Volume 37, Number 2, Spring 2006 Les bibliothèques médiévales du XIXe siècle Guest-edited by Luc Bonenfant
Table of contents (12 articles)
Études
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Entre le livre et le rêve. Les paysages médiévaux de M. de Marchangy
Alain Guyot
pp. 17–29
AbstractFR:
Le paysage médiéval se présente comme un thème particulièrement intéressant pour étudier la manière dont le XIXe siècle se projette dans le Moyen Âge : lieu vide, erratique ou lacunaire du point de vue des sources, il est apte à se remplir de fantasmes. Marchangy, l’un des promoteurs d’une littérature descriptive d’ambiance médiévale et sans ambition historienne, reconstruit ainsi le paysage médiéval à partir d’une bibliographie aussi gigantesque qu’éclectique, mais aussi et surtout en exaltant le recours à un imaginaire nouveau qui investit le champ laissé libre par les lacunes de celle-ci. S’y projette une esthétique romantique qui influence peut-être encore notre propre vision du Moyen Âge.
EN:
The medieval landscape seems like a particularly interesting theme from which to study the ways in which the 19th century projected itself onto the Middle Ages : either empty, erratic or incomplete, depending on the source, the landscape invites creative reconstructions. Marchangy, one of the promoters of a descriptive literature that puts in place a medieval environment with no real historical ambition, rebuilds the medieval landscape by taking as his starting point a bibliography that is as gigantic as it is eclectic. He then leaves his imagination free reign to fill in the gaps left by the documentary lacunae. A romantic aesthetic thus arises from his work which may still influence our own vision of the Middle Ages.
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Chateaubriand et le cloître du temps. Disparition de la bibliothèque dans la Vie de Rancé
Étienne Beaulieu
pp. 31–41
AbstractFR:
Romantique hanté par le classicisme de Massillon ou de Bossuet, exilé dans le siècle des révolutions mais se rêvant à l’époque de Louis XIV, Chateaubriand n’a d’ancrage que dans un Moyen Âge dont l’intertexte fait défaut. S’il n’a cessé de prendre le Grand Siècle pour modèle, il n’en demeure pas moins une ambiguïté irréductible dans son rapport au siècle classique, qui fait d’une part office d’écran sur lequel il peut projeter sa non-coïncidence au XIXe siècle, mais qui d’autre part, dans le sens second de l’expression, fait écran au Moyen Âge dans lequel il entend ancrer sa légende de façon tacite et aussi inaperçue que Rancé réformant la Trappe en regard des prescriptions médiévales de l’ordre cistercien.
EN:
As a romantic haunted by the classicism of Massillon or Bossuet, exiled in a century of revolutions but envisioning himself in the age of Louis XIV, Chateaubriand is at home only in the Middle Ages, even though the intertext is lacking. Though he never ceased to use the « Grand Siècle » as a model, an irresolvable ambiguity remains in his relationship to the « siècle classique ». On the one hand it acts as a screen onto which he projects his « non-coincidence » with the 19th century, and on the other it obscures the period of the Middle Ages in which he wants to discreetly set his legend.
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Musset, les romantiques et le Moyen Âge. Les enjeux d’une querelle
Gilles Castagnès
pp. 43–61
AbstractFR:
L’influence de l’époque médiévale dans l’oeuvre d’Alfred de Musset (1810-1857) est loin d’être négligeable. Dès son plus jeune âge, en effet, l’auteur est plongé dans les récits de chevalerie et il se forge une image idéale et féerique du Moyen Âge, bien présente dans son oeuvre dramatique notamment. Dans plusieurs textes, cependant, Musset dénonce l’engouement des romantiques pour cette époque : il expose ses griefs, qui se situent tant sur le plan idéologique que sur un plan strictement littéraire. Voulant préserver sa propre vision de la littérature, de l’art et du Moyen Âge, Musset choisit alors, comme souvent, la voie de la dérision ; mais il plaide aussi, de manière beaucoup plus inattendue dans le contexte des années 1830, en faveur d’un retour à une forme pure de la tragédie qui devrait puiser ses sujets dans le Moyen Âge national.
EN:
The influence of the Middle Ages on the work of Alfred de Musset (1810-1857) is far from being negligible. Indeed, from childhood the author submerged himself in tales of chivalry and created for himself an ideal and fairy-like picture of the Middle Ages, which is particularly perceptible in his dramatic works. In several texts, however, Musset denounces the romantics’ infatuation with that age : he reveals his concerns both on an ideological level and on a strictly literary level. In an attempt to preserve his own vision of literature, of art and of the Middle Ages, Musset then chooses, as frequently before, a tone of derision ; but he also pleads, in a much more unexpected way in the context of the 1830s, in favour of a return to a pure form of tragedy that should draw its themes from the country’s medieval past.
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Aloysius Bertrand. Les prismes historiques et grotesques du Moyen Âge
Luc Bonenfant
pp. 63–74
AbstractFR:
Le Moyen Âge constitue un thème de prédilection dans Gaspard de la nuit, dont la fonction ne se réduit pas à celle d’ornement. En effet, le Moyen Âge y représente plutôt un lieu de réflexion du monde qui permet à l’auteur de formuler un commentaire désenchanté sur sa propre époque. En s’intéressant plus particulièrement aux échos existants entre l’oeuvre d’Aloysius Bertrand et celles de Barante et de Rabelais, cet article montre que l’auteur romantique élabore un rapport historique et grotesque au monde qui ouvre directement la voie à une culture où le Livre se trouve désormais envisagé comme seul espace possible de vérité.
EN:
The Middle Ages is a privileged theme in Gaspard de la nuit. Its function goes beyond the thematic in order to operate as a reflection of the world, which in turn allows the author to elaborate a disillusioned commentary on his own times. This article deals with the links between Aloysius Bertrand’s texts and those of Barante and Rabelais in order to show that the Romantic writer constructs a historical and grotesque view of the world that opens the way to a culture in which the Book is thought of as the only possible avenue of truth.
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Lecture aujourd’hui de Notre-Dame de Paris
Nelson Charest
pp. 75–86
AbstractFR:
Le présent article tente de montrer que Victor Hugo, dans Notre-Dame de Paris, réactualise le Moyen Âge par un travail sur la signifiance et la présence. Nous établissons d’abord que l’écrivain romantique cherche à retracer une « geste » médiévale conservée par les monuments qu’il fréquente et crée ainsi un lien entre l’art architectural et la littérature. Nous cherchons à voir comment l’écrivain, fort du lien entre ces deux espaces, construit la vérité de son discours sur le Moyen Âge, par un ancrage dans son présent et son lieu. Nous voulons ainsi montrer que Hugo superpose les moments de l’histoire afin de révéler un âge de transition.
EN:
This article attempts to show that Victor Hugo, in Notre-Dame de Paris, actualizes the Middle Ages by reworking the significance of the historical dynamic. First, we explain that the romantic writer tries to revive the medieval past preserved by ancient monuments and to create thereby a link between Architecture and Literacy. Afterwards, we’ll see how Hugo gives a convincing form to his Middle Ages, by rooting it a contemporary discourse. We want to show how the romantic poet superimposes historical moments in order to represent an age of transition.
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Écrire la voyance. Présence de Dante Alighieri dans Les proscrits de Balzac
Maxime Prévost
pp. 87–98
AbstractFR:
Cet article s’intéresse à la représentation que fait Honoré de Balzac de Dante Alighieri dans sa nouvelle Les proscrits (1831). Balzac donne vie au plus grand poète de l’époque médiévale pour rappeler à ses lecteurs que l’écrivain de génie tient nécessairement du voyant. Le Poète véritable serait celui dont la faculté de seconde vue lève le voile, ne serait-ce que partiellement, sur les mystères métaphysiques de la création. On suggère en conclusion que, par le choix du titre général de Comédie humaine, Balzac se réclame implicitement de l’autorité de Dante pour écrire une oeuvre visionnaire et mystique.
EN:
This paper studies the representation of Dante Alighieri in Balzac’s short story Les proscrits (1831). Balzac summons the greatest medieval poet in order to remind his readers that a writer of genius is necessarily something of a seer. The true Poet is endowed with the gift of second sight, which enables him to partially unveil the metaphysical mysteries of creation. The conclusion suggests that, by his choice of the general title La comédie humaine, Balzac implicitly uses Dante’s authority to justify the writing of a visionary and mystical work.
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Renaut de Montauban ou Les quatre fils Aymon. De la Bibliothèque bleue aux scènes populaires parisiennes du XIXe siècle
Florence Naugrette and Jean Maurice
pp. 99–112
AbstractFR:
Dans le corpus de la littérature médiévale connue du public dans la première moitié du XIXe siècle, c’est l’épopée Renaut de Montauban ou Les quatre fils Aymon qui connaît la fortune la plus grande au théâtre. Transmise notamment par la Bibliothèque bleue, elle est devenue une légende vivante dans la mémoire collective. Transposée parfois très librement sur les scènes populaires, elle prête ses motifs héroïques et merveilleux au goût du spectaculaire, au prix d’une altération des textes initiaux : sollicitée pour traiter de la légitimité du pouvoir, de l’existence du mal, de la condition féminine ou de la décadence de l’aristocratie, la légende sert moins à faire connaître le Moyen Âge qu’à tendre aux contemporains un miroir du XIXe siècle.
EN:
The epic Renaut de Montauban ou Les quatre fils Aymon was staged more often than any other medieval work during the first half of the 19th century. Published in the « Bibliothèque Bleue », it became a living legend in popular imagination. With its heroic and supernatural motifs, the epic lent itself to spectacular productions, which on the popular stage sometimes lead to a freely adapted rendition of the original text. Renaut de Montauban was used to address issues such as the legitimacy of power, the existence of evil, the condition of women and the decadence of the aristocracy ; the legend was not so much used to present the Middle Ages as to hold up a mirror to the 19th century audience.
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Tristan Corbière lecteur de François Villon
Olivier Parenteau
pp. 113–131
AbstractFR:
La critique corbiérienne est unanime : il existe une parenté entre l’oeuvre poétique de François Villon et Les amours jaunes (1873) de Tristan Corbière. Cependant, cette filiation sans cesse affirmée n’a jamais été étudiée par les commentateurs, qui ne se sont occupés de l’esthétique de Corbière par rapport à celle celle de Villon que d’une manière très superficielle. Corbière s’approprie-t-il l’héritage poétique légué par Villon sans le détourner ou pour éventuellement le transformer ou le bousculer ? L’objectif de cet article est de proposer une première analyse détaillée des enjeux et des figurations de ce dialogue aux plans prosodique, thématique et générique.
EN:
Corbière’s critics are unanimous : there is a relationship between the poetic work of François Villon and Les amours jaunes by Tristan Corbière. Nevertheless, this relation, though ceaselessly reaffirmed, has never been thoroughly examined by previous research, which limits itself to a rough outline of Corbière’s aesthetics in regards to that of Villon. Does Corbière appropriate Villon’s poetic heritage without altering it, or does he aim, rather, to transform or oppose it ? The purpose of this article is to offer a detailed analysis of the issues and representations in this debate, focusing on aspects of prosody, theme and genre.
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Le Moyen Âge dans l’oeuvre de Maupassant. Histoire, légende, poétique.
Noëlle Benhamou
pp. 133–149
AbstractFR:
Guy de Maupassant a entretenu une relation ambiguë avec le Moyen Âge, qui l’a fasciné dans sa jeunesse au point qu’il y fit référence dans plusieurs poèmes et qu’il le prit pour cadre d’un drame historique en vers : La trahison de la comtesse de Rhune. Écrivain confirmé, il discrédite l’époque médiévale dans ses chroniques et ses contes, la représentant comme une période pleine de légendes stupides et d’obscurantisme religieux et l’exploitant comme un repoussoir et une source de comique et de parodie. Cependant, sa poétique s’est imprégnée du Moyen Âge et ses récits courts sont héritiers du fabliau, de la farce et de la sottie.
EN:
Guy de Maupassant developed an ambiguous attitude to the Middle Ages, a period which fascinated him so much in his youth that he mentioned it in several of his poems and chose it as the topic of a historical play : La trahison de la comtesse de Rhune. As an experienced writer, he discredited the medieval times in his chronicles and tales, describing the period as full of stupid legends and religious obscurantism and using it as a foil and a source of comedy and parody. However, his poetics is steeped in the Middle Ages and his short stories are heirs to the fabliau, the farce and the sottie.
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De la légende moderne à La légende dorée. Quand rêver, c’est refaire
Véronique Cnockaert
pp. 151–167
AbstractFR:
Cette étude saisit la place exacte qu’occupe La légende dorée de Jacques de Voragine dans le roman Le rêve d’Émile Zola. Toujours cité comme le texte phare et nourricier du roman, La légende dorée fonctionne dans l’économie narrative de l’oeuvre zolienne à l’intérieur d’un triple système généalogique en fonction duquel le personnage principal construit son identité et son destin. Mis en relation avec la fresque du grand commerce parisien qu’est Au bonheur des dames, le roman Le rêve déploie de manière originale et inattendue son rapport à l’archive médiévale.
EN:
This study seeks to determine the importance of Jacobus de Voragine’s The Golden Legend to Emile Zola’s Le rêve. Constantly referred to as the text that nourished Zola’s narrative project, The Golden Legend plays a role in the triple genealogical network through which the main character constructs his identity and determines his destiny. Contrasted with Zola’s painting of the Parisian world of commerce in Au bonheur des dames, the novel Le rêve reveals the author’s relationship to medieval documents in an original and unexpected light.
Analyse
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Fiction au conditionnel. L’essai romanesque de Jean Echenoz
Oana Panaïté
pp. 171–182
AbstractFR:
Représentatif, par son caractère hybride, d’une tendance essayiste dans la prose narrative contemporaine, Un an de Jean Echenoz propose un discours double : d’une part, la fiction ou la représentation du monde, de l’autre, l’investigation ethnologique et la réflexion sociologique. Inspiré par les effets sociaux des arrêtés anti-mendicité de 1996, le roman déplace l’accent du récit d’événements vers le récit de pensées et le commentaire. Le regard « en négatif » qu’adopte le narrateur dissipe l’illusion romanesque et étend l’espace qui entoure le discours de la fiction, transformant l’oeuvre en un « essai romanesque ».
EN:
The hybrid form espoused by Jean Echenoz’ Un an represents a major trend in contemporary French fiction. Its narrative offers a twofold discourse : both a plot-driven story seeking a realistic representation of the world and an ethnological inquiry fueled by social commentary. The novel, initially inspired by the 1996 anti-mendicity laws, gradually shifts the emphasis from the depiction of events to the presentation of the characters’ thoughts and narrator’s comments. The narrator operates from a « negative » perspective, which demystifies the illusion of reality while expanding the space around the fictional world ultimately transforming it into a « novelistic essay ».