Recensions

Martin Rodan, Camus et l’antiquité. Bern, Berlin, Bruxelles, Frankfurt am Main, New York, Oxford, Wien, Peter Lang S.A., 2014, 261 p.[Notice]

  • Olivier Massé

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  • Olivier Massé
    Université de Montréal

Version remaniée de la thèse de doctorat de Martin Rodan, professeur de littérature française à l’Université Hébraïque de Jérusalem, Camus et l’antiquité entend montrer que l’Antiquité a servi de « sol fertile » à l’élaboration de l’oeuvre de Camus, tant sur le plan littéraire que philosophique. Au premier abord, la méthode de Rodan semble très séduisante et laisse espérer un ouvrage fort novateur. Il propose de concevoir le rapport entre Camus et l’Antiquité d’un point de vue dialectique, étant entendu que l’intérêt de Camus à l’égard des Anciens provient du souci du libre penseur et non du souci de l’historien, cela lui permettant de forger sa propre originalité et de mieux aborder en retour la culture antique. Si, plusieurs décennies auparavant, Paul Archambault avait rigoureusement étudié l’exactitude de la connaissance camusienne des auteurs anciens dans son article « Camus and Hellenic sources », aucune étude d’envergure n’avait encore exposé leur relation sous l’angle de la réappropriation personnelle. Cette thèse amène l’auteur à refuser deux autres méthodes de rapprochement entre Camus et l’Antiquité. La première méthode refusée propose d’étudier seulement les passages de l’oeuvre camusienne faisant explicitement référence à des textes anciens. Cette méthode rigoureuse centrée sur les rapprochements textuels ne considère pas « l’imprégnation culturelle » de Camus et les processus d’acquisition de connaissances plus personnels (p. 3). La deuxième méthode refusée propose d’étudier tous les passages pouvant être lus comme « inspirés » (analogies, parentés de pensée, figures de style) par un auteur ancien. Cette méthode plus relâchée, plus « universelle », risque évidemment de commettre « des rapprochements tout à fait gratuits » (p. 4). C’est dans ce contexte que Rodan tente de mettre l’accent sur la façon dont les sources antiques ont permis à Camus de forger sa propre originalité. Dans la première partie, l’auteur retrace les études et les commentaires de Camus dédiés à des auteurs anciens, poètes ou philosophes. Il y étudie notamment l’apport de Nietzsche, de Grenier, de Plotin, de saint Augustin, des Présocratiques, de Socrate, de Platon, d’Aristote, des Stoïciens, des Épicuriens, d’Eschyle, de Sophocle, d’Homère, de la Bible, du Christ. Plusieurs analyses se démarquent par leur originalité et leur exactitude. Il suffit de penser aux quelques pages (p. 9-14) dédiées à Nietzsche, où il est prouvé avec rigueur que Camus ne souscrit ni à l’anti-socratisme nietzschéen ni à la valorisation dionysienne de la Naissance de la tragédie. Il faut aussi se référer au deuxième chapitre (p. 19-26), consacré à Plotin et à saint Augustin, où une analyse serrée de son Diplôme d’Études Spécialisées, intitulé Métaphysique chrétienne et néoplatonisme, propose de concevoir l’hellénisme sur le plan de la connaissance (amour de la connaissance) et le christianisme sur le plan de l’amour (connaissance de l’amour). Les chapitres portant sur la tragédie (cinquième chapitre, p. 53-60) et sur le mythe grec (sixième chapitre, p. 61-67) sont aussi dignes de mention : l’auteur y propose des synthèses particulièrement lumineuses du sujet traité, même s’il se munit parfois d’un cadre interprétatif trop lourd (cf. la distinction entre mythes platoniciens et mythes dionysiens). Quelques difficultés importantes apparaissent pourtant dans quelques passages de cette première partie. Rodan s’expose pour la première fois dans le chapitre dédié aux philosophes grecs (quatrième chapitre, p. 35-51) à la critique qu’il adressait aux tenants de la méthode « universaliste » dans son introduction, voulant que l’étude de tous les passages de l’oeuvre camusienne pouvant être lus comme « inspirés » par un auteur ancien mènerait à des rapprochements « gratuits ». Si l’auteur n’étudie pas tous les passages susceptibles d’être lus comme des références explicites ou implicites à l’Antiquité, il n’en …