Comptes rendus

David Papineau, The Metaphysics of Sensory Experience, New York, Oxford University Press, 2021, 176 pages[Notice]

  • Thierry Laisney

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  • Thierry Laisney
    Université de Paris

Quelle est la structure de l’expérience sensible ? C’est à cette question, qui relève de la philosophie de la perception, qu’est consacré le dernier livre de David Papineau, professeur au King’s College de Londres. Il y défend le point de vue original selon lequel les propriétés sensibles conscientes des sujets n’ont aucune relation constitutive à quoi que ce soit d’extérieur à eux (qualitative view). L’auteur souligne qu’il s’intéresse à ce problème métaphysique pour lui-même et non, en particulier, pour ses implications épistémologiques. Précisons que sa position ne doit pas être confondue avec une conception idéaliste ou subjectiviste — pour lui, il n’existe pas d’entités autres que physiques, et ce n’est pas la réalité mais l’expérience qui est subjective. Simplement, Papineau rejette l’idée d’un pont qui relierait comme par magie l’esprit au monde. Ainsi qu’il le remarque lui-même, sa façon de voir est à la fois contre-intuitive et contraire à l’orthodoxie philosophique contemporaine : elle s’oppose au « réalisme naïf » comme au représentationnalisme. Comment, d’après l’auteur, le réalisme naïf conçoit-il mon expérience visuelle de la balle jaune qui roule tout le long du livre (elle se trouve, le plus souvent, sur la pelouse du jardin) ? Comme étant constituée par ma perception du fait que la balle est jaune. Ce réalisme direct n’est pas sans se heurter à des difficultés. Celle, par exemple, du décalage temporel : certains phénomènes sont perçus longtemps après qu’ils ont cessé d’exister. Autre difficulté, les similitudes observées entre les expériences sensibles ne coïncident pas toujours avec les similitudes existant entre les faits perçus. Par exemple, les surfaces bleues, en termes physiques, sont beaucoup plus proches des surfaces vertes que des violettes ; c’est l’inverse dans l’expérience qu’on peut en faire. Surtout, le réalisme naïf est confronté à « l’argument de l’illusion » : s’il n’y a pas d’intermédiaire entre les choses et nous, comment expliquer que les expériences hallucinatoires puissent avoir les mêmes qualités perceptuelles que les cas plus « favorables » ? Les réalistes naïfs sont amenés à adopter un « disjonctivisme » des propriétés sensibles conscientes : elles seraient différentes selon que la balle est ou non effectivement présente devant ceux qui la perçoivent (si l’on admet que percevoir s’applique aux « mauvais » comme aux « bons » cas). Mais le problème, c’est que cette différence, aucun sujet n’est en mesure de la déceler c’est ce qu’on appelle « l’indétectabilité introspective ». Ainsi que l’observe David Papineau, l’argument de l’illusion a conduit la plupart des philosophes à préférer au réalisme direct (l’expérience sensible nous relie à des faits) une théorie représentationnelle de la perception (l’expérience sensible nous relie à des propriétés). Je me souviens à ce propos d’un livre où un auteur américain, adepte d’un « réalisme relationnel », dénonçait le « mythe du théâtre » qu’incarnaient selon lui toutes les conceptions postulant l’existence d’un intermédiaire entre le sujet percevant et la chose perçue. Le réalisme naïf n’étant plus très en vogue aujourd’hui, c’est le représentationnalisme qui constitue la cible principale de Papineau : à son avis, cette thèse « repose sur des fondations métaphysiques fragiles » (p. 31). L’auteur n’a rien à objecter à un représentationnalisme « contingent », mais il récuse un représentationnalisme « essentiel ». Il faut s’arrêter sur cette distinction, qui est au coeur du livre de David Papineau. Pour nous la faire comprendre, il recourt à une analogie avec le langage. Prenons n’importe quelle phrase, par exemple celle dont se sert l’auteur : « Elvis Presley s’est rendu une fois à Paris. » Ces signes sur le papier représentent-ils essentiellement le fait qu’un jour, …

Parties annexes