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Introduction

Les enseignants débutants doivent souvent composer avec de nombreux défis professionnels ou personnels au cours de leur insertion professionnelle qui engendrent parfois même des remises en question de leur choix de carrière (Klassen et Chiu, 2011). Pour Martineau et ses collaborateurs (2008), l’insertion professionnelle (IP) est le processus d’adaptation et d’évolution d’un enseignant en début de carrière, c’est le passage des études à l’emploi.

Au Canada, Kamanzi et al. (2017) montrent que le taux d’abandon du métier varie entre 25 % et 30 % après la première année, pour atteindre les 50 % après cinq ans. Cette désertion du métier : « attrition » ou « décrochage enseignant » correspond à un départ précipité en début de carrière, pour des raisons autres que la mortalité, la retraite, la maladie, le transfert professionnel, la migration géographique ou le congédiement (Borman et Dowling, 2008).

Or, bien que les enseignants spécialisés soient considérés comme étant à risque de quitter leur métier, peu de recherches semblent avoir analysé l’attrition des enseignants en éducation physique et à la santé (EPS) au Québec (Grenier et al., 2013). Ainsi, bien que l’attrition soit un processus multidimensionnel, des chercheurs ont établi des relations étroitement liées entre la motivation et la rétention des enseignants (Hawks, 2016). Le terme « motivation » réfère aux forces internes et externes menant une personne, de manière consciente ou inconsciente, vers la poursuite ou la cessation d’un comportement (Adam et Louche, 2009). Quant au terme « satisfaction professionnelle », il se définit comme un sentiment de plaisir, fort ou faible, qu’éprouve un enseignant à accomplir ses tâches dans l’exercice de ses fonctions (Kamanzi et al. (2019). De plus, la satisfaction au travail s’avère être directement liée à la stabilité (Aubin et Borges, 2018). Pour Amathieu et Chaliès (2014), la satisfaction professionnelle implique une relation entre les attentes d’un enseignant et les résultats obtenus. Ainsi, en plus d’exercer une influence sur la qualité de l’enseignement, le type de motivation représente un des éléments importants à considérer, car il peut être un facteur déterminant d’engagement, de rétention et de stabilité professionnelle (Skaalvik et Skaalvik, 2011). De plus, il semble que très peu de recherches ont porté sur la motivation des enseignants québécois en EPS lors de leur période d’insertion professionnelle (Favreau et al., 2018).

Afin de comprendre les facteurs qui influencent les enseignants débutants en EPS à s’engager et à poursuivre leur profession, cette étude vise à décrire les types de motivation qu’ils entretiennent.

Cadre théorique

La motivation incite la personne à penser, à agir et à se développer. Deci et Ryan (2016) précisent que la motivation favorise la persistance dans les activités auxquelles la personne s’adonne. Par conséquent, un enseignant motivé persistera et fournira un effort continu au-delà des contraintes auxquelles il est exposé tout au long de sa carrière. La théorie de l’autodétermination (Deci et Ryan, 2004) qui peut expliquer en partie ce qui pousse un enseignant à persévérer ou à abandonner en début de carrière repose sur la satisfaction de trois besoins psychologiques : 1) besoin d’autonomie ; 2) besoin de compétence; et 3) besoin d’appartenance sociale.

Le besoin d’autonomie désigne la possibilité qu’a l’enseignant d’exercer des choix dans le cadre de ses responsabilités sans subir de pression de l’extérieur (Deci et Ryan, 2016). Le besoin de compétence correspond aux succès accumulés lors d’interventions auprès des élèves ou par l’efficacité à mener à terme les dossiers qu’ils lui sont confiés. Le troisième besoin fondamental, l’appartenance sociale, se définit comme le besoin d’entretenir des relations avec autrui, d’échanger et de partager avec les autres (Miquelon, 2016). La satisfaction de ces besoins a pour effet de stimuler la motivation intrinsèque. Conséquemment, si ces besoins ne sont pas comblés, l’enseignant peut remettre en question son choix de carrière (Rasmy et Karsenti, 2016).

Selon la théorie de l’autodétermination, les enseignants se situent de part et d’autre d’un continuum allant de l’amotivation à la motivation intrinsèque (figure 1), selon leurs expériences passées ou le contexte dans lequel ils évoluent (Vallerand et al., 2009).

Figure 1

Continuum de l’autodétermination et les différents types de motivation (Adapté de Vallerand et Losier, 1999)

Continuum de l’autodétermination et les différents types de motivation (Adapté de Vallerand et Losier, 1999)

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L’amotivation correspond à une absence de motivation. La personne affiche alors une attitude passive avec une absence d’intention d’émettre un comportement (Vallerand et al., 2009). Il peut se percevoir comme incompétent dans plusieurs situations de sa profession, par exemple un enseignant qui n’arrive pas à bien gérer son groupe. La personne qui vit ce type de motivation est certainement la plus à risque d’abandonner sa profession (Reeve, 2017).

La personne motivée extrinsèquement s’engage dans l’activité pour des motifs extérieurs, pour en retirer quelque chose de plaisant ou pour éviter quelque chose de déplaisant (Cassignol-Bertrand et Constant, 2007), comme les conditions de travail, les vacances, l’horaire de travail, le salaire.

La motivation extrinsèque se présente sous quatre types :

  • La motivation externe : La personne cherche ses motivations dans des sources extérieures à elle-même comme des récompenses matérielles, pour éviter une punition ou pour satisfaire une contrainte externe (Reeve, 2017). Par exemple, un enseignant d’EPS qui assiste à une rencontre du personnel enseignant afin d’éviter le jugement de son directeur.

  • La motivation introjectée : La personne commence à intérioriser les demandes extérieures et les contraintes. Cependant, elle agit pour éviter une conséquence négative ou un sentiment de culpabilité (Fenouillet, 2016). Sa source de motivation est souvent teintée de « Je devrais », « Il faudrait ». Par exemple : l’enseignant en EPS accepte d’entraîner une équipe sportive afin de plaire aux autres membres du personnel.

  • La motivation identifiée : La personne accepte librement la situation et la fait sienne en exerçant un choix. Elle prend conscience des avantages qu’elle pourra en retirer éventuellement (Reeve, 2017). Tel est le cas d’un enseignant qui accepte de suivre une formation de plein air qui ne lui plaît pas, parce qu’il est conscient que cette formation l’aidera à planifier ses activités en plein air.

  • La motivation intégrée : La personne s’implique dans la tâche parce qu’il existe davantage de relations entre l’activité et ses valeurs personnelles (Gagné et Deci, 2005). Par exemple, un enseignant d’EPS contribue à l’organisation de diverses activités sportives parce qu’il trouve que c’est bon pour la santé et le mieux-être des élèves.

Une personne est motivée intrinsèquement quand elle choisit un métier pour elle-même et que cela représente une source de gratification (Deci et Ryan, 2016). La motivation intrinsèque, qui représente le plus haut niveau de détermination du continuum, propose trois types :

  • La motivation intrinsèque à la connaissance : La personne souhaite apprendre de nouvelles choses et elle en retire de la satisfaction (Vallerand et Miquelon, 2016), comme apprendre de nouvelles approches pédagogiques pour exercer sa tâche d’enseignement.

  • La motivation intrinsèque à l’accomplissement : L’individu s’engage dans l’action pour accomplir et créer quelque chose dans son domaine (Vallerand et Miquelon, 2016). Par exemple, l’enseignant qui intervient efficacement avec un élève difficile et qui communique des rétroactions significatives.

  • La motivation intrinsèque à la stimulation : L’individu ressent un réel plaisir à exercer sa tâche (Vallerand et Miquelon, 2016) en constatant, par exemple, la progression des élèves.

Ainsi, plus les motivations sont de nature intrinsèque, plus la personne persévère. Jang (2019) affirme que les motivations intrinsèques prédisent une plus grande satisfaction et aident la personne à fournir un plus grand effort que les motivations extrinsèques. Il serait logique de croire qu’une plus grande satisfaction combinée à un plus grand effort peut contribuer à l’insertion professionnelle. En s’appuyant sur ce cadre théorique, l’article poursuit deux objectifs en lien avec la théorie de l’autodétermination, qui consistent à :

  1. Décrire le type de motivation des nouveaux enseignants en EPS à partir de la théorie de l’autodétermination.

  2. Décrire les changements de cette motivation des nouveaux enseignants EPS après deux années scolaires.

Méthodologie

Afin de décrire la motivation et ses changements chez de nouveaux enseignants en EPS, une démarche méthodologique qualitative/interprétative (Savoie-Zajc, 2016) a permis de mieux comprendre le sens que les nouveaux enseignants en EPS accordaient à leur motivation en début de carrière.

Participants

Les 18 participants, dont 14 hommes, issus d’universités québécoises, étaient âgés de 23 à 32 ans lors de leur première rentrée scolaire. Quelques-uns ont un contrat d’enseignement variant entre 23 % et 100 % d’une tâche complète d’enseignement et plusieurs enseignent à titre de suppléants au primaire, au secondaire et au collégial. Onze participants font de la suppléance dans une seule école, huit dans deux écoles et 15 combinent de la suppléance dans deux ou même trois écoles et plus. Ils enseignent dans différentes régions du Québec.

Collecte et analyse des données

Les 18 enseignants ont participé à un premier entretien semi-dirigé téléphonique lors de leur première rentrée scolaire, puis à un deuxième entretien deux ans plus tard. Un canevas d’entretien a permis de recueillir de l’information sur plusieurs thèmes associés à l’insertion professionnelle, dont la motivation, par exemple : qu’est-ce qui te motive/démotive ? Le corpus d’analyse comprend tous les propos émis qui permettent de comprendre leur motivation. Les 36 entretiens, d’une durée moyenne de 45 minutes, ont été enregistrés puis transcrits intégralement pour réaliser l’analyse de contenu (Roulston, 2014). 190 énoncés issus du corpus d’analyse ont été classés parmi les huit types de motivation de la théorie de l’autodétermination (Deci et Ryan, 2004). Afin d’assurer la fidélité du codage, le consensus entre deux chercheurs a été utilisé (Bourgeois, 2016). D’abord, les énoncés ont été classés par le premier chercheur, puis le deuxième chercheur a vérifié le classement de tous les énoncés et identifié les énoncés à discuter qui ont fait l’objet d’un classement par consensus.

Résultats et discussion

Les résultats sont présentés puis discutés selon chacun des objectifs.

Description de la motivation des nouveaux enseignant en EPS

La première partie des résultats présente la répartition des énoncés (N = 190) selon les types de motivation des enseignants d’EPS abordés lors de l’ensemble des entretiens (figure 2).

Figure 2

Répartition des énoncés selon les types de motivation

Répartition des énoncés selon les types de motivation

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Amotivation : Chez certains participants, l’amotivation est associée à une faible efficacité : Je manque d’expérience sur le terrain (Simon[1]). Le fait d’enseigner dans le vide, pour faire son temps. Je n’ai pas de plaisir, j’ai un peu plus de difficulté à me lever le matin (Hugo). Je trouve que j’offre un moins bon service aux élèves (Clément), ou à la déception : Ce que je vois, ça ne ressemble pas exactement à ce que je veux faire (Justine). D’autres mentionnent : Je dirais que la partie la plus plate du travail, c’est vraiment la paperasse (Thomas). Tu essaies de faire quelque chose pour le système, mais tu as toujours des bâtons dans les roues (Simon).

Motivation extrinsèque : Cent deux énoncés sur 190 sont de nature extrinsèque et se répartissent en quatre catégories : 1) externe ; 2) introjectée ; 3) identifiée et 4) intégrée.

Motivation extrinsèque externe : Des enseignants mentionnent qu’ils sont confrontés à beaucoup de difficultés : Ce n’est pas évident quand tu fais deux écoles avec des groupes différents, des collègues différents (Emma). Je trouve que je n’ai pas assez de formation et de ressources pour intervenir auprès des élèves handicapés ou élèves en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage (Simon). Je n’ai pas beaucoup de matériel (Simon). De ne pas savoir comment une école fonctionne, l’horaire, les évaluations, etc. (Hugo). Je n’ai pas la même vision que mon collègue, donc cela accroche parfois, cela baisse ma motivation (Chloé).

Motivation extrinsèque introjectée : Les enseignants suppléants déplorent ne pas avoir suffisamment de travail : Les mois de septembre et octobre sont des périodes très creuses (Chloé). Lorsqu’ils sont enfin appelés pour travailler, ils considèrent que la suppléance ou les brefs contrats les empêchent de réellement enseigner : En suppléance, tu enseignes moins, donc tu vas moins en profondeur, cela reste en surface (Ryan). Puisque je ne fais que passer, je ne peux pas construire des projets (Charles). Le temps nécessaire pour se développer est aussi perçu comme une contrainte : L’expérience s’acquiert lentement, cela va prendre quelques années avant d’avoir plus confiance (Noémie). Cela me prend énormément de temps pour préparer mes cours. J’enseigne une matière qui ne m’était pas familière (Clément).

Motivation extrinsèque identifiée : Selon les propos des participants, on constate que le milieu de travail joue un rôle important : J’aime la dynamique de l’école, l’équipe-école (Antoine). J’aime plus ce qui est autour de l’école, le rôle qu’on a, croiser les élèves dans le corridor, la vie avec les collègues (Charles). D’autres énoncent une bonne relation avec les collègues, les élèves et la direction : Je fais du coenseignement avec une collègue avec qui je m’entends vraiment bien, avec qui c’est facile (Emma). Un de mes collègues est super le fun, il est très motivant (Chloé). J’aime le côté terrain avec les jeunes, le gymnase (Martin). J’avais une bonne direction, à l’écoute, qui est là pour m’aider (Clément).

Motivation extrinsèque intégrée : Dans le contexte de cette étude, la motivation extrinsèque intégrée se révèle au contact des élèves et des collègues enseignants. L’harmonie vécue avec les enseignants débutants est possible par une certaine stabilité du lieu de travail et par la réceptivité des élèves : Quand je retourne dans une école que je connais, c’est toujours plaisant de revoir les élèves. On les connaît de plus en plus, même si on est en suppléance (Noémie). Quand tu as un beau groupe, tu as du plaisir à faire ton travail, c’est plus agréable (Thomas). D’autre part, l’équipe-école permet aussi aux enseignants de se sentir bien dans leur profession : Le milieu est très dynamique, c’est très motivant (Keven). J’aime travailler en équipe (Noémie).

Le participant enseigne pour le plaisir et la satisfaction qu’il en retire. 75 énoncés sur 190 ont été recueillis pour les trois types de motivation intrinsèque : 1) connaissance ; 2) accomplissement ; et 3) stimulation.

Motivation intrinsèque de connaissance : Les propos des enseignants indiquent qu’ils aiment apprendre: Je suis motivé parce que j’apprends (Justine) selon différentes ressources : Ce qui me motive, c’est d’aller chercher des ressources en même temps que j’enseigne (Noémie). Je m’informe auprès de mes collègues (Martin). D’autres fournissent des efforts pour s’améliorer : Quand on met des efforts, puis on se creuse la tête, souvent on résout un peu les problèmes (Justine). J’aime amener de nouvelles façons de voir, de nouvelles activités (Noémie).

Motivation intrinsèque à l’accomplissement : Les enseignants ont manifesté leur sentiment de compétence en ces termes : Je suis quand même à l’aise. Puisque j’ai fait beaucoup de suppléances, je me sens beaucoup plus compétent à gérer les clientèles difficiles (Emma). Certains sont motivés en relevant des défis : J’adore travailler avec les jeunes, leur apprendre des choses, leur donner un cadre qui est le mien (William) ou en s’impliquant : J’apporte des projets qui sont appréciés (Emma). Je m’implique dans plusieurs projets comme donner de la formation (Chloé).

Motivation intrinsèque à la stimulation : Parmi les propos des enseignants d’EPS, on remarque que la motivation intrinsèque à la stimulation prend différentes formes, notamment le plaisir ressenti lorsqu’ils enseignent. J’ai bien du plaisir quand je me lève le matin, j’aime ça aller travailler (Thomas). J’aime enseigner, j’aime leur montrer des choses (Robin). Cette motivation s’exprime aussi grâce aux liens qu’ils créent. Ce qui me motive, c’est d’avoir un lien avec les élèves (Noémie) ; et la progression des élèves : C’est le suivi avec les élèves, j’ai hâte de voir leur progression (Noémie) C’est toujours une petite victoire quand les élèves réussissent (William).

Les résultats obtenus démontrent que la motivation des enseignants en EPS est à 40 % de nature intrinsèque, 53 % extrinsèque et 7 % associée à l’amotivation. Cependant, Ntsame Sima, Desrumaux et Boudrias (2013) mentionnent que plus la motivation est intrinsèque, plus l’individu va développer un comportement autodéterminé. À cet égard, Shinya (2008) souligne l’importance d’augmenter le degré d’autodétermination par la satisfaction des besoins fondamentaux. De plus, Duchesne et al. (2005) affirment que la motivation interne des enseignants les pousse à s’engager et les mène à la réussite.

Comparaison du type de motivation

Pour répondre au second objectif qui vise à comparer des types de motivation en début de carrière, nous avons choisi de comparer les propos des participants émis lors de la première rentrée (108 énoncés) à ceux émis lors de la troisième rentrée scolaire (82 énoncés). Notre étude a permis de constater que plusieurs cas de figure sont représentés.

Pour décrire les changements de motivation à l’aide des propos des participants, nous avons comparé le nombre d’énoncés émis pour la motivation intrinsèque, la motivation extrinsèque et l’amotivation. Les delta présentés (tableau 1) sont calculés ainsi : nombre d’énoncés à la troisième rentrée scolaire – nombre d’énoncés à la première rentrée scolaire, transformé en %. Ainsi, « ↑50 » signifie que les propos d’un participant à la troisième rentrée comprennent 50 % plus d’énoncés qu’à la première rentrée pour un type de motivation. Cette entrée du tableau : « ↓100 » signifie qu’un participant n’a nommé aucun propos se rapportant à un type de motivation à la troisième rentrée alors qu’à la première rentrée, certains de ses propos avaient été classés dans ce type de motivation. Enfin, «↔» signifie que le nombre d’énoncés à la troisième et à la première rentrées scolaires est identique.

Tableau 1

Différence (delta %) entre le nombre d’énoncés à la rentrée 3 et à la rentrée 1 selon les types de motivation pour chacun des participants

Différence (delta %) entre le nombre d’énoncés à la rentrée 3 et à la rentrée 1 selon les types de motivation pour chacun des participants

* = Aucun énoncé n’a été associé à la motivation intrinsèque à la 3e rentrée

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On constate que 12 participants sur 18 affichent une baisse ou une absence de propos classés dans motivation intrinsèque en troisième année. Zach et al. (2015) considèrent dans leur étude que la première année d’insertion est encore plus importante que les autres. D’autres chercheurs recommandent qu’à la première année d’insertion, des mesures soient prises pour encadrer adéquatement l’enseignant novice à connaître du succès par la satisfaction des trois besoins fondamentaux, soit le besoin d’autonomie, de compétence et d’affiliation interpersonnelle (Miquelon, 2016).

Disparition des sources de motivation intrinsèque en troisième année : Six participants (Alexandre, Robin, Antoine, Emma, Ryan et Charles) n’ont mentionné aucune source de motivation intrinsèque lors de leur entretien de la troisième rentrée, alors que la motivation intrinsèque était présente en début d’insertion professionnelle.

À leur première rentrée scolaire, les sources de motivation intrinsèque étaient très variées et concernaient les trois catégories de motivation intrinsèque. Ils déclaraient aimer enseigner, se sentir à leur place dans le milieu scolaire et apprendre de leur travail : Je suis très satisfait de la façon dont j’enseigne. J’ai confiance en mes moyens (Chloé). Depuis le début de l’année, j’apprends énormément, c’est ce que je trouve bien (Antoine). Ils aimaient s’impliquer, proposer des projets et appréciaient le milieu scolaire dynamique. Leur réussite avec des élèves plus difficiles ainsi que l’obtention d’un contrat à temps complet étaient considérées comme des accomplissements. L’instabilité d’emploi était atténuée par l’espoir d’accéder à de meilleures conditions.

L’analyse de leur discours suggère que l’instabilité d’emploi et le milieu scolaire peu accueillant pourraient entraver le développement de leur motivation intrinsèque : Je fais quelques heures par-ci par-là, j’ai seulement l’impression de boucher des trous (Charles). Il y a un mauvais climat dans l’école. Il semble y avoir un genre de clivage au sein du personnel enseignant. On constate de l’amertume (Alexandre).

Bien que l’instabilité d’emploi soit généralement considérée comme une source de stress financier, les participants de cette étude l’évoquent plutôt comme un frein à leur désir d’assumer leur rôle d’enseignant. Le partage de leur travail dans plusieurs écoles lors des suppléances contribue aussi à diminuer leur sentiment d’appartenance et la possibilité de créer des liens avec les collègues. Enfin, leur patience quant à la stabilité d’emploi s’effrite.

Leurs propos s’insèrent dans les résultats déjà connus qui indiquent que l’instabilité d’emploi est fréquente durant la phase d’insertion professionnelle (Gingras et Mukamurera, 2008). D’ailleurs, Bizet et al. (2010) considèrent que cette précarité amène parfois l’enseignant à réorienter sa carrière. Les participants à la présente étude veulent enseigner, mais ils indiquent qu’ils ne peuvent pas le faire de façon optimale dans un contexte de la suppléance : C’est plus difficile en suppléance parce que tu n’as pas de suivi (Thomas). Ainsi, comme le précisent Roness et Smith (2010), le désir d’enseigner constitue une source de motivation importante des futurs enseignants. De plus, les enseignants en début de carrière ont souvent des motivations altruistes, à savoir qu’ils désirent se sentir utiles pour les élèves (Rojo et Minier, 2015), qu’ils aiment travailler avec les enfants et faciliter leurs apprentissages (Hargreaves, 2001). Lors de leur formation initiale, il est fort probable qu’un contexte d’enseignement offrant une continuité soit associé au développement de certaines de leurs compétences professionnelles (MEQ, 2001) comme la planification et l’évaluation des apprentissages. Peut-être la formation initiale est-elle peu adaptée à leur contexte au point qu’ils estiment qu’en suppléance ils ne peuvent pas vraiment enseigner, ce qui affecte leur motivation intrinsèque ?

Outre l’instabilité d’emploi, un milieu scolaire peu accueillant pourrait expliquer l’absence de propos liés à la motivation intrinsèque lors de la troisième rentrée. D’abord, certains enseignants de l’étude sont déçus du manque de soutien de la part de la direction de leur école lorsqu’ils souhaitent développer des projets. En outre, ils trouvent très difficile d’intégrer une équipe déjà aux prises avec des conflits interpersonnels et de s’épanouir lorsqu’une culture professionnelle est mise en place depuis longtemps.

À l’instar de Rojo et Minier (2015) qui indiquent que la relation avec les collègues peut être source de stress, Day et al. (2005) affirment l’importance pour les enseignants d’EPS de travailler dans une culture de soutien. De plus, l’enseignant débutant doit percevoir un sentiment de contrôle sur son travail et les enseignants d’EPS sont motivés par la possibilité de mettre en oeuvre leurs idées en collaboration (Whipp et Salin, 2018). Enfin, se refaire un nouveau réseau social à chaque changement d’école n’est pas un exercice aisé (Rojo et Minier, 2015) et les nouveaux enseignants ont besoin de soutien lié à la socialisation (Carpentier, 2020).

Somme toute, les sources possibles de motivation intrinsèque s’avèrent très nombreuses et le contexte d’insertion professionnelle peut entraver son développement. À la suite des propos des participants à cette étude, il serait intéressant de vérifier si la stabilité d’emploi et l’encadrement d’un jeune enseignant du milieu scolaire sont des facteurs qui faciliteraient le développement de la motivation intrinsèque.

Augmentation de la motivation intrinsèque en troisième année : Les propos de certains participants (Clément, Martin, Simon et Hugo) semblent illustrer une augmentation de leur motivation intrinsèque par rapport à leur motivation extrinsèque et d’amotivation de la première année. En effet, au cours de cette première année d’insertion, ils ont identifié certaines contraintes, telles que : le manque de ressources auprès des élèves HDAA, les défis liés à la gestion de classe, le fait d’enseigner une nouvelle matière, la charge de travail ou le côté administratif du travail enseignant. En outre, certains trouvent difficile de ne pas avoir de suivi en suppléance. Ils ont l’impression d’enseigner dans le vide, ou encore ne savent pas comment l’école fonctionne. Mukamurera et al. (2019) précisent que pour les enseignants débutants, les tâches sont les mêmes que pour les plus expérimentés et qu’ils doivent composer avec des restants de tâches et des conditions de travail plus difficiles.

À leur troisième année d’insertion, où l’on constate une présence plus accrue de la motivation intrinsèque, certains participants sont satisfaits de leur enseignement, ils se sentent plus efficaces, ils aiment créer des liens avec les élèves et leur transmettre des connaissances, puis ils aiment apprendre afin d’être plus efficaces auprès de leurs élèves : Je me sens efficace dans mes interventions auprès des élèves et ma façon de gérer les conflits (Martin). Tout compte fait, ils constatent qu’ils se sont améliorés. On remarque que ces enseignants éprouvent un sentiment de compétence à l’égard du jugement qu’ils portent sur eux-mêmes (Mukamurera, 2018). Dans leur étude, Kamanzi et al. (2019) ont identifié cinq variables amenant l’enseignant à être très satisfait dans sa tâche : 1) l’autonomie professionnelle; 2) le sentiment de compétence; 3) la collaboration avec les collègues; 4) la participation aux décisions et 5) les conditions de travail. Selon eux, ces variables exercent une influence significative sur leur niveau de satisfaction.

Conclusion

La motivation des enseignants en situation d’insertion professionnelle est un phénomène important dans la satisfaction des besoins. Rappelons que la théorie de l’autodétermination de Deci et Ryan (2004) avance que tous les humains ont besoin de se sentir autonomes, compétents et d’évoluer dans un environnement social adéquat. Par conséquent, les enseignants qui ne peuvent pas satisfaire ces besoins sont plus vulnérables à abandonner leur carrière d’enseignant dans les cinq premières années (Favreau et al., 2018). Plusieurs auteurs ont analysé l’importance de la motivation intrinsèque comparativement à la motivation extrinsèque sur l’apprentissage et la satisfaction de ces besoins. Dans la présente étude, il est surprenant de constater, par l’analyse des propos des participants, le nombre peu élevé d’énoncés orientés vers la motivation intrinsèque pour décrire leur motivation à leur troisième année d’enseignement. En outre, l’analyse révèle qu’en troisième année d’insertion, seulement quatre participants affichent une motivation intrinsèque plus élevée, tandis que les autres participants présentent davantage des motivations extrinsèques et de l’amotivation.

Il y a là matière à s’interroger. Est-ce que la formation initiale prépare suffisamment les futurs enseignants en EPS aux différents contextes, comme évoluer dans plusieurs écoles, intervenir dans d’autres matières, relever le défi de la gestion classe, etc. ? Doit-on insister davantage sur l’importance d’entretenir des motivations intrinsèques ? Comment peut-on préparer les futurs enseignants à développer rapidement (a) leur autonomie pédagogique; (b) leur compétence à intervenir efficacement et (c) leur capacité à établir un réseau social axé sur l’entraide et le partage ? Sachant que de nombreuses études ont fait état du niveau de difficulté très élevé que connaissent les nouveaux enseignants, Deci et Ryan (2020) précisent que les individus ont besoin de soutien pour satisfaire leurs besoins psychologiques de base, et ce, afin d’offrir des situations d’apprentissage motivantes, d’être efficaces dans la gestion de groupe, de s’adapter dans divers contextes pédagogiques et aux clientèles avec des besoins particuliers, d’établir un climat de travail accueillant et respectueux, etc. (Morency et Bordeleau, 2019). Bien sûr, il est utopique de penser que les nouveaux enseignants puissent développer uniquement de la motivation intrinsèque pour favoriser leur résilience. Ainsi, l’insertion professionnelle pourrait être soutenue par une meilleure connaissance des effets de la motivation intrinsèque sur leur persévérance combinée à un contexte de travail qui leur permet de développer ce type de motivation.

En terminant, les leaders politiques en éducation devraient encourager des stratégies qui favorisent la motivation autonome comprenant la motivation extrinsèque identifiée, intégrée et intrinsèque des enseignants (Deci et Ryan, 2016). Par conséquent, les enseignants autonomes sont plus susceptibles de favoriser l’autonomie de leurs élèves (Deci et Ryan, 2020).