Disputatio

Précis de Délibérer entre égaux[Notice]

  • Charles Girard

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  • Charles Girard
    Université Jean Moulin Lyon 3

L’idée de la démocratie peut-elle encore nous orienter politiquement ? L’enquête philosophique conduite dans Délibérer entre égaux entend répondre à cette question. Son cadre est fixé par un objet, l’idéal démocratique contemporain, par un contexte, le procès en irréalisme adressé à cet idéal et par une méthode, la mise à l’épreuve des interprétations, en particulier délibératives, qui en sont données. Je présenterai ici ces éléments tour à tour, avant de résumer brièvement les principales thèses défendues dans l’ouvrage. Sa conclusion peut être d’emblée énoncée : une interprétation délibérative originale de l’idéal démocratique montre à quelles conditions il peut être justifié, cohérent et pertinent pour les sociétés contemporaines. Les régimes démocratiques contemporains sont, du point de vue des typologies classiques de la philosophie politique, des régimes mixtes : leurs institutions mêlent des traits populaires et aristocratiques, participatifs et élitistes, libéraux et autoritaires. Ils peuvent néanmoins être dits démocratiques dans la mesure où l’idéal de la démocratie contribue à y organiser les pratiques et les institutions politiques. Cet idéal lui-même fait l’objet d’interprétations rivales et parfois contradictoires, ce qui fait de l’identification des régimes démocratiques et des pratiques qui les rendent tels, une question vivement contestée. Sur le plan pratique, cette indétermination explique que sur tous les sujets (à propos de la politique environnementale ou migratoire, fiscale ou éducative, etc.), nous soyons si souvent en désaccord non seulement à propos des décisions à prendre, ce qui est dans l’ordre des choses, mais aussi concernant les conditions procédurales et substantielles que ces décisions doivent satisfaire pour être légitimes. Sur le plan théorique, cette indétermination appelle un travail proprement philosophique, mobilisant les ressources de l’analyse conceptuelle et de la réflexion normative : il faut reconnaître, comparer et évaluer les interprétations rivales de la démocratie. L’idéal démocratique contemporain peut être décrit comme le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple. Cette formule est revendiquée par les régimes démocratiques eux-mêmes — du discours de Lincoln à Gettysburg en 1863 à la Constitution française de 1958 —, mais aussi par des mouvements contestataires ou révolutionnaires se réclamant de la démocratie. Elle est aussi prise pour cible par les critiques les plus influentes de l’idéal démocratique. L’idée de l’autogouvernement populaire se prête, de toute évidence, à des interprétations plurielles. Deux éléments constitutifs de cet idéal doivent toutefois être retenus : d’une part, l’identification du peuple gouverné au peuple gouvernant et au peuple bénéficiaire ; d’autre part, la définition du peuple par le corps que forment ensemble les citoyens pris à égalité. Pris ensemble, ces éléments impliquent que les citoyens, étant également soumis aux lois, devraient en être, à égalité, les auteurs, mais aussi les bénéficiaires. La démocratie est le gouvernement des égaux par les égaux et pour les égaux. Cette caractérisation, minimale et abstraite, permet de reformuler l’idée d’autogouvernement populaire sur le plan des rapports individuels qu’elle engage, sous la forme de deux principes. Le principe de l’autonomie politique demande que chaque citoyen puisse être autant que les autres — et autant que possible — l’auteur des décisions s’imposant à tous. Le principe du bien commun requiert que chaque citoyen soit autant que les autres — et autant que possible — le bénéficiaire de ces décisions. Ces idées sont relativement familières : on les retrouve, avec des variations, dans diverses interprétations philosophiques ou représentations ordinaires de la démocratie, qui n’utilisent pas toutes la terminologie de l’autogouvernement populaire. Les deux principes démocratiques n’en sont pas moins extraordinairement exigeants, ce qui expose d’emblée au soupçon d’irréalisme l’idéal formé par leur conjonction. Comment réaliser l’autonomie politique, dès lors que des formes de délégation, de représentation et de division …

Parties annexes