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Ce nouveau numéro hors thème de la revue Recherches qualitatives regroupe des textes hétéroclites tant sur le plan des thèmes que des horizons disciplinaires et géographiques. Analyse qualitative, recherche de développement, entretien de recherche, interdisciplinarité, et ethnographie forment ainsi le tissu bigarré de cet assemblage. Tous ensemble, ils donnent accès à des perspectives diverses sur la recherche qualitative, élargissant et nourrissant la réflexion méthodologique, et incarnant ainsi la visée principale de cette revue.
Comme la rigueur constitue une exigence fondamentale du processus scientifique, les articles de ce numéro n’y échappent pas de sorte qu’on peut même y déceler une trame. Chacun aborde en effet à sa manière cette préoccupation, parfois en filigrane, d’autres fois de manière plus directe comme objet de l’article. Puis, comme chaque année, ce numéro publie le texte lauréat du concours 2023 du Prix de l’Association pour la recherche qualitative.
Auteur de plusieurs articles et d’un ouvrage sur l’analyse qualitative, Christophe Lejeune (Université de Liège) poursuit ici sa démarche de réflexion méthodologique qui se veut une fois de plus fort éclairante. Le texte qu’il propose croise l’histoire des logiciels assistant l’analyse de matériau qualitative (CAQDAS) à celle du logiciel Cassandre qu’il a lui-même conçu. Il rappelle qu’à l’origine, les logiciels ont été conçus pour assister l’analyse par théorisation ancrée dans une perspective qualitative, ascendante (inductive ou abductive) et itérative. Or, dans une volonté de percer de nouveaux marchés, l’industrie des logiciels a intégré des fonctionnalités quantitatives venant de l’analyse de contenu, comme le livre de codes et la fidélité intercodeur. Cette polyvalence induit pourtant des ambigüités épistémologiques. Cet historique est jumelé au récit de création du logiciel Cassandre, qui, à l’inverse de la polyvalence, soutient une approche ascendante, exclusivement qualitative, centrée sur le journal de bord (plutôt que sur le matériau) et itérative (plutôt que séquentielle et linéaire). À ceux et celles qui s’intéressent aux logiciels d’aide à l’analyse qualitative, ce texte vaut le détour.
Par ailleurs, les chercheurs s’intéressant à la rigueur de la recherche de développement trouveront de quoi nourrir leur réflexion dans l’article de Bianca B.‑Lamoureux, Léna Bergeron et Nadia Rousseau, toutes trois du domaine des sciences de l’éducation à l’Université du Québec à Trois-Rivières. Dans cet article, les autrices mettent en lumière certains risques et certaines tensions rencontrées dans l’opérationnalisation de cette démarche. À l’aide d’une analyse par questionnement analytique réalisée à partir de 31 écrits portant sur la recherche participative, les chercheuses ont dégagé 8 précautions à prendre pour assurer la rigueur de la démarche. Cet article contribue ainsi à combler un besoin en matière de recherche de développement, une approche qualitative qui demeure à ce jour encore peu documentée.
Professeur émérite de psychologie à l’Université de Franche-Comté, Michel Boutanquoi livre, dans cette contribution, quelques-unes de ses réflexions sur l’entretien de recherche. Cet outil de collecte de données, en apparence simple, ne se réduit pas comme on le sait à une technique de recueil de réponses à des questions. En effet, l’entretien impose une dimension relationnelle importante, dont des enjeux de pouvoir entre les chercheurs et les participants qui peuvent à leur tour entrainer des effets d’imposition. Cette situation sociale recèle sa part d’inattendu, voire de mystère, exigeant pour s’avérer profitable aux deux parties impliquées une ouverture de part et d’autre et de la rigueur de la part du chercheur.
L’article de Géraldine Bloy, Laurent Rigal et Marion Thévenot propose d’articuler sociologie qualitative et médecine à travers le récit d’une expérience de collaboration de plusieurs années dans le domaine de la santé et de l’épidémiologie dans des universités françaises. Ce faisant, les auteurs mettent en perspective les principales tensions épistémologiques produites par cette rencontre intellectuelle dans une synthèse en quatre dimensions que sont : 1) le statut de la culture; 2) le sens de l’enquête; 3) la conduite de l’analyse; 4) le processus d’écriture. L’analyse est à la fois éclairante et inspirante pour des chercheurs-collaborateurs appelés à travailler en interdisciplinarité, particulièrement lorsque cette collaboration mobilise des chercheurs moins habitués aux perspectives qualitatives.
Le texte lauréat du Prix de l’ARQ-Concours 2023
Ce numéro publie également le texte du lauréat du Prix de l’Association pour la recherche qualitative pour le concours 2023. Ce prix constitue un symbole d’excellence en recherche qualitative et il récompense la qualité de la recherche réalisée par des diplômées et diplômés de troisième cycle. Octroyé annuellement, il se compose d’un certificat, d’une bourse, de la publication d’un manuscrit présentant un condensé de la thèse de doctorat dans la revue Recherches qualitatives ainsi que d’une adhésion d’un an à l’ARQ.
Le texte de Louis Rivet-Préfontaine vise à interroger la notion d’alternative socioéconomique en proposant une compréhension de la vie socioéconomique comme prenant la forme de configurations sociales complexes devant être étudiées empiriquement. À l’aide d’une approche ethnographique, l’article permet d’exposer l’articulation cohérente que la perspective de sociologie de la connaissance rend possible entre les dimensions de la théorie, de la construction de données et de l’analyse dans la recherche sociologique.
Appendices
Notes biographiques
Frédéric Deschenaux est le directeur de la revue Recherches qualitatives depuis juin 2018. Il est professeur titulaire à l’unité départementale des sciences de l’éducation de l’Université du Québec à Rimouski (UQAR) où il enseigne la sociologie de l’éducation et les méthodes de recherche depuis 2004. Ses recherches portent sur les parcours scolaires et professionnels auprès de diverses populations. Il travaille aussi sur les méthodologies d’enquête en sciences sociales et les techniques d’analyse des données qualitatives. Il a collaboré aux activités de l’Association pour la recherche qualitative (ARQ) à titre de président (2000 à 2001) et de vice-président (2003 à 2008). Il a réalisé divers mandats pour la revue, dont le passage au format électronique en 1999 et il fait partie du comité de rédaction de la revue depuis 2004.
Chantal Royer est professeure au Département d’études en loisir, culture et tourisme de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) où elle enseigne les méthodes de recherche depuis 1997. Elle a été présidente de l’Association pour la recherche qualitative (ARQ) de 2002 à 2006. De 2002 à 2018, elle a dirigé la revue Recherches qualitatives dont elle assure maintenant la codirection aux côtés de Frédéric Deschenaux (UQAR). En 2004, elle a participé à la fondation du Réseau international francophone de recherche qualitative (RIFReQ) avec le professeur Alex Mucchielli (Université Paul Valéry). Sur le plan méthodologique, elle s’intéresse aux différentes stratégies qui fondent la recherche qualitative, au statut de cette dernière dans l’univers de la science, à sa valeur, à son évolution, aux manières de la transmettre et de l’enseigner. Par ailleurs, ses travaux de recherche portent sur les valeurs des jeunes dont elle analyse différentes facettes.