Disputatio

Réponses à mes critiques[Notice]

  • Sophie Marcotte Chénard

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  • Sophie Marcotte Chénard
    Department of Political Science, Carleton University (Ottawa)

Mon livre a pour objet la fécondité du dialogue philosophique qui se noue entre deux auteurs. La confrontation des perspectives crée la friction nécessaire au raffinement ou à la révision des idées. C’est dans la continuité de cet esprit de dialogue que j’ai abordé les contributions stimulantes de mes collègues. Je tiens à adresser des remerciements tout particuliers à Daniel Tanguay, qui a rendu possible cet échange, de même qu’à la revue Philosophiques, qui accueille cette disputatio. La richesse des contributions rendra ma réponse nécessairement incomplète. Martine soulève trois questions qui me permettent de préciser trois points centraux de l’ouvrage, portant : sur le statut des discours de crise au cours de la période de l’entre-deux-guerres ; sur la conception du rationalisme chez Strauss et Aron et finalement, sur ma posture en tant qu’auteure. L’avantage comparatif de Martine — outre son intelligence hors du commun — est qu’elle possède toujours quelques années d’avance sur moi. Je lui ai plusieurs fois emboîté le pas ; même directeur de thèse de maîtrise, doctorat au sein de la même institution, avec le même directeur de thèse de doctorat, en prime. Cette fois, je l’ai en partie devancée, puisqu’elle décrit dans ses remarques, sans le savoir, le processus qui m’a conduite dans les dernières années à élaborer et poursuivre un projet de recherche sur les usages et les abus du concept de crise dans la pensée politique et sociale. Ma recherche m’a ainsi menée vers une étude des représentations et des métaphores de la crise, qui trouve d’ailleurs son point d’ancrage dans l’article de Claude Lefort sur l’imaginaire social de la crise, que Martine évoque. Peut-être a-t-elle perçu plus rapidement que moi la nécessité de prendre à revers la question de la crise et d’examiner le statut de ces discours pris dans leur ensemble. À la suite de J. L. Austin, il faut en effet se demander ce que l’on « fait », c’est-à-dire l’action qu’on accomplit, lorsqu’on diagnostique une crise. Je développe dans ma recherche une typologie des fonctions du vocabulaire de la crise, y compris la création d’un sentiment d’urgence, la mise en scène d’un rapport de forces, la légitimation d’un problème ou encore sa délégitimation. Mon livre m’a en quelque sorte naturellement conduite vers cette interrogation sur le pathos de crise comme discours, comme construit social et comme schème conceptuel. Je mobilise déjà dans l’ouvrage (p. 65-66) l’analyse du concept de crise développée par Reinhart Koselleck dans l’article rédigé pour le Geschichtliche Grundbegriffe. Si la dimension performative de la crise, c’est-à-dire les effets que produisent les discours de crise, n’est pas à l’avant-plan du propos, celle-ci est tout de même discutée. Je montre par exemple que la crise devient, au début des années 1930, un slogan autant dans les arts que dans les sciences, la philosophie et la politique, et que l’usage de ce vocabulaire permet l’expression d’un ensemble d’attitudes et d’émotions. Le concept est, on le voit bien, souvent plus prescriptif que descriptif : il engage à embrasser une vision du monde, une Weltanschauung particulière. Mais il aurait fallu aller plus loin, suggère Martine, en problématisant cet usage de la crise. La crise comme concept politique procède d’une généralisation et d’une transposition de son origine médicale. Appliquée au corps social, la métaphore de la crise se déploie sur le mode de la dénonciation de pathologies. Tout diagnostic suppose ainsi la présence d’un « docteur ». En ce sens, la mobilisation de ces discours advient sur fond de rapports de pouvoir, c’est-à-dire de prétentions diverses à offrir la « bonne » interprétation de la réalité politique et sociale par …

Parties annexes