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En dépit des intentions et des discours favorables à la participation citoyenne des personnes en situation de handicap (PSH), elles sont encore trop souvent marginalisées et mises à l’écart des décisions publiques et politiques. Dans le cadre d’une recherche-action, financée par le FQRSC, portant sur « la participation citoyenne, l’engagement civique et l’efficacité politique de personnes membres de comités d’usagers ou d’associations », nous avons constaté que la qualité des rapports entre les PSH et les différents acteurs engagés à soutenir leur intégration sociale influence grandement l’exercice de leurs droits politiques.

La reconnaissance pour soi-même et pour les autres, de nos droits en tant que citoyen.ne.s à parts égales et entière, quel que soit notre statut, personne en situation de handicap, intervenant.e ou membre de la famille, doit être prise en compte si l’on veut favoriser l’inclusion sociale, le développement de compétences civiques et l’efficacité politique des PSH.

Parmi les différents groupes d’acteurs impliqués dans le processus d’inclusion sociale et de participation citoyenne des PSH, les intervenant.e.s sociaux jouent un rôle important et sont confronté.e.s à des exigences paradoxales. Les finalités de leur action ne sont pas univoques « mais résultent d’un ensemble de rapports de force entre les acteurs et de la négociation permanente de ces points de vue différents » (Autès, 1999. p. 246). Non seulement ils doivent répondre à des critères d’efficacité technique et instrumentale, mais ils doivent constamment songer à ce qui est juste de faire en regard du droit et des normes pour l’émancipation citoyenne des personnes, et ce, dans des systèmes d’interaction institutionnalisés (Autès, 1999). Parallèlement, les témoignages des participant.e.s à notre recherche font état de contradictions manifestes entre les visées explicites et les processus ou mécanismes mis en oeuvre pour soutenir la participation citoyenne des PSH, de sorte qu’elles peinent à se reconnaître et à être reconnues comme des citoyen.ne.s avant tout. C’est l’une des conclusions majeures issues de l’analyse d’une partie des résultats de notre recherche, ce qui nous a menées à concevoir la reconnaissance comme le fondement d’une éthique de la participation citoyenne. En analysant la perception que les PSH ont des conditions de leur participation citoyenne, nous souhaitons alimenter une réflexion éthique qui pourrait inspirer l’action de tous les groupes d’acteurs impliqués, et en particulier celle des intervenant.e.s sociaux. Nous présenterons brièvement dans les prochaines pages les fondements théoriques et le déroulement de notre recherche, ainsi qu’une partie de nos résultats témoignant du besoin de reconnaissance des PSH.

Cadre théorique et méthodologique : une recherche-action sur la participation citoyenne et le développement des compétences civiques

Le présent article s’inscrit dans la foulée d’une recherche-action financée par le FQRSC, qui portait sur l’impact de la participation à des comités d’usagers ou à des associations de PSH sur le développement de leurs compétences citoyennes. Puisque cette recherche a déjà fait l’objet de publications dans lesquelles nous avons développé les notions de citoyenneté, de participation citoyenne, de compétences civiques, d’éducation à la citoyenneté démocratique, d’émancipation et de socialisation politique des PSH, nous ne reprendrons pas ici tous ces concepts (Tremblay et Hudon, 2014 ; Tremblay, 2009 ; Tremblay, 2011).

Rappelons brièvement que la recherche que nous avons menée s’appuie sur le postulat suivant : on ne naît pas « bon citoyen », on le devient (O’Neill, 2006 ; Jansen et al., 2006). Pour nous, l’exercice de la citoyenneté repose sur un processus d’intégration sociale incluant la « participation aux diverses instances de la vie sociale » (Schnapper, 2007, p. 13). Une citoyenneté active fait référence à la contribution des personnes au développement social et économique de leur communauté, à leur engagement civique et à une participation citoyenne et politique. La participation citoyenne, plus vaste que la participation politique, peut prendre plusieurs formes et s’exercer au sein d’une grande variété d’instances publiques oeuvrant localement, régionalement, nationalement ou même internationalement. La citoyenneté active, c’est l’exercice des droits civils, sociaux et politiques, et des responsabilités qui y sont associées.

Bien qu’il soit valorisé par de nombreuses institutions publiques, l’exercice de leurs droits reste parsemé d’embûches pour les PSH, qui figurent parmi les groupes les moins engagés politiquement par rapport à la population générale (O’Neill, 2006). Elles ont une moins grande efficacité politique que les autres. On entend par efficacité politique interne le niveau de compétences et d’habiletés qu’une personne estime détenir pour participer politiquement, et par efficacité externe le degré d’influence qu’elle croit pouvoir exercer auprès des politiciens en fonction de la sensibilité et de l’ouverture de ces derniers.

La moins grande efficacité politique des PSH s’explique essentiellement par des facteurs autres que le handicap lui-même, tels un niveau inférieur d’éducation, le sous-emploi ou un revenu moindre, ce qui les prive d’occasions de développer des compétences civiques et d’acquérir de l’expérience. Il y aurait donc un frein systémique et structurel à l’exercice d’une « citoyenneté active » pour ces personnes. La voie à privilégier pour favoriser le processus de socialisation politique et l’éducation à la citoyenneté chez les adultes est celle de leur engagement civique à travers des activités de participation citoyenne.

C’est au développement des compétences civiques et à l’efficacité politique des PSH, à partir de leur point de vue sur leur expérience de participation citoyenne, que nous nous sommes intéressées. Pour Henry Milner, les compétences civiques réfèrent « aux compétences et aux habiletés dont disposent les citoyens pour comprendre le monde politique » et elles reposent également sur « la volonté et la capacité de s’impliquer dans le discours public et d’évaluer la performance de ceux qui occupent des postes politiques » (Milner, 2004, p. 13). Pour exercer nos droits politiques, nous devons acquérir les compétences civiques nécessaires et la participation citoyenne contribue à leur développement, comme nous l’avons exposé dans de précédents articles (Tremblay et Hudon, 2014 ; Tremblay, 2009 ; Tremblay, 2011).

Dans le cadre de notre recherche-action qui s’est déroulée de 2009 à 2012, nous avons recruté 55 PSH (déficience intellectuelle, problème de santé mentale ou déficience physique) pour former onze groupes de discussion, constitués de 4 à 8 personnes issues de six comités des usagers et de six associations. Les participant.e.s recruté.e.s étaient membres de comités d’usagers d’établissements de santé ou de conseils d’administration d’associations de défense de droits. Cinq groupes étaient constitués de membres de comités d’usagers et six, de membres issus d’associations de défense de droits.

Deux types de témoignages ont été recueillis. Deux séries d’entrevues individuelles semi-dirigées ont été réalisées au début et à la fin de la démarche de recherche. Entre ces deux séries d’entrevues, chacun des groupes de discussion a tenu de quatre à cinq rencontres, d’une durée moyenne de trois heures, qui ont fait l’objet de comptes rendus détaillés, disponibles pour l’analyse. Pour la conception des ateliers-dialogues, nous nous sommes inspirées de la méthode des récits de vie propre à la sociologie clinique de Mercier et Rhéaume (2007), de la démarche réflexive d’analyse en groupe de Boudreault et Kalubi (2006) et de la méthode d’analyse en groupe de Van Campenhoudt et al., (2005). Par la construction collective de sens, les personnes participant au projet de recherche ont pu raconter leur histoire de participation citoyenne et d’engagement civique.

Pour clore la démarche de recherche-action, un rapport des discussions de groupes présentant les enjeux identifiés et définis préalablement par les participant.e.s a été soumis à ces derniers lors d’un Sommet d’une journée, auquel toutes et tous ont été convié.e.s et pendant lequel ils ont collaboré à l’analyse de l’ensemble des résultats présentés dans le rapport. La réflexion que nous présentons ici porte exclusivement sur ces résultats issus des ateliers-dialogues et portant sur les enjeux de la participation citoyenne identifiés et analysés par les participant.e.s à la recherche.

Suivant une démarche d’analyse de type inductive inspirée par Blais et Martineau (2006), nous avons complété le processus d’analyse à la suite du Sommet en convoquant les composantes du ternaire de l’éthique de Paul Ricoeur, soit le rapport à soi, le rapport à l’autre et le rapport aux institutions. Nous avons également repéré la question de la reconnaissance de la citoyenneté comme une dimension transversale de ces trois catégories d’enjeux. L’idée de la formulation d’une éthique de la participation citoyenne fondée sur la reconnaissance est issue de ce processus d’analyse des témoignages des participant.e.s. Avant d’en faire la présentation, nous rappellerons brièvement les principales notions théoriques recrutées pour structurer notre réflexion.

La demande de reconnaissance citoyenne

La reconnaissance est abordée ici dans une perspective psychosociologique comme un processus intersubjectif dans lequel l’appartenance à des groupes ou à des catégories sociales joue un rôle primordial. Elle est au centre de la construction identitaire et s’exprime dans les interactions sociales. « Contrairement à la connaissance qui est un acte cognitif non public, la reconnaissance dépend de moyens de communication qui expriment le fait que l’autre personne est censée posséder une “valeur” sociale » (Honneth, 2004, p. 141). Il s’agit d’une confirmation intersubjective de l’autre à travers un rapport positif à soi (Renault, 2004). C’est le rapport à l’altérité impliquant en lui-même le rapport à soi et à autrui. Cet autrui peut se présenter sous plusieurs formes : personnel, institutionnel, représentationnel. C’est la reconnaissance de l’existence de tout ce qui implique le fait de faire partie de quelque chose (Taylor, 1992). Ainsi, le citoyen n’existe que si les institutions démocratiques et les processus qui sont censés les accompagner existent aussi.

L’éthique de Ricoeur et la participation citoyenne

Paul Ricoeur, qui a contribué de façon majeure à la réflexion en éthique sociale, s’intéresse au rapport subjectif de l’individu avec la société dans une perspective démocratique et considère la citoyenneté comme la pierre angulaire de notre humanité ; c’est par elle que nous nous lions au monde auquel nous appartenons en tant qu’êtres de relations. « C’est comme citoyens que nous devenons humains. Le souhait de vivre dans des institutions justes ne signifie pas autre chose » (Ricoeur, 1995, p. 17). Dans la « petite éthique », Ricoeur (1990) propose une construction ternaire composée du soi, de l’autre et du tiers. Le soi doit être considéré avec estime et respect. L’autre est celui que l’on connaît et qui nous ressemble, en même temps qu’il est différent de soi. Le tiers est le citoyen porteur de droits, que l’on ne connaît pas personnellement, mais que l’on se doit de considérer au même titre que soi-même ou qu’un ami, et qui s’incarne au travers des institutions sociales. « Ce ternaire relie le soi, appréhendé dans sa capacité originelle d’estime, au prochain, rendu manifeste par son visage, et au tiers porteur de droit sur le plan juridique, social et politique » (Ricoeur, 1995, p. 80).

L’éthique de Ricoeur ne suggère pas d’appliquer des normes universelles indépendamment du contexte. Elle requiert plutôt une sagesse pratique pour la singularité des situations, pour « les conflits entre devoirs, la complexité de la vie en société où le choix est plus souvent entre le gris et le gris qu’entre le noir et le blanc, enfin par ces situations que j’appelais de détresse, où le choix n’est pas entre le bon et le mauvais, mais entre le mauvais et le pire » (Ricoeur, 1995, p. 81). La morale réfère à la norme universelle et au sentiment d’obligation du sujet de respecter cette norme, tandis que l’éthique consiste en une réflexion de l’agent en contexte d’action. L’éthique de Ricoeur désigne par conséquent à la fois le processus par lequel l’individu considère les normes morales avec recul, ainsi que des dispositifs pratiques à mettre en place dans des contextes particuliers pour veiller à l’actualisation continue des visées de l’action (Ricoeur, 2000). Cette vision de l’éthique se décline donc en une pluralité d’éthiques prenant effet en contexte singulier d’action, à travers un processus réflexif et délibératif, et mettant la recherche du juste, au coeur de ses préoccupations. Dans cette perspective, chaque agent impliqué a une responsabilité dans la construction de l’expérience de participation citoyenne de tous. Dans les prochaines sections, nous présenterons l’analyse des discussions des groupes, sous l’angle de l’éthique ricoeurienne et de la demande de reconnaissance.

Une identité citoyenne ignorée

Le rapport à soi des participant.e.s à la recherche est marqué par les nombreux préjugés qui les stigmatisent et malmènent leur référence à eux-mêmes comme des citoyens à part entière. Leurs témoignages ont montré combien l’affirmation de leur identité citoyenne était entravée par l’autoattribution de préjugés ou de stéréotypes associés au handicap. Plusieurs personnes que nous avons interrogées ont révélé avoir une faible estime d’elles-mêmes et douter de leur capacité à exercer leurs droits politiques. L’exercice de la prise de parole s’avère par conséquent un défi de taille, car elles ne se sentent souvent pas à la hauteur, surtout dans un contexte formel où leurs interlocuteurs ne sont pas des PSH et ont davantage d’expérience en matière de participation à ce genre de processus.

Des émotions, comme la peur, ont été identifiées à plusieurs reprises par les participant.e.s, surtout en déficience intellectuelle : la peur du jugement des autres, la peur de se tromper, la peur d’être humiliés, par exemple. La crainte de ne pas être à la hauteur ou d’être incapables de développer les compétences requises est également formulée. Ils ressentent une grande pression en tant que représentant.e.s élu.e.s et craignent de décevoir leurs pair.e.s. La faible relève constitue également une inquiétude : très peu de PSH se portent volontaires et s’engagent dans les processus de participation qui les concernent. Bien qu’ils soient fiers de leurs compétences et de leur efficacité politique interne, une majorité des participant.e.s à la recherche perçoivent leur efficacité politique externe comme étant assez faible, ce qui s’accompagne d’un sentiment de frustration et d’insatisfaction.

Les « conflits de rôles » font partie des ambiguïtés relevées par les participant.e.s. Parfois, ils ont le sentiment d’être instrumentalisé.e.s et de n’exercer aucun pouvoir décisionnel, en participant à des processus apparemment consultatifs, où leur participation semble être un « mal nécessaire ». On leur demande trop souvent de représenter leurs pair.e.s dans les instances de participation en ne leur offrant aucune prise sur les décisions. Plusieurs affirment ne pas savoir à quel titre on leur demande de participer puisque leur expérience d’usagers n’est pas valorisée dans le cours des échanges. Ils en viennent à se questionner sur leur rôle, leur place, la pertinence de leur engagement dans ces processus. Malgré tout, la participation citoyenne, pour ceux qui s’y font une place, est reconnue comme un lieu d’émancipation individuelle. Les personnes qui persévèrent dans leur engagement développent des compétences, des liens d’amitié et de solidarité, ainsi qu’un sentiment d’accomplissement, qui contribuent au développement d’une meilleure estime de soi. Plus les personnes participent et sont engagées, plus augmente leur satisfaction et leur désir de poursuivre leur engagement.

Des interactions limitant l’émancipation des PSH

Les préjugés, les stéréotypes ou les étiquettes dévalorisantes attribuées aux PSH interfèrent avec le degré d’engagement politique. La participation citoyenne des participant.e.s à la recherche prend plusieurs formes ; ils siègent sur des conseils d’administration, témoignent de leur situation lors de colloques ou de congrès, conçoivent des formations, écrivent dans des journaux, représentent leurs pair.e.s dans divers comités, participent à des manifestations et à des consultations publiques. Ils prennent la parole dans une grande diversité de situations, mais une majorité de PSH ne croit pas que leur crédibilité soit reconnue. L’expertise des professionnel.e.s et des élu.e.s est mieux reconnue que celles des PSH, concernant leur propre situation. Cette perception issue de leur expérience porte atteinte à leur sentiment d’efficacité politique externe et à leur estime personnelle.

Les participant.e.s à la recherche ont fait part de leur sentiment d’avoir un pouvoir très limité sur les décisions qui sont prises et sentent qu’ils dépendent grandement de la bonne foi, vacillante, de leurs interlocuteurs. On les consulte souvent trop tardivement concernant un projet en cours et leur position n’est tout simplement pas considérée par les détenteurs du pouvoir. De plus, le sentiment que les joutes politiques prennent trop de place dans les processus administratifs et décisionnels est assez répandu. Alors que l’exercice des droits politiques repose sur la prise de parole, les participant.e.s affirment que d’autres groupes d’intérêt s’expriment constamment à leur place, qu’il s’agisse d’un membre de la famille ou d’un.e intervenant.e. Cette situation réduit leurs chances de développer les compétences et l’estime de soi nécessaires à une prise de parole efficace.

La qualité des relations interpersonnelles au sein des groupes et des organismes dans lesquels les personnes s’impliquent joue un rôle majeur. Le respect mutuel, le sentiment d’être bien accueilli, bienvenu et en confiance, créent un sentiment d’appartenance nécessaire à la poursuite de l’engagement de chaque membre. Le rôle des personnes-ressources, qui soutiennent et accompagnent un groupe est indispensable à la mobilisation des membres, au maintien de leur engagement et au recrutement et à l’accueil de nouveaux membres.

Le rôle des proches est également déterminant et peut freiner ou encourager les personnes à vivre des expériences de participation citoyenne, au même titre que tout autre citoyen.ne. L’image dévalorisante qu’on leur renvoie trop souvent affecte leur motivation à s’engager dans des processus de participation citoyenne. Somme toute, dans leur rapport à l’autre, la reconnaissance de leur « valeur sociale » comme citoyens à part entière est loin d’être acquise.

Des processus institutionnels lourds et des représentations inefficaces

Il existe des limites fonctionnelles, intellectuelles et spatio-temporelles importantes qui empêchent les PSH de participer aux processus de participation citoyenne de façon efficace. Bien que la réalité de chaque individu soit singulière, on convient que peu de mesures sont prises pour adapter les processus institutionnels de participation aux conditions particulières des PSH. Par exemple, des personnes à mobilité réduite ne peuvent pas toujours accéder aux lieux de rencontre, alors que des personnes aux ressources financières limitées n’ont pas les moyens de s’y rendre. Les agendas et les calendriers des diverses instances prennent rarement en compte le temps requis par les déplacements. Plusieurs n’ont pas accès aux technologies de l’information et de la communication, les empêchant de contribuer à certaines discussions ou les privant d’informations essentielles. Le faible niveau de littératie de certaines personnes les empêche de lire les dossiers qu’elles doivent étudier.

Les participant.e.s à la recherche affirment qu’il est parfois difficile de développer les compétences requises à une participation efficace. La maîtrise des structures, des mécanismes de participation et des problématiques abordées constitue un défi important. Plusieurs ont besoin de formation, d’information et d’accompagnement pour développer les compétences nécessaires. Souvent isolées, les PSH ne connaissent pas suffisamment leurs droits ou les lieux de participation citoyenne. Bref, de nombreux obstacles se dressent entre les PSH et l’information requise à l’exercice de leurs droits politiques.

La reconnaissance comme élément fondateur d’une éthique de la participation citoyenne

Une demande de reconnaissance de la citoyenneté des participant.e.s à tous les niveaux figure parmi les conclusions les plus importantes de notre recherche. Dans l’esprit d’Honneth, il s’agit « d’une demande de confirmation de la valeur des actions et des capacités de la part d’un individu (ou d’un groupe) lorsqu’il éprouve un doute à ce sujet et qu’il s’adresse à son environnement social afin d’obtenir cette confirmation  » (Lazzeri et Caillé, 2004, p. 90). Tous les citoyens ont besoin de se voir attester la valeur de leurs capacités et compétences, ou du moins la possibilité de les développer.

La qualité de leurs interactions sociales est au coeur de l’expérience de participation citoyenne racontée par les participant.e.s à la recherche. Au sein de comités et d’organismes communautaires, en partageant des expériences similaires, les PSH peuvent s’entraider et mettre en commun outils et conseils. Elles prennent part à des activités publiques où les gens se considèrent généralement à leur juste valeur, d’égal à égal. C’est aussi l’occasion de s’exprimer, de prendre la parole et de témoigner de leur situation personnelle. Ainsi apparaît le sentiment de faire partie d’une collectivité et la participation citoyenne devient un engagement, des actes pour soi et pour tous. La construction de leur identité citoyenne dépend de la légitimité qu’on reconnaît à leur action politique à titre de citoyen.ne.s à part entière. « Au cours de la socialisation, les différents espaces institutionnels confèrent à chaque individu une représentation des spécificités de son existence et de leur valeur, et en ce sens, elles sont le lieu de la constitution des différentes composantes de l’identité personnelle. » (Renault, 2004, p. 192) Pour ouvrir la discussion sur le point central ayant émergé des travaux d’analyse effectués avec les participant.e.s à la recherche, et pour proposer des repères théoriques aux acteurs impliqués dans la participation citoyenne des PSH, nous avons amorcé l’étude d’une éthique de la participation citoyenne fondée sur la reconnaissance de la citoyenneté.

Entre un discours valorisant la participation citoyenne des PSH et l’expérience réelle des personnes, se cache le danger de la perte de sens de ces processus pour les partcipant.e.s, comme pour tous les autres acteurs impliqués, notamment les intervenant.e.s sociaux qui doivent déjà composer avec des logiques multiples d’action, parfois paradoxales (Autès, 1999). En réponse au besoin de reconnaissance énoncé par les PSH, nous croyons qu’une éthique de la participation citoyenne, conçue dans la perspective ricoeurienne et clarifiant certains repères théoriques et normatifs, contribuerait à redonner du sens à l’action. Cette éthique se déclinerait en trois « sphères d’agir », soit le rapport à soi, le rapport à l’autre et le rapport aux institutions, tout en mobilisant une sagesse pratique, élément pertinent au contexte professionnel complexe de l’intervention sociale (Autès, 1999).

Cette éthique se traduirait d’abord par une activité professionnelle réalisée dans un rapport à soi formulé en termes d’identité citoyenne. Dans la perspective ricoeurienne, le souci de soi est l’une des trois composantes de l’éthique. Dans une éthique de la participation citoyenne fondée sur la reconnaissance, cette composante du ternaire réfère à une affirmation pleine et entière de ses droits en tant que citoyen d’abord. Suivant cette logique, l’appartenance à la collectivité et la logique des droits universels doivent s’imposer dans le rapport subjectif au travail de l’intervenant.e. Ce faisant, il se lie à l’autre et réduit en partie les rapports de domination dans ses interactions en milieu professionnel. Cela étant, les modalités d’interaction spécifiques à la relation d’emploi et les conditions d’exercices de l’agir professionnel imposées par l’organisation du travail, notamment, rendent complexes les situations auxquelles l’intervenant.e est confronté. Le référent identitaire à la citoyenneté peut par ailleurs contribuer à le guider dans son action.

Dans le rapport à l’autre, deuxième composante du ternaire, c’est la reconnaissance de l’autre dans sa pleine citoyenneté qui doit animer la relation. Cette reconnaissance se vit quotidiennement, dans divers espaces de parole, dans une posture d’écoute, dans la prise en considération des besoins de l’autre, dans la reconnaissance de ses compétences et de son potentiel, dans les processus participatifs pour tous, dans la recherche de rapports de pouvoir égalitaires, voire renversés où le besoin des citoyens dans l’exercice de leurs droits est mis de l’avant, et mis en balance avec les différentes injonctions adressées aux intervenant.e.s.

La troisième composante du ternaire, soit le rapport aux institutions, marque l’importance de combler les besoins particuliers des PSH dans les processus de participation citoyenne. Sans un contexte institutionnel adapté à leur réalité, leurs attentes de reconnaissance ne peuvent être comblées (Lamoureux, 2001). Il faut donc favoriser la mise en place de processus institutionnels qui impliquent « la possibilité pour les groupes et les personnes de se sentir reconnus et valorisés » (Lamoureux, 2001, p. 40). Dans cet ordre d’idées, Lamoureux (2001) se positionne en faveur d’une citoyenneté inclusive et plurielle qui accueille tous les citoyens à part entière pour que tout un chacun puisse participer à la discussion collective sur les conditions du vivre-ensemble. La sagesse pratique intervient pour lier ces trois « sphères d’agirs » dans le contexte d’action particulier et viser le juste dans les situations complexes qui caractérise le travail des intervenant.e.s sociaux, et ce, à travers la discussion et la réflexion.

Conclusion

Les difficultés que nous avons identifiées concernant la participation citoyenne ne sont ni récentes, ni inconnues. Alors que Lamoureux (2001) les évoquait il y a plus de dix ans, Guay (1991) les a exposées suite à une étude empirique dès le début des années 1990. Cette dernière considérait que l’espace démocratique de la société civile était réduit et que le discours des citoyen.ne.s qui sont le plus à même de définir leurs besoins était évacué. La qualité du débat public et démocratique dépend d’interactions quotidiennes entre citoyen.ne.s de tout horizon, comme de l’accès universel aux espaces formels et informels de délibération et de la mise en place de mécanismes valorisant la délibération démocratique, l’inclusion et l’engagement en toute circonstance publique, de toutes et tous les citoyen.ne.s, quelle que soit leur différence (Jansen et al., 2006). L’éthique que nous proposons ne peut se limiter aux contextes, mécanismes ou situations vécues par les PSH, mais doit inspirer tout type de participation citoyenne, quel qu’en soit l’enjeu public.

Notre recherche portait sur l’expérience de participation citoyenne, soit l’exercice des droits politiques, de PSH au sein d’associations ou de comités d’usagers. Néanmoins, la demande de reconnaissance exprimée par les participant.e.s fait appel à une reconnaissance globale de la personne dans toutes les dimensions de son existence et dans toutes les sphères de sa vie. Une négation de reconnaissance (Lazzeri et Caillé, 2004), pouvant se traduire par une indifférence, un « mépris social » d’une certaine catégorie d’individus ou par la non-prise en compte des compétences ou du potentiel d’apprentissages des personnes, entraîne des « blessures morales » ayant des conséquences fatales sur l’expérience de participation citoyenne. Cette reconnaissance relève d’une responsabilité collective pour la bonne marche des institutions démocratiques.

La reconnaissance du « sujet-acteur citoyen » doit devenir une norme éthique incontournable, dans le respect des droits universels. Tout.e citoyen.ne doit être reconnu.e et a le droit de participer à une « sphère publique cosmopolitaine » (Jansen et al., 2006). L’exercice de la citoyenneté couvre un large spectre d’expériences et l’identité citoyenne interpelle plusieurs appartenances. La question demeure : comment assurer à tou.te.s les citoyen.ne.s une juste reconnaissance de leurs droits ? « How, then, to build a social morality that enables shared practices and mutual intelligible interactions while communicating divergent opinions, beliefs and values? » (Jansen et al., 2006, p. 191) Quels moyens sont requis pour l’atteinte de cet objectif ambitieux ? Selon nous, une réflexion collective est nécessaire afin d’éviter que la notion de citoyenneté perde tout sens. Pour soutenir cette réflexion, on devrait l’enraciner dans une éthique générale de la participation citoyenne fondée sur la reconnaissance de la citoyenneté de tous. Il s’agit d’une éthique inclusive, qui considère la citoyenneté dans son caractère identitaire où le bien commun devient la source, l’inspiration et la référence partagée d’affiliation, d’appartenance et de socialisation politique. Les instances de délibération sociale et publique, et les processus de délibération démocratique deviennent ainsi, à la fois la fin et le moyen d’un vivre-ensemble humanisé et démocratique.