Comptes rendus

Ronald Jenn. La pseudo-traduction, de Cervantès à Mark Twain. Louvain-la-Neuve, Peeters, Bibliothèque des cahiers de l’Institut de linguistique de Louvain, 2013, 143 p.[Record]

  • Isabelle Collombat

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  • Isabelle Collombat
    Université Laval

Publié en 2013 chez Peeters (Louvain-la-Neuve), l’ouvrage de Ronald Jenn, La pseudo-traduction, de Cervantès à Mark Twain, se présente comme une analyse historico-sociolinguistique du phénomène de pseudo-traduction : partant de l’étude de cinq cas de pseudo-traductions à travers l’histoire, l’auteur se donne l’objectif de dépasser le particulier – les pseudo-traductions – en vue de produire une réflexion théorique sur la pseudo-traduction. Comme il le souligne en introduction (p. 1-2), la pseudo-traduction fait partie des quelques domaines de recherche en traductologie qui sont encore considérés comme prometteurs et encore relativement inexplorés : si ce thème a fait couler beaucoup d’encre, c’est essentiellement sous la forme d’articles ou de chapitres d’ouvrages consistant le plus souvent en une étude de cas, à l’instar de la seule autre monographie entièrement consacrée à la pseudo-traduction (Alt Kecik, 2010). Le chapitre 1, intitulé « La fortune du terme », porte sur la notion de pseudo-traduction elle-même. Historiquement, les termes anglais et français, pseudotranslation et pseudo-traduction, n’avaient pas le sens qui leur est attribué aujourd’hui, désignant à l’origine pour l’un une « traduction libre » et pour le second, une mauvaise traduction. Le rattachement de la pseudo-traduction à la notion de supercherie littéraire est opéré au XIXe siècle par Joseph-Marie Quérard, qui utilise toutefois les termes « traduction supposée », « supposition d’auteur » et « traduction apocryphe » (p. 14-15). Si la pseudo-traduction fait son entrée dans le discours traductologique en 1976 sous la plume d’Anton Popovic, c’est néanmoins Gideon Toury qui, en 1980, octroie à la pseudo-traduction un statut lui permettant de devenir « un outil théorique à part entière, sinon la figure de proue, du courant cibliste appelé polysystème » (p. 18). Avec Toury, en effet, la pseudo-traduction n’est plus seulement un avatar possible dans l’éventail des supercheries littéraires : elle devient la preuve de l’autonomie du texte traduit dans la culture d’accueil. Et puisqu’elle échappe à la « critique négative » que déplorait Antoine Berman (1995, p. 41), dans la mesure où l’exégèse d’une pseudo-traduction ne peut pas reposer sur une « analyse des défauts » (ibid.), la pseudo-traduction n’est pas la négation de la traduction, mais bien un « paroxysme de traduction » se prêtant à « une mise en relief des enjeux symboliques et matériels attachés à la production des traductions » (p. 24). Au final, Ronald Jenn définit la pseudo-traduction comme « un texte (en langue x) qui établit avec l’altérité langagière et culturelle (d’une langue y) un rapport distinct du transfert habituellement induit par la traduction de texte à texte » (p. 30). Le chapitre 2 porte sur Don Quichotte de Cervantès, oeuvre qui a sans doute marqué l’entrée de la pseudo-traduction au panthéon des procédés littéraires et qui en est aujourd’hui le symbole séculaire. L’analyse de la fameuse scène de la découverte du manuscrit et de son fonctionnement narratif permet de mettre au jour plusieurs caractéristiques essentielles de la pseudo-traduction. Tout d’abord, celle-ci présente un lieu très fort avec l’intertextualité : « [b]ien qu’il se pose comme un enfant trouvé, le texte pseudo-traductif est en réalité pourvu de tout un arbre généalogique » (p. 34). Ensuite, le procédé tel qu’il est utilisé par Cervantès n’est pas cantonné au paratexte : il fait partie intégrante de l’intrigue, un peu comme la contrainte lipogrammatique dans Ella Minnow Pea – a Novel in Letters, roman oulipien de Mark Dunn. Et qu’importe si le dispositif littéraire est visible ou non : il conserve toute sa force et sa pertinence symboliques. Enfin, la pseudo-traduction vient questionner la notion d’original et donner « les pleins pouvoirs à l’acte …

Appendices