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REPLONGÉE DANS LE JÉSUS DE L’HISTOIREDaniel Marguerat, Vie et destin de Jésus de Nazareth[Notice]

  • Jean-Paul Michaud

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  • Jean-Paul Michaud
    Université Saint-Paul, Ottawa

L’ouvrage de cet exégète de haut niveau nous invite à replonger dans la recherche du Jésus historique, recherche qui s’est un peu essoufflée récemment. Daniel Marguerat [DM désormais] se pose, dès la Préface, en historien, reconstructeur du passé de Jésus de Nazareth, historien toujours impliqué dans ce travail de reconstruction. Cette implication soulève immédiatement la question de la pertinence du travail de l’historien croyant. Peut-il, dans sa recherche, faire abstraction de sa foi ? Ou, plus radicalement, cette recherche même n’invite-t-elle pas à rejeter cette croyance, le Jésus historique éliminant le Christ de la foi ? DM n’évite pas le problème et, dans cette préface, affirme que « le travail de l’historien n’asphyxie pas la croyance ; il participe à son intelligence et à sa structuration, et ce n’est pas un mince service qu’il lui rend (12). Il confère, en effet, de « l’épaisseur à l’humanité du Nazaréen » (12), ce qui est l’aspect charnel (Jn 1,14), historique je dirais, du mystère chrétien, l’aspect divin ne relevant pas de l’historien. Il reste que les documents, qui sont la source de ce que l’historien peut dire, laissent néanmoins percer quelque chose de ce dernier aspect, qui crée justement le mystère du personnage. DM ne s’attardera pas à cette transcendance, l’évoquant néanmoins subtilement, il me semble, dans le chapitre sur la vocation de Jésus, en rappelant à l’occasion des titres christologiques et en lien avec le surgissement du Royaume dans le présent, que si « Jésus n’a pas dit ce qu’il était, il a fait ce qu’il était » (202). L’ouvrage est divisé en trois parties : « Les commencements », « La vie du Nazaréen » et « Jésus après Jésus ». Le premier chapitre Que sait-on de Jésus ? fournit, sans débats académiques, un bon tableau de toutes les sources disponibles, soulignant, en particulier, la proximité et l’abondance des témoignages non-chrétiens et chrétiens qui parlent de Jésus et ne mettent jamais en doute son existence. Concernant l’histoire de Jésus, ce chapitre d’introduction est fondamental, puisque l’histoire ne s’écrit qu’à partir de documents et qu’elle n’est, selon le mot de l’historien Marc Bloch, repris par DM (17), qu’une « connaissance par traces ». Sur quelques points, il est permis de n’être pas toujours complètement d’accord (ainsi je ne vois pas que Mt et Lc aient voulu amender le portrait rugueux de la Source (31), puisqu’ils ont tous les deux adopté cette Source, qui, il faut s’en souvenir, n’existe pas ailleurs que dans leurs propres textes…), mais DM navigue très bien dans ces eaux qu’agitent bien des tempêtes. Notant spécialement que les évangiles canoniques, bien que documents de foi, ne congédient pas l’histoire, et que les extra-canoniques, comme ces « évangiles sauvés des sables », nous restituent « la chatoyante diversité des spiritualités chrétiennes aux origines » (36-37). Mais, grande question, comment lire ces documents ? comment rejoindre le Jésus de l’histoire à travers ces interprétations diverses de la vie et des paroles de Jésus ? Malgré les réticences actuelles concernant les critères d’authenticité, DM retient, avec raison, cinq grands critères qui permettent d’évaluer la « fiabilité historique des sources » (43). Ce n’est pas le lieu d’en discuter ici, il suffira de les énumérer : le critère d’attestation multiple (paroles et gestes de Jésus attestés en plusieurs sources indépendantes) ; critère de l’embarras (actes ou paroles de Jésus qui n’ont pu être inventés par les communautés chrétiennes en raison des difficultés qu’ils créaient) ; critère d’originalité (ce qui est propre à Jésus et absent de son milieu), mais ce dernier critère doit être joint, absolument, au …

Parties annexes