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1. Introduction : L’article 16.1 de la Loi sur la preuve au Canada et l’aptitude à témoigner des enfants en droit canadien

Depuis 1988, le Parlement du Canada a apporté une série de modifications au Code criminel[1] et à la Loi sur la preuve au Canada[2] afin de répondre aux besoins particuliers des enfants qui doivent témoigner devant des tribunaux criminels et des tribunaux des adolescents. Jusqu’en 2006, un jeune enfant avait l’autorisation de témoigner si la cour était convaincue que l’enfant comprenait « la nature de la promesse de dire la vérité » et qu’il était « capable de communiquer les faits dans son témoignage »[3]. D’ailleurs, les modifications récentes à la Loi sur la preuve au Canada, entrées en vigueur en janvier 2006, ont changé de manière importante la manière dont l’aptitude à témoigner des enfants dans les procédures criminelles est vérifiée[4]. Aux termes du paragraphe 16.1(1) actuel de la Loi sur la preuve du Canada, toute personne de moins de quatorze ans est présumée habile à témoigner. Nonobstant du fait que le jeune témoin doit « promettre de dire la vérité » au sens du paragraphe 16.1(6), le paragraphe 16.1(7) précise qu’aucune « question sur la compréhension de la nature de la promesse ne peut être posée au témoin en vue de vérifier si son témoignage peut être reçu par le tribunal ». De même, le paragraphe 16.1(3) affirme que le critère pour recevoir le témoignage d’un enfant est simplement de savoir si ce dernier « a la capacité de comprendre les questions et d’y répondre ». Aux termes du paragraphe 16.1(4), c’est à la partie qui met la capacité de l’enfant en doute qu’il incombe de convaincre le tribunal qu’il existe des motifs d’en douter. Dans l’éventualité que le tribunal estime que de tels motifs existent, selon le paragraphe 16.1(5) il doit procéder, avant de permettre le témoignage, à une enquête pour vérifier si le témoin a la capacité de comprendre les questions et d’y répondre.

Ce mouvement législatif reflète une variation dans les conceptions concurrentes qui peuvent avoir pris place s’agissant du témoignage de l’enfant et de sa fiabilité. Comme en fait état un fort intéressant rapport du Centre interdisciplinaire de recherche appliquée au champ pénitentiaire :

Cette « universalisation » des tentatives d’objectivation des déviances ne doit pas occulter que la dangerosité se construit essentiellement en ciblant des groupes sociaux particuliers. Cela était déjà le cas des vagabonds au 16ème siècle (Dauven), des jeunes filles atteintes de maladie vénérienne en Belgique au début du 20ème siècle (François, Massin) ou encore des individus étiquetés « antisociaux » relégués dans un parcours pénitentiaire à durée indéterminée jusque dans les années 1970 (Vimont). En particulier, la jeunesse délinquante est aujourd’hui, avec le pédophile, une figure dominante de la dangerosité. Ce processus de stigmatisation repose sur la construction d’archétypes caricaturaux facilement exploitables médiatiquement et politiquement (Yvorel). Il ne s’agit d’ailleurs pas d’un phénomène récent, c’est toute la modernité qui établit un rapport ambivalent avec l’enfance, entre mineur en danger et mineur dangereux, comme figure paradigmatique de l’incertitude radicale qui taraude le sujet moderne (Vitiello). Aujourd’hui, cette inquiétude propre à la modernité serait d’ailleurs moins à comprendre en termes de valeurs qu’en termes de risques. La dangerosité n’est plus tant ce qui sape le fondement de la cohésion sociale en violant les normes communes, mais plutôt tout ce qui peut provoquer un dysfonctionnement venant perturber la marche efficace des institutions qui gèrent notre vie quotidienne. De culturelle, notre perception de la dangerosité serait surtout devenue fonctionnelle

Lianos[5]

Les différentes postures juridiques concernant le témoignage de l’enfant peuvent ainsi être comprises comme étant le résultat de tensions entre l’enfant, sujet de protection, et l’enfant, la petite enfance « sauvage », source de danger de par sa prise de distance avec les discours ambiants et les référents et les formes habituels de narration testimoniale. Ici, il devient très évident que les enfants « viennent toujours d’ailleurs »[6] et leur irréductible différence pose des défis renouvelés aux règles de preuve et d’administration des témoignages.

1.1. Le champ d’application des lois canadiennes relatives au témoignage d’un mineur

Par ailleurs, il est important de noter que la Loi sur la preuve au Canada s’applique « à toutes les procédures pénales et civiles ainsi qu’à toutes les autres matières de compétence fédérale »[7]. En d’autres mots, cette loi fédérale s’applique aux réclamations contre le gouvernement du Canada, aux matières criminelles et à toutes autres poursuites civiles entre particuliers dans des domaines assujettis à la réglementation fédérale, comme définis par l’article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867[8].

En ce qui concerne les lois provinciales, une variété de textes législatifs tels que la Loi sur la preuve de l’Ontario[9] et Loi sur la preuve[10] du Nouveau-Brunswick posent les balises du témoignage du mineur, matière soumise au contrôle exclusif de la législation provinciale en matière de preuve et de procédure civile aménagée par la Constitution canadienne[11]. Effectivement, l’article 11 de Loi sur la preuve du Nouveau-Brunswick indique qu’elle « ne s’étend ni ne s’applique à une poursuite intentée en application ou en vertu des lois pénales du Canada en raison d’une violation d’une loi provinciale »[12]. D’ailleurs, il faut également noter que les Règles de procédure en matière criminelle de la Cour du Banc de la Reine du Nouveau-Brunswick sont importantes en matière de procès criminels dans la province puisqu’elles s’appliquent à toutes les instances criminelles qui relèvent de la compétence de la Cour du Banc de la Reine. C’est donc à dire qu’il demeure une variété de circonstances, qu’il soit question d’instances juridictionnelles de nature administrative ou spécialisée, où l’encadrement juridique du témoignage de l’enfant ne fait pas l’objet des clarifications opérées par les lois fédérales et provinciales sur la preuve.

1.2. L’assermentation de l’enfant

Dans toutes les procédures pénales et civiles ainsi qu’à toutes les autres matières de compétence fédérale au Canada, y compris les procédures en matière criminelle au Nouveau-Brunswick, l’enfant de moins de quatorze ans ne doit ni prêter serment ni faire une déclaration solennelle, mais il doit promettre de dire la vérité[13]. La personne visée au paragraphe 16.1(1) qui, sans comprendre la nature du serment ou de l’affirmation solennelle, est capable de communiquer les faits dans son témoignage peut, bien qu’une disposition d’une loi exige le serment ou l’affirmation, témoigner en promettant de dire la vérité. Il n’est pas permis de poser à l’enfant des questions sur sa compréhension du sens de « promesse » ou de celui de concepts comme « vérité » ou « mensonge »[14]. Le témoignage donné par un enfant après la promesse a le même effet juridique que s’il avait prêté serment[15].

Pour ce qui est des poursuites civiles entre particuliers dans des domaines assujettis à la réglementation provinciale ainsi qu’à toutes autres matières de compétence provinciale au Nouveau-Brunswick, il faut se référer au paragraphe 24(1) de la Loi sur la preuve pour évaluer le droit applicable au témoignage d’une personne âgée de moins de 14 ans :

Lorsque, dans une action, il est présenté comme témoin un enfant en bas âge qui, de l’avis de la cour, ne comprend pas la nature du serment, le témoignage de l’enfant peut être reçu, bien qu’il ne soit pas rendu sous serment, si la cour estime que l’enfant est doué d’une intelligence suffisante pour justifier la réception de son témoignage et qu’il comprend le devoir de dire la vérité.

Compte tenu de ce qui précède, il semblerait qu’il existe quelques distinctions entre le paragraphe 24(1) de la Loi sur la preuve du Nouveau-Brunswick et l’article 16.1 de la Loi sur la preuve au Canada. D’abord, comparativement au paragraphe 16.1(1) de la loi fédérale, qui indique explicitement les termes précis « Toute personne âgée de moins de quatorze », le paragraphe 24(1) de la loi provinciale se limite aux termes vagues « un enfant en bas âge ». Deuxièmement, le paragraphe 16.1(2) indique qu’une personne âgée de moins de quatorze ne peut être assermentée ni faire d’affirmation solennelle, tandis que le paragraphe 24(1) de la loi provinciale ne ferme pas la porte à la possibilité qu’un enfant en bas âge soit assermenté. Finalement, comparativement au paragraphe 16.1(6) de la loi fédérale, un enfant qui fait l’objet du paragraphe 24(1) de la loi provinciale n’a pas besoin de promettre de dire la vérité, mais il doit comprendre le devoir de dire la vérité.

En dernière analyse, il est probable que l’article 16.1 de la Loi sur la preuve au Canada, qui est fondé sur la recherche psychologique, comparativement aux vieux préjugés contre les enfants par exemple, a comme but de promouvoir la vérité. Selon le professeur Nicholas Bala, demander à un enfant de promettre de dire la vérité, sans lui faire expliquer l’importance de cette entreprise, constitue un traitement égal aux adultes qui témoignent sous serment[16]. Toutefois, quelques provinces, dont l’Alberta, la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick, n’ont pas encore adopté ce changement.

Malgré cela, il existe un test sur l’habilité d’une personne à témoigner qui s’applique à l’enfant et à l’adulte, créée par la Cour suprême du Canada, qui a été adopté par tous les ressorts, et exige qu’un juge du procès pose trois questions au témoin :

  • Le témoin est-il capable d’observer ce qui s’est produit?

  • Est-il en mesure de se rappeler ce qu’il observe?

  • Peut-il communiquer ce dont il se souvient?[17]

À ce propos, la Cour suprême du Canada explique que la fonction de ce test n’est pas de garantir que le témoignage est crédible, mais plutôt d’évaluer si son témoignage atteindra la norme minimale de recevabilité[18].

2. La valeur probante du témoignage de l’enfant

2.1. L’immaturité et la crédibilité de l’enfant

Pour le professeur Nicholas Bala, le témoignage joue un rôle fondamental en matière pénale, puisqu’il constitue souvent le seul élément permettant de déterminer si un individu a commis une infraction[19]. Partant de ce fait, jusqu’à la fin du vingtième siècle, il existait une règle de common law exigeant que tout jury soit averti des « faiblesses inhérentes » dans la preuve de tout enfant de moins de 14 ans[20]. En 1962, la base de cette règle a été expliquée par le juge Judson de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R c Kendall :

The basis for the rule of practice which requires the judge to warn the jury of the danger of convicting on the evidence of a child, even when sworn as a witness, is the mental immaturity of the child. The difficulty is fourfold: 1. His capacity of observation. 2. His capacity of recollection. 3. His capacity to understand questions put and frame intelligent answers. 4. His moral responsibility[21]

À la fin des années 1980, le système judiciaire canadien a subi une réforme favorable quant au témoignage de l’enfant. En 1990, dans l’arrêt R c B(G), la Cour suprême du Canada a fait reconnaitre que le témoignage de l’enfant ne devait pas être évalué de la même manière que le témoignage de l’adulte :

[…] une faille, comme une contradiction, dans le témoignage d’un enfant ne devrait pas avoir le même effet qu’une faille semblable dans le témoignage d’un adulte. […] Il se peut que les enfants ne soient pas en mesure de relater des détails précis et de décrire le moment ou l’endroit avec exactitude, mais cela ne signifie pas qu’ils se méprennent sur ce qui leur est arrivé et qui l’a fait.[22]

Reconnaissant que les enfants sont capables de raconter les faits tout comme les adultes, et qu’en conséquence, ils peuvent être crédibles, l’appareil judiciaire canadien a voulu donner une chance au témoignage des enfants. En 1988, l’article 586[23] du Code criminel qui interdisait qu’une personne soit déclarée coupable sur le témoignage d’un enfant non rendu sous serment et non corroboré a été abrogé[24]. Le législateur a également abrogé des dispositions semblables dans la Loi sur la preuve au Canada[25], de la Loi sur les jeunes contrevenants[26] et le paragraphe 24(2) de la Loi sur la preuve du Nouveau-Brunswick, en 1990.

2.2 La force probante du témoignage

En 1992, dans l’arrêt R c R.W, la Cour suprême du Canada a infirmé sa décision R v Kendall, en rejetant les anciens stéréotypes relatifs à la non-fiabilité intrinsèque des témoignages d’enfants[27]. La juge McLachlin (actuellement juge en chef) a illustré les changements d’attitudes sur la question du témoignage des enfants en énonçant « qu’on abolit la notion, trouvée dans la common law et codifiée dans la législation, selon laquelle les témoignages d’enfants sont intrinsèquement peu fiables et doivent par conséquent être traités avec un soin particulier »[28]. Elle a ajouté « qu’il est peut-être erroné d’appliquer aux témoignages d’enfants les critères applicables aux adultes en matière de crédibilité »[29]. Par conséquent, la juge McLachlin a encouragé l’abrogation des dispositions exigeant la corroboration du témoignage d’enfants mettant effectivement fin à l’hypothèse selon laquelle ceux-ci sont toujours moins fiables que les témoignages d’adultes. Pour renforcer l’effet de la décision R c R.W, en 1993, le Parlement du Canada a adopté l’article 659 du Code criminel pour abroger « l’obligation pour le tribunal de mettre en garde le jury contre une éventuelle déclaration de culpabilité fondée sur le témoignage d’un enfant »[30]. Par conséquent, plusieurs autres dispositions sur la corroboration ont été abolies aussi.

Tout bien considéré, il existe certaines décisions qui présentent une plus grande réserve et appellent les juges à la prudence face au témoignage de l’enfant. À titre d’exemple, dans la décision R v Stewart, la Cour d’appel de l’Ontario a conclu que le témoignage d’un enfant ne devait pas être comparé au même niveau d’attente que celui d’un adulte, mais qu’elle doit être soigneusement évaluée[31]. Dans son raisonnement, le juge Finlayson a remarqué que les enfants, comme les adultes, peuvent mentir ou se tromper :

We must assess witnesses of tender years for what they are, children, and not adults. […] My concern is that some trial judges may be inadvertently relaxing the proper level of scrutiny to which the evidence of children should be subjected. The changes to the evidentiary rules were intended to make child evidence more readily available to the court by removing the restraints on its use that existed previously but were never intended to encourage an undiscriminating acceptance of the evidence of children while holding adults to higher standards.[32]

À vrai dire, la force probante du témoignage est directement reliée au degré de crédibilité que le juge accorde au témoignage du témoin[33]. Lorsque le témoin rapporte la preuve des faits de façon précise, impartiale et soutenue, son témoignage se verra accorder une plus grande force probante[34]. Lorsque le témoignage de l’enfant est constant et qu’il est par ailleurs soutenu par une preuve indiscutable, sa force probante sera très grande[35]. De la même façon, lorsque la preuve d’expert est pertinente et qu’elle permet de conclure à l’existence d’une infraction à caractère sexuel, le tribunal lui accordera une force probante certaine[36].

Selon le juge Cory, dans la décision R c Osolin, le contre-interrogatoire a un rôle essentiel dans le processus qui permet de déterminer si un témoin est digne de foi[37]. Ainsi, les réponses données par l’enfant pendant le contre-interrogatoire affecteront le poids ou la crédibilité du témoignage de l’enfant, mais non son admissibilité[38]. En doutant de la fiabilité et de la crédibilité d’une preuve, le juge de fait va pouvoir remettre en question par la même occasion sa valeur probante[39].

3. Les mesures facilitant la protection et le témoignage de l’enfant

3.1. Personnes vulnérables

On peut aisément subodorer que le contact avec le système de justice pénale peut traumatiser ou angoisser la victime d’un acte criminel, surtout s’il s’agit d’un enfant ou d’une autre personne vulnérable[40]. Depuis longtemps, la loi prévoyait déjà des moyens de protéger les personnes vulnérables, mais en 2006 des mesures de protection supplémentaires ont été mises en oeuvre dans le but de faciliter leur témoignage devant le tribunal. Avec l’entrée en vigueur des modifications apportées au Code criminel par le projet de loi C-2, le recours aux dispositions du Code criminel facilitant l’utilisation des aides au témoignage est maintenant obligatoire dans toute procédure pénale, sur demande, dès qu’un témoin est mineur, sauf si le juge est d’avis que cela nuirait à la bonne administration de la justice. Par ailleurs, il est important de noter que le Service public d’éducation et d’information juridique du Nouveau-Brunswick offre des renseignements utiles aux enfants qui doivent témoigner devant une instance judiciaire du Nouveau-Brunswick.

3.2. Dispositions du Code Criminel facilitant l’utilisation des aides au témoignage

Les dispositifs d’aide au témoignage prennent plusieurs formes : système de télévision en circuit fermé[41], écran pour dissimuler le témoin[42], présence d’une personne de confiance pendant le témoignage[43] et nomination d’un avocat qui se charge du contre-interrogatoire du témoin quand l’accusé se représente lui-même[44]. D’autres dispositions du Code criminel destinées à aider les témoins vulnérables permettent au juge d’exclure les membres du public de la salle d’audience[45], d’interdire la publication de renseignements d’identification[46] et d’autoriser une déposition sur bande vidéo[47].

De son côté, la Cour suprême du Canada, dans l’affaire R c CCF, explique que l’article 715.1 du Code criminel, intitulé « Témoignages — victimes ou témoins âgés de moins de dix-huit ans » a pour objet primordial de consigner ce qui est probablement le meilleur souvenir de l’événement[48]. Selon la Cour, l’article 715.1 et les autres dispositions facilitant l’utilisation des aides au témoignage visent à prévenir ou à réduire considérablement le risque de préjudice supplémentaire à l’enfant par suite de sa participation aux procédures judiciaires.

3.3. Le rôle du juge

En 2007, la Cour suprême de la Colombie-Britannique, dans R c S(J), a, pour sa part, confirmé la validité constitutionnelle des récentes modifications législatives adoptées en 2006 pour faciliter l’utilisation des aides au témoignage[49]. En effet, cette décision nous rappelle que les juges et les avocats jouent chacun un rôle important quant à la recevabilité d’un témoignage complet et précis de l’enfant. Sur ce point, la Cour suprême du Canada explique que le processus judiciaire a pour but de rechercher la vérité et que le juge du procès joue un rôle primordial pour atteindre ce but :

[…] il incombe au juge du procès de veiller à ce que l’enfant comprenne les questions posées et à ce que son témoignage soit clair et sans ambiguïté. À cette fin, il se peut qu’il soit obligé de clarifier ou de reformuler des questions posées par les avocats et de poser des questions additionnelles pour clarifier les réponses de l’enfant. Pour assurer la bonne marche du procès, le juge se doit de créer une atmosphère propice au calme et à la détente de l’enfant.[50]

3.4. Preuve par le ouï-dire

Dans l’affaire R c Khan, la Cour suprême du Canada a soutenu que la déclaration d’un enfant peut être acceptée comme preuve par ouï-dire si cela répondait à deux exigences en matière de nécessité et de fiabilité[51]. Selon la Cour, la première question doit être de savoir si la réception de la déclaration relatée est « raisonnablement nécessaire »[52]. Sur ce, la Cour a expliqué que l’inadmissibilité du témoignage de l’enfant peut être une raison de conclure à l’existence de la nécessité. Elle a ajouté qu’une autre raison pour accepter la preuve par ouï-dire, est l’existence d’une preuve solide, fondée sur des évaluations psychologiques, que le témoignage devant le tribunal pourrait être traumatisant pour l’enfant ou lui porter préjudice[53]. En ce qui concerne la fiabilité d’une déclaration, la Cour a statué qu’il faut considérer les éléments suivants : le moment de la déclaration, le comportement de l’enfant, l’intelligence et la compréhension de l’enfant et l’absence de toute raison d’inventer une telle histoire[54].

4. Conclusion

L’admissibilité d’un témoignage d’un enfant devant une instance judiciaire canadienne, dans les procédures pénales et civiles en matière de compétence fédérale, nécessite que l’enfant soit capable de communiquer les faits et de promettre de dire la vérité. Dans les poursuites civiles entre particuliers dans des domaines assujettis à la réglementation provinciale, l’enfant qui témoigne doit faire preuve d’une intelligence suffisante et doit comprendre le devoir de dire la vérité pour justifier la réception de son témoignage. Les modifications à la Loi sur la preuve au Canada entrées en vigueur en 2006 ont changé la manière dont l’aptitude à témoigner des enfants dans les procédures criminelles est vérifiée. Bien que l’article 16.1 de la Loi sur la preuve au Canada favorise, d’une part, le respect du témoignage d’un témoin, elle donne la possibilité, d’autre part, de se méfier à nouveau de l’enfant, de remettre en question son honnêteté[55]. Comme expliqué précédemment, la Cour suprême du Canada a établi certaines règles pour évaluer la crédibilité du témoignage de l’enfant. Ces règles ont récemment été appliquées par la Cour du Banc de la Reine du Nouveau-Brunswick, dans les décisions R v Goodwin[56] et R v PDB[57], pour évaluer la force probante des témoignages de l’enfant. Finalement, en raison de l’immaturité et de la vulnérabilité des enfants, l’appareil judiciaire canadien a voulu créer, au cours des dernières années, des mesures de protection supplémentaires dans le but de faciliter leur témoignage devant le tribunal.

Par ailleurs, l’appréciation qui sera faite du témoignage des jeunes et des enfants sera en fonction du développement relatif à la pédopsychiatrie, discipline encore naissante. Qu’il s’agisse de l’observation du bébé[58] ou des enfants, de la question de la solubilité de la pédopsychiatrie dans le mouvement de la médecine factuelle[59], plusieurs auteurs nous rappellent que les enfants nous « viennent toujours d’ailleurs »[60]. Comme nous le rappelle l’auteur Constant :

L’activité pédopsychiatrique apparaît ainsi comme un lieu où sous couvert de références scientifiques à l’enfance, le débat idéologique sur l’idée d’enfant est des plus vifs. Si on peut à la rigueur concevoir de mesurer les écarts par rapport aux lois naturelles du développement, en pratique la question de la déviation est posée par rapport à la norme culturelle. Cela nous conduit à nous interroger sans cesse (c’est l’honneur de notre éthique) sur notre propre construction culturelle de l’enfant pédopsychiatrique, c’est-à-dire sur les valeurs qui sous-tendent nos propres références théoriques[61].

Le constat suivant s’impose : l’enfant est une construction sociale, une « configuration culturelle collective »,[62] à laquelle participent les parents, l’entourage de l’enfant, le corps médical, les avocats, les juges, qui, dans une représentation toujours mouvante des attentes face à l’enfant, participent de la fixation d’une dichotomie « normalité/déviance », de « crédible/non crédible ». Parlant de sa profession de pédopsychiatre, l’auteur Constant poursuit :

Nous devenons les spécialistes de l’enfant normal. Cette évolution nous conduit à redéfinir le champ de notre discipline si nous ne voulons pas être assignés à un rôle de normalisateur des enfants qui ne suivraient pas « le droit chemin ». Les indignations éthiques n’y suffisent pas. Pour argumenter notre légitimité sur des bases scientifiques, il faut oser déconstruire cette évidence du sens commun : la notion d’enfant. Quand une mère – figure de style assez fréquente – s’exclame dans le climat de confiance de la consultation : « mais qu’ai-je fait au Bon Dieu pour avoir un enfant pareil? », il faut oser se demander... pareil à qui?... pareil à quoi ?. . . Cet enfant peut nous paraître différent pendant l’examen mais différent par rapport à qui, par rapport à quoi? Une telle exigence d’explicitation d’une notion aussi polysémique que « l’enfant » est une entreprise complexe. Tout le monde sait implicitement ce qu’est un enfant, et même ce que doit être un enfant et personne n’en donne une définition identique.[63]

La norme de l’anormal[64] se construit, à grands traits de rapports d’experts, combinant taxonomie médico-légale et nosologies[65] sans cesse renouvelées par la compréhension progressivement plus fine qu’offrent les compendiums des troubles mentaux de la nature de la psyché humaine. Le défi demeure entier : s’assurer de la transparence de l’exercice judiciaire de manière à la fois intelligible pour le jeune et l’enfant, tout particulièrement dans des circonstances où des décisions judiciaires, parentales, médicales ou administratives pourraient le mener, lui ou un autre, vers un lieu privatif de liberté quel qu’il soit. La prise en compte, dans la formulation des règles de preuves par le législateur et le magistrat, se doivent alors d’être informées des derniers développements de la psychologie et de la pédopsychiatrie dans un effort de réduire les phénomènes iniques, stéréotypant ou toutes autres formes de cadre procédural incompatibles avec l’expression de l’autonomie et la protection de l’intégrité de l’enfant appelé à témoigner.