Article body

À partir des années 1960, les groupes marginalisés et minoritaires ont progressivement revendiqué une reconnaissance sociale et juridique. L’expression de ce discours confronte la majorité et le politique aux réalités de ces groupes et force dans certains cas des actions concrètes visant leur bénéfice pour une plus grande justice sociale. De ce point de vue, l’action collective, bien qu’elle soit le plus souvent orientée vers le bien-être d’un groupe précis, devient porteuse d’idéaux et concerne le bien commun. Aux fins de la présente réflexion, précisons que nous entendons par action collective le fruit du travail des acteurs qui revendiquent des droits et/ou des services de l’État et/ou qui offrent des services, en réponse aux besoins de certains groupes de la population, le tout, dans un objectif de transformation de la société.

Dans la perspective de la réalisation de cette action collective, quel pourrait être le rôle du droit ? Comment les acteurs peuvent-ils utiliser le droit comme outil d’intervention ? Et surtout, comment le droit peut-il servir aux principaux concernés ? Nous tenterons de démontrer que les droits économiques, sociaux et culturels (les « DESC »), de par leur substance et leur finalité, véhiculent des idéaux de solidarité sociale et d’égalité réelle. Partant, étant donné les mandats confiés aux organismes communautaires, nous postulons que ces derniers peuvent agir indirectement à la mise en oeuvre des DESC. Nous commencerons par exposer comment, malgré le postulat individualiste et formaliste qui sous-tend actuellement l’interprétation des droits de la personne, l’action collective pourrait constituer un levier permettant la reconnaissance des droits économiques et sociaux. Puis, après avoir exposé l’état du droit international et québécois en la matière, nous développerons des stratégies précises dont les acteurs de l’action collective pourraient se servir aux fins de la réalisation de ces droits.

Les droits de la personne à travers le prisme de l’individualisme : entre égalité formelle et égalité réelle, quelle place pour l’action collective ?

Au Québec, dès les années 1960, plusieurs réclamaient du gouvernement québécois l’adoption d’une Charte des droits de l’homme. L’adoption de la Charte des droits et libertés de la personne[1] est à plusieurs égards un moment historique. Dorénavant, en effet, les droits seront reconnus comme universels, protégés par une loi à caractère prééminent s’appliquant tant aux rapports publics que privés. En cas de violation de ces droits, les citoyens pourront se prévaloir de recours et obtenir du tribunal la cessation de l’atteinte ainsi que réparation[2].

Cependant, surtout depuis les années 1980, « le droit québécois [est] animé par une double logique, celle du libéralisme et celle, interventionniste, caractéristique de l’État providence » (Fournier et Coutu, 2003 : 45). Dans cette perspective, une tension entre le développement de l’individualisme et de la responsabilité individuelle en tant que « mutation culturelle » (Noreau, 1993 : 58) s’oppose fondamentalement à la finalité caractéristique des interventions de solidarité sociale. Cette situation a comme conséquence une réduction du spectre de revendication collective des droits de la personne par l’imposition comme principal moyen de réalisation la judiciarisation, difficilement accessible aux groupes marginalisés.

Nous verrons d’abord comment le principe d’égalité tel qu’il est actuellement conceptualisé permet difficilement d’appréhender les problématiques à valeur collective, puis nous examinerons les conséquences de ces considérations sur l’action collective.

Droit, égalité formelle et individualisme

Il faut retourner en arrière, lors de la Révolution tranquille, pour mieux comprendre le développement conceptuel du principe d’égalité. En effet, à cette époque, les revendications des groupes minoritaires portent principalement sur la reconnaissance juridique du principe d’égalité tel que le faisait déjà le droit international[3]. Rappelons que la femme mariée, jusqu’alors considérée incapable, retrouve la gestion de ses biens, puis l’égalité entre les époux est proclamée. De la même façon, des droits sont reconnus à l’enfant, tant légitime qu’illégitime. Durant des décennies, divers groupes marginalisés lutteront pour la reconnaissance de leur statut, en toute égalité.

Ces revendications ont certainement permis des avancées collectives importantes. Cependant, depuis quelques années, une conception individualiste des droits serait à l’origine d’une instrumentalisation du droit au profit des intérêts individuels (Rocher, 1996 : 110 ; Lacroix, 2002 : 201). Ainsi, l’individu n’est plus inscrit socialement et il est seul propriétaire de ses capacités dont il n’est plus redevable à la société (Gaudreault-Desbiens et Labrèche, 2009 : 93). En même temps, ce qui était autrefois pris en charge collectivement est soudainement transmis à l’individu, sous forme de responsabilité, de trajectoire personnelle, voire de liberté. Partant, chacun est responsable de la mise en oeuvre de ses droits, puisque théoriquement, tous ont les mêmes droits et les mêmes possibilités de les faire valoir.

Le principe d’égalité est à comprendre comme « une modalité des divers droits de la personne » (Caron, 1993 : 42). Traditionnellement, on distingue l’égalité dans, devant et par le droit (Jacqué, 1988 : 79), soit à la fois l’uniformité de la reconnaissance et de l’application des droits pour tous sans égard aux situations particulières, mais également la mise en place de mesures de discriminations positives favorisant l’accès aux droits de groupes spécifiques. Cependant, l’égalité « réelle », ou « matérielle » suppose plutôt le rétablissement d’une égalité de conditions permettant une « autonomie éthique et […] une réelle responsabilité » (Noreau, 2009 : 11 ; Martinez, 2003 : 259). Notons que, bien que la Cour suprême du Canada semble s’être récemment engagée dans cette voie au regard de l’article 15 (2) de la Charte canadienne des droits et libertés[4] (R. c. Kapp. 2008 CSC 41), les tribunaux se refusent à imposer des obligations positives à l’État (Gosselin c. Québec [Procureur général], 2002 CSC 84). Partant, le postulat de neutralité et d’égalité du droit contribue aux désavantages que constituent les différences culturelles, économiques et sociales devant les tribunaux (Jackcman, 2006 ; Tessier, 1998).

De toute évidence, cette conception de l’égalité juridique ne sert pas les intérêts collectifs. En effet, les inégalités sociales ne cessent de s’accentuer depuis plusieurs années : pauvreté, précarité, itinérance, détresse psychologique, maladie, autant de symptôme d’un clivage social de plus en plus évident (Institut de la statistique du Québec, 2009 ; Direction des communications du ministère de la Santé et des Services sociaux, 2008 ; Frohlich et al., 2008). L’individualisme qui sous-tend l’interprétation actuelle du concept d’égalité – ce dernier, nous l’avons vu, servant d’outil d’interprétation aux autres droits – s’oppose à la mise en place de mécanismes efficaces de solidarité sociale. Pour Martinez, la solidarité sociale a comme point de départ la reconnaissance de « la réalité d’autrui et la prise en considération de ses problèmes qui sont susceptibles d’être résolus par l’intervention des pouvoirs publics et le reste de la société » ; elle implique donc d’assumer comme sien l’intérêt de tiers (Martinez, 2003 : 249, 251). Pour nous, elle est le facteur essentiel à la mise en oeuvre d’une égalité réelle, fondement de l’action collective.

Égalité réelle, droits et action collective

Rappelons pour commencer que le concept d’égalité réelle correspond à la prise en compte de la situation contingente des individus tout en reconnaissant objectivement certains besoins comme l’éducation, le logement ou la santé, comme étant essentiels. Il serait possible de croire que cette forme spécifique d’égalité peut se réaliser en dehors du droit. En outre, le droit, et plus particulièrement le postulat d’égalité qui le sous-tend, contribuent, nous l’avons vu, à perpétuer l’inégalité réelle.

Or, nous soutenons que le droit peut au contraire orienter vers des buts sociaux unitaires et constituer un formidable outil de cohésion sociale (Noreau, 1999 : 27). Pour Rocher, en effet, « c’est souvent par le recours au droit qu’on créé du pouvoir, qu’on le distribue ou le re-distribue, […] par conséquent, qu’on modifie les rapports de pouvoir, qu’on établit, maintient et reproduit une domination » (Rocher, 1986 : 44). Pour que le droit soit un vecteur de redistribution du pouvoir, il faudrait repenser en profondeur les assises de notre système juridique dans une perspective de solidarité sociale. Plus précisément, nous soutenons que l’égalité réelle ne peut se réaliser pleinement sans une mise en oeuvre des DESC. Ces droits, actuellement sous-développés au Québec, sont en effet essentiels au maintien des acquis sociaux, puisqu’ils visent le partage du pouvoir et des ressources au sein de la collectivité.

Le catalogue des DESC[5] est vaste et ambitieux : droit à l’éducation, à l’alimentation, à la santé, au travail, au logement, etc. Ils sont l’expression normative des valeurs de solidarité sociale au fondement de l’égalité réelle. Par les obligations qu’ils imposent – délibération quant aux priorités à réaliser, allocation de ressources –, ils contribuent à désamorcer les inégalités socio-économiques et de santé. L’exclusion sociale qui résulte actuellement d’une négation factuelle des DESC ne devrait pas être pensée comme un état, mais bien comme un statut réversible, découlant directement de rapports sociaux et juridiques inégaux (Pelchat, Gagnon et Thomassin, 2006). Bien que la réalisation des DESC soit tributaire, à certains égards, d’une mise en oeuvre progressive en fonction des ressources disponibles ainsi que d’une éventuelle sanction judiciaire, une décision politique est impérativement nécessaire afin qu’une priorité soit accordée aux personnes les plus vulnérables. Dans cette perspective ultime, il nous semble évident que droits et action collective vont de pair. D’une part, les DESC, de par leur nature, nécessitent l’activation d’une solidarité sociale telle que nous l’avons décrite plus haut. D’autre part, seule l’action collective pourrait permettre les interventions au soutien de cette solidarité sociale. C’est la constatation que faisait déjà de Tocqueville lorsqu’il affirmait qu’en démocratie, les citoyens sont « indépendants et faibles » et que la seule manière de contrer leur impuissance serait l’entraide et l’association (De Tocqueville, 1981 : 140). En effet, les initiatives de nature collective bénéficient à la fois de la consistance, de la légitimité et de l’expertise du groupe qui permettent de promouvoir et de protéger son identité, mais également de penser les interventions systémiquement (Noreau, 1999 : 347). Cette cohésion du groupe est une première étape dans la redistribution du pouvoir, puisqu’elle ouvre la voie au dialogue et à la revendication, et enfin à la reconnaissance politique. Nous verrons en prochaine partie comment les DESC peuvent structurer les stratégies des acteurs de l’action collective malgré un environnement national peu propice.

Les droits de la personne à travers le prisme de la solidarité : pour une action collective porteuse d’égalité réelle

En visant une répartition équitable des ressources entre tous les citoyens, les DESC forment un levier pertinent dans la quête d’une égalité réelle. Toutefois, dans l’état actuel du droit et des politiques publiques, le sous-développement des DESC au Québec, contribue à freiner la réalisation de ce projet. Malgré cet état de fait, nous suggérons que les stratégies d’action collective peuvent être structurées sur la base de ces droits et ainsi contribuer à leur avancée.

Le sous-développement des DESC au Québec

Tels qu’ils sont affirmés au niveau international, les DESC visent à permettre à toute personne d’avoir accès à des conditions matérielles de vie « indispensables à sa dignité »[6]. Plus précisément, le PIDESC impose aux États l’obligation d’adopter toutes mesures appropriées (politiques publiques, lois, programmes) au maximum des ressources disponibles et de manière progressive, afin d’assurer le plein exercice de ces droits[7]. Le Pacte prévoit également des obligations à réalisation immédiate, telle, l’interdiction de discriminer dans la mise en oeuvre des droits[8]. De plus, chaque État est tenu de garantir un niveau minimum de réalisation des DESC[9].

Bien qu’ils fassent partie intégrante du catalogue des droits reconnus universellement à la personne humaine, les DESC ont pendant longtemps fait figure de « parents pauvres »[10] des droits de la personne. Ce qualificatif serait attribuable à différents facteurs et notamment leur imprécision et leur caractère programmatique. Les développements majeurs survenus au cours des vingt dernières années en termes de clarifications conceptuelles et de développements jurisprudentiels dans de nombreux pays ne permettent pourtant plus de les considérer comme des droits de seconde zone (Robitaille, 2009). L’adoption du Protocole facultatif au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels[11], qui créé un mécanisme de communications individuelles en cas de violations des DESC, confirme, à l’échelle internationale, ce passage vers une ère nouvelle.

Face à de telles avancées, il est tout indiqué de questionner l’attitude des gouvernements québécois et canadien à l’égard des DESC. Au plan constitutionnel la Charte canadienne ne reconnaît pas les DESC[12]. Et bien qu’étant le premier texte législatif nord-américain à les reconnaître, la Charte québécoise ne leur accorde aucune préséance sur les lois ordinaires[13]. De même, il n’existe aucun consensus sur le rôle des tribunaux en matière de DESC (Robitaille, 2009 ; Klein 2008, 2007 ; Lajoie, 1991). Le Canada et les provinces connaissent également des ratés importants en matière de réalisation des DESC au plan des programmes et politiques publiques[14].

Dans des environnements juridique et politique aussi peu favorables à la réalisation de DESC, beaucoup reste à créer. Nous voyons dans l’intérêt grandissant pour la réalisation des DESC une impulsion qui requiert un soutien élargi dans la société civile. À cette fin, nous suggérons que les acteurs de l’action collective jouent un rôle en s’appuyant sur le cadre d’action que forment les DESC, tel qu’ils sont posés à l’échelle internationale.

Les DESC saisis par l’action collective

La nature des DESC et les actions requises pour les mettre en oeuvre, à savoir l’adoption de lois, de politiques et de programmes, nous conduisent à proposer trois catégories d’action[15] susceptibles de structurer le travail des acteurs de l’action collective. Sous-jacente à l’ensemble de notre proposition, l’idée de la connaissance (Perrin, 1979 : 92) des DESC mérite que l’on s’y attarde un instant. Nous avons vu que le contexte juridique actuel ne permet pas un réel épanouissement des DESC au Québec. Nous croyons que cette situation peut avoir un impact sur les représentations collectives entretenues sur les DESC et constituer un obstacle à leur connaissance. Or, cette connaissance constitue certainement la première étape du processus que nous envisageons ici. Afin de développer cette connaissance, la collaboration horizontale entre les divers acteurs de l’action collective, dont notamment les organisations de droits de la personne, est primordiale. En effet, les catégories d’action que nous proposons requièrent un niveau élevé de connaissance du contenu normatif des DESC, et les organisations de droits de la personne sont les mieux placées pour diffuser ces informations aux autres acteurs de l’action collective.

À cette connaissance formelle des DESC doit s’ajouter un second élément fondamental qui mérite d’être davantage documenté. Il s’agit de la reconnaissance des normes du milieu, des normes spontanées, imbriquées dans l’action et émanant des besoins constatés sur le terrain, souvent dans l’urgence. Ces normes cachées sont bien souvent celles qui sont responsables, dans l’état actuel des choses, de l’actualisation de facto des DESC. L’identification et la reconnaissance de ces normes sont essentielles à une démarche de concrétisation des DESC et passent nécessairement par l’écoute des acteurs de l’action collective qui interviennent, à la base, sur le terrain. Ces derniers ont un rôle à jouer, celui de passeur (Rocher, 1996), entre les univers normatifs informels du terrain et celui désincarné des normes internationales.

C’est donc dans à la lumière de ces zones de rencontre entre les normes du terrain et celles des DESC que nous proposons ici trois catégories d’actions, non mutuellement exclusives. D’abord, les catégories plus classiques que sont le plaidoyer et la mobilisation des tribunaux, qui peuvent être saisies par l’ensemble des acteurs de l’action collective. Ensuite, une catégorie encore peu associée à la réalisation des DESC, du moins formellement, et qui découle des schémas de gouvernance décentralisée à travers lesquels se déploient les programmes de santé et les programmes sociaux, celle de la programmation des services par les acteurs de l’action collective. La décentralisation en matière de santé et de services sociaux, de l’État vers les organismes communautaires (Jetté, 2008), nous conduit à postuler que ces derniers, dans la mesure où ils fournissent des services à la population avec une certaine autonomie[16], peuvent agir à titre d’acteurs indirects de la mise en oeuvre des DESC. Bien que le champ d’application de cette dernière catégorie soit moins étendu que les deux premières – elle ne vise en effet que les organisations qui offrent des services à la population – elle mérite une attention particulière puisqu’elle a peu été étudiée à ce jour.

Plaidoyer

Le plaidoyer destiné à entraîner des changements de lois, politiques publiques et pratiques gouvernementales est une technique largement utilisée par les acteurs de l’action collective. Dans la perspective de la mise en oeuvre des DESC, leur reconnaissance en tant que droits justiciables est un thème autour duquel des démarches de plaidoyer peuvent s’articuler (Rubenstein, 2004 : 847). L’objectif d’une entrée en vigueur du Protocole facultatif suscite d’ailleurs, depuis son adoption, une campagne de plaidoyer réunissant des organisations non gouvernementales issues de nombreux pays, destinée à faire ratifier le Protocole par les États.

Il nous semble que les méthodes de plaidoyer classiques qui consistent à documenter les violations aux droits et à les publiciser continuent de présenter un intérêt aux fins des revendications relatives aux DESC. Ces méthodes demeurent pertinentes à l’égard notamment de l’obligation de respecter les DESC en s’abstenant d’intervenir de manière à leur porter atteinte (Felner, 2008). Certaines méthodes, plus affirmatives et orientées par exemple vers la création d’institutions et de systèmes qui préviennent les violations aux DESC méritent aussi d’être envisagées (Rubenstein, 2004). Mais quant à la dimension dite « positive » des DESC, qui imposent aux États d’adopter des lois, programmes, politiques, au maximum des ressources disponibles et de manière progressive, le recours à des indicateurs quantitatifs semble incontournable (Felner, 2008 ; Andersen, 2008).

Pour éviter que le recours aux indicateurs quantitatifs ne se cantonne qu’aux évaluations d’experts, nous croyons qu’une réflexion relative à la contribution des acteurs de l’action collective au développement de tels outils est nécessaire. Nous suggérons qu’aux échelles locale et nationale, la création sectorielle d’indicateurs précis, accompagnée de procédures de suivi-évaluation peut représenter une source de mobilisation chez les acteurs de l’action collective et offrir de nouvelles bases à leurs stratégies de plaidoyer. Les données recueillies sous le parapluie des indicateurs permettraient d’identifier précisément les manquements des gouvernements québécois et canadiens en matière de réalisation des DESC, sur une période échelonnée dans le temps. Ce travail fastidieux requiert une bonne connaissance des obligations étatiques en matière de DESC, ce que maîtrisent les organisations de droits de la personne, et peut outrepasser les champs d’expertise des acteurs de l’action collective en nécessitant par exemple, le développement d’analyses économiques. Le défi consiste alors à inscrire les réalités du terrain dans un canevas qui les rattache aux DESC, et l’interdisciplinarité peut offrir les outils nécessaires à cette fin.

Mobilisation des tribunaux

La fonction de mobilisation des tribunaux par les acteurs de l’action collective n’est pas nouvelle en soi (Smith, 2005 : 145-178). Toutefois, en raison du peu de jurisprudence sur la question des DESC, mobiliser les tribunaux sur cette base pose des défis particuliers. En effet, dans l’état actuel du droit, le recours aux DESC est loin d’assurer une victoire à ceux qui y recourent. Des stratégies originales doivent donc être développées, alliant par exemple les DESC à des droits jouissant d’assises solides en droit québécois ou canadien, tels par exemple le droit à l’égalité ou le droit à la sécurité de sa personne (Glenn, 2004 : 938-939).

Pour les acteurs de l’action collective, la mobilisation judiciaire s’inscrit dans le cadre de stratégies politiques plus globales (Smith, 2005 : 145). Dans cette perspective, nous suggérons qu’une importante mobilisation basée sur les DESC pourrait contribuer à faire pénétrer les DESC dans l’ordre juridique québécois et à les préciser, au plan substantif. À cette fin, certaines organisations pourront choisir d’appuyer des avocats impliqués dans des causes modèles où les chances de succès sont importantes et où l’objectif ultime est de faire évoluer le droit. Les tribunaux deviennent alors un lieu de transformation des politiques publiques (Smith, 2005). D’autres pourront opter pour des démarches destinées à appuyer les victimes dans des recours administratifs et judiciaires en voyant dans la somme des recours individuels des traces de la volonté de faire reconnaître la justiciabilité des DESC (Scheinin, 2001 : 54). Enfin, certaines organisations préféreront intervenir dans les litiges à titre d’ami de la cour (amicus curiae) afin d’éclairer les tribunaux sur des enjeux cruciaux. Que ce soit sous l’une ou l’autre de ces formes, les revendications judiciaires basées sur les DESC mériteront d’être enrichies des références aux conventions et pactes internationaux, aux déclarations et documents normatifs émanant des instances internationales et régionales spécialisées et aux décisions des tribunaux étrangers, le cas échéant. Ces sources, même si elles ne sont pas applicables directement en droit interne, permettront de mieux définir le contenu normatif des DESC et d’éclairer les juges sur leurs perspectives d’application (Glenn, 2004 : 946-948).

Programmation des services

Les acteurs communautaires sont aujourd’hui impliqués dans la fourniture de services qui étaient traditionnellement assurée par l’appareil étatique, ce qui a nécessairement un impact sur la mise en oeuvre des DESC (Lamarche, 2010). Sous ce nouveau paradigme de l’État catalyseur, des partenariats avec les organismes communautaires sont mis sur pied afin qu’ils fournissent les services en contribuant à la mise en oeuvre des programmes de l’État (Ligue des droits et libertés, 2010). Dans la mesure où les organismes détiennent une certaine marge de manoeuvre dans la définition de leurs orientations, leurs politiques et leurs approches, il semble approprié de suggérer que leurs priorités, stratégies et actions soient fixées à la lumière des prescriptions normatives des DESC, afin de contribuer à leur réalisation. Certes, le travail de terrain de nombreux acteurs de l’action collective contribue déjà à une actualisation de facto des DESC. Ce que nous proposons ici est de dépasser cette mise en oeuvre souvent intuitive, pour ancrer systématiquement les pratiques dans une démarche basée sur les DESC. Le contenu normatif des DESC se trouverait alors à structurer la planification et le suivi-évaluation des services offerts par les organismes qui se verraient jouer un rôle proactif dans la mise en oeuvre des DESC.