Volume 39, Number 1, Fall 2007 Le verset moderne Guest-edited by Nelson Charest
Table of contents (13 articles)
Études
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Aux sources du verset moderne : le verset chez Lamennais, entre exégèse et invention
Guilhem Labouret
pp. 13–24
AbstractFR:
D’où vient le verset moderne ? Comment Lamennais a-t-il pu choisir cette forme essentiellement biblique pour rédiger Paroles d’un croyant en 1834 ? C’est sa fonction de témoignage que semble tout d’abord trouver Lamennais dans le verset. Mais ce sera surtout sa fonction poétique qui se révélera au fond la plus intéressante. Parce qu’il ouvre la poésie sur un au-delà du vers et de la prose, et qu’il offre un retour salvateur à une parole originelle, le verset mennaisien joue un rôle de libérateur de la langue, faisant éclater tous les carcans formels de la poésie romantique.
EN:
Where does modern long verse come from ? Why did Lamennais choose this biblical form for his Paroles d’un croyant, in 1834 ? He seems to first have been attracted by the testimonial function of the long verse. But it was the poetic function that revealed itself to be the most interesting, Lamennais raised the long verse above the conflict between poetry and prose, and sought a salvational return to an original Word. His long verse liberates language and breaks free of the generic constraints of Romantic poetry.
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Le rôle du verset lors de la transition du grand poème au petit poème en prose, dans les années 1830-1840 en France : pertes et profits
Carla Van den Bergh
pp. 25–41
AbstractFR:
Dans les années 1830-1840, la poésie biblique connaît une recrudescence en France. Durant ces mêmes années, la poésie en prose aboutit à la cristallisation du petit poème en prose, comme l’a montré Nathalie Vincent-Munnia. De la rencontre de ces deux tendances dérive déjà le poème en prose biblique, dont Christian Leroy a exposé la tradition de simplicité depuis Télémaque. La nouveauté réside dans l’attention portée au verset comme forme possible du poème en prose, dans la tradition du poème en prose biblique, mais aussi dans les tâtonnements formels et critiques autour du petit poème en prose. Le verset parvient-il à s’imposer comme forme inédite d’un genre nouveau de poème ? Ou son usage doit-il s’inscrire exclusivement dans le genre du grand poème ? N’est-il pas voué par son origine à porter des connotations éthiques pouvant être reversées à un usage polémique ou politique ? Une quête du verset se fait jour à cette époque. Dans la pratique, le verset se définit, d’une part, par le parallélisme, dans les pastiches bibliques, et, d’autre part, par un rythme hérité de la prose nombreuse, dans des oeuvres qui le marquent cependant de leur sceau didactique. Dans la critique littéraire, le verset apparaît comme une catégorie opératoire destinée à mettre en valeur un nouveau type de petit poème en prose. Identifié comme une forme brève et rythmée, le verset va dépendre, pour sa consécration, de l’évolution des genres de niveau supérieur.
EN:
Biblical poetry experienced a revival in France in the years 1830-1840. During these same years, “prose poetry” brought about the crystallization of the “petit poème en prose” (small prose poem), as Nathalie Vincent-Munnia has shown in her work Premiers poèmes en prose. These two trends converged and gave rise to the “poème en prose biblique” (biblical prose poem). Christian Leroy in his La poésie en prose française du XVIIe siècle à nos jours has discussed the simplicity of such a style of biblical prose since Telemaque. The importance of Leroy’s study stems from its focus on the “verset” as a possible “poème en prose” form both within the biblical prose poem tradition and from the vantage point of recent scolarship on the small prose poem. In this context, can one argue that the “verset” has managed to impose itself as the structure of a new type of poem ? Or is its use to be understood necessarily within the context of the “grand poème” tradition ? Could it be argued that its origins inevitably lend it an ethical connotation associated with polemical and political aims ? A quest for the “verset” is undertaken in the 1830’s. In practice, the “verset” is defined, on the one hand, by parallelism in biblical pastiches, and on the other hand, by a rhythm inherited from poetical prose, in works that infuse it, however, with didactical considerations. In literary criticism, the “verset” is invoked as a category designed to highlight a new type of “small prose poem”. Labelled as a concise rhythmic structure, the “verset” would depend on the evolution of higher-level genres for its consecration.
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Le verset et la tentation des alexandrins. L’écriture poétique de Péguy à un moment charnière : 1911
Romain Vaissermann
pp. 43–56
AbstractFR:
Un lecteur attentif à l’intertextualité qui est à l’oeuvre dans la trilogie des Mystères de Jeanne d’Arc, largement inspirés de la Bible et de la liturgie catholique, doit appeler « verset » leur forme poétique. Ce dernier règne en seul maître dans Le porche du mystère de la deuxième vertu. Il y est étudié pour sa ressemblance avec le vers. Quel est le nombre des dodécasyllabes au sein des versets ? Péguy adopte-t-il une stratégie d’évitement de l’alexandrin ? L’auteur du Porche n’a pas dû aller au-delà de l’imitation du style biblique pour conquérir la liberté rythmique de son écriture.
EN:
A careful reading of intertextuality in the Mysteries of Joan of Arc — wich was influenced by the Bible and Catholic liturgy — reveals that the poetic form of this trilogy is similar to the verset. The verset plays a predominant role in The Portal of the Mystery of Hope. We shall study it for its likeness to verse. How many dodecasyllabic lines can be found in the versets ? Does Peguy deliberately avoid the alexandrine ? The author of The Portal did not need to distance his style from that of the Bible in order to attain rhythmic freedom in his writing.
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Défaillances du verset. Réflexions à partir de Jean Grosjean
Jean-François Bourgeault
pp. 57–67
AbstractFR:
Comment distinguer le verset du vers libre ? Comment le distinguer de la prose ? Suspendu entre ces deux catégories qui souvent se l’annexent et en effacent le nom, le verset apparaît sur la carte moderne du vers comme une réalité intersticielle, hantée par son aspect volatile, presque impossible à isoler à l’état pur. Loin de vouloir combler ce vide d’essence, cet article voudrait interroger le sens qu’il pourrait prendre dans la modernité qui est la nôtre. Chez Jean Grosjean, notamment, c’est le verset qui sert d’icône prosodique au « dieu en perdition » : l’épuisement de la voix qu’entraîne souvent sa récitation recoupe l’ontologie d’un dieu défaillant, dont l’expiration est le principal mode d’existence. « Verset » n’est donc pas seulement le nom d’un type de vers, c’est aussi la proposition d’une forme de pensée historique dont on cherche ici à interroger la fécondité.
EN:
What distinguishes the “verset” from free verse ? From prose ? Barely existing, located between these two categories, the “verset” has always been understood as an elusive verbal reality, almost impossible to isolate in itself. Instead of trying to fill this void by a strict definition, we would like here to question its significance. What can it reveal about modernity ? In Jean Grosjean’s work, for instance, the “verset” can be viewed as the prosodic icon of the “waning god” : exhausted by the reading of highly charged “versets”, the reader, his voice nearly gone out, is often in a condition where he can experience the very true nature of the failing god, who is, in Grosjean’s view, in a perpetual state of expiring. Thus “verset” is not only a term designating a certain type of verse. It also constitutes a possible form of historical thought, as we would like to suggest in conclusion.
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Modernité générique et usages formels du verset dans Les atmosphères de Jean-Aubert Loranger
Luc Bonenfant
pp. 69–81
AbstractFR:
Cet article s’intéresse au verset dans Les atmosphères afin de montrer que celui-ci fonde un procès d’échange générique alors inédit dans la littérature québécoise. L’examen successif des trois parties du recueil révèle que le verset est une forme labile qui permet à l’auteur d’affirmer le sens moderne de son entreprise. Grâce à l’alternance qu’il produit entre les silences des blancs et le souffle court de la parole, le verset dit en définitive le pouvoir poétique de la prose. Sur le plan formel et typographique, il installe une modernité esthétique qui permet au livre d’échapper à toute tentative de classification.
EN:
This article examines the long verse form in Les atmosphères in order to show that it lays at the heart of a process of generic transfer that was unprecedented in Quebec literature. Successive examination of the three parts of the collection reveals that long verse is a form by which the author affirms the modernity of his project. The alternation of silence and speech produced by long verse ultimately confirms the poetic power of prose. On a formal and typographical level, long verse establishes an aesthetic modernity that defies all attempts at classification.
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Une forme paradoxale : le verset claudélien dans Tête d’Or
Michèle Aquien
pp. 83–92
AbstractFR:
La forme élue par Claudel a été nommée verset — lui parlait de vers. Elle se caractérise par une typographie qui rappelle celle du vers, la division extrême, la grande diversité de longueur d’un verset à l’autre, sans régularité métrique. La coupure se fait ou non sur une articulation logique ou sur un suspens. La recherche est celle de la variation, de l’émotion et de la discontinuité. Claudel joue ainsi entre deux règnes : entre langue écrite et langue parlée, mais aussi entre vers régulier et prose. Adaptée à ses désirs de liberté, de souffle et de mouvement, cette forme n’est pas inventée par lui, mais il se l’est appropriée. C’est ce qui permet, malgré toutes les réserves théoriques, de parler de verset claudélien.
EN:
The form chosen by Claudel as been named “long verse”, but for him, it was only verse. Typographically similar to verse, with its final line break, long verses are of variable length and do not show metric regularity. Line endings may or may not correspond to logical divisions or pauses. The main goals are variation, emotion, and discontinuity. In this way, Claudel played off of different modes : the written and the spoken, but also regular verse and prose. Though he did not invent the form, Claudel adopted it and adapted it to his quest for liberty, rhythm and movement. In this sense, and despite theoretical reservations, one may speak of the claudelian long verse.
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Le verset : entre le vers et le paragraphe
Ildikó Szilagyi
pp. 93–107
AbstractFR:
Cet article s’interroge sur les caractéristiques formelles du verset moderne, considéré comme une forme intermédiaire entre le vers libre et le poème en prose. Dans un premier temps, l’auteure s’intéresse à la composante graphique des versets (la typographie et la ponctuation). Elle aborde ensuite la question controversée de la « survie » de la tradition métrique dans la poésie moderne. Pour finir, elle s’efforce de montrer comment l’unité du verset est assurée par son organisation rythmique, phonétique et syntaxique. Une place importante est accordée aux constructions parallèles et répétitives participant à l’organisation structurelle des poèmes. Les analyses portent sur les recueils de Claudel, Saint-John Perse et Senghor.
EN:
In the present study we propose to describe the formal characteristics of the modern verset, considered as the cross-over point between vers libre and the prose poem. Firstly, the fundamental typographical problems are summarized briefly. Then the controversial question of the “survival” of the tradition in the modern poetry is discussed. Finally, we examine how the unity and cohesiveness of the verset are ensured by its rhythmic, phonetic and syntactical organisation. Particular attention is called to repetitions and parallelism. We analyse the volumes of poetry by Claudel, Saint-John Perse and Senghor.
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Verset et déstabilisation narrative dans la poésie contemporaine
Antonio Rodriguez
pp. 109–124
AbstractFR:
La poésie française, dès 1980, permet d’interroger les variations historiques du verset et ses actualisations les plus récentes. Si une indétermination marque d’emblée cette forme, il apparaît progressivement que la porosité entre vers et prose engage une déstabilisation manifeste des identités discursives en poésie. Ainsi se détache-t-on de la seule structuration lyrique du verset pour l’associer à la trame narrative. Le verset contemporain favorise l’entrelacement des discours davantage que leur distinction. C’est ce que montrent les études sur la narrativité déceptive chez James Sacré et Olivier Barbarant, ainsi que sur la dimension épique chez Hervé Micolet.
EN:
The verset and discursive instabilities in contemporary French poetry since 1980 invite reflection on the historical variations of verse and its most recent actualizations. If an indeterminacy marks this form from the start, it gradually becomes clear that porosity between verse and prose destabilizes discursive identities in poetry. Thus the primarily lyric structure opens itself to narrative modes. The contemporary verset favors the interlacing of discourses, rather than their strict separation. This can be seen in the deceptive narrativity in works by James Sacré and Olivier Barbarant, as well as in the epic dimension of Hervé Micolet’s poetry.
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L’ouverture du verset
Nelson Charest
pp. 125–139
AbstractFR:
Cet article est divisé en deux parties : une première où nous faisons un survol des définitions du verset, afin de montrer que celles-ci s’orchestrent autour de deux enjeux, la finale et l’alinéa ; et une seconde où nous étudions quelques incipit de cinq poètes qui ont écrit en versets, soit Claudel, Segalen, Saint-John Perse, Senghor et Glissant. Nous voulons ainsi démontrer l’importance de « l’ouverture » du verset dans sa définition.
EN:
This article is divided into two parts : first, we review definitions of the long verse and show that they revolve around two main phenomena : the ending and the indented line. Secondly, we examine some incipit from long verse poets, such as Claudel, Segalen, Saint-John Perse, Senghor and Glissant. In this way, we hope to show the prime importance of the “opening” for the long verse’s definition.
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Si verset il y a…
Benoît Conort
pp. 141–147
AbstractFR:
Partant des définitions de différents dictionnaires, l’article analyse la perception contemporaine du verset du point de vue du critique comme de l’écrivain, et présente quelques définitions possibles de cet objet peu saisissable qui tiendraient compte de sa spécificité plutôt que de son assimilation tantôt au vers, tantôt à la prose.
EN:
Taking dictionary definitions as its starting point, this article seeks to analyse contemporary perceptions of long verse by both critics and writers. It offers some other possible definitions of this uncertain object by considering his specificity rather than its likeness to verse or prose.
Analyses
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L’Hérodiade de Mallarmé à travers la figure revisitée de saint Jean-Baptiste
Catherine Boschian
pp. 151–166
AbstractFR:
Mallarmé se démarque des écrivains qui traitent le thème d’Hérodiade en faisant de Jean-le-Baptiste la figure centrale d’une oeuvre inachevée, où le « Cantique de saint Jean » devient le Symbole de son esthétique. Les fragments d’Hérodiade, fruits d’une longue gestation, sont le théâtre où s’affrontent drame religieux et drame poétique dans une quête spirituelle qui voit triompher le génie poétique. Ce dernier éclôt avec l’effacement du poète. Subsiste une religion sans Dieu, qui participe à l’avènement d’une poésie conçue comme reconstitution.
EN:
Mallarmé distinguishes himself from other writers who treat the theme of Herodiad by making John the Baptist the central figure of an unfinished work, in which the “Cantique de saint Jean” becomes the symbol of his aesthetic. The fragments of Herodiade, which result from a long preparation, are the stage upon which religious and poetic dramas enter into conflict in a spiritual quest, in which the poetical genius triumphs, at the same time as the poet disappears. What remains is a godless religion that brings about the advent of a poetry conceived as a reconstitution.
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Les ymagiers fin-de-siècle
Valérie Granjean
pp. 167–185
AbstractFR:
La poétique des symbolistes, qui place l’idée au centre d’une symbolique verbale exigeant du lecteur une herméneutique à la fois intellectuelle et sensuelle, s’inspire de l’art mystique des ymagiers tailleurs de pierre et des moines poètes de l’antiphonaire. Ce recours à une conception mystique de l’art ne fait pas pour autant l’économie de la matière dont elle se veut aussi l’herméneute. Malgré les accusations d’archaïsme que cette poétique eut à subir de la part de l’idéologie progressiste de la IIIe République, elle rejoint les avancées les plus neuves de l’épistémologie du temps : dans leurs légendes dorées, les symbolistes envisagent la matière verbale comme une transformatrice aléatoire d’énergie.
EN:
The symbolists’s poetics, which places the idea at the centre of a symbolic word-system that demands of the reader both a physical and an intellectual interpretation, is inspired by the mystical art of the ymagiers stone-cutters and by the antiphonic poetry of monastic prayers. This recourse to a mystical conception of art does not, however, lead to the omission of physical matter that, to the corpus, it seeks to illuminate. Though it was considered archaic by the progressive ideology of the Third Republic, it converges with the most recent epistemological advances of the time : in their golden legends, symbolists conceive word-matter as transmuting into random energy.