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Introduction et problématique

Au Maroc, la formation des enseignants durant les deux dernières décennies a fait l’objet de plusieurs réformes (COSEF, 1999; MENESFCRS, 2009; CSEFRS, 2015; MENFP et MEF, 2016). La plus récente était particulière en raison de l’adoption, pour la première fois, du recrutement par contrat. La nouvelle stratégie conduisait à des modifications profondes au sein du système de formation. Cependant, les résultats des élèves en mathématiques et en sciences (INE-CSEFRS, 2017; NCES, 2020; OCDE, 2018) remettent en question la qualité de celle-ci. Le modèle de formation des enseignants constitue une cible privilégiée susceptible d’améliorer les apprentissages dans un contexte caractérisé par des départs massifs à la retraite. Ces éléments s’érigent comme des leviers du changement radical des politiques, des structures, des curriculums, des méthodes et des contenus de la formation du corps d’enseignement. L’émergence de l’inédite génération d’enseignants a été précédée par une fusion des établissements de formation (MENESFCRS, 2012). Leur mise en place était à l’origine d’un regroupement statutaire et d’une unification des dispositifs de formation des enseignants de l’enseignement secondaire (MENFPESRS, 2019a). En conséquence, la formation des enseignants constitue un défi orienté vers l’amélioration des acquisitions des apprenants. Notre contribution vise à analyser les dispositifs instaurés pour former et qualifier les nouveaux cadres d’enseignement. L’investigation interroge le système de formation sous trois axes : la nature des établissements intervenant dans la formation, les modèles de la formation initiale (FI), et le dispositif de la formation qualifiante (FQ).

L’objet de formation des enseignants constitue un véritable champ d’exploration pour les chercheurs et les décideurs. Son analyse dans le contexte marocain permet de dresser un état des lieux pour enrichir la littérature scientifique. À notre connaissance, le phénomène de contractualisation des enseignants au Maroc n’a pas encore occupé une position avancée parmi les intérêts des chercheurs. L’examen des processus de formation permettrait de produire de nouveaux savoirs savants. En outre, l’élaboration d’un bilan objectif du système de formation contribuerait à identifier les éléments clés pour réussir le récent mode de recrutement. Par ailleurs, les résultats en découlant auraient des retombées significatives sur les pratiques éducatives et la formation des jeunes pour le métier d’enseignant. Enfin, le repérage effectué peut contribuer à maitriser les variables d’ajustement de la réforme de la formation des enseignants du XXIe siècle, et à améliorer l’adéquation entre la formation et le perfectionnement professionnels et les besoins des établissements scolaires (OCDE, 2005).

Cadre conceptuel

Pour élucider l’objet de la formation de la nouvelle génération d’enseignants au Maroc, la présentation du cadre conceptuel se fondera sur deux parties principales. La 1re sera consacrée à la FI et ses modèles pour en rechercher les caractéristiques. La seconde présentera la FQ menant vers l’acquisition des compétences nécessaires à l’exercice de la profession d’enseignant. Les deux formations constituent des bases fondamentales de la préparation professionnelle avant la prise de fonction dans tous les établissements d’enseignement secondaire.

La formation initiale

En ce qui concerne la FI, ce concept recouvre une diversité de définitions. En fait, la formation est un ensemble d’actions, de moyens, de méthodes, et de supports planifiés permettant aux salariés d’acquérir des savoirs et savoir-faire pour atteindre les objectifs et accomplir leurs tâches (Peretti, 1998). Raynal et Rieunier (1998) la considèrent comme un dispositif pédagogique capable de mettre les individus en état d’atteindre des objectifs spécifiés. De son côté, Ranjard (1992) estime que la formation des enseignants comprend des savoirs sur l’apprentissage avec une visée qui porte sur la pratique de l’enseignement. Nous retenons que la formation constitue la base des professions, dans un champ caractérisé par une typologie très diverse. En ce qui concerne la FI à l’enseignement, elle renvoie à l’acte d’organisation sur le mode de l’alternance amenant les formés à partager leur temps entre le centre de formation et le terrain (Baudrit, 2011). D’ailleurs, elle permet de doter les enseignants des connaissances et compétences pour un enseignement de qualité et un apprentissage professionnel tout au long de la carrière (Kelchtermans, 2001). La même référence marque le développement de la FI chez le stagiaire, la capacité d’intégration de la théorie à la pratique. D’après Auduc (2012), la FI ne représente pas la fin de la formation, mais marque le démarrage d’un processus continu. Dans le même ordre d’idées, le Conseil supérieur de l’éducation (CSE, 2014) au Canada avance que la FI à l’enseignement sert à inculquer aux étudiants les acquis de base pour les préparer à l’exercice d’une profession, et les engager ensuite dans la voie du développement continu. Une autre proposition considère la FI comme une étape de certification à l’exercice de la profession et autorise l’enseignant débutant à entamer sa carrière professionnelle (Masselter, 2004). En somme, la FI occupe une position stratégique pour préparer le stagiaire à l’exercice des missions d’enseignement.

Nous soulignons que le contenu et la durée proposés au cours du cursus de formation des enseignants sont des facteurs limitants de la performance (OCDE, 2019). Ainsi, la formation intègre des savoirs hétérogènes pour les étudiants qui se destinent au métier d’enseignant. Elle couvre à la fois les domaines académiques, didactiques, pédagogiques et personnels (Perrenoud et al., 2008; Auduc, 2012). De plus, la formation par la recherche ouvre une autre perspective de développement professionnel des enseignants (Demougin, 2013). La répartition des contenus durant la FI adopte deux modèles différents : le modèle simultané et le modèle consécutif (Morales-Perlaza, 2012). Conformément au 1er modèle, les apprenants suivent une formation qui combine un enseignement disciplinaire avec la théorie et la pratique professionnelles. Quant au 2e modèle, il prévoit une autre phase consacrée aux études professionnelles, pédagogiques et pratiques, après l’obtention d’un diplôme disciplinaire. Dans les deux situations, la mission de FI se trouve partagée entre, au moins, deux établissements différents. À la lumière de ces fondements, la FI selon le modèle simultané ou consécutif, vise à faire acquérir des compétences professionnelles pour permettre à l’enseignant d’exercer la profession et de faire face à des situations réelles.

La formation qualifiante

La notion de qualification, très utilisée en sociologie du travail, fait l’objet d’approches très variées en fonction du champ d’utilisation. D’entrée de jeu, précisons ce que signifie le mot qualification qui ne peut être dissocié de la formation. En accord avec ce principe, la formation des enseignants stipule la production des enseignants qualifiés, possédant les titres scolaires et les habilitations à exercer la profession (Dubar, 1996). Un autre propos considère la qualification comme les qualités requises pour effectuer un travail donné, et fait référence à deux composantes, la formation et l’apprentissage (Naville, 1956). Selon Mateo (1992), la qualification représente un procédé de classification qui permet la réalisation des groupements d’individus en vue de les différencier. Naville (1956) cité par Bennaser (2015) utilise la qualification dans la sphère du travail et la structure des diplômés dans la sphère de la formation. La qualification constitue une barrière à l’entrée du métier et se distingue nettement de la formation. Elle joue un double rôle, en permettant à l’individu de se repérer sur le terrain et de reconnaître les limites de son champ d’action, et à l’employeur de gérer la masse des salariés (Bennaser, 2015). Finalement, la qualification permet aux individus de décrocher les titres pour accéder au marché du travail.

Le rattachement du terme de qualification à la formation induit la naissance de la formation qualifiante qui renvoie au processus par lequel l’individu développe ses compétences pour exercer une fonction, un métier, ou poursuivre des études (ME, 2005; Bouteiller, 2000). La FQ constitue une des clés permettant de résoudre les problèmes liés au travail (Rodas, 1993). D’où le fait que la FQ est caractérisée par une durée plus longue en milieu de travail par rapport au milieu scolaire (Verdier, 1993). Elle est dispensée par les demandeurs d’emplois et permet aux employés d’obtenir des qualifications formelles dont la reconnaissance est effectuée au moyen d’un système de certification (Echiejile, 1993). Lesemann (2004) dégage deux significations de l’usage de la FQ. La 1re postule une habilitation de la formation. Le travailleur acquit les habiletés nécessaires pour agir sur sa réalité. La 2e signification est en lien avec le système de reconnaissance des compétences acquises selon des formes différentes. Le certificat local est validé par l’établissement qui organise la formation, tandis que la certification nationale est obtenue par un processus bien structuré qui intègre les instances d’évaluation compétentes. La reconnaissance des acquis dans une FQ peut aboutir à décrocher un diplôme national, ce qui permet aux travailleurs d’améliorer leurs conditions de travail. Bref, à travers la FQ, nous retenons le développement des savoir-faire et savoir-être utiles au métier par une acquisition de qualifications formelles. Au-delà de son rôle certificatif, la FQ joue un rôle considérable pour bâtir les compétences que l’employeur vise à construire chez les enseignants.

En guise de cette section, la FI et la FQ sont des vecteurs privilégiés au service du changement en éducation. Notre recherche s’est axée sur les deux formations pour caractériser la préparation de la nouvelle génération d’enseignants, et les amener à acquérir les compétences exigées pour exécuter leurs missions.

Méthodologie

La méthodologie choisie s’inscrit dans le cadre d’une méta-analyse de type qualitative considérée comme étant une analyse secondaire, et dont l’origine est la méta-analyse quantitative (Beaucher et Jutras, 2007; Gueguena et al., 2007; Laroche, 2015; Paillé, 2007). Cette dernière vise la localisation et la synthèse de données issues des recherches à un moment donné, sur un problème particulier (St-Amand et Saint-Jacques, 2013). La démarche de recherche stipule l’examen et le regroupement d’une multitude de documents primaires ayant étudié le thème de formation des enseignants contractuels au Maroc, selon une procédure à quatre étapes (Laroche, 2015). La 1re vise la planification et la préparation de la méta-analyse, comprenant une formulation de l’objet d’étude, suivie d’une recherche de documents existants, et se termine par une évaluation de leur qualité. Les documents consultés sont sélectionnés sur la base de leur importance vis-à-vis des objectifs escomptés. Le corpus formé totalise vingt-huit (28) documents répartis en trois classes : (i) les textes officiels instaurant la nouvelle génération d’enseignants sont au nombre de quatorze (14); (j) deux (2) rapports ont émané des instances nationales de l’éducation et de la formation; (k) les recherches de littérature ayant un lien avec le sujet de recherche regroupent douze (12) publications. Les sources sélectionnées pour collecter les données couvrent une période de quatre ans après le déclenchement du recrutement régional. La 2e étape envisage le codage des études choisies en rassemblant sur des grilles les informations pertinentes en lien avec l’objet d’investigation et le cadre conceptuel. De multiples dimensions ont été retenues, par exemple les organismes contribuant à la formation, les missions qui leur sont assignées, les types de modèles et dispositifs de formation, la durée et les thèmes de la formation. La compilation des données a été basée sur une présentation textuelle, intégrant une exploitation globale des sens, un repérage d’extraits, et une reconstruction synthétique (Van der Maren, 2004). L’étape suivante porte sur l’analyse et l’intégration des résultats empiriques des études. La découverte d’existence de relations entre les phénomènes au détriment de leurs intensités ou de leurs forces a été privilégiée. La dernière étape était focalisée sur la présentation des résultats à l’aide d’interprétations et de synthèses.

Le choix et le repérage des matériaux étudiés sont justifiés par leurs intérêts et leur importance dans la mise en place des nouveaux enseignants au sein du système éducatif marocain. La diversité des sources permet de collecter des points de vue différents sur le sujet investi. Pour les documents du 1er groupe, ils offrent une meilleure lisibilité sur la concrétisation des dispositifs de formation exploités. Les écrits appartenant au 2e groupe illustrent les attentes des instances en matière de contractualisation. Enfin, les regards externes induits par les études relevant du 3e groupe apportent des idées, des impulsions et des prises de recul à cet égard.

Les mesures de validation interne ont été basées sur quatre critères (Proulx, 2019). D’abord, la transférabilité qui implique une intention de faire fi du contexte de l’étude. Ensuite, la fiabilité traduisant une reproductibilité des résultats entre les chercheurs impliqués dans la recherche. Le critère de confirmabilité a été axé sur la transparence des auteurs à propos de leur positionnement et leur contexte vis-à-vis des données. À travers la crédibilité, nous avons relevé l’accord entre les données présentées et la réalité explicitée dans le corpus. La validation externe des résultats a été menée par deux chercheurs connus pour leur expertise dans les domaines méthodologiques et scientifiques.

Résultats et discussion

La section se focalise sur les résultats les plus probants de la méta-analyse du corpus d’étude. Trois questions ont été à l’origine de notre enquête visant à rapporter un bilan de la formation des nouveaux enseignants qui arrivent dans les classes. La 1re question a pour but de rendre plus visible les établissements contribuant aux actions de formation, de montrer leur déconnexion les uns des autres. La 2e question se concentre sur l’analyse des modèles parallèle et consécutif de la FI. Les résultats révèlent leurs insuffisances pour exercer le métier d’enseignant. La dernière question concerne l’examen du dispositif de FQ qui mobilise le centre de formation, le milieu de travail et les technologies de l’internet.

Établissements intervenant dans la formation

Deux dimensions ont été retenues pour caractériser les établissements de formation des nouveaux enseignants : l’organisme auquel ils sont affiliés et les missions qui leur sont assignées. Un survol des résultats montre que les FI et FQ des cadres éducatifs s’effectuent selon des contextes distincts dans trois lieux différents et organisés séparément (tableau 1). Le 1er lieu assumant la FI et la qualification professionnelle des enseignants relève du secteur universitaire. Pour les spécialités dérivant des sciences et mathématiques, ces institutions regroupent les Facultés des sciences et les Facultés pluridisciplinaires qui enseignent dans une série de disciplines, entre autres les mathématiques, l’informatique, la physique, la chimie, les sciences de la vie, de la terre et de l’univers, ainsi que dans les domaines connexes (RM, 2004). Cependant, la FI dans le domaine des sciences de l’éducation ne leur a été attribuée que récemment (RM, 2018). Quant aux Écoles normales supérieures, elles se chargeaient de la FI dans le champ des sciences pédagogiques et techniques en relation avec les disciplines. Le 2e lieu est un établissement de formation des cadres supérieurs sous la tutelle de l’autorité chargée de l’enseignement scolaire. Le Centre régional des métiers de l’éducation et de la formation (CRMEF) ayant pour vocation la qualification des enseignants stagiaires (MENESFCRS, 2012) a été chargé de contribuer à la FQ sanctionnée par une Attestation de reconnaissance de validation des modules (MENFPESRS, 2019b). Le dernier lieu affilié aux Académies régionales de l’éducation et de la formation (AREF) regroupe les établissements scolaires. Les structures de terrain dispensent les services d’éducation et d’enseignement (MEN, 2002) et en assurent la formation pratique, dans le cadre des stages ou des stages en responsabilité totale. Signalons enfin que l’AREF est la seule institution possédant les compétences d’évaluer la capacité des stagiaires à exercer le métier d’enseignant, et leur délivre une Attestation de réussite à l’examen de qualification professionnelle (MENFPESRS, 2019b).

Tableau 1

Établissements de formation et de qualification

Établissements de formation et de qualification

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Il ressort des résultats que les missions de FI et FQ des nouveaux enseignants se trouvent partagées entre trois établissements affiliés à deux prestataires de formation. La diversité des institutions reflétant une pluralité des instances peut nuire à l’homogénéité de la formation dans le cadre d’un projet global et cohérent. De plus, la mise en oeuvre des deux types de formation est confrontée à des ruptures organisationnelles et pédagogiques (RM, 2004; MENESFCRS, 2012; MENFPESRS, 2019b; Demeuse, 2013). À ce propos, les universités ne présentent pas de lien administratif direct avec les CRMEF, constituant ainsi un obstacle pour la coordination des moyens humains. De même, les deux phases de formations (FI et FQ) ne sont pas conduites dans le cadre d’un curriculum unique qui dresse un parcours de formation des futurs enseignants selon une vision d’ensemble. En outre, la complémentarité au sein des deux structures affiliées au secteur scolaire suscite des réflexions profondes pour assurer la qualité des tâches attribuées aux CRMEF et l’AREF. Enfin, le niveau de partenariat et de communication entre les trois institutions de formation peut contribuer à comprendre les finalités et les objectifs, unifier les visions, améliorer l’articulation des actions et minimiser les effets de la fragmentation.

Formation initiale

Nous avons repéré, pour chaque année, les conditions de diplôme (MENFP et MEF, 2016; MENFPESRS et MEF, 2017; MENFPESRS, 2017a, 2019a) permettant d’accéder à la FQ et au modèle de formation correspondant (tableau 2). Ainsi, les nouveaux enseignants ont été soumis à deux modèles de FI assurés par les universités. La 1re cohorte d’enseignants renferme trois catégories de candidats. La 1re catégorie regroupe les lauréats des formations parallèle et consécutif. Le modèle parallèle dans les filières universitaires d’éducation (FUE) propose aux étudiants des savoirs disciplinaires et professionnels exigés pour accéder au métier d’enseignant, mais insuffisants pour occuper un poste en enseignement secondaire. Toutefois, les formations équivalentes permettent l’acquisition des savoirs pédagogiques et scolaires après les études et disciplines spécialisées. Les candidats appartenant à la 2e catégorie proviennent du mode d’organisation successif : des licenciés ont reçu une qualification en éducation selon des programmes particuliers, et après la validation de leurs connaissances professionnelles, des diplômes équivalents à la licence en FUE leur ont été délivrés (RM, 2014). La dernière catégorie regroupe les étudiants issus du modèle consécutif basé sur une formation disciplinaire académique dans les universités.

Pour les cohortes suivantes d’enseignants, trois remarques s’imposent : i) les candidats issus des formations parallèles ou ayant bénéficié des programmes pour la formation des cadres éducatifs pour les métiers d’enseignement ont été exonérés de la présélection ; ii) la procédure de présélection n’a pas été pérenne pour tous les nouveaux enseignants, tantôt obligatoire, tantôt annulée ; iii) les formations parallèle et consécutive convergent à devenir similaires pour accéder au métier d’enseignant.

Tableau 2

Modèles de la FI dans les Universités

Modèles de la FI dans les Universités

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Sur la base de ces résultats, les deux modèles de FI ne permettent pas un accès direct à la prise de fonction dans les établissements scolaires. Ainsi, les parcours de FI des nouvelles vagues d’enseignants se sont succédé en aval par un autre volet de FQ. Cela dit, les modèles consécutifs ou simultanés, s’appuyant essentiellement sur la formation universitaire, ne garantissent pas une professionnalisation suffisante des enseignants. À cet effet, la FI de la nouvelle génération d’enseignants est insuffisante pour exercer le métier dont l’accès nécessite, après le recrutement, la validation de tous les modules de la FQ et la réussite à l’examen de qualification professionnelle (MENFP et MEF, 2016; MENFPESRS, 2019b). En conséquence, la multiplication des cursus de formation, générant une discontinuité des processus formatifs, met en évidence le problème d’adaptation de la FI dans les universités à la demande du secteur de l’éduction. Quant à la présélection qui constitue une base fondamentale du recrutement par contrat dans le secteur public (RM, 2016) et permet de recevoir le minimum de candidats en parfaite adéquation avec le poste (Zinah et al., 2009), elle a été prise à la légère pour deux cohortes d’enseignants (les années 2016 et 2019). La situation peut amener à long terme à une dévalorisation de la profession d’enseignant. Enfin, malgré les coûts additionnels engendrés par les formations professionnelles après l’obtention d’un diplôme académique, les tentatives de redressement du dispositif de formation ont écarté la proposition stipulant instaurer une FI des enseignants dans les CRMEF (CSEFRS, 2015).

Formation qualifiante

La réussite au concours de recrutement organisé par l’AREF permet aux stagiaires de suivre un autre cycle de FQ qui intègre lesdites formation présentielle (FP) dans les CRMEF, formation sur le terrain (FT) et formation à distance (FAD) via une plateforme. Les différentes formations font partie des services que l’autorité éducative prévoit d’offrir aux formés dans le but de faciliter leur réussite dans leurs projets de formation.

Formation présentielle

Le type de dispositifs, la durée et les thèmes de la formation, trois domaines décrits par Noyé et Piveteau (2017), ont été retenus pour regrouper les résultats obtenus. Les détails sont présentés au tableau 3 (Bouabdallah et al., 2019; MENFP, 2017; MENFPESRS, 2017b; MENFPESRS, 2018). Dès le début, nous constatons que la FQ des enseignants a envisagé deux dispositifs opposés pour préparer les actions de formation. La forme de session a été adoptée pour les deux premières promotions, et la formation en alternance intégrative entre le CRMEF et l’établissement scolaire a été privilégiée pour les autres cohortes. Quant à la durée prévue pour la formation, elle a grimpé de cinq semaines pour se stabiliser en sept mois répartis sur deux périodes à partir de 2018. Les modules de formation ont également changé de façon très remarquable. La FP a consacré uniquement trois modules pour les stagiaires recrutés en 2016, pour passer ensuite à six modules une année plus tard. À partir de 2018, les contenus de FP ont été renouvelés une autre fois. Désormais, elle adoptait seize modules en plus des activités pratiques.

Tableau 3

Formation présentielle selon les années de recrutement

Formation présentielle selon les années de recrutement

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Les conceptions de la FP ont évolué depuis leur mise en oeuvre selon trois schémas différents, sur le plan tant des contenus que des périodes d’organisation. En effet, la 1re promotion de stagiaires a été qualifiée en milieu d’année scolaire après la prise de fonction sur le terrain (MENFP, 2017). La qualification s’est axée sur la découverte du milieu éducatif, l’identification des besoins et la didactique disciplinaire. Les thèmes de planification, de gestion et d’évaluation ont été retenus pour améliorer les compétences des recrutés. À la fin des trois sessions principales, les stagiaires ont été soumis aux examens de validation. Les insuffisances des contenus ont suscité, pour la cohorte 2017, l’adjonction des modules des sciences de l’éducation, la didactique disciplinaire et les ateliers pratiques de production et d’exercice. La stratégie adoptée pour la dernière promotion et les suivantes a suivi un modèle différent. La FQ en alternance a été privilégiée. Elle fait suite, dans le centre de formation, à des éléments théoriques qui soutiennent le formé pour expliquer le fonctionnement de ces pratiques sur le terrain. La FP, durant sept mois, a été répartie en deux périodes. Les contenus ont été organisés autour des compétences professionnelles, de l’éthique du métier et des savoirs académiques en lien avec les matières de spécialités. Le taux horaire attribué aux modules académiques domine celui des autres, prouvant ainsi une insuffisance des acquis scientifiques des formés. En outre, les activités consacrées aux stages de terrains occupent un quart (25 %) de la durée totale de formation. Signalons enfin qu’à partir de 2019, les volumes horaires attribués aux modules ont subi une augmentation de 13 % (MENFPESRS, 2019a).

L’analyse globale de ces résultats montre l’absence d’une vision claire quant à la FP des nouveaux enseignants. En effet, la qualification des deux premières promotions a été inspirée d’une formation continue (Bouabdallah, 2018). Elles se sont déroulées de façon morcelée et en parallèle avec l’exercice des formés de leurs missions en classe et hors des horaires de travail. Par ailleurs, les contenus de cette FP n’ont pas tenu compte de certains axes importants pour le métier d’enseignant, notamment les aspects institutionnels, administratifs, relationnels et technologiques de l’information et de la communication (Tixeront et Leselbaum, 1987). Une évaluation de ces formations a révélé plusieurs lacunes (CSEFRS, 2018). La gestion de la qualification selon ce modèle avait insisté sur des séances d’encadrements saisonnières. En outre, elle n’assure pas la continuité des actions de formation selon une stratégie cohérente. Certaines actions ont été jugées très faibles. Les formations et leurs durées ne permettent pas d’acquérir les compétences professionnelles exigées. Les limites mises en relief ont conduit à abandonner le modèle pour se recentrer sur une autre formation à temps plein. Le nouveau dispositif implanté a dérivé de celui existant dans les CRMEF (MENESFCRS, 2012), selon une typologie caractérisée par un rétrécissement de l’année de formation et un allongement significatif des contenus (MENFPESRS, 2019b).

Formation sur le terrain

La FT en responsabilité totale est peu documentée dans le corpus. Nous avons retenu trois variables pour présenter les résultats obtenus (tableau 4) : les tâches attribuées aux stagiaires, les droits des formés, et la nature des intervenants qui assurent l’encadrement. Au cours de la FT, les futurs professeurs exercent de multiples fonctions, telles que la mission d’enseignement, les tâches liées à la vie scolaire, l’évaluation des élèves, la gestion et la communication pédagogiques. L’analyse des modèles de formation fait apparaître diverses caractéristiques. En accord avec l’expérience de démarrage de la contractualisation, la FT suppose que le stagiaire profite de visites de terrain et de séances de suivi, d’accompagnement et d’encadrement d’un tuteur dont l’expertise est reconnue. Les activités de terrains sont animées par des intervenants ayant des statuts différents vis-à-vis des contraintes d’accès aux classes scolaires. Sous la direction de l’AREF où les stages sont accomplis, des commissions régionales, provinciales et locales assurent la coordination, le suivi de la FQ et l’encadrement des futurs enseignants. À partir de l’année 2018, les stagiaires ont été chargés d’effectuer d’autres tâches centrées sur le développement de la réflexivité : la réalisation d’une recherche pédagogique, la préparation d’un portfolio, et le suivi de stages encadrés. L’année suivante a marqué l’officialisation, durant la 2e année de formation, de sessions de formation pour affiner les compétences professionnelles. À cet effet, les stagiaires retournent une autre fois vers le CRMEF pour assister aux activités de FP dont le volume horaire s’étale sur une durée de 40 à 60 h (MENFPESRS, 2019b).

Tableau 4

Évolution des formations pratiques

Évolution des formations pratiques

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Depuis son institutionnalisation, la FT a conservé une même architecture actualisée avec des modifications spécifiques. Selon notre point de vue, plusieurs critiques s’imposent et peuvent constituer des éléments retardateurs d’évolution. En effet, le temps effectif assigné à la FT est partagé entre les missions d’enseignement et les activités de formation au CRMEF. L’association induite engendre une saturation cognitive qui mène à une diminution des performances et de qualité, et génère l’octroi d’une importance plus marquée en faveur des activités liées au métier au détriment de celles rattachées à la formation (Bouabdallah et al., 2019). Ensuite, l’insuffisance des effectifs de cadres chargés de l’accompagnement et de l’encadrement sur le terrain pour assumer leurs responsabilités ralentit la réalisation des objectifs de la FT (CSEFRS, 2018). Dans le même sens, un taux de stagiaires très élevé n’a pas bénéficié des activités d’encadrement et/ou d’accompagnement [65 % (Bouabdallah et al., 2019 ; 60 % (Elmakkawi et Hiani, 2020)]. Pour le même élément, le dispositif de FT ne permet pas d’affirmer l’existence d’une distinction nette entre les activités d’encadrement obligatoires et facultatives (Deschênes et al., 2003). De plus, l’efficacité des acteurs impliqués (MENFPESRS, 2019b) dépend du régime du fonctionnement de leurs équipes (Djeumeni, 2015) et des moyens mis à leurs dispositions. Ces activités en faveur des stagiaires nécessitent d’être accompagnées par un système de tutorat, selon un cahier de charges explicitant les droits et devoirs des différents intervenants. En outre, l’absence de coordination et de complémentarité des rôles entre les universités et les CRMEF ne permet pas une optimisation des ressources et des missions. Enfin, la faible contribution des établissements scolaires accueillant les stages en tant qu’un espace de base pour développer et affiner les compétences professionnelles représente une autre lacune à surmonter.

Formation à distance

La FAD est un phénomène récent sur le plan du système de formation des cadres du corps enseignant. Elle a fait une première apparition officielle dans les textes instaurant les dispositifs de qualification des enseignants fonctionnaires (MENFP, 2016a et 2016b). La FAD organisée sous forme de MOOC (Massive open online course) accessibles via le portail « www.e-takwine.men.gov.ma » a pris une grande ampleur avec la FQ des nouveaux enseignants (MENFP, 2017 ; MENFPESRS, 2019b). Les contenus de la plateforme aideront les stagiaires à améliorer leurs compétences professionnelles pour exercer le métier d’enseignant. Ils couvrent les domaines de planification, de gestion, d’évaluation-soutien et de législation-éthique du métier. Le corpus étudié révèle une programmation de diffusion ultérieure des modules de vie scolaire, de méthodologie de recherche-action et de TICE. Depuis le début de la propagation du coronavirus au Maroc, de nouveaux thèmes ont dominé la plateforme (Bouabdallah, 2020). En effet, leur comptage révèle l’existence de sept cours en lien avec la FAD, représentant un taux de 50 % par rapport au nombre total de modules en ligne. De plus, les nouveaux contenus couvraient les outils relatifs à la FAD, en particulier l’utilisation des applications WhatsApp, Facebook, Teams, Classroom, Zoom et YouTube . Durant la crise sanitaire, la FAD a occupé une place prépondérante pour assurer la poursuite des activités de formation. Enfin, nous signalons que le portail de la FAD comporte une autre fonction, en jouant le rôle d’une bibliothèque numérique accessible pour les stagiaires. La plateforme leur permet le téléchargement des guides de référence, des outils opérationnels, des cours, des exposés en didactique disciplinaire et en sciences de l’éducation.

À partir des résultats précédents, de multiples constats s’imposent. D’abord, la plateforme affiliée au Centre national des innovations pédagogiques et de l’expérimentation dont les missions ne révèlent aucune tâche de formation, alors que la qualification exige un lien avec une institution de formation (Fournier-Fall, 2006). Ensuite, les contenus de la FAD présentent un taux de similarité très élevé avec ceux de la FP. En conséquence, les instances chargées des deux formations à distance et en présentiel co-encadrent les formés pour acquérir les mêmes savoirs et compétences. Cependant, l’articulation et la complémentarité entre la FP et la FAD ne sont pas lisibles dans les dispositifs de formation. En outre, le système d’encadrement, la démarche de suivi régulier des stagiaires et le processus d’évaluation, autant d’aspects que la FAD pourrait développer dans la perspective d’améliorer la qualité de la formation en situation professionnelle. Enfin, le recours à la FAD constitue un choix et non une obligation aussi bien pour les formés que pour les responsables des modules. En absence d’une officialisation d’accès quotidien et régulier à la plateforme, la FAD demeure insuffisante pour contribuer à la FQ de la nouvelle génération d’enseignants et par la suite satisfaire leurs besoins.

Conclusion

Le Maroc a suspendu, en 2016, le recrutement des enseignants fonctionnaires dans un contexte où les apprenants ont réalisé de faibles performances scolaires. Il a convergé vers la mise en place d’une nouvelle génération d’enseignants en cycle secondaire. La mise en service des cadres chargés de l’enseignement a été précédée par une fusion des établissements de formation, et accompagnée par un regroupement statutaire et une unification des dispositifs de formations.

L’investigation montre une absence des indices de pérennisation du système de formation et de qualification des nouveaux enseignants. En effet, la mission de formation se trouve partagée entre plusieurs institutions, reflétant une pluralité des instances, ce qui peut nuire à l’homogénéité de la formation dans le cadre d’un projet global et cohérent. Par ailleurs, le recours à une formation qualifiante intégrant une formation présentielle dans les CRMEF, une formation pratique dans les établissements scolaires et une formation à distance met en relief un problème de reconnaissance des compétences acquises durant la FI. Les contenus et l’organisation de la FP ont évolué de façon permanente. Malgré les ajustements apportés à la FT, l’insuffisance des effectifs des encadreurs, l’absence de la coordination entre les institutions, la faible contribution des établissements scolaires sont autant d’indices qui influencent les pratiques effectives des stagiaires. En plus, l’exercice des missions d’enseignement et le suivi en parallèle des activités de formation peuvent entrainer une saturation des stagiaires, ce qui peut avoir des retombées négatives sur l’état d’acquisition des élèves. Quant à la FAD, elle est appelée à établir un lien avec une instance de formation, une amélioration des contenus selon un principe de complémentarité avec la FP et un cahier de charges définissant les droits et devoirs, des formés et des formateurs.