Disputatio

Décider en commun[Notice]

  • Odile Tourneux

…plus d’informations

  • Odile Tourneux
    Laboratoire Triangle – UMR 5206

L’ouvrage publié par Charles Girard, Délibérer entre égaux. Enquête sur l’idéal démocratique est un modèle du genre : instruit, minutieux, clair, il dresse un tableau pour ainsi dire exhaustif des théories contemporaines de la démocratie. L’analyse de la critique dite « réaliste » (chapitre 1) et des théories agrégatives (chapitre 2) sert de point de départ pour interroger la cohérence conceptuelle et procédurale du modèle démocratique. Il s’agit de mettre au jour les limites de ces différentes versions du régime, pour mieux par la suite défendre et consolider une conception délibérative de la démocratie. La démocratie n’est ni impossible ni dépassée ; il est possible d’en défendre encore aujourd’hui l’idéal, à condition toutefois de comprendre les implications de ses rouages et de ses institutions. La démocratie peut et doit être défendue dès lors qu’on cherche à l’organiser comme « une association d’égaux s’efforçant de se gouverner eux-mêmes par la confrontation publique des raisons » (p. 10). La conception délibérative de la démocratie défendue dans l’ouvrage pouvant alors servir de guide pour « la critique et la transformation de nos pratiques et de nos institutions » (p. 10). La réflexion élaborée par Charles Girard a donc tout à la fois une portée spéculative et une réelle ambition pratique : il s’agit de comprendre ce qui fait la légitimité du pouvoir en démocratie tout en esquissant des perspectives de réformes institutionnelles. La délibération démocratique appelée de ses voeux par Charles Girard doit cependant s’adapter à notre époque. La délibération collective des citoyens inactifs sur l’agora n’est pas transposable à la « grande société » (pour reprendre l’expression de Walter Lippmann), multiple, mondialisée, connectée. La délibération démocratique ne saurait alors être recherchée exclusivement dans des « arènes délibératives locales », mais devrait également être conçue « sous une forme médiatisée » (p. 282). La médiatisation du débat public est ici à entendre en un double sens : lorsque le peuple tout entier doit délibérer, il peut le faire par l’intermédiaire de ses représentants (sens 1 de médiatisation) et dans un espace médiatique riche (sens 2). Pour être accessible à chacun, pour nourrir la réflexion et ajuster les réponses collectives, il est nécessaire d’animer une vie médiatique riche capable de donner à voir les idées contradictoires qui traversent la société. Une authentique délibération collective retransmise par l’intermédiaire des médias, couplée à l’existence d’assemblées représentatives nationales et locales : ces différentes procédures constituent le maillage institutionnel d’une démocratie désirable. L’ouvrage de Charles Girard est d’autant plus riche qu’il soulève, chez le lecteur, des interrogations abyssales et à vrai dire insolubles. Nous ferons ici trois objections à l’enquête menée, objections d’ordres et de portées tout à fait divers. La première relève de ce que l’on appelle l’ontologie sociale ; il s’agira de s’interroger sur le rapport entre les pensées individuelles et les représentations collectives. La seconde est plus précise et porte sur les raisons et les conséquences du modèle délibératif défendu ; nous interrogerons les arguments soulevés pour défendre la délibération représentative et médiatique. Enfin, troisième objection, nous remettrons en question la portée politique effective d’une révision procédurale. L’auteur décrit le processus de délibération collective en ces termes : La délibération collective repose ainsi sur six étapes distinctes : 1) la rencontre collective d’un problème, d’une difficulté (« une question pratique partagée ») — sur ce point, Charles Girard adopte un élément déterminant du pragmatisme deweyien ; 2) la détermination de multiples réponses possibles ; 3) la détermination de fins communes, d’une ou plusieurs perspectives désirables par le plus grand nombre ; 4) la pesée collective des raisons — la délibération à proprement parler ; 5) …

Parties annexes