Disputatio

Réponses à mes critiques[Notice]

  • Charles Girard

Les objections et questions soulevées par Mikaël Cozic, Théophile Pénigaud et Odile Tourneux vont au coeur du propos de Délibérer entre égaux ; elles en restituent l’ambition et en révèlent les limites. Elles portent sur cinq enjeux principaux, que je considérerai successivement : 1) les fins de l’enquête ; 2) la définition de la démocratie ; 3) les limites du vote ; 4) la conception de la délibération et 5) la forme d’une démocratie délibérative. L’enquête philosophique conduite dans Délibérer entre égaux entend défendre l’idéal démocratique contre l’accusation d’irréalisme. Cette ambition est questionnée par mes critiques sur deux points : i) l’objet exact de cette défense et ii) le sens donné à l’exigence de réalisme. La fin du raisonnement peut paraître équivoque, note tout d’abord M. Cozic : s’agit-il de défendre la démocratie contre ses critiques ou sa version délibérative contre les autres versions possibles ? Quel rapport y a-t-il entre l’idéal démocratique et ce qu’il nomme « l’idéal délibératif » ? Le livre ne distingue pas deux idéaux situés sur le même plan, mais un idéal politique, la démocratie, et les interprétations philosophiques qui en sont proposées. En effet, l’idéal démocratique ne se manifeste pas, dans la pratique, sous une forme déjà théorisée : son sens doit être élucidé, ses présupposés explicités, ses implications précisées. Défendre cet idéal contre la critique réaliste, c’est donc nécessairement en défendre une interprétation particulière, jugée plus convaincante que les autres. Le livre commence par écarter les interprétations minimalistes (I) et agrégatives (II) de la démocratie, avant de montrer qu’une interprétation délibérative originale de la démocratie permet de penser sa justification (III-IV), sa cohérence (V-VI) et sa pertinence (VII-VIII). Il est vrai que la justification de l’idéal démocratique passe, comme le relève M. Cozic, par la justification du recours à la délibération entre égaux. Cela s’explique par la nature de la justification proposée. L’ouvrage ne prétend pas fonder l’idéal démocratique, au sens d’établir l’importance des valeurs élémentaires qui entrent dans sa définition, telles l’autonomie ou l’égalité (p. 27). L’attrait d’un régime politique qui promouvrait de manière adéquate et efficace ces valeurs est tenu pour acquis. (Le livre ne répond pas, par exemple, aux objections que pourraient soulever les partisans du paternalisme ou de l’autoritarisme.) Mais cet attrait n’est pas nié par la critique réaliste à laquelle le livre entend répondre : celle-ci juge plutôt l’idéal démocratique indésirable, parce qu’irréaliste. Ce ne sont pas les valeurs qui sous-tendent la démocratie, mais les principes qui prétendent organiser les institutions politiques en fonction d’elles, qui sont accusés d’être insignifiants, incohérents et irréalistes. C’est pourquoi la question de la justification est traitée en deux temps : en proposant une compréhension des principes de l’autonomie politique et du bien commun qui résiste aux objections que leur adresse la critique réaliste (III), puis en montrant comment la délibération entre égaux peut servir ces deux principes (IV). Montrer en quel sens un gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple est concevable, et dans quelle mesure une politique délibérative peut aider à le réaliser, revient à montrer que l’idéal démocratique peut être justifié, et à quelles conditions, malgré les objections de la critique réaliste. En quel sens l’interprétation d’un idéal doit-elle être réaliste, s’interroge de son côté T. Pénigaud ? L’enquête sur les conditions de la justification, de la cohérence et de la pertinence fait intervenir à chaque étape un partage entre le possible et l’impossible, qui tient compte des contraintes psychologiques et sociales pesant nécessairement sur les formes politiques (p. 9). Mais, objecte-t-il, le réalisme est aussi affaire de probabilité. Le livre évite la confusion entre ces deux …

Parties annexes