile est passé à 8,83 en 1993 puis à 9,96 en 1998. Cette tendance à une très légère baisse des disparités entre individus entre 1988 et 1993 est confirmée par l’analyse des inégalités sur la même période. Le coefficient de Gini baisse en effet entre 1988 et 1993, passant de 0,44 à 0,43 sur tout l’échantillon. De 1993 à 1998, en revanche, les écarts se creusent à nouveau légèrement et les inégalités remontent à un niveau supérieur à celui de 1988 (coefficient de Gini égal à 0,45). Les écarts de revenus ont suivi une évolution similaire pour les individus qui ont toujours vécu dans la capitale puisque le rapport entre déciles extrêmes passe de 8,11 à 9,88 de 1988 à 1998. Pour ces individus, les inégalités globales ont stagné entre 1988 et 1998, le coefficient de Gini passant de 0,445 à 0,447 (voir le tableau 8), ce qui est confirmé par d’autres analyses (Roubaud, 2002).

Il semble qu’en analyse transversale, l’inégale répartition des revenus soit essentiellement le fait de disparités à l’intérieur des générations et non pas entre les générations (tableau 8). Par ailleurs, la répartition des revenus moyens par tête est plus égalitaire pour la plus jeune génération par rapport aux deux autres cohortes avant 1998, mais l’écart se réduit à la fin de la décennie 1990 entre les deux générations extrêmes (coefficient de Theil égal à 0,32 en 1998). Néanmoins, les inégalités calculées sur le revenu par tête estimé en 1998 sont surestimées par rapport aux inégalités sur le cycle de vie. En effet, le coefficient de Gini sur le cycle de vie est égal à 0,41 et l’indice de Theil égal à 0,29 pour l’ensemble de l’échantillon, à 0,31 pour la plus vieille génération, à 0,30 pour la génération intermédiaire et 0,24 pour la jeune génération.

Tableau 8

Indices d’inégalités sur la période 1988-1998 par génération a

Indices d’inégalités sur la période 1988-1998 par génération a
a

Revenu par tête après correction de la constante et avec effets fixes à 80%

b

Indice de Theil.

Source : enquête Biomad98, calculs de l’auteur.

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Conclusion

L’existence de données biographiques sur la capitale malgache donne la possibilité de mener une analyse sur des trajectoires individuelles. Les renseignements sur les événements qui ont jalonné les parcours de vie des enquêtés nous ont permis d’estimer l’évolution de leurs revenus sur le cycle de vie à l’instar d’autres analyses empiriques. La méthode tient compte de la taille des familles dans l’estimation des revenus par tête, mais également des évolutions macroéconomiques qui ont affecté les habitants d’Antananarivo sur une longue période.

Malgré les limites de la méthode, un certain nombre de constats peuvent être faits. Le profil des revenus sur le cycle de vie qui a été dégagé met en évidence une chute du niveau de vie aux âges actifs, accentuée semble-t-il par la constitution de familles nombreuses. Les générations récentes qui s’insèrent plus tard dans la vie active mais de manière plus stable grâce à des opportunités d’emplois formels voient leur profil de revenu s’améliorer par rapport aux générations qui les précèdent. Ainsi, les jeunes, par ailleurs plus instruits, se trouvent dans une situation plus favorable que leurs aînés au même âge, et cela malgré une dégradation constante, au moins jusqu’en 1995, de la situation macroéconomique du pays.

Depuis le milieu des années 1990 et jusqu’à la crise institutionnelle de 2002, Madagascar a traversé « une période exceptionnelle, aussi bien à l’aune de son histoire qu’en comparaison du marasme en vigueur sur le continent voisin » (Roubaud, 2002). Il n’en reste pas moins que d’importantes disparités de niveaux de vie persistent sur la période récente, et nous avons vu qu’elles sont pour une large part imputables à des inégalités au sein des générations. Or, comparée aux autres continents, il semble que l’Afrique soit la région où les inégalités d’éducation sont les plus élevées (coefficient de Gini de 0,753). Il y a donc une présomption forte à propos du poids des inégalités d’éducation dans les inégalités de revenu en Afrique. Une décomposition des inégalités par niveau d’instruction, type d’emploi, appartenance sociale, ethnique etc. permettrait de dégager le poids des inégalités de niveau d’études dans les inégalités de rémunération et de niveau de vie parmi les principaux facteurs explicatifs de ces disparités intragénérationelles. Compte tenu là encore des spécificités de Madagascar, qui bénéficie de conditions plus favorables que beaucoup de pays africains, avec notamment un niveau de capital humain relativement élevé, une unicité de langue et de faibles tensions ethniques, cette question est tout à fait porteuse pour de futures recherches.

Par ailleurs, la mobilité dans la distribution des revenus au cours du cycle de vie semble assez faible, quelles que soient les générations. Dès lors, la problématique de la transmission des inégalités à travers l’étude de l’impact des inégalités de la génération des parents sur les inégalités de la génération des enfants peut également constituer une voie de recherche intéressante. De telles recherches nécessitent des données bien particulières comprenant des informations originales sur les parents, et éventuellement les grands-parents des enquêtés, informations qui sont particulièrement rares dans les enquêtes effectuées en Afrique. À ma connaissance, hormis Madagascar, seuls quelques pays africains (Côte-d’Ivoire, Guinée, Ghana, Ouganda) disposent d’enquêtes donnant accès à ces renseignements.