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L’ouvrage se situe dans une vision Nord-Sud pour y soulever les multiples enjeux éthiques qui sous-tendent les relations entre ces deux entités. Abordant une multitude de thèmes, disciplines et enjeux politiques, sociaux et économiques, les auteurs de cet ouvrage collectif abordent les inégalités, les discriminations et, parfois, les crimes qui résultent de cette relation.
La première partie de l’ouvrage est divisée en quatre chapitres qui exposent les repères théoriques essentiels à la réflexion éthique tout en soulignant la complexité du champ de recherche. Les deux premiers chapitres nous proposent des balises favorisant une réflexion éthique plus approfondie. Tout d’abord, par un schéma conceptuel à deux axes (légitimité et légalité), Verna (p. 14) nous présente un outil d’analyse permettant de classifier d’un point de vue éthique les différentes actions. Ensuite, Lebouc (p. 37) nous mentionne l’importance de « se déprendre d’une géographie trop simpliste qui voudrait que la richesse se trouve au Nord et la misère au Sud ». Elle présente ensuite les différents niveaux à l’éthique en distinguant clairement l’éthique de la morale et de la déontologie et en nous mettant en garde face au moralisme. Finalement, elle nous rappelle le lien étroit qui existe entre l’éthique et l’action en soulevant certains domaines intervenant dans les décisions éthiques soit le droit, l’économie, la culture et la religion.
Les deux autres chapitres nous situent dans des contextes bien précis soient celui du Forum social mondial (FSM) et celui de la gestion des ressources humaines dans le monde du travail. Le premier situe le FSM d’un point de vue historique et soulève des questions centrales à son sujet, notamment sur la réelle démocratie représentative prônée par les organisateurs du FSM ainsi que le caractère impérialiste que certains organismes attribuent à l’événement. Par ailleurs, Fournier et coll. nous offrent une réflexion éthique sur différentes pratiques de gestion des ressources humaines, dans un contexte de mondialisation, en les situant sur le schéma conceptuel de Verna.
Toujours d’un point de vue éthique, la deuxième partie de l’ouvrage aborde la question du développement et des rapports économiques entre le Nord et le Sud. Les deux premiers chapitres présentent différentes normes et règles qui encadrent le fonctionnement des entreprises. Les normes ISO concernant la responsabilité sociale des entreprises et la confusion qui règne au niveau des instruments de gestion sont d’abord présentées par Boiral. L’auteur soulève les enjeux éthiques qui sous-tendent ces règles (établies par les pays du Nord) sur le développement ou, comme le suggère son titre, le « sous-développement durable » des pays du Sud. Tout comme Boiral, Haslam adopte ouvertement une approche critique face à la nouvelle tendance des entreprises, et notamment les multinationales, à se responsabiliser socialement ainsi qu’à tous les instruments permettant le contrôle de cette responsabilité sociale. Il soulève le caractère marketing de la responsabilité sociale profitant largement aux entreprises du Nord puisque les différents codes adoptés sont peu adaptés aux réalités des entreprises du Sud.
Dans cette même perspective critique, Crombie nous présente le désastre provoqué par la commercialisation des substituts de lait maternel dans différents pays du Sud. Suite au phénomène de dénatalité des pays du Nord, certaines compagnies, notamment Nestlé, produisant ces substituts se sont tournées vers les pays du Tiers-Monde. L’auteur présente le portrait historique de cette compagnie et souligne les graves manquements éthiques de celle-ci entrainant des conséquences extrêmement sévères dans certaines régions du Sud. Dans cette même lignée, Diène et Moumouni abordent la question de l’aide au développement et à la démocratie. En abordant les différents discours et théories liés au développement, passant de la théorie de Rostow aux programmes d’ajustement structurel, les auteurs questionnent le réel bilan de ces efforts d’aide au développement. Ils soulèvent les deux principales raisons de l’aide au développement soit « la solidarité et l’intérêt » (p. 164). Dans ce sens, les auteurs nous présentent une critique sans équivoque de l’aide au développement et affirment que « tout compte fait, les seuls bénéficiaires de cette aide sont les entreprises occidentales et les élites africaines » (p. 167).
Dans un troisième temps, l’ouvrage se penche sur les enjeux éthiques de la circulation des personnes entre le Nord et le Sud. Thibault aborde la question des interventions humanitaires armées. Il présente brièvement la Charte des Nations-Unies régissant les interventions militaires et, de façon plus courante, la non-intervention. L’auteur met l’accent sur l’importance de cette non-intervention et de règles internationales la régissant puisque « la tentation est très forte pour les États dominants d’user de la menace ou de l’emploi de la force » (p. 181). Il renchérit en soulignant le standard humanitaire actuel qui tend à diviser de façon binaire le Nord et le Sud, la démocratie et la tyrannie. Il met en garde contre ce standard actuel qui prolonge « l’expérience coloniale et ravive la mémoire des “subjugations” alors subies » (p. 183).
La question du « brain drain » est également abordée dans cette troisième section. En partant du postulat de base qu’« aucune société aussi bien du Nord que du Sud ne peut faire l’économie d’un système universitaire efficace, pertinent et à forte pertinence sociale » (p. 185), l’auteur nous expose le décalage entre l’enseignement supérieur du Sud et celui du Nord s’accentuant dans un contexte de « mondialisation de l’enseignement supérieur » (p. 188) où l’internationalisation des universités est devenue une « préoccupation institutionnelle » (p. 190). Ceci entraine une nouvelle logique universitaire qui entre désormais dans une pratique commerciale où la compétition, la notoriété et le positionnement au niveau international deviennent une priorité institutionnelle (p. 191). L’auteur est donc amené à émettre l’hypothèse selon laquelle « les dynamiques de commercialisation et de compétition conjuguées à celles de l’internationalisation » accentuent le fait que « les universités du Nord délaissent, en la marginalisant, leur action inclusive et citoyenne dans les pays du Sud » (p. 193). L’auteur termine en affirmant que le « brain drain » est l’effet le plus pervers de ce phénomène. Il n’hésite pas à parler de néocolonisation pour désigner l’attitude des pays du Nord envers ceux du Sud, bien qu’il admette la légitimité des individus disposant de qualifications supérieures à rechercher le moyen de les mettre en valeur là où ils en ont la possibilité (p. 203).
Finalement, dans cette section, Depatie-Pelletier nous amène un historique et une réflexion sur les questions éthiques entourant le « traitement des travailleurs étrangers sous permis temporaire au Canada » (p. 207). La question du tourisme est également abordée et notamment la question de l’équilibre entre le développement et le surdéveloppement touristiques. La notion de tourisme durable est soulevée et un accent est mis sur la complexité d’établir des règles claires ainsi que sur la difficulté de mettre sur pied cette forme de tourisme dans les pays du Sud. Pour finir, la question de la marchandisation de la culture est soulevée dans ses effets autant positifs que pervers.
En dernier lieu, la question des rapports entre les savoirs du Sud et ceux du Nord est creusée. Pour ce faire, l’histoire des Droits humains est présentée dans le but de souligner le caractère dynamique de ces derniers ainsi que l’interprétation et l’importance qui leur est accordée selon les pays et les cultures. L’auteur nous présente brièvement les postulats de base de certaines religions en les met en lien avec les principes des Droits humains pour y faire ressortir différentes chartes de droits émanant de différents endroits du monde. L’auteur invite au réel dialogue interculturel, caractérisé par « l’écoute et l’apprentissage mutuels » (p. 254). Ensuite, Beaucage nous invite à réfléchir sur la situation actuelle des peuples autochtones, notamment sur les changements qui se sont produits auprès de certaines populations autochtones du Honduras et du Mexique. L’auteur pose un regard anthropologique sur les réalités dans lesquelles il s’est lui-même impliqué, la première de façon personnelle et la deuxième en tant que chercheur.
Enfin, les deux derniers auteurs nous proposent de nous pencher sur certaines réalités brésiliennes. La première adopte une posture postcoloniale pour présenter certains enjeux éthiques de la réalité amazonienne et de la région de Bahia. Jetant un regard anthropologique sur ces réalités, l’auteure, presque sous la forme d’un récit, nous rapporte ses réflexions et questions concernant les ONG au Brésil, les droits humains, la situation des femmes en n’omettant pas d’adresser les différents rapports de pouvoir qui se dressent dans ces contextes. Le deuxième auteur aborde l’énorme distance économique qui sépare les plus riches des plus pauvres en soulevant la question du « déséquilibre entre les droits et les obligations » qui en résulte (p. 307). Malgré le caractère émergeant du Brésil et la richesse du pays, l’auteur met en lumière les injustices qui frappent ce pays, notamment en lien avec la discrimination « raciale » et la ségrégation ethnique issue de l’époque coloniale. Dans ce sens, la question de l’« hégémonie des valeurs de l’homme blanc » (p. 319) est soulevée en lien avec la « tentation ethnocentrique de les imposer à d’autres peuples » (p. 320).
En conclusion, l’ouvrage présenté propose une approche multidimensionnelle pour aborder les questions éthiques de ce qui est appelé ici les rapports Nord-Sud. Or, l’exemple du Brésil est intéressant dans la mesure où il soulève le caractère complexe des rapports Nord-Sud. Dans ce sens, il est à se demander si l’appellation Nord-Sud ne tend pas à aplanir cette complexité et à évacuer le fait qu’« il y a des Sud partout sur la planète » (p. 37).