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Diplômé de l’Université Paris Dauphine, ancien dirigeant et ambassadeur du Groupe Accor, Abdou Belgat est un expert international en tourisme, hôtellerie et sport. Il est le président fondateur de B.C. Consulting (www.bcconsulting.pro), et également vice-président de l’Association mondiale pour la formation touristique et hôtelière (AMFORTH) et de l’Association francophone des experts et scientifiques du tourisme (AFEST).

Abdou Belgat

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Pouvez-vous retracer les grandes lignes de votre long parcours en tourisme et hôtellerie ?

Mon long parcours dans le monde du tourisme et de l’hôtellerie peut être schématisé en plusieurs étapes. En 1967, je quitte Skikda, belle station balnéaire en Algérie, pour poursuivre mes études à Paris. J’y découvre la dimension touristique d’une grande ville, ce qui m’incite à m’orienter vers le Club Med et devenir un G.O. (gentil organisateur). J’y reste deux saisons (1970-1971), en Italie puis en Algérie, entre autres au premier Club Med, celui de Tipaza (à l’ouest d’Alger). Cela confirme ma passion et mon attirance pour ce domaine ainsi que pour la connaissance des cultures des peuples. À titre de chargé des excursions en Algérie, le Club Med me permet de découvrir et de sillonner son territoire vaste et diversifié. 

La période 1972 à 1981 ouvre vers l’univers de l’excellence au sein du mythique et légendaire palace parisien l’Hôtel Plaza Athénée. Aux côtés d’un grand humaniste et visionnaire, feu Paul Bougenaux, je poursuis une carrière dans le secteur de l’hôtellerie de luxe. Et pour cause, le Plaza a été nommé durant trois années consécutives (1977, 1978, 1979) le « meilleur palace du monde ». Le magazine américain Fairchild écrivait, quant à lui, que « The Plaza is not a hotel, it’s a way of life ».

Comme aboutissement de cette expérience, l’Université Paris Dauphine, un des acteurs de cette réussite, m’encourage alors à venir approfondir mes travaux de recherche (études supérieures) et études de cas pédagogiques sur le Plaza, qui seront enseignés dans de nombreuses chambres de commerce et universités en France et à l’étranger.

De 1982 à 1996, mon parcours dans l’hôtellerie de luxe m’attire des reconnaissances nationales et internationales : aux États-Unis, on me décerne les « Clés de la ville de Miami Beach » et la « Médaille du gouverneur de Floride » ; l’Association francophone des experts et scientifiques du tourisme, la plus ancienne institution en Europe, m’ouvre les portes, et j’en deviens par la suite l’un des vice-présidents. Enfin, c’est une période marquée par des cycles de conférences en Europe, en Afrique, au Maghreb et au Moyen-Orient.

Durant la période 2000-2015, deux moments sont importants. Le premier, je développe avec le Groupe Accor une stratégie orientée vers l’Asie et le monde arabo-musulman. Par exemple avec le royaume d’Arabie saoudite, les deux villes saintes, Makkah et Madinah, ont été définies comme objectifs prioritaires d’implantation et allaient par la suite devenir notre fer de lance dans la région du Golfe. Cette expérience, qui se poursuit sous d’autres formes, reste un des grands marqueurs de ma vie professionnelle.

Aujourd’hui, Accor est le leader mondial opérant dans les villes saintes, au Moyen-Orient, en Afrique et dans la plupart des pays arabes. C’est une fierté et un honneur d’y avoir contribué aux côtés du co-président fondateur Gérard Pelisson. Cette riche et longue expérience est reconnue et m’a permis d’être élevé au grade de « chevalier de l’Ordre national du mérite », en France.

Le second moment personnel important au cours de la période 2000-2015 est la création en 2014 de la compagnie B.C. Consulting, qui a comme mission de fournir des services de conseil, d’audit, de formation et d’investissement à l’intention des États, des grands groupes (dont Accor), ainsi que des investisseurs.

Les bénéfices cumulés de ces expériences et l’accès à un riche réseau relationnel nous ont naturellement conduits à élaborer une vision de développement pour 2025-2035, axée sur les perspectives suivantes : la création et le développement d’un « Réseau d’académies des métiers de l’hôtellerie, restauration et services » dans chacun des pays d’Afrique (54) et du Moyen-Orient (6), avec un budget prévisionnel de 110 à 120 millions USD. 

Dans ce contexte de partage et de transfert de la connaissance, j’ai rejoint l’AMFORTH en qualité de vice-président.

Qu’est-ce qui vous a marqué durant cette riche expérience de développement du tourisme ?

Le tourisme est universel, multiculturel et multidimensionnel. Sa diversité est impressionnante : du tourisme balnéaire au tourisme religieux ou sportif ou de santé, ou encore spatial, la liste est riche et longue. Le tourisme est source de richesse, de découverte et d’innovation. Il est aussi et surtout un vecteur de paix et de prospérité pour tous les pays qui ont fait de ce secteur une de leurs priorités.

Durant cette longue expérience, trois sujets importants m’ont profondément marqué :

Le premier s’articule autour de ce qui touche l’environnement. En raison de son poids et de son importance, l’urgence de traiter de ce sujet est réelle. Le nombre croissant des touristes dans le monde, bénéficiant des moyens de transport divers et accessibles à tous, se traduit par une augmentation de l’empreinte écologique individuelle. Dans le cadre d’un tourisme de masse, ou sur-tourisme, une pollution des sites touristiques visités et des aires maritimes protégées a été scientifiquement observée. Pour seule référence de cette dégradation, les cinq zones d’accumulation océanique des plastiques se situant dans le Pacifique nord, le Pacifique sud, l’Atlantique nord et sud ainsi que l’océan Indien sont submergées par des milliards de particules plastiques estimées à plus de 80 000 tonnes de déchets. La plus grande décharge flotte dans le Pacifique. Ainsi le développement d’un tourisme durable, responsable, respectueux de la nature et de la biodiversité est une première réponse non négligeable aux défis et enjeux de cette problématique de l’environnement.

Le second repose sur cette capacité incomparable et incommensurable du tourisme à évoluer et à se réinventer en permanence. À ce sujet, les nouvelles technologies au service du tourisme ont bouleversé les codes, les structures sociales et mentales du touriste. Pour avoir vécu l’introduction du numérique dans le fonctionnement de la gouvernance des grands groupes hôteliers mondiaux, c’est une véritable révolution. Du reste, la numérisation au service du management du tourisme durable a notamment fait l’objet d’un colloque organisé par l’Association internationale de management du tourisme durable (AIMTD), pilotée par Erik Leroux, lors des 11es Journées scientifiques du tourisme durable à Tahiti (Polynésie française) du 2 au 4 juin 2020.

Le troisième sujet marquant réside dans la notion du capital humain dans notre secteur d’activité. Les expériences au Plaza Athénée et au sein du groupe mondial Accor, décrites plus haut, illustrent parfaitement le rôle et la place de l’humain dans la réussite de toute organisation, indépendamment de sa taille (petite, moyenne ou grande entreprise). Ce capital humain se doit d’être avant tout parfaitement formé et capable d’offrir un service de qualité et de répondre à tous les défis inhérents aux métiers du tourisme.

Quelles leçons tirez-vous de votre expérience du tourisme en Algérie, en vue d’envisager un modèle nouveau de développement ?

L’Algérie est, de l’avis d’experts du tourisme, un très beau pays. Si l’on se réfère uniquement à sa superficie, il est le plus grand du continent africain et se classe parmi les dix territoires les plus importants du monde ; il est doté de plus de 1600 kilomètres de littoral, disposant de sites de ruines romaines dans un parfait état, de peintures rupestres intactes dans le Hoggar, d’une étendue de sable sans commune mesure et de massifs montagneux enneigés en hiver. Tout cela donne forme à un énorme potentiel touristique avec des perspectives de premier ordre pour peu que les infrastructures qui sont nécessaires à leur essor soient mises en place.

Aussi, depuis plusieurs décennies, j’ai suivi avec intérêt ce secteur et me suis impliqué à de nombreuses reprises dans des travaux de recherche et de réflexion sur les moyens à mettre en place en vue de développer le tourisme en Algérie. J’ai ainsi pu constater que pour envisager un nouveau modèle de développement du tourisme en Algérie, il faut remédier à l’absence de conviction et de volonté politique qui a prévalu, à tout le moins durant les trois dernières décennies. Pour mieux en comprendre les raisons, précisons que le premier boom pétrolier des années 1980 (guerre Iran-Irak) a vu le prix du baril tripler et le second boom des années 2008 à 2013 l’a propulsé à hauteur de 146 USD ! Dans un tel environnement économique très favorable, les différents gouvernements ont considéré la question et décidé politiquement d’écarter de leur priorité le secteur du tourisme.

Au cours de la période 2014-2021, la chute des prix oscillant entre 40 à 70 USD le baril a conduit irrémédiablement les décideurs à chercher de nouvelles solutions, en se tournant vers un nouveau modèle de développement harmonieux et durable de la destination Algérie. Sa réussite exige la mise en place d’une feuille de route claire et ambitieuse où l’engagement de la plus haute autorité de l’État est essentiel. Dans l’urgence et avec la volonté politique, le traitement de la valorisation des ressources tant humaines que matérielles, toutes deux délaissées et sinistrées en Algérie depuis l’accession du pays à l’indépendance, trouvera sans aucun doute une issue enfin positive. Tout cela est bien entendu, avec les conditions énoncées, possible et réalisable.

La réflexion sur le développement du tourisme en Algérie se poursuit d’une manière assidue depuis quelques années. En 2018-2019, le Centre d’excellence des destinations (CED) de Montréal et l’Université du Québec à Montréal ont participé à la révision du Schéma directeur d’aménagement touristique de 2008 (SDAT) et proposé un modèle nouveau du tourisme axé sur la mise en tourisme de la destination et du territoire. B.C. Consulting a aussi élaboré un document portant Vision à l’horizon 2035, proposé en février 2020 au chef de l’État algérien, Abdelmadjid Tebboune, qui n’a pas manqué de marquer son grand intérêt.

Merci Abdou Belgat, président de B.C. Consulting (Paris, France), de nous avoir accordé cette entrevue.