Comptes rendus

L’empire face aux Renards : la conduite politique d’un conflit franco-amérindien 1712-1738, Raphaël Loffreda. Septentrion, Québec, 2021, 336 p.[Notice]

  • Louis Lalancette

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  • Louis Lalancette
    Doctorant en histoire, Université Laval
    Membre du Groupe de recherche en histoire de la guerre (GRHG)

Entre 1712 et 1738, la Nouvelle-France est en guerre avec les Mesquakies, une nation algonquienne originaire de la baie des Puants située sur la rive ouest du lac Michigan. Ceux que les Français nomment à l’époque les Renards refusent d’intégrer l’alliance politique et économique que la France a signée en 1701 avec l’ensemble des autres nations autochtones du Pays d’en Haut. Ce conflit larvé, ponctué de phases inégales de violence parfois brutale, est remis au premier plan de l’historiographie francophone dans L’empire face aux Renards de Raphaël Loffreda. Fruit d’une décennie de recherches qui a débuté à l’Université Paris-Sorbonne avec l’obtention d’un master en histoire impériale et coloniale, Loffreda, au diapason de l’histoire coloniale, impériale, atlantique et moderne, renouvelle la manière d’appréhender la guerre comme sujet d’étude historique. Les guerres des Renards ont habituellement été abordées dans l’historiographie selon le cadre colonial, mais Loffreda les réinsère dans l’espace atlantique français. Telle une lentille capable de changer de distance focale, il positionne l’échelle spatiale de ces guerres d’abord au plus haut niveau de l’empire, c’est-à-dire là où se conçoivent les politiques concernant les Renards : dans le bureau du ministre de la Marine en métropole et du gouverneur général en colonie. La seconde échelle est celle de la Nouvelle-France où les pouvoirs locaux, ceux des colonies du Canada et de la Louisiane collaborent ou s’opposent en regard à la marche à suivre concernant la guerre contre les Renards. Enfin, le dernier niveau d’observation est celui du Pays d’en Haut où les décisions politiques s’incarnent et s’exécutent. À travers de ces trois échelles d’analyse, Loffreda s’intéresse au processus décisionnel entre la métropole et la colonie quant à la gestion politique du conflit. Selon lui, la conduite politique des guerres Renards résulte d’une élaboration atlantique. Loffreda utilise le cadre conceptuel de François-Joseph Ruggiu qui avance que les colonies participent au développement de l’État royal par une politique impériale intégrée élaborée dans le bureau des colonies. Pour l’auteur, la gouvernance des guerres Renards a été largement décidée par la Nouvelle-France, relativisant ainsi les prétentions absolutistes de Versailles qui en définit tout de même les contours. C’est donc sans surprise que Loffreda a étudié la correspondance officielle entre Versailles, le Canada et la Louisiane afin d’identifier l’évolution de la pensée politique de ces acteurs au fil de ces trois décennies de conflit. Trois parties organisent l’ouvrage de Loffreda. La première sert de pierre d’assise aux deux autres et retrace l’histoire complexe des relations entre les Français, leurs alliés et les Renards. L’auteur cherche notamment à confirmer si ces derniers ont été victimes d’une politique génocidaire de la part des Français. La seconde partie analyse les processus d’élaboration de la documentation sur laquelle s’appuient les autorités françaises pour définir leurs politiques et la manière dont elles se traduisent concrètement dans l’empire. La dernière partie, quant à elle, cherche à déterminer le poids de la colonie et de la métropole dans l’élaboration d’une ligne politique face aux Renards. La première partie du livre s’appuie essentiellement sur l’historiographie des guerres Renards. Le premier chapitre revient sur la création de l’alliance que les Français forgent avec une majorité des Algonquiens de la région des Grands Lacs à partir du milieu du xviie siècle. Reprenant les travaux de Richard White et de Gilles Havard, Loffreda souligne que cette alliance est une vraie poudrière, puisqu’elle regroupe une constellation de nations aux intérêts divergents. Ennemis historiques des autres nations algonquiennes, les Renards sont invités par les Français au début du xviiie siècle à rejoindre l’alliance. Pari risqué, car les autres membres ne sont aucunement intéressés à les intégrer craignant perdre …