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La réforme de 2001 avance que la posture magistrocentrée doit céder le pas à une posture pédagocentrée, en cohérence avec les écrits qui mettent en évidence l’importance de l’engagement des élèves dans leurs apprentissages (Christenson et al., 2012). Dans des matières comme le français ou les arts, par exemple, il apparaît essentiel que l’élève soit porteur de discours et de récits afin qu’il puisse démontrer son savoir-faire tout en étant l’acteur de ses apprentissages. À cet effet, la création littéraire, artistique et médiatique englobe des compétences ouvertes au développement, mais qui doivent être à l’image de celles propres aux écrivain·es ainsi qu’aux artistes. Cette réflexion s’inscrit dans un projet de développement de partenariat de recherche-création où se côtoient littérature, arts médiatiques et littératie numérique, avec l’intention d’amener des élèves du secondaire à produire des récits de soi immersifs. 

Valoriser la créativité est plus facile à énoncer qu’à réaliser en contexte pédagogique. Les processus créatifs, présents dans le programme de français, se retrouvent dans les grandes généralités, mais demeurent subordonnés aux savoirs grammaticaux, orthographiques et stylistiques. Nous proposons ici une réflexion sur la mise en place d’ateliers dialogiques, tels que pratiqués dans les cours de création littéraire universitaires, comme moyen de stimuler la créativité d’élèves du secondaire. Nous nous basons sur notre expérience menée avec quatre groupes d’élèves de la région du Grand Montréal, issus de différents milieux et contextes et huit accompagnateurs.trices, étudiants.es aux cycles supérieurs en recherche-création littéraire. 

Développés à l’ère moderne, les writing workshops ont essaimé dans les universités états-uniennes au cours du XXe siècle avec la propagation des programmes de creative writing (McGurl, 2009). Au Québec, les premiers ateliers de création littéraire apparaissent au cours des années 1970. Aujourd’hui bien installés, les programmes de création littéraire accueillent la diversité des discours propres aux pratiques d’écriture actuelles comme celles à venir. 

À l’université, l’atelier dialogique priorise le développement de la créativité sur l’acquisition de compétences explicitement quantifiables. Parce que la littérature est et doit rester multiple, l’atelier dialogique est conçu pour accueillir et développer cette multiplicité au sein d’une communauté restreinte, liée par l’exercice de la pensée critique (Woodard, 2015). Si l’auteur·trice désire inscrire ses textes dans le monde, l’atelier représente un échantillon où mettre son travail à l’épreuve de regards liés par des visées correspondantes. Le défi d’opter pour une approche dialogique, donc ouverte, consiste à proposer une voie parallèle à la dialectique. Dans l’atelier, la notion de vérité se présente comme étant plurielle et relative à celleux qui les énoncent. Si offrir cet espace d’apprentissage dans un contexte universitaire demande des ajustements relatifs aux habitudes dialectiques développées par les étudiant·es, créer un espace dialogique dans une classe d’école secondaire pose des défis autrement plus significatifs.

Dès le départ, il fallait reconnaître que les étudiant·es choisissent d’étudier la création, contrairement aux élèves intégrés dans des parcours balisés. Le choix de tenir les ateliers dans des cours d’arts et non de français cherchait à atténuer la contrainte du choix, afin de travailler dans un contexte dans lequel les élèves sont habitué·es à des situations où la créativité était valorisée. Dans ce projet d’art médiatique où l’écriture et la parole prenaient une place prépondérante de la conception à l’exécution, l’un des obstacles à surmonter a été d’éliminer le rapport normatif à la langue qu’impose l’école actuelle. De matière exigeante aux règles arbitraires, la langue devenait un matériau à travailler, sans contraintes structurantes, à la manière d’une argile prête à être façonnée. Aux élèves habitués à la rédaction de texte, nous leur demandions d’écrire. La dynamique d’un atelier dialogique étant plus efficace avec de petits groupes, les classes ont été divisées en sous-groupes de quatre à six élèves, placés chacun sous la supervision d’un·e accompagnant·e formé·e en recherche-création. Dans chaque sous-groupe, en trois rencontres, les élèves y allaient d’un remue-méninges pour ensuite proposer une première version d’un texte destiné à être commenté par les membres du sous-groupe. Puis, une deuxième version, où paraissaient les traces des commentaires critiques, été remise à tous. Un suivi individuel était également offert par l’accompagnant·e.

L’accompagnant·e veillait à ce que les commentaires critiques soient constructifs, tout en s’assurant que les élèves s’investissent à la fois dans l’émission des commentaires et dans leur réception. L’accompagnant·e émettait à son tour des commentaires afin d’assister l’élève, poursuivant la visée que chaque élève progresse dans sa rédaction. L’objectif était ici de placer les élèves auprès d’une personne agissant hors pouvoir, se positionnant comme une figure égalitaire. Si l’atelier dialogique ne nie pas les aptitudes, les connaissances, l’expérience pratique et le savoir-faire de l’accompagnant·e, il est crucial pour celleux-ci d’établir d’entrée de jeu une horizontalité dans les rapports du groupe. Cette clarification des rapports vise à repousser l’apparition de réflexes d’autocensure qui brimeraient le libre exercice de création. Si l’accompagnant·e d’un atelier dialogique agit comme un maître, il est un maître ignorant (Rancière, 2008). Ici, l’habitude dialectique fait en sorte que l’accompagnant·e est vite associé·e à une instance de validation, une situation qui s’est maintes fois présentée. L’une des raisons de cette résistance au rapport dialogique repose dans le caractère paradoxal du contexte établi par l’accompagnant·e devant imposer un cadre dans lequel les élèves jouissent d’une totale, et souvent angoissante, liberté. Si une minorité d’élèves ont saisi cette opportunité avec enthousiasme, la majorité ont subi un choc que l’accompagnant·e a tenté d’atténuer. D’autre part, nous avons observé que le regard critique plus développé de l’accompagnant·e entraînait un réflexe de paresse chez certains élèves, d’où l’importance de prioriser et de susciter les prises de paroles des élèves, quitte à ce que l’accompagnant·e ne produise qu’une synthèse des commentaires émis et qu’iels livrent les leurs aux élèves en rencontres individuelles. 

S’il est vrai que le contexte de réalisation de ces ateliers dialogiques au secondaire était loin d’être idéal (en virtuel pour respecter les mesures sanitaires), plusieurs éléments probants ont fait surface, mettant en évidence les défis à relever pour arrimer cette pratique féconde en milieux universitaires auprès d’élèves du secondaire. 

Les accompagnants·es ont témoigné que la relation de confiance, enjeu essentiel à la démarche, était difficile à établir en si peu de temps, et de surcroît, à distance. Le temps partagé lors de l’atelier semblait parfois improductif sur le plan de l’écriture, mais permettait d’amorcer une relation de partage. L’écran devenait au sens physique du terme, un « mur virtuel » à la communication. Ces échanges informels et les partages variés ne permettaient pas d’avancer la production; ce n’est qu’une fois la relation établie que des caméras se sont allumées et que les échanges ont été fructueux. L’un des défis pédagogiques a été celui d’amener l’élève à être capable de parler de ses idées, tant pour son texte que celui des autres. Pour que l’exercice d’échange et de partage soit profitable, formaliser le processus inhérent à une lecture critique du texte de l’autre sera nécessaire. 

D’après l’expérience menée, les ateliers dialogiques à l’école secondaire auraient une place, mais leurs conditions d’efficacité restent à circonscrire. La présence d’auxiliaire de création sans formation en pédagogie permet une relation différente avec les élèves, mais occasionne des enjeux pédagogiques soulevés lors de nos retours d’expérience. Permettre une réelle appropriation de l’exercice nécessite temps, confiance et respect, une combinaison parfois difficile à mettre en place dans une classe du secondaire, où se mélangent exigences académiques, besoin d’affirmation de soi et dynamiques sociales complexes. Toutefois, l’expérience nous a démontré que lorsqu’ils sont présents, les élèves arrivent à [se] surprendre. Il appert qu’une meilleure intégration interdisciplinaire, notamment un arrimage avec les observations issues des cercles d’auteurs·trices en milieu scolaire, mettrait davantage en valeur la création de récits médiatiques dans nos écoles secondaires.