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Le livre que nous offre Colin Wight constitue, à coup sûr, une importante contribution aux études en matière de politique mondiale. La littérature actuelle comprend peu d’ouvrages abordant de façon aussi recherchée à la fois l’ontologie et le problème de l’agent-structure ; ce livre, par la clarté de son argumentation, marque un point tournant. Dans un style critique et parfois (inutilement) acerbe, Wight écrit un livre imposant qui donne (ou redonne) une place de choix à l’ontologie dans le processus de recherche et qui procure au réalisme scientifique une profondeur d’analyse lui permettant d’offrir des éléments de réponse à de nombreuses questions actuellement au coeur des relations internationales.
L’ouvrage comprend sept chapitres autour desquels s’articulent trois thèmes centraux : approche ontologique, réalisme scientifique et problème de l’agent-structure. Le premier chapitre expose l’argument central de Wight. Pour celui-ci, l’ontologie, et non l’épistémologie, constitue le point d’ancrage de toute recherche, la composante d’une étude qui oriente profondément les choix épistémologiques et méthodologiques subséquents. Cette question est la source d’un intense débat en relations internationales, notamment entre Alexander Wendt, d’une part, et Martin Hollis et Steve Smith, d’autre part. La contribution de Wight arrive à ce titre à point nommé. Pour présenter son argument, Wight élabore et défend une version du réalisme scientifique comme mode d’analyse en opposition aux approches positivistes et postmodernistes. Pour Wight, non seulement les approches positivistes se sont accaparé, à tort, le label scientifique, mais si on adopte le réalisme scientifique, il devient nécessaire à la fois de rejeter le positivisme et d’accepter qu’une science du social soit possible.
Le deuxième chapitre tente de mettre en contexte sur les plans historique et sociologique le problème de l’agent-structure au sein des études de théorie sociale. L’origine du problème ainsi que les principales solutions proposées sont passés en revue. Pour le non-initié, ce chapitre constitue un excellent point de départ. Le chapitre 3 explore les applications du problème de l’agent-structure en relations internationales. Wight identifie quatre façons (ou questions) erronées par lesquelles le problème de l’agent-structure a été transposé en relations internationales : seule une analyse de la nature de l’agent et de la structure (ainsi que de leur relation) correspond réellement au problème de l’agent-structure.
Puis Wight entre au coeur du débat, analysant tour à tour les concepts de structure et de l’agent. Identifiant cinq modèles de structure communément employés dans la littérature des relations internationales, Wight opte dans la dernière section du chapitre pour une conception de la structure en tant que relations sociales. Empruntant le modèle du cube social développé par Roy Bhaskar, Wight propose en effet de comprendre la structure en termes de relations liant divers angles d’activités sociales (ou du cube social).
Parallèlement, pour Wight, la notion d’agent devrait être subdivisée en trois niveaux, agent-1 constituant la personne, agent-2 désignant le système socioculturel d’une personne et agent-3 représentant la place particulière dans un système. À titre d’illustration, une personne (agent-1) qui est diplomate de carrière (agent-2) occupe une place particulière à un moment donné au sein du service de diplomatie du son pays (agent-3).
Enfin, Wight tourne son attention vers les questions épistémologiques et méthodologiques reliées au problème de l’agent-structure (chap. 6-7). Une des sections les plus intéressantes du chapitre 6 est d’ailleurs l’analyse par Wight du concept d’épistémologie qui serait une sorte de généalogie en vitesse rapide. Pour résumer, ces deux chapitres constituent en quelque sorte une critique sévère des positions tenues par Hollis et Smith dans Explaining and Understanding International Relations.
Il faut saluer par ailleurs la profondeur, l’ampleur et la maîtrise des connaissances des questions philosophiques touchant aux relations internationales que déploie Wight dans ce merveilleux livre. Cet ouvrage est en effet ambitieux, et il est admirable que Wight navigue aussi aisément (et par le fait même, nous guide d’aussi merveilleuse façon) dans cette littérature au premier abord difficile et opaque. Certains chapitres (de même que la thèse centrale du livre) moduleront avec raison de nombreuses recherches à venir et feront vraisemblablement partie du corpus de travail des séminaires d’études graduées traitant de la théorie des relations internationales.
Le livre n’est pas sans failles cependant. Notons dans un premier temps un problème d’organisation. Le chapitre sur l’agent contient deux larges sections soutenant la proposition que l’État est une structure. C’est aussi dans ce chapitre que Wight expose son hypothèse selon laquelle il est nécessaire de distinguer un groupe social d’une institution (le mariage, le capitalisme) et d’une organisation… pour entre autres avancer l’argument qu’une organisation est une structure structurée. Non seulement il aurait été plus logique d’inclure ces sections dans le chapitre sur la structure, mais encore et surtout, il est regrettable que la nature, la définition, les contours et les applications de l’approche tridimensionnelle de l’agent par Wight n’occupent que quatre ou cinq pages. Ces quelques paragraphes font piètre figure en comparaison du traitement offert à la notion de structure et laissent d’autant plus le lecteur sur sa faim que Wight annonce qu’une théorie de l’agent sera développée dans ce chapitre.
Le chapitre traitant de la structure (chap. 4) présente cinq modèles de conceptualisation de la structure en général. Or, deux faiblesses dans l’analyse de Wight apparaissent rapidement. D’une part, le vocabulaire utilisé parle de lui-même. Dans sa critique du modèle d’Anthony Giddens selon laquelle la structure est définie comme un ensemble de « règles et ressources », Wight a recours à une profusion de verbes et adverbes qui réduisent la force de l’analyse : « dans un certain sens », « voici ce que l’auteur veut vraiment dire », « il semble », « il tend », « ne semble pas », « semble suggérer », « ce qui veut dire que dans un certain sens », etc. Certaines critiques ne s’appuient que sur une seule phrase, voire même sur un seul mot. D’autre part, bien que Wight note pertinemment en introduction du livre que, par essence, aucune solution définitive au problème de l’agent-structure ne peut être formulée, il rejette la proposition de « règles et ressources » précisément parce qu’elle ne résout pas le problème de l’agent-structure.
Il faut noter aussi quelques omissions qui dérangent sans toutefois bousculer la force de l’argument. Par exemple, les travaux de Mustafa Emirbayer et Ann Mische sur l’agent ne sont pas mentionnés. Seule la position de Bhaskar est présentée et ultérieurement modifiée. De même, Wight ne parle pas des différentes versions du réalisme scientifique ; il opte pour une version bhaskarienne du réalisme scientifique sans réels égards aux variantes apportées par Andrew Collier, William Outhwaite, David Layder ou Tony Lawson par exemple. De plus, Wight ne parle pas du changement de terminologie observé dans les dernières années, celui du réalisme scientifique au réalisme critique. Simple différence terminologique ou importante rupture ? La question s’avère d’autant plus importante puisqu’un des arguments centraux de Wight est qu’une science du social est possible.
En somme, cet ouvrage constitue une importante charge contre la façon dont l’ontologie, le réalisme scientifique et le problème de l’agent-structure sont analysés en relations internationales. C’est un livre qui bouscule et qui stimule.