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Le thème choisi pour le présent numéro se situe au croisement de la philosophie morale et des études cinématographiques. Il concerne, pour le dire simplement, l’usage que les spectateurs font des films lorsqu’ils réfléchissent à la conduite à tenir dans leur propre vie ou qu’ils s’apprêtent à émettre des jugements moraux sur la conduite d’autrui. Cette dimension, quoique très courante, n’a que rarement été abordée dans le champ des études cinématographiques. Lorsqu’au sein de ce champ on se mêle de questions éthiques, c’est presque toujours à propos des transgressions opérées par des films qui s’exposent à la censure ou défient les “bonnes moeurs”. L’expérience ordinaire du spectateur, sa façon d’intégrer les films courants dans le “comment dois-je vivre?” qui le travaille plus ou moins explicitement, n’y a pas bonne presse. Dans le combat qui oppose sans cesse le “sens commun” et les chercheurs habités par le “démon de la théorie”, ce sont souvent ces derniers qui ont occupé le terrain : on ne s’est jamais trop penché sur la “philosophie pratique” au quotidien que suppose l’usage des films. La remarque est valable aussi en ce qui concerne le champ critique et intellectuel en général : “faire comme si les personnages étaient de véritables personnes” y est vu comme un signe d’infériorité culturelle, digne de la bêtise de Don Quichotte attaquant les marionnettes de Maître Pierre parce qu’il y “croit trop”.

Pourtant, un grand nombre de conversations quotidiennes à propos de cinéma, comme il est courant d’en entendre dans les cafés, les transports en commun, ou au sein de la famille, consistent à commenter la conduite des héros du film qu’on a vu la veille, les choix qu’ils ont opérés pour le pire ou pour le meilleur, ou simplement leur façon d’être ou leur caractère. De nombreux philosophes de l’éthique, comme Bernard Williams, Cora Diamond, ou Owen Flanagan, trouvent naturel de prendre pour exemples des situations tirées de films. S’ils le font, c’est sans doute que le cinéma excelle à suggérer les raisons d’agir de tout un chacun, y compris des crapules, au risque de flirter avec le relativisme moral, tel qu’Octave (Jean Renoir) l’expose dans La règle du jeu (“Ce qui est terrible sur cette terre c’est que tout le monde a ses raisons”). Quantité d’expériences de pensée en philosophie morale, de Hume à Rawls, ont également quelque chose de “cinématographique” par l’importance qu’elles accordent à la position de l’observateur et à la figure du “champ-contrechamp” (comment je vois le monde vs. comment j’apparais au monde), ou par leur figuration du solipsisme.

Enfin, au croisement des champs de la philosophie et des études cinématographiques, on ne saurait bien entendu passer sous silence le travail de Stanley Cavell, que ce soit sur la question de l’exemplarité morale, ou sur le contenu proprement éthique, et pas seulement illustratif, des comédies américaines en tant que lieu de formation morale. Toutes ces interactions disciplinaires se produisent autour de certains films, des leçons de vie fictionnelles qui ne sont pas des exhortations, mais des représentations fines de situations particulières. Et puisque “c’est seulement par l'effort imaginatif pour nous mettre à la place d'autrui que nous pouvons accéder à un jugement moral digne de ce nom” (Chavel 2012, 4e de couverture), on conviendra que le cinéma est bien placé pour soutenir cet effort.

La question de la “leçon” croise également un domaine aujourd’hui en plein essor, qui intéresse à la fois l’éthique et les Gender Studies, celui de l’“éthique du care”, qui consiste d’abord à tenir compte d’autrui et de ses besoins propres (Paperman & Laugier 2005). Le cinéma peut être conçu comme lieu d’inspiration morale, par l’attention aux autres qu’il suscite, en faisant vivre les personnages à l’écran et en rendant directement sensible à leurs spécificités et affections. Quand il présente les détails d’une situation, d’un caractère, le film narratif permet d’éduquer la perception morale, de développer la capacité d’attention, de care, du spectateur (Laugier 2006, 2008). La définition actuelle courante de l’empathie, à ce titre, convient bien au cinéma : elle suppose d’avoir des sentiments qui sont plus congruents avec la situation d’autrui qu’avec la nôtre (Hoffman 2000). Je dois être triste ou joyeux à propos de ce qui arrive à l’autre personne, non à propos de ce qui m’arrive à moi; et comme la plupart du temps je suis tranquillement assis devant le film, ce décalage est assuré.

La leçon de vie, celle que propose le film narratif courant à ses spectateurs en quête d’avis, de modèles ou de repoussoirs, ou simplement curieux de savoir comment vivent les autres, est donc un objet digne d’intérêt. Il n’y a aucune raison de le laisser plus longtemps dans l’ombre. Il faut attirer l’attention des chercheurs sur cette dimension de l’expérience filmique, et le faire d’emblée en croisant les disciplines – la direction commune de ce numéro est moins le produit de circonstances fortuites que celui d’une volonté de travailler de manière interdisciplinaire. C’est d’ailleurs ce qui pourrait expliquer l’infortune du thème de la leçon de vie, jusqu’ici, dans le champ des études cinématographiques : le fait qu’il touche aussi bien à la philosophie et à l’éthique qu’à l’anthropologie, la sociologie, la psychologie, les Gender Studies et les études de réception : c’est-à-dire à l’ensemble des domaines de la représentation au sens étendu du terme.

Il s’agit, dans ce numéro, de montrer comment l’attention portée au cinéma comme leçon de vie permet, d’une part, de modifier notre rapport aux films narratifs et de promouvoir la prise en compte des contenus et de la réception, et d’autre part, de modifier le champ de l’éthique et de le décentrer de la question du bien et du mal, de la décision et de l’action, vers l’observation et l’expérimentation morale. Une telle conception “ordinaire” de l’éthique, inspirée de Stanley Cavell (1993; 2003), de Martha Nussbaum (2004; 2006) et de Cora Diamond (2004; 2006), a récemment été développée dans un certain nombre de travaux, opposés à une vision théorique de l’éthique (Putnam 2004). Quoique d’inspiration wittgensteinienne, elle rejoint des développements éthiques féministes, comme l’éthique du care, centrée sur le souci d’autrui. Elle se propose de déplacer l’objet de l’éthique vers les façons d’être des humains, leurs styles moraux et leur mode d’expression. Dans une telle perspective, le cinéma est non seulement un exemple privilégié (Jullier & Leveratto 2008), à égalité avec les séries télévisées (Jullier & Laborde 2012), mais également un terrain privilégié et le lieu même d’élaboration d’une nouvelle éthique (Laugier 2010).

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Les sept textes qui composent ce numéro, d’un point de vue très général, se répartissent selon trois angles d’approche la description de la “leçon” extractible des films sur la base de leur interprétation : (a) le rapport aux corps dans la compréhension de la leçon, (b) les implications politiques qu’elle entraîne et (c) le décentrement éthique qu’elle suppose.

(a) Le rapport aux corps s’entend de façon symétrique : investir les corps à l’écran va rarement sans gain cognitif à propos du sien. Etre touché ou remué sans avoir à réagir par un acte immédiat, c’est apprendre – parfois non sans étonnement – ce dont on est capable en matière d’empathie. C’est avoir le loisir d’observer, si l’on veut bien accepter une description dualiste de la distinction entre les émotions et les sentiments, les moyens par lesquels le corps notifie à la conscience les changements de son homéostasie. Autant le Nâtya-shâstra (le traité des émotions” de la religion hindoue, achevé au IIIe siècle, cf. Ghose 1951) que les Passions de l’âme de Descartes en 1649, désignent déjà, sous le nom de rasa pour le premier et par la métaphore du chatouillement contrôlé pour le second, la méta-émotion esthétique qui nous saisit lorsque nous assistons à des spectacles qui nous touchent (Jullier 2008 : 136 sqq); peu s’en faut, dès lors, pour que cette méta-émotion, par un décentrement éthique, ne serve d’expérience de pensée apte à nous faire comprendre quel genre de rapports il faudrait avoir avec les autres. Rien de béhavioriste ici : l’interprétation de ces changements physiologiques et chimiques (faut-il rire de la situation qui, sur l’écran, les a provoqués? s’indigner? refuser d’y croire?) varie grandement d’un spectateur à l’autre. Les croyances, les tabous, l’expérience personnelle, la culture cinématographique aussi bien que la fréquence de nos contacts réels avec des corps très différents du nôtre et avec des situations où quelqu’un a besoin de notre aide, y interviennent en effet de plein droit.

Dans le premier texte de cette partie, Torben Grodal et Mette Kramer partent à la recherche d’universaux, armés des paradigmes des Evolutionary-Cognitive Film Studies, mais sans oublier cette variété de réactions possibles – “tout le monde n’est pas disposé également à ressentir de l’empathie”, écrivent-ils. Loin de la routine du dénigrement des industries culturelles dévolues à la “distraction” de spectateurs instrumentalisés par la structure inégalitaire du monde qu’ils habitent, il s’agit de considérer les films les plus regardés à la surface du globe comme des entraînements à l’émotion, autrement dit des rituels de régulation de l’émotion sociale, à la faveur desquels nous acquérons une ouverture aux autres et acceptons mieux de savoir que nous sommes vulnérables. Ainsi les moteurs de leur scénario ressortent-ils souvent du care – les héros de Gladiator (Scott 2000 ) et de Die Hard (McTiernan 1988) agissent par exemple pour protéger leur famille. Les auteurs en profitent pour redéfinir le processus de la soi-disant “identification aux personnages” : ne confondons plus “feeling for” avec “feeling with”; nous nous inquiétons ou nous sentons joyeux pour les personnages, mais ne dupliquons absolument pas leurs émotions (“I feel bad for the monster”, disait déjà Marilyn Monroe en sortant du cinéma dans The Seven Year Itch [Wilder 1955]) .

Changement de paradigme, ensuite, avec Jean-Marc Leveratto, qui vient du champ de la sociologie de l’expertise et de l’anthropologie du spectacle. Si les outils heuristiques diffèrent, cependant, les conclusions vont dans le même sens : il existe bel et bien une “fonction sociale de l’expérience cinématographique”, non détachée pour autant de l’appréciation de l’objet filmique pour lui-même. “Ethique, technique et esthétique sont les trois dimensions inséparables du jugement esthétique”, et le film n’est ni un prétexte à réfléchir à une histoire édifiante ni un objet à considérer de manière formaliste. On le voit bien quand il nous confronte à des corps handicapés, lesquels sont l’objet de l’article. L’auteur montre les différences qui séparent le care en tant que cadre professionnel (le care-giver a tout intérêt à se détacher) et le care en tant que cadre de réception devant l’écran (le spectateur s’attache parce qu’il est dispensé de prendre en charge pour de bon le care-receiver). Dans les films étudiés ici, Living in Oblivion (DiCillo 1995) et Nationale 7 (Sinapi 2000), la distance humoristique n’empêche pas la leçon de passer, bien au contraire; cette mise en scène du contact entre corps “normaux” et corps “stigmatisés” fait tant et si bien que nous finissons par nous “moquer des préjugés des personnes que le handicap impressionne”. On retrouvera les corps hors-normes et une conclusion semblable dans l’article suivant, celui d’Adrienne Boutang, même si à nouveau les démarches disciplinaires diffèrent – c’est le paradigme des Cultural Studies qui sera mis en oeuvre ici. Les gross-out comedies étudiées par l’auteure nous emmènent aux limites de la gêne et de la moquerie, pour se transformer in extremis en leçons à tirer. D’une part le stigmatisé, comme les autres, y peut plaisanter avec son propre handicap; d’autre part, rire de lui n’empêche pas de prendre en considération sa dépendance – peut-être même est-ce un moyen pour les spectateurs de réfléchir à leur propre vulnérabilité.

(b) Les implications politiques des leçons de vie proposées par les films ou les séries télé du circuit courant et tirées d’eux – les deux ne coïncidant pas forcément – doivent être pensées à nouveaux frais dès que l’on abandonne le modèle adornien de l’évasion servie sur un plateau aux spectateurs aliénés. Les récits audiovisuels, pour espérer provoquer des effets performatifs, demandent à être ressentis et interprétés, ce qui inclut non seulement leur “lecture” mais aussi l’application dans la vie courante des idées que l’interprétation y a mises au jour – idées qui, là encore, peuvent s’avérer fort différentes de celles que les auteurs entendaient défendre ou que nos voisins dans la salle sont persuadés d’avoir vues. Car à quoi bon se sentir bouleversé devant l’écran à la représentation d’une injustice, si c’est pour retourner ensuite à des activités qui engendrent à leur tour de l’injustice? Sauf à en faire la condition consolatrice même de la poursuite culpabilisante de ces activités – forme de cynisme que combattait Rousseau lorsqu’il écrivait à D’Alembert, en 1758, pour essayer d’empêcher l’ouverture d’un théâtre à Genève (“Au fond, quand un homme est allé pleurer des malheurs imaginaires, qu’a-t-on encore à exiger de lui?” [Rousseau 1967 : 79]).

Janet Staiger, dans le premier texte de cette partie, se penche sur les leçons à tirer de certains documentaires et docufictions dont les auteurs entendent explicitement – le paratexte nous le dit - “faire passer” un message politique. Ces auteurs s’efforcent, à dessein, de ménager des cadres de lecture chargés de la double fonction de plaire aux sympathisants a priori de la cause et de séduire ceux qui s’installent devant l’écran rétifs à elle, cadres de lecture qui ne font pas trop appel aux bons ni aux grands sentiments dont la détection pourrait faire naître la même méfiance et la même défiance dans les deux camps. Avec le paradigme des Reception Studies, cette fois, l’auteure nous montre, en prenant l’exemple du film Good Night, and Good Luck (Clooney 2005), que la variété d’“interprétations analogiques” courantes n’est pas si étendue que le laisse penser l’image du spectateur braconnier (textual poacher) qui investit les films selon son bon plaisir. Si les auteurs de ce film voulaient promouvoir une “conscience sociale” (social awareness) née d’une exposition d’erreurs commises plus tôt dans l’histoire, leur pari semble gagné – sans que l’on puisse bien entendu préjuger des conséquences politiques réelles de la circulation de leur oeuvre.

Dans le même ordre général d’idées, l’article de Solange Chavel, qui suit, traite de la question de la migration, légale ou illégale. Comment concilier, en Europe, des intuitions morales qui nous poussent à l’hospitalité avec des motivations politiques qui tendent à contrôler? Une comparaison entre Le Havre (Kaurismäki 2011) et De l’autre côté (Akin 2007), deux films représentatifs de points de vue et d’usages moraux du cinéma fort différents, amène l’auteure à examiner, puis à dépasser le “champ-contrechamp” habituel de la question, autrement dit la dichotomie articulant le point de vue du citoyen de la “forteresse assiégée” à celui du migrant espérant trouver une terre d’accueil.

(c) Le décentrement éthique est l’opération mentale nécessaire à sortir des deux modèles du “film à décrypter” comme un texte sacré et du film-propagande imposant un sous-texte normatif, quelquefois même à son corps défendant. Un film n’est pas le texte filmique dénoté par les données audiovisuelles de la projection (screen data), mais le produit de la rencontre entre ces données construites par leurs producteurs et l’imagination du spectateur qui s’en empare pour les animer – non seulement en leur conférant la qualité imaginaire de la mobilité optique mais en donnant vie aux histoires qu’elles entendent raconter. Il s’agit d’une co-construction, si l’on veut (Jullier & Leveratto 2008 : 21). Dès lors que ce modèle est validé, la délibération éthique peut avoir lieu à différents endroits spatio-temporels de l’opération de co-construction – d’un côté et de l’autre de l’écran, donc (Jullier 2008 : 8 sqq). Il y a d’abord une éthique de la création (l’auteur prend la responsabilité de mettre en scène ou de raconter une histoire dérangeante, par exemple, ou une histoire édifiante), puis une éthique de la distribution (comment faire circuler une oeuvre qui se destine éventuellement à servir de leçon? A qui, et à quelles conditions matérielles et légales, l’adresser?). Il y a ensuite trois décisions plus ou moins volontaires à prendre par le spectateur : celle de la consommation (dois-je investir financièrement pour prendre connaissance de cette oeuvre, et à qui me fier pour me décider a priori?), celle de l’interprétation (est-ce que je donne toutes ses chances à l’oeuvre? suis-je un bon élève, quand bien même l’enseignant ne serait pas très clair?), et celle de la transmission (qui vais-je faire profiter de la leçon que j’ai tirée de cette rencontre avec le film?). Enfin, au beau milieu, entre les auteurs qui ont façonnés et les spectateurs qui les font exister en leur prêtant des sentiments comme à un voisin ou à un ami, il y a les personnages, qui eux aussi se débattent fréquemment avec des débats de conscience et des dilemmes éthiques.

Irina Palm (Garbarski 2007), le film sur lequel s’ouvre cette troisième partie, propose de regarder autrement une personne qui ne fait pas ce qu’on attend d’elle en se basant sur des normes sociales. L’étude qu’en propose Pascale Molinier pose, comme dans l’article de Janet Staiger, que la “leçon d’utopie” montrée à l’écran a toutes les chances d’être entendue. Le paradigme a changé, puisque les études de réception défendues par Staiger ont été remplacées par la philosophie, mais pas la vision d’ensemble. Le film est lisible à travers la théorie de la gentleness d’Annette Baier (1994), cette invention improvisée, variant d’une situation à l’autre, de la réponse appropriée à quiconque affiche sa vulnérabilité. Son héroïne “réunit divers critères de ce qu’une femme n’est pas ou ne devrait pas être”, mais la façon dont l’interprète Marianne Faithfull la joue en lui “accordant sa confiance” nous invite à reconsidérer un certain nombre de présupposés répandus concernant la féminité (on retrouve l’importance du corps de l’acteur et de l’emploi au sens théâtral déjà souligné plus haut par Leveratto). Au final, voilà encore un film qui nous aide à “stabiliser l’ordinaire en un monde cohérent” sans pour autant fermer les yeux sur les injustices qui le traversent en permanence.

Pour clore le numéro, Laurent Jullier décortique le classique de Vincente Minnelli Some Came Running pour combattre l’idée selon laquelle de tels films, centrés autour de la “conquête (infructueuse) du bonheur”, pour pasticher Stanley Cavell (1993) sont condamnés à donner des leçons simplistes, forcément conventionnelles et univoques. Au contraire, ce film qui semble combiner l’éthique du care au Kierkegaard d’Ou bien… ou bien… (1843), a davantage les allures d’un outil heuristique que d’une liste d’actions à accomplir pour trouver la vie bonne. Son originalité consiste aussi à poser comme modèle de rapport à l’autre le soin qu’il met à faire voir les différentes facettes de ses personnages à la lumière des petits détails des situations dans lesquelles il les plonge, ce que ne fait pas l’auteur du livre dont le film est tiré. Ce soin l’inscrit logiquement dans la lignée des oeuvres dont Martha Nussbaum pense qu’elles équivalent à des essais de philosophie de l’éthique – elles ne sont pas théoriques mais l’attention aux détails que leur dispositif permet de matérialiser les autorise à dire des choses que le jargon professionnel même de ces essais interdit (1990 : 20).

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Sur la foi d’indications factuelles de base et par analogie avec l’expérience personnelle, il est possible d’imaginer, comme dans le dispositif du voile d’ignorance de Rawls (1971: 12), comment vivent les autres; mais il n’est pas facile de ressentir vraiment ce qu’ils ressentent. Là réside pourtant la condition de la diffusion de l’éthique du care et son éventuel succès performatif. Or le cinéma sert à cela quelquefois : savoir “ce que ça fait” de se trouver dans telle ou telle situation. Encore faut-il que tout le monde y mette du sien, de chaque côté de l’écran, et tous les articles présentés jusqu’ici montrent qu’il n’y a pas de “donné” en la matière. Tout est à (co-)construire. Ce numéro de RS/SI aspire donc, de ce côté-ci de l’écran, à montrer l’exemple.


The theme of the present issue occupies a place at the crossroad of moral philosophy and film studies. Put simply, the use to which viewers put films when they reflect on the way they should conduct their lives or when they prepare to pass moral judgments on the conduct of others. This dimension, even though is quite common, is rarely addressed in film studies. When people working in this field take up ethical questions, it is almost always around the transgressions of films that court censorship or defy “moral decency”. The viewer’s ordinary experience, his or her way of incorporating regular films into the “how should I live my life?” questioning that more or less explicitly occupies them, is not in favor there. In the constant battle between “common sense” and scholars obsessed with “fiendish theory”, the latter have often won out. There has never been an excess of the everyday “practical philosophy” that the use of films implies. This observation is also true with respect to cultural criticism and ideas in general : “proceed as if the characters were real people” is seen as a sign of cultural inferiority, worthy of the Don Quixote’s asinity in attacking Master Peter’s puppets because he believed in them too much.

And yet a great number of everyday conversations about cinema, the kind one hears in cafés, on public transportation or amongst family members, consist in commenting on the conduct of the characters seen the day before, the choices they made for better or for worst, or simply their personality or the way they live their lives. Numerous philosophers of ethics, such as Bernard Williams, Cora Diamond, and Owen Flanagan, find it natural to take examples from situations found in films. No doubt the reason they do, at the risk of venturing into moral relativism, as Octave (Jean Renoir) exposes it in La règle du jeu : “What it is dreadful about the world is that everyone has his reasons”. A number of ideas in moral philosophy, from Hume to Rawls, also have a “cinematic” aspect in the importance they grant the observer and a certain “shot-reverse shot” conception (how I see the world vs. how the world sees me), or by their representation of solipsism.

Finally, when discussing crossovers between philosophy and film studies, it would of course be impossible to ignore the work of Stanley Cavell, whether on the topic of moral examplariness or the truly (and not simply illustrative) ethical content of American comedies as a site of moral education. All these disciplinary interactions take place around certain films : fictional life lessons which are not exhortations but rather fine-grained depictions of particular situations. And because “it is only through an effort of the imagination to put ourselves in someone else’s place that we can pronounce moral judgements worthy of the name” (Chavel 2012, back cover), it is apparent that the cinema is well placed to support this effort.

The question of the “lesson” also enters into a field in full swing today, one that comes into play in both ethics and gender studies : the “ethics of care”, which consists in taking the others and his or her needs into account (Paperman & Laugier 2005). The cinema can be seen as a site of moral inspiration by virtue of the attention to others to which it gives rise by bringing the characters on screen to life and making their unique qualities and affections directly perceptible. Narrative film, when it presents the details of a situation or a character, makes it possible to educate the viewer’s moral perception and develop their capacity for thoughtfulness and caring (Laugier 2006 ; 2008). In this respect, the common present-day definition of empathy is well suited to the cinema : it involves having feelings more in keeping with the other’s situation than with one’s own (Hoffman 2000). I should be happy or sad at what happens to the other person, not at what happens to me; and as I am most often sitting peacefully watching the film, this shift take place.

The life lesson offered by the average narrative film to viewers looking for advice, models or foils, or simply curious to see how others live, is thus something worthy of interest. There is no reason to leave it in the shadows any longer. Scholars’ attention must be drawn to this dimension of the film experience. This should be done from the outset through the cross-pollination of scholarly disciplines – the fact this issue brings together scholars from varied intellectual fields is less the product of fortuitous circumstance than it is of a desire to work in an interdisciplinary manner. This, moreover, might explain the life’s lesson poor fortunes in film studies to date : the fact that it touches on philosophy, ethics and anthropology, sociology and psychology, gender studies and reception studies, or in other words every field of representation in the broad sense of the term.

The goal of the present issue is to show how looking at cinema as a life lesson makes it possible, on the one hand, to modify our view of narrative films and to encourage the consideration of content and reception, and on the other to modify the field of ethics and to take it out of the orbit of the question of good and evil, of decision and action, towards moral observation and experimentation. An “ordinary” conception of morality such as this, inspired by Stanley Cavell (1981; 2003), Martha Nussbaum (1990; 2006) and Cora Diamond (1991; 1997), has recently been developed in a number of works opposed to a theoritical vision of ethics (Putnam 2004). Altough of Wittgensteinian inspiration, this view runs parallel to ethical developments in feminism such as the ethics of care, whose focus is concern for the other. It proposes that we shift the subject of ethics towards the way people live their lives, their moral styles and their modes of expression. From this perspective, the cinema is not just a special example (Jullier & Leveratto 2008), along with television series (Jullier & Laborde 2012), but also a special field and the very site where a new ethics can be developed (Laugier 2010).

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The seven texts in this issue can be described, in a very general way, as taking one of three approaches to describing the “lesson” that can be extracted from films through their interpretation : a) the relations with the body in understanding the lesson; b) the political implications of this lesson; and c) the ethical shift that involves.

(a) The relations with the body take symmetrical form : investing the body on screen rarely occurs without cognitive insight into one’s own. To be touched or stirred without having to react with an immediate action is to learn – at times not without astonishment – what one is capable of in terms of empathy. It is to have the leisure to observe, if one is willing to accept a dualist description of the distinction between emotions and feelings, the means by which the body notifies the conscious mind of changes to its homeostasis. Both the Natya Shastra (the Hindu Treatise on the Emotions written in the third century; see Ghose 1951) and Descartes’ Passions de l'âme (Passion of the Soul), written in 1649, already describe under the name of rasa in the former and through the metaphor of controlled arousal of the senses in the latter, the aesthetic meta-emotion that seizes hold of us when we observe entertainments which touch us (Jullier 2008 : 136 sqq). Little is required, then, for this meta-emotion, through a process of ethical decentring, to serve as a thought experience capable of making us understand the kinds of relations we should maintain with others. There is nothing behaviourist in this : the interpretation of these physiological and chemical changes (should one laugh at the situation on the screen that brought them about? Become indignant? Refuse to believe?) varies greatly from one viewer to another. Beliefs, taboos, personal experiences, film culture and the frequency of our real contact with bodies very different from our own and with situations in which someone needs our help are fully brought into play.

In the first essay of this section, Torben Grodal and Mette Kramer set off in search of universals, armed with paradigms from evolutionary-cognitive film studies but without neglecting the variety of possible reactions : “not everyone is equally disposed to feel empathy”, they write. Far from routinely denigrating the cultural industries devoted to “distracting” viewers instrumentalized by the non-egalitarian structure of the world they inhabit, they see the most watched films around the world as emotional training, or rituals for regulating social emotion, through which we acquire an openness to others and better accept the knowledge that we are vulnerable. Thus the driving force of these films’ scripts is often care : the heroes of Gladiator (Scott 2000) and Die Hard (McTiernan 1988), for example, act in order to protect their families. The authors take advantage of this fact to refine the process of our so-called “identification with the characters” : we no longer confuse “feeling for” with “feeling with”; we worry about or feel joy for the characters, but do not all replicate their emotions (“I feel bad for the monster”, Marilyn Monroe said when exiting the movie theater in The Seven Years Itch [Wilder 1955]).

The paradigm changes with Jean-Marc Leveratto who comes out of the field of sociology of expertise and the anthropology of entertainment. While his heuristic tools differ, his conclusions are in the same vein : a “social function of the film experience” truly does exist, one that is nevertheless not detached from the appreciation of the film object in its own right. “Ethics, technique and aesthetics are the three inseparable dimensions of aesthetic judgement”, and a film is neither a pretext for thinking about an edifying story nor an object to be considered in a formalist manner. This is quite apparent when the author confronts us with disabled bodies, the subject of his article. Leveratto demonstrates the differences between care in a professional sense (care-givers have every reason to detach themselves) and care as a reception framework for viewing what is on screen (viewers become attached because they are exempt from truly taking the receiver of the care into their care). In the films examined here, Living in Oblivion (DiCillo 1995) and Nationale 7 (Sinapi 2000), humorous distance does not prevent the lesson, from getting through; on the contrary, this staging of contact between “normal” and “stigmatized” bodies is so effective that we end up “ridiculing the prejudices of those people upon whom disability has an effect”. We find non-standard bodies and a similar conclusion in the following essay by Adrienne Boutang, even though once again the field of inquiry differs : here the paradigm of cultural studies is employed. The “gross-out comedies” studied by the author take us to the outer limits of embarrassment and ridicule, in the process being transformed in extremis into lessons to be learned. On the one hand stigmatized people, like others, can joke about their own disability, while on the other laughing at them does not prevent us from thinking about their dependency – it may even be a means for viewers to reflect on their own vulnerability.

(b) The political implications of the life lessons offered by regular films or television series and taken from them – these two things are not necessarily the same – must be rethought once one abandons Adorno’s model of escapism being served up on a platter to alienated viewers. Audiovisual stories, if they hope to have a tangible effect, must be felt and interpreted; this includes not only being “read” but also the application in everyday life of the ideas that their interpretation has brought to light – ideas which, here again, can turn out to differ greatly from those the work’s author wished to champion or which those text to us in the movie theatre believe they have seen. For what is the point of feeling that one has been bowled over by an injustice on screen if we then return to activities which give rise to injustice in turn? Unless it is the consoling condition of the guilt-inducing pursuit of these activities, a form of cynism which Rousseau combated when in 1758 he wrote to D’Alembert in an attempt to prevent the opening of a theater in Geneva (“In the final accounting, when a man has gone to admire fine actions in stories and to cry for imaginary miseries, what more can be asked of him?” [Rousseau 1968 : 25]).

Janet Staiger, in the first text of this section, examines the lessons to be drawn from some documentaries and docufictions whose authors explicitly intend — the paratext informs us — to convey a political message. These authors deliberately attempt to create frameworks for reading the work that are charged with the two-fold function of pleasing those devoted to the cause and tempting those seated who are resistant to it. These frameworks make no undue appeal to one’s good or noble feelings, which once detected could give rise to the same distrust on both sides. Here employing the paradigm of reception studies, the authors show us, through the example of the film Good Night and Good Luck (Clooney 2005), that the variety of common “analogical interpretations” is not as extensive as the image of viewers as textual poachers entering into films according to their own criteria would have us believe. If the goal of these films’ authors is to promote social awareness arising out of a demonstration of earlier historical mistakes, they seem to have succeeded, although it is of course impossible to determine the real political consequences of the circulation of their work.

In the same vein, Solange Chavel’s essay deals with the question of immigration, legal or illegal. How are Europeans to reconcile their moral intuitions, which urge them to be hospitable, with political motivations which tend towards control? A comparison between Le Havre (Kaurismäki 2011) and De l'autre côté (Akin 2007), two films representative of greatly different moral points of view and uses of cinema, leads the author to examine and then move beyond the usual “shot-reverse shot” conception of the question, in other words the dichotomy between the viewpoint of citizens of the “fortress under siege” and that of the immigrant hoping to find a home.

(c) Ethical decentring is the mental operation necessary to depart from the two models of the “film to be decipher” as a sacred text and of the propaganda film imposing a normative subtext, sometime against one’s wishes. A film is not a filmic text denoted by screen data but the product of an encounter amongst these data, constructed by their producers and by the imagination of the viewer, who latches onto them in order to bring them to life – not only by conferring the imaginary quality of optical mobility upon them but by giving life to the stories the films set out to tell. What is at work here is a co-construction (Jullier & Leveratto 2008 : 21). Once this model is validated, ethical deliberation can take place at different spatio-temporal points in the co-construction operation – and thus on both sides of the screen (Jullier 2008 : 8ff). First there is an ethics of artistic creation (an author takes on the responsability of filming or telling a disturbing or edifying story), and then an ethics of distribution (how to circulate a work ultimately intended to serve as a lesson? To whom, and under which material and legal conditions, should one speak?). Then there are three more or less wilful decisions to be made by the viewer : that of consomption (should I put money into seeing this film? Who should I trust in to help me make that decision?); that of interpretation (am I giving the film a fair chance? Am I a good student, even when the lesson isn’t very clear?); and that of transmission (who will I make benefit from the lesson I have drawn from my encounter with this film?). Finally, between the authors who shaped them and the viewers who gave them life by feeling for them the way one would a neighbour or a friend, we find the characters, who also frequently wrestle with their conscience and with ethical dilemmas.

Irina Palm (Garbarski 2007), the film with which this third section begins, proposes to look differently at a person who does not do what we expect of them according to social norms. Pascales Molinier’s discussion of the film, like the article by Janet Staiger, believes that the “utopian lesson” shown on screen has every chance of being heard. The paradigm has changed, because the reception studies championed by Staiger – but not the overall vision – have been replaced by philosophy. This film can be read through Annette Baier’s (1994) theory of gentleness : an improvised response, varying from one situation to another, appropriate whenever someone displays their vulnerability. The film’s heroine “displays several qualities of what a woman is not or should not be”, but the way Marianne Faithfull acts the part, “putting her trust in her”, invites us to reconsider a few widely-held ideas concerning feminity (here we find the importance of the actor’s body and its use in a theatrical sense already underscored above by Leveratto). In the end, this too is a film that helps us “stabilize the ordinary in a coherent world” – whitout closing our eyes, however, to the injustices constantly running through it.

To close this issue of RS/SI, Laurent Jullier dissects Vincente Minnelli’s classic Some Came Running to combat the idea which holds that such films, centered on the “(unsuccessful) conquest of happiness”, to pastiche Stanley Cavell (1993), are doomed to provide simplistic lessons, necessarily conventional and one-dimensional. On the contrary, this film appears to combine the ethics of care with the Kierkegaard of Either/Or (1989), giving it a quality closer to heuristic tool than that of a list of actions to carry out to find the good life. Its originality also consists in proposing as a model for our relations with others the carefulness with which it brings out the different facets of its characters through the little details of the situations into which it plunges them, something the book on which the film is based do not do. This carefulness logically pertains to the kind of artworks Martha Nussbaum believes are the equivalent of essays on the philosophy of ethics : they are not theoritical, but the attention to detail they bring out enables them that the professional jargon of these essays makes impossible (1990; 20).

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On the basis of underlying factual indications and by analogy with individual experience, it is possible to imagine, as in Rawls’ (1971 : 12) concept of the veil of ignorance, how others live. But it is not easy to truly feel what they feel. That, however, is the condition for the dissemination of the caring ethic and its success. The cinema at times serves this task : knowing what happens when you find yourself in one situation or another. Still, everyone has to do their part, on each side of the screen, and every article introduced here showed that nothing can be taken for granted in this respect. Everything must be (co-)constructed. This issue of RS/SI’s thus aspires, on this side of the screen, to lead by example.