Volume 55, Number 2, 2019 Écrire après le cinéma Guest-edited by Jan Baetens and Nadja Cohen
Table of contents (10 articles)
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Présentation : écrire après le cinéma. Que fait le cinéma aux genres littéraires ?
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Genre romanesque et romanesque cinématographique : un désir de blockbusters et de cinéma de genre dans le roman contemporain français
Fabien Gris
pp. 13–27
AbstractFR:
On a l’habitude d’évoquer un retour du romanesque pour qualifier la littérature narrative française depuis les années 1980. Ce retour a été favorisé, entre autres, par un tropisme du roman vers le cinéma, et notamment vers ses genres populaires. La question du genre littéraire et celle du cinéma trouveraient un point d’intersection dans cette notion de « romanesque », comprise dans ses deux sens : ce qui relève du genre du roman et ce qui relève d’un certain foisonnement fictionnel. Néanmoins, pendant trente ans, ce retour au romanesque s’est effectué de façon critique ou distanciée, comme si l’objet demeurait toujours partiellement suspect. Or nous faisons l’hypothèse d’une récente modification de perspective. Cette voie serait le fait d’une partie de la nouvelle génération d’écrivains, qui semble aujourd’hui se tourner notamment vers le cinéma de genre et l’imaginaire des blockbusters hollywoodiens pour nourrir sa quête romanesque. « Quête », car la particularité de ce nouveau romanesque est qu’il s’énonce sous la modalité du désir, du fantasme, objet visé mais jamais pleinement atteint. Magie industrielle de Patrice Blouin et L’étoile du Hautacam de Pierric Bailly sont des oeuvres représentatives de ce nouveau désir de romanesque placé sous l’influence du blockbuster contemporain.
EN:
Since the 1980’s, it has become commonplace among critics to evoke the return of the romanesque, or fiction, in narrative French literature. This return has been fostered by an attraction towards cinema, particularly in its popular forms. Literary genre and cinema come together under the notion of the romanesque, which can be understood as what emanates both from the novel’s genre and from a sort of fictional profusion. Nevertheless, for the last thirty years, its return has been conducted in a critical way; we hypothesize that there has been a recent change in perspective, influenced by a new generation of writers who are turning to genre film and the imaginary world of Hollywood blockbusters to nurture their quest of the romanesque, which, nevertheless, remains an object of desire and a fantasy, since the quest itself can never be fully achieved. In order to illustrate this recent tendency, this article will refer to Patrice Blouin’s Magie industrielle and Pierric Bailly’s L’étoile du Hautacam.
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La botte du cowboy : surexposition du cliché et sensibilité romanesque dans les romans cinéphiles de Christine Montalbetti
Morgane Kieffer
pp. 29–41
AbstractFR:
Cet article s’intéresse à la fusion d’imaginaires a priori hétérogènes, l’imaginaire littéraire et l’imaginaire cinématographique, dans deux romans de Christine Montalbetti, Western (2005) et Journée américaine (2009). En effet, ces textes s’ancrent dans un effet d’exotisme qu’ils mettent eux-mêmes en relief, en sollicitant un effet de reconnaissance de la part du lecteur. Un double principe d’étrangeté y est alors à l’oeuvre : géo-culturel d’abord, à travers la convocation de l’imaginaire américain par lequel l’auteure prend ses distances avec celui, supposé, du roman français ou parisien ; esthétique ensuite, par le biais des emprunts nombreux au cinéma populaire, aussi bien à ses motifs, son vocabulaire technique (« travelling », « plan séquence »…), qu’à son art de la composition et du séquençage. Le roman progresse ainsi en puisant dans le champ cinématographique, entre ellipses, allusions et redoublements ludiques, invitant le lecteur à mobiliser ses souvenirs de spectateur. Cette nouvelle économie romanesque s’acquitte ainsi du sceau du soupçon dont les formalismes de la fin du xxe siècle ont ravivé la marque. C’est sur la puissance figurative et les outils du cinéma que le texte appuierait donc l’élan romanesque et sa faculté de pénétration des âmes. Par ce détour intersémiotique, l’allusion cinématographique servirait l’écriture à la fois comme filtre et révélateur pour une émotion retrouvée, entre surexposition lucide du cliché et retour de la plume à l’empathie.
EN:
This article will focus on the fusion of two art forms, literature and cinema, in two novels by Christine Montalbetti, Western (2005) and Journée américaine (2009). An element of exoticism exists in the two works to the point of becoming a main theme, as the novels are built around cinematographic references. A double strangeness can thus be found at the heart of Montalbetti’s writing: the first is in a geo-cultural sense, in which the author contrasts an American imaginary with a general vision of the French (or Parisian) novel; the second sense lies in the borrowing of aesthetics from pop cinema, that is, the transcription of themes, technical vocabulary (“travelling,” “sequence-shot,”…), composition, and montage. The novel feeds on this creative energy, using techniques of reduction (allusions, references, ellipses) and emphasis (description of a movie scene, for example), requiring the reader to recall their own cinematic experiences. This hybrid writing can be seen as a way for the contemporary French novel to pay its debt to a modern soupçon (suspicion) regarding realism and the novel itself, and to renew the ways in which the novel explores human emotions and intimate experiences. Cinema could thus be considered a kind of toolbox for literature, supporting the narrative and offering new kinds of realities, including our personal realities. Because of this intersemiotical detour, writing with cinema can work both as a filter (reticence) and as an empowering literary strategy. Specifically, the use of clichés (including cinematographic clichés) becomes a renewed way to create empathy in the reader.
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Images de la femme aimée dans le cycle de Marie de Jean-Philippe Toussaint : entre roman et cinéma
Frédéric Clamens-Nanni
pp. 43–56
AbstractFR:
Avant de devenir l’une des figures de proue des Éditions de Minuit depuis les années 1980, Jean-Philippe Toussaint avait jeté son dévolu sur le cinéma, comme il l’explique dans L’urgence et la patience (2012). C’est pourtant vers la littérature qu’il s’est tourné, suivant un conseil de François Truffaut qui recommandait « à tous les jeunes gens qui rêvaient de faire du cinéma, mais qui n’en avaient pas les moyens, d’écrire un livre, de transformer leur scénario en livre » (L’urgence et la patience). Si l’écriture de Toussaint est considérée comme cinématographique par la critique, l’auteur refuse ce qualificatif parce que littérature et cinéma sont des arts distincts qui ne répondent pas aux mêmes intentions ni ne produisent les mêmes effets. Les images cinématographiques s’impriment sur une pellicule à partir de la lumière projetée sur des objets tangibles. Les images littéraires, quant à elles, sont « faite[s] de mots » (L’urgence et la patience). Le roman est le lieu où s’expérimente une nouvelle poétique de l’image qui puise ses sources dans la littérature et le cinéma ou, plus précisément, entre littérature et cinéma. En témoignent les images de la femme aimée dans le cycle de Marie. Point de mire du narrateur, l’héroïne n’est paradoxalement jamais décrite. Dans le spectacle Marie Madeleine Marguerite de Montalte que Toussaint a créé avec The Delano Orchestra à la Comédie de Clermont-Ferrand, l’écrivain a intégré des vidéos dans lesquelles l’héroïne n’est jamais visible, alors qu’il avait tourné une scène de Fuir au Louvre avec l’actrice Dolores Chaplin. Marie demeure mouvante, insaisissable. De telles images en creux ne sauraient être captées par l’objectif d’une caméra ; elles participent d’un art de la suggestion sollicitant un imaginaire syncrétique qui, entre roman et cinéma, convoque d’autres arts comme la peinture ou la photographie. Ainsi, l’écriture de Toussaint est plus visuelle que cinématographique.
EN:
Before becoming one of the leading figures of Minuit in the 1980s, Jean-Philippe Toussaint directed his efforts toward the cinema, as he explains in L’urgence et la patience (2012). He then turned to literature, following advice from François Truffaut who recommended “to all the youths dreaming of the cinema, yet having none of the necessary means, to write a book, to turn their screenplay into a book” (L’urgence et la patience). If critics consider Toussaint’s writing “cinematographic,” the author himself refuses this characterization, as literature and cinema are separate arts that do not aim for the same goals and that do not produce the same effects. Cinematographic images are printed onto film by shining light onto tangible objects. Literary images, on the other hand, are “made of words” (L’urgence et la patience). The novel is a place where one can experiment with the poetics of an image that draws from literature and cinema, or, more precisely, between literature and cinema. The images of the beloved woman in the Cycle de Marie bear witness to this “between.” Although she is the narrator’s focal point, the heroine is paradoxically never depicted. In the performance Marie Madeleine Marguerite de Montalte, which Toussaint created with The Delano Orchestra at the Comédie de Clermont-Ferrand, the author integrated videos in which the heroine is never visible, even though he had previously directed a scene from Fuir at the Louvre with the actress Dolores Chaplin. Marie remains an elusive, moving object. Such images cannot be captured by the camera’s lens; they are part of a suggestive art that requires syncretic imagery, between novel and cinema, calling forward other art forms, such as painting and photography. In this way, Toussaint’s writing is much more visual than it is cinematographic.
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Ascenseur pour l’échafaud en images fixes, Louis Malle en roman-photo
Jan Baetens
pp. 57–73
AbstractFR:
Le cinéma et la culture cinématographique ont suscité un grand nombre de genres nouveaux en littérature, dont certains sont plus renommés et surtout plus vivants que d’autres. Cet article analysera un genre très peu connu et aujourd’hui presque totalement oublié : le ciné-roman-photo, croisement du ciné-roman et du roman-photo et dont l’âge d’or se situe dans les années 1955-1965. Après avoir présenté les grandes caractéristiques de ce genre et les défis qu’il pose à la poétique du cinéma raconté, l’article analyse un exemple représentatif, à savoir deux ciné-romans-photos (l’un très court, de huit pages, l’autre de longueur plus habituelle, soit cinquante pages) tirés d’Ascenseur pour l’échafaud de Louis Malle (adapté du roman éponyme de Noël Calef). L’analyse se propose de mettre en lumière aussi bien les analogies que les différences entre ces deux versions, que tout devrait opposer mais qui se ressemblent aussi de manière assez étrange. Plus concrètement, la lecture tente d’interpréter les conséquences d’un aspect singulier de certains ciné-romans-photos, à savoir l’emploi de photos de plateau et non pas de photogrammes. Les effets de ce choix sont évalués à la lumière de l’esthétique de la contrainte, qui définit assez généralement un genre où très peu, à première vue, semble possible ou autorisé à ceux qui adaptent un film en ciné-roman-photo.
EN:
Cinema and culture have educed a large number of new genres in literature, some of which are more renowned and livelier than others. This article analyzes a little-known genre that today has almost been entirely forgotten: the ciné-roman-photo (“cinema-photo-comics”), a comic strip-style narrative using cinematic imagery, the height of which lasted from 1955 to 1965. After presenting the distinctive features of this genre and the challenges it poses to narrated film, this article will analyze two typical examples of cinema-photo-comics (one comprising eight pages and the other comprising fifty) taken from Louis Malle’s Ascenseur pour l’échafaud (adapted from the novel of the same name by Noël Calef). This analysis will bring to light their similarities and differences, as well as offer a more concrete interpretation of one aspect of cinema-photo-comics, that is, the use of stills in place of frames. The aesthetics of such a choice are evaluated through the lens of its limitations in which, at first glance, very little seems possible or permitted to the adaptation of a cine-roman-photo film.
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Du récit épique à la construction d’un ethos d’auteur : les journaux de tournage de Cocteau, Truffaut et Tavernier
Nadja Cohen
pp. 75–93
AbstractFR:
Considérés par les chercheurs en cinéma comme de simples documents éclairant la genèse d’un film, et largement ignorés par les littéraires, même dans le cadre des études sur les rapports entre l’écrit et l’écran, les journaux de tournage n’ont jusqu’à présent donné lieu qu’à quelques études ponctuelles. En raison de leur instabilité générique et de leur hétérogénéité, ils ont, en outre, rarement été envisagés comme un ensemble cohérent. Cet article explore cette question générique en analysant trois d’entre eux : le vibrant Journal d’un film écrit par Cocteau pendant le tournage de La Belle et la Bête ; celui tenu par François Truffaut sur le plateau de Fahrenheit 451, ainsi que Pas à pas dans la brume électrique où Bertrand Tavernier raconte la fabrique de son film Dans la brume électrique. Après avoir étudié l’inscription parfois malaisée de ces textes dans un contexte éditorial, cette étude met en évidence leur parenté sur deux plans : tonal d’une part, les tournages étant présentés comme des aventures collectives aux accents souvent épiques, pragmatique ensuite, en montrant que l’écriture diariste offre aux auteurs un espace privilégié d’affirmation de leur éthos de créateur.
EN:
Diaries kept by film directors throughout the shooting of their films have either been considered as mere documents by film scholars or completely ignored by literary scholars, even within the narrow frame of literature and film studies. Because these texts are of varying quality and take on numerous forms, they have seldom been envisioned as a coherent whole. This corpus will be explored through the analysis of three diaries: Jean Cocteau’s Journal d’un film, which documents the filming of La Belle et la Bête; the diary François Truffaut kept on the set of Fahrenheit 451; and Pas à pas dans la brume électrique, in which Bertrand Tavernier recounts the making of his film Dans la brume électrique. After observing the difficulties of writing and editing these texts, this article will bring to light their similarities on two separate levels: first in their tone, presenting the filmings as collective and often epic adventures, and then from a pragmatic point of view, by showing how the keeping of such diaries enables directors to shape their ethos as “auteurs.”
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Charlot, une source d’inspiration pour Henri Michaux : de la figuration de mouvements à la subversion des genres littéraires
Nathalie Gillain
pp. 95–113
AbstractFR:
Henri Michaux compte parmi ces écrivains qui, au début du xxe siècle, refusent de reproduire aveuglément les codes génériques fixés par la tradition littéraire. Cependant, il ne croit pas en la possibilité d’écrire sans être influencé par ceux-ci ; ainsi, plutôt que de feindre l’oubli, l’écrivain prend le parti d’écrire contre les genres, c’est-à-dire de les attaquer, par les moyens conjugués de la déformation expressive et du court-circuitage. Cet article montre que Michaux élabore ces procédés en se donnant, comme horizon d’écriture, le rythme trépidant du slapstick américain et, plus particulièrement, les mouvements simples mais subversifs du personnage incarné par Charlie Chaplin. En analysant des extraits de ses premiers recueils (Plume, Mes propriétés, Ecuador) à la lumière d’articles sur le cinéma écrits peu avant, nous démontrons en effet que les stratégies énonciatives mises au point par Michaux pour déjouer la reproduction des genres littéraires sont inspirées par les gestes à la fois agressifs et indifférents que Charlot oppose aux conduites réglées par les conventions sociales. Dès 1924, l’écrivain partant en guerre contre les genres s’identifie au personnage de Chaplin et multiplie impassiblement, comme lui, les gestes d’agression envers les représentants de l’ordre. À l’image de Charlot, qui fait basculer d’un coup de pied le corps d’un agent de police, l’écrivain renverse les modèles génériques en prenant la littérature par-dessus la jambe et fait ainsi de la désinvolture, sinon de l’indifférence, sa marque de fabrique : il ne s’agit pas simplement d’écrire vite, pour traduire les mouvements du corps et de la matière pensante, mais aussi de porter atteinte aux modèles littéraires par un geste impulsif, qu’on peut assimiler à une rature.
EN:
Henri Michaux is among those writers who, at the beginning of the 20th century, refused to blindly reproduce the generic conventions established by literary tradition; however, it must be noted that he did not believe in writing without their influence. Thus, rather than pretending to disregard these conventions, Michaux decided to write against them, through the combined means of expressive deformation and short-circuiting. This article will show that Michaux’s development of these methods uses both the frantic rhythm of American slapstick and, more particularly, the simple yet subversive movements of Charlie Chaplin’s prominent character, Charlot. By analysing excerpts from his first collections (Plume, Mes propriétés, Ecuador), as well as his articles on cinema, we will demonstrate that Michaux devised strategies to thwart the reproduction of literary genres that were inspired by Charlot’s aggressive and indifferent gestures against social conventions. As early as 1924, the writer identified himself with Chaplin’s character and, impassively, not unlike Charlot, continued to increase his acts of aggression against convention and order. In the way Charlot literally knocks down a police officer with a kick, the author figuratively knocks down generic conventions, thus making facetiousness his trademark.
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L’écriture et la projection : un nouveau genre dans la littérature française contemporaine ?
Marie Martin
pp. 115–133
AbstractFR:
Cet article concerne quelques romans français récents et la reconfiguration générique – entendue au sens des études cinématographiques – qu’entraînerait la notion de projection pensée comme opérateur intermédiatique. Pour étayer l’hypothèse que la projection, en tant que dispositif technique et processus psychique, fonctionne parfois comme un mode d’articulation du cinéma et de la littérature (l’écrivain comme spectateur aussi bien), il faut penser un principe d’écriture mu par l’évanescence et la hantise de figures filmiques. Cela revient à faire émerger un genre, du moins selon la théorie sémantique-syntaxique-pragmatique de Rick Altman. Il s’agit donc d’explorer l’extension et la compréhension de ce nouveau genre en le différenciant d’autres pratiques de remédiation, en analysant un corpus restreint mais susceptible de s’enrichir (de Cinéma de Tanguy Viel à Cheyenn de François Emmanuel via Le cinéma des familles de Pierre Alferi, Ni toi ni moi de Camille Laurens, Flip-Book de Jérôme Game, Western de Christine Montalbetti, Supplément à la vie de Barbara Loden de Nathalie Léger, Ils ne sont pour rien dans mes larmes d’Olivia Rosenthal…) et enfin en remontant le fil des textes théoriques et critiques qui ont déjà fait émerger l’importance des mécanismes projectifs dans l’écriture (de Marie-Claire Ropars-Wuilleumier à Véronique Campan en passant par Fabien Gris) ainsi qu’en posant quelques jalons généalogiques d’une poétique historique qui remonterait du Malheur au Lido de Louis-René des Forêts au Nouveau Roman en passant par Claude Ollier.
EN:
This paper focuses on several contemporary French novels, all written from a cinematic point of view and concerning real or imaginary films (Cinéma by Tanguy Viel, Cheyenn by François Emmanuel, Le cinéma des familles by Pierre Alferi, Ni toi ni moi by Camille Laurens, Flip-Book by Jérôme Game, Western by Christine Montalbetti, Supplément à la vie de Barbara Loden by Nathalie Léger, Ils ne sont pour rien dans mes larmes by Olivia Rosenthal…). It must therefore be asked if these novels could define a new genre, in the filmic sense of the word (according to Rick Altman): projection, both as a technological device of the cinematograph and as an unconscious psychological process, could thus describe a certain type of cinematographic anchoring of literature, a distinctive method of writing based on the interval between words and pictures – in the unreeling of a text designed like a screen, both cover and repository – for the movie figures. In order to explore the expansion of this genre, this article will distinguish it from other remediation techniques, then analyze the various texts from a semantic and syntactic point of view, adopting, finally, a pragmatic approach tracing back to previous uses of the term “projection” in literature reviews (from Marie-Claire Ropars-Wuilleumier to Véronique Campan via Fabien Gris), highlighting the genre’s literary origins pre-1990s.
Exercices de lecture
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Hubert Aquin fade out : excentration, falsification et disparition dans les derniers écrits aquiniens
François Harvey
pp. 137–157
AbstractFR:
Cet article se penche sur les derniers écrits essayistiques et télévisuels d’Hubert Aquin, où l’écrivain déploie une « esthétique de la marge » qui se manifeste tant au niveau formel de son écriture, qu’à celui de son contenu. À la lumière de son essai « Le texte ou le silence marginal » (1976), nous effectuons une lecture des deux derniers projets téléthéâtraux d’Aquin : La mort de Charité (1973) et Les plaisirs de la mort (1974). Nous y constatons que l’écriture aquinienne est principalement dirigée par trois préoccupations singulières ; d’abord une volonté de décloisonnement des pratiques artistiques, marquée par des considérations intertextuelles, intergénériques et intermédiales ; ensuite une dynamique de la falsification du sujet qui vise à l’effacement de ses caractéristiques identitaires, voire à la mise au ban de son être ; enfin un déplacement de la « fonction-auteur » (Foucault) vers le lecteur, qui mène à une conception d’inspiration teilhardienne de la relation entre l’écrivain et son lectorat, où le rôle du premier est de coaliser les lectures possibles de son oeuvre. Par l’étude des différents procédés de « marginalification » qui déterminent les derniers écrits d’Aquin, nous cherchons à démontrer que l’oeuvre aquinienne répond à un désir d’excentrement qui vise à la dynamisation du sens, à l’établissement d’un sujet écrivant d’ordre divin et à une commun(icat)ion sacrée avec le lecteur.
EN:
This article will examine Hubert Aquin’s late essays and televisual writings, in which the writer deploys an “aesthetic of the margin” that manifests itself both formally in his writing and in its content. In light of his essay Le texte ou le silence marginal (1976), we will perform a reading of Aquin’s last two teletheatrical projects: La mort de Charité (1973) and Les plaisirs de la mort (1974). We will then remark how Aquinian writing is directed principally by three preoccupations: first, a desire to decompartmentalize artistic practices, marked by intertextual, intergeneric and intermedial considerations; next, a falsification of the subject which aims to efface his identity, nay to banish of his being; finally, a shift from the “author-function” (Foucault) to the reader that leads to a Teilhardian-inspired conception of the relationship between the writer and his readership, in which the role of the former is to coalesce the possible readings of his work. By studying the different processes of “marginalification” that charactierize Aquin’s late writings, we will seek to demonstrate that his work responds to the eccentric desire for the dynamization of meaning, the establishment of a divine writing subject, and to a sacred commun(icat)ion with the reader.
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Post-colonialisme et modernité chez Louis Hémon : Nicole Deschamps et le mythe de Maria Chapdelaine
Gilles Lapointe
pp. 159–174
AbstractFR:
Les recherches de Nicole Deschamps sur Louis Hémon ont largement contribué, dès la fin les années 1960, au regain d’intérêt de la critique pour l’écrivain et son oeuvre. Depuis la publication dans Études françaises, en février 1967, de la lettre que Louis Hémon adressa à son père, en passant par Le mythe de Maria Chapdelaine, essai cosigné avec Raymonde Héroux et Normand Villeneuve paru en 1980 aux Presses de l’Université de Montréal, et la publication, cette même année, chez Boréal Express, des Lettres à sa famille de Louis Hémon, les recherches de Nicole Deschamps n’ont en effet cessé d’éclairer de l’intérieur le destin de celui qu’elle désigne comme « le fils rebelle ». Dans le contexte de la relecture du « portrait du colonisé québécois » dont le roman Maria Chapdelaine devint un enjeu dans les années 1970, Nicole Deschamps a engagé un important travail d’analyse de l’oeuvre de Hémon. Abordant les phénomènes d’aliénation culturelle, de mimétisme, de dépossession et de précarité culturelle, l’auteure décrit le roman de Hémon comme un texte « terrorisé par le discours du pouvoir ». Les travaux de Nicole Deschamps et ceux du groupe de jeunes chercheurs qu’elle réunit au cours de la décennie suivante trouvent à s’inscrire à l’intérieur de l’ouverture pluridisciplinaire plus large des postcolonial studies qui émergent à la fin des années 1970 et qui trouvent leur fondement dans l’anthropologie culturelle et les sciences sociales. Remettant en question l’usage qui a été fait du récit de Louis Hémon, la chercheuse, dont la réflexion s’inspire des Mythologies de Barthes, des travaux de Frantz Fanon et d’Albert Memmi ainsi que de la revue Parti pris, met en évidence le colonialisme culturel qui marque l’histoire de l’interprétation et de la diffusion de Maria Chapdelaine. La découverte d’un important fonds Louis Hémon à Quimper et le relevé précis que Nicole Deschamps établira des différentes fortunes littéraires du roman à l’étranger l’amèneront à considérer Maria Chapdelaine « comme un phénomène probablement unique d’anthropologie culturelle » et à l’aborder comme « un symptôme universel de la condition de colonisé ». Cette étude s’engage donc sur les traces du travail de la chercheuse et en interroge les avancées critiques et théoriques. Anticipant plusieurs travaux qui tenteront de définir une poétique postcoloniale, Nicole Deschamps livre, avec Le mythe de Maria Chapdelaine, la première étude d’envergure portant sur l’un des canons de la littérature québécoise, à une époque où les postcolonial studies restent un champ d’étude encore largement ignoré par la critique universitaire française et québécoise.
EN:
Nicole Deschamps’s research on Louis Hémon contributed greatly, in the late sixties, to the renewed interest in literary criticism of the latter. Since the publication of Hémon’s letter to his father in Études françaises in February 1967, and the simultaneous publication of two major essays in 1980, Le mythe de Maria Chapdelaine, co-authored by Raymonde Héroux and Normand Villeneuve (Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal) and the writer’s correspondence, Lettres à sa famille (Montréal, Boréal Express), Nicole Deschamps’s research has focused on the destiny of he whom she designates as “the rebel son.” In revisiting the “portrait of the colonized Québécois,” which became a main issue in Hémon’s mythical novel Maria Chadelaine in the seventies, Nicole Deschamps undertook an important analysis of the writer’s work. Addressing the phenomena of cultural precariousness, mimicry, dispossession, and alienation, the author describes Hémon’s novel as a text “terrorized by the discourse of power.” The work accomplished by Deschamps, including the group of researchers she led during the following decade, finds its setting within postcolonial studies that were emerging near the end of the 1970s and grounded in cultural anthropology and social sciences. Deschamps, whose reflection was inspired by Barthes’s Mythologies, the essays of Frantz Fanon and Albert Memmi, as well as the journal Parti pris, highlights the history of cultural colonialism that marks the interpretation and wide-spread circulation of Maria Chapdelaine. Furthermore, the discovery of an important archive on Hémon in Quimper, his native town, and a detailed statement by Deschamps regarding the different literary fortunes of the novel abroad led her to consider Maria Chapdelaine “as maybe a unique phenomenon of cultural anthropology” and to approach it as “a universal symptom of the colonised condition.” This paper will not only retrace the researcher’s main developments, but will also question her critical and theoretical standpoints. Anticipating several studies that will attempt to define postcolonial poetics, Nicole Deschamps’s Le mythe de Maria Chapdelaine is the first major study concerning one of the canons of Québécois literature, at a time when postcolonial studies remained a field largely ignored by French and Québécois academics.