Corps de l’article

Introduction

Les réflexions qui suivent s’ancrent dans les pratiques philosophiques d’une association liégeoise, en Belgique francophone. Qu’on le veuille ou non, pour nous – membres de cette association nommée PhiloCité – et pour toute personne qui prétend faire de la philosophie dans l’espace public, la question de l’éthique se pose. Et nous ne pouvons la botter en touche, car les pouvoirs subsidiants attendent d’une association comme la nôtre qu’elle contribue à former des citoyens critiques et responsables, et parce que les partenaires, scolaires ou non, nous sollicitent souvent pour répondre à ce qu’ils perçoivent comme un besoin de réfléchir sur la manière d’orienter leurs actions, voire pour pacifier des situations tendues et écarter le risque de la violence. D’une manière ou d’une autre, il nous faut répondre à ceci : la société attribue aux philosophes une fonction d’expertise en matière d’éthique.

Admettons minimalement que, par les dispositifs qu’elles mettent en oeuvre, la philosophie pour enfants et les pratiques dialogiques de la philosophie plus généralement sont des occasions d’un apprentissage éthique. Si elles peuvent être comprises comme le lieu d’une éducation à l’éthique, en tant qu’elles mettent en action les réflexions d’un collectif, à quoi cela éduquerait-il? Autrement dit, dans la complexité sémantique du mot « éthique » (Cassin et al., 2019), quelle signification pouvons-nous dégager de notre pratique? Que faisons-nous? Que ne voulons-nous pas faire (mais que nous faisons peut-être)? Que voulons-nous faire?

Si ces questions sont posées ici, en fait, par une première personne du pluriel précise (l’association PhiloCité) depuis ses propres pratiques philosophiques (le nous s’étendant alors aux groupes avec lesquels elle travaille), elles n’en sont pas moins, en droit, pertinentes pour tout praticien exposé à des attentes sociétales qui pourraient conduire à instrumentaliser la philosophie en pratiques insidieusement dogmatiques. Ce risque d’instrumentalisation ne peut être écarté une fois pour toutes comme par décret. Nous risquons toujours d’en être les premiers vecteurs, c’est pourquoi « l’usage “théorique” et “pratique” des philosophes doit comporter en permanence une dimension autocritique (voire autodéconstructrice, comme dirait Derrida), qui requiert la conscience de leur propre historicité » (Balibar, 2014, p. 12). Espérons donc que le lecteur puisse en cours de route se joindre à ce nous prédéfini mais volontairement non clôturé et certainement pas homogène. « Être le plus nombreux possible à penser le plus possible » (Charbonnier, 2013, p. 20), tel est le projet politique de la pratique philosophique, dont le présent article se veut une modeste contribution.

Mal à l’aise avec les attentes telles qu’elles sont formulées en matière d’éthique, nous devons trouver une voie pour y répondre d’une manière satisfaisante. La trajectoire exploratoire exposée ici passera par de nombreuses étapes, parmi lesquelles : les problèmes que posent les dispositifs habituels d’éducation à l’éthique, des manières d’en sortir en libérant l’éthique de son carcan individualiste et en l’élargissant à la dimension politique et la conception du langage que cela suppose. Il faudra également aborder la question de la violence inhérente à la vie en commun, en interrogeant le rôle parfois attribué à la philosophie dans la prévention de la violence. Les réflexions posées ici tentent d’identifier un cap et, chemin faisant, proposeront quelques balises.

1. Ruser pour retrouver des valeurs universelles (ce que nous faisons est-il authentique?)

L’impossibilité d’établir une morale autre que par provision étant actée par Descartes, les méthodes traditionnelles d’édification morale basées sur un code donné (religieux, par exemple) étant écartées de la pédagogie et de la philosophie pratique pour cause de dogmatisme, les éducateurs se tournent vers des méthodes visant à mettre en dialogue les sujets en présence, à partir de leurs points de vue, sans préjuger de la « bonne » réponse, au risque du relativisme. L’éthique fait alors face à l’antique repoussoir qu’est l’alternative entre le dogmatisme et le relativisme. Comment en sortir?

Un faux espoir est fourni par les tenants d’un universalisme des valeurs. À l’instar de Socrate faisant démontrer des propriétés géométriques à l’esclave illettré de Ménon, lui faisant ainsi réactiver un savoir latent, l’éducateur pourrait nous faire retrouver des valeurs universelles enfouies. Ainsi, face à un problème éthique, sous couvert de nous faire penser, il nous guidera, par « ruse pédagogique », vers la réponse attendue. La ruse employée et la réponse attendue étant toujours les mêmes, chaque expérience reproduira les mêmes résultats : la réponse attendue, de Bamako à Honolulu en passant par Reykjavik. C’est donc que c’est universel. CQFD. C’est ainsi que le naturel normatif revient au galop; il existerait un code caché en chacun d’entre nous qu’un savant questionnement permettrait de retrouver. Que nous en soyons conscients ou non, cela n’est qu’un avatar de la vieille édification morale, cachée derrière un semblant de pédagogie participative. L’« éducation éthique » relève alors de la manipulation et consiste à faire croire aux enfants qu’ils ont pensé par eux-mêmes lorsque le maître leur mettait les mots dans la bouche.

L’accusation de dogmatisme est fondée. L’éducateur sait retrouver les valeurs universelles; il a fait son chemin; il n’a plus besoin lui-même d’être éduqué. Ce modèle, vaguement et inconsciemment inspiré du Socrate du Ménon, dessine donc deux figures : celle de l’être à éduquer, l’enfant qui ne sait pas qu’il sait, et celle de l’être (définitivement) éduqué, le guide qui sait où il va et où il veut (r)amener l’enfant. Comment les manoeuvres rusées de l’éducateur pourraient-elles conduire à l’autonomie éthique de l’enfant, puisqu’elles masquent les chemins que le premier fait emprunter au second?

2. Le problème des dilemmes moraux

Observons ce que nous faisons lorsque nous nous prêtons à l’exercice du dilemme moral, grand classique de l’éducation à l’éthique. Il est probable que, lorsqu’un dilemme moral est traité en classe, il soit résolu selon les deux cas de figure suivants. S’il est donné in abstracto, comme un cas d’école, si la situation évoquée n’est réellement vécue par personne, sa résolution prendra la voie déontologique. (Il est toujours plus facile – et généralement inutile – de dire « il faut… » lorsqu’on est détaché de la situation.) On convoquera les principes, on les mettra en balance et on choisira le principe supérieur qui devrait ensuite fonder et guider l’« action ». Comme il n’y a pas d’action réelle à réaliser, le problème est résolu et nos mains sont propres (c’est l’avantage de ne pas en avoir). L’exercice paraît un peu vain, sinon en tant que rappel des règles en vigueur, et, à ce titre, peut être qualifié de dogmatique. (Notons qu’en grec ancien, ce type de raisonnement fondé sur des principes s’appelle dogmatikos.)

L’éducation à l’éthique au moyen des dilemmes moraux nous expose à la même vieille alternative. En effet, si nous ne parvenons pas à nous accorder sur les valeurs ni à établir entre elles une hiérarchie de manière à trancher le dilemme, le constat de l’affrontement des valeurs, chacune éminemment défendable grâce à sa cape de généralité, nous entraîne vers le spectre du relativisme. Puisque nous voyons bien qu’elles sont toutes les deux justes (et, par conséquent, que l’action choisie à l’issue du dilemme, quel que soit le choix, sera en même temps créatrice d’injustice), que pouvons-nous en dire, sinon que chacun fera comme il veut?

Certains hardis éducateurs s’aventureront au-delà de l’alternative, car en philosophie, paraît-il, on peut tout penser. C’est sans doute vrai, à condition de n’avoir pas de corps. Comme l’écrit Maxime Rovere dans son étude de Spinoza,

[…] l’éthique ne consiste pas à déduire abstraitement des idées les unes des autres, mais définit une manière pour l’homme de s’engager, de Corps et d’Esprit, dans le jeu des causes et des effets. Abstraction faite de son impact sur le déroulement des choses, aucun observateur ne peut donc déterminer d’acte rationnel. L’éthique pose au contraire que l’homme est rationnel, précisément lorsqu’il n’ignore pas qu’il est partie prenante. Car il n’y a d’individu qu’en situation, et un acte est rationnel quand l’homme agit d’une manière aussi perceptiblement liée à son environnement, que sa main fait partie de son Corps.

Rovere, 2019, p. 251

3. Redonner de la chair aux problèmes éthiques

« Mais des dilemmes de ce genre se présentent bien dans la réalité! Les soignants sont régulièrement confrontés à cela, lorsque les hôpitaux sont saturés! » Oui, c’est vrai. Mais c’est aussi ce qui prouve que présenter un problème sous cette forme simplifiée (« Entre l’insupportable option A et la déchirante option B, que choisis-tu? ») est une manière d’apprendre à ne pas voir les causes d’une telle forme. L’un des mécanismes de simplification du problème, c’est le resserrement de l’empan temporel : je suis placé devant ce dilemme au temps t, l’action se joue là, maintenant, tout de suite. Le temps presse. L’éducation à l’éthique par l’exercice du dilemme apprend surtout à ne voir la situation que dans la fausse évidence de son instantanéité. Le problème est soustrait au temps, il est défait des chaînes historiques qui l’ont fait exister. Il est réduit à une essence artificielle qui nous trompe. Ainsi, pour reprendre l’exemple des soignants confrontés à de tels dilemmes : certes, ils agissent comme ils peuvent dans cette situation, mais s’il fallait en faire un support à une réflexion éthique, elle devrait s’orienter vers les conditions qui l’ont rendue possible. « Comment en sommes-nous arrivés là? », « Les problèmes de surcharge ne se sont-ils pas manifestés avant la “crise”? », etc. La réflexion éthique doit quitter l’instantanéité (ou l’éternité) dans laquelle le problème est initialement posé et élargir la perspective temporelle pour redonner à celui-ci une épaisseur historique. C’est ainsi qu’apparaît la nécessaire dimension politique de toute réflexion éthique.

On peut alors récupérer les énoncés des dilemmes moraux pour en faire des objets de recherche du collectif auquel ils sont présentés. Celui-ci enquêtera sur les forces qui l’ont conduit face à une situation si tragique et se formera, dans les deux sens du verbe, dans ce processus. Penser la situation – une situation dans laquelle nous, ici présents, sommes pris – , chercher à mieux la comprendre, c’est y agir. Chercher ensemble à la comprendre, c’est se constituer comme un groupe agissant, comme un public au sens de Dewey, un peuple si l’on veut.

Si les exercices d’entraînement éthique tels que les dilemmes sont inutiles[1], c’est aussi parce qu’ils fonctionnent comme si nos idées (sur la justice en l’occurrence) pouvaient être rendues indépendantes les unes des autres et ramenées in fine à un arbitrage entre des valeurs clairement identifiées, isolées de leur lieu de vie et mises en concurrence, comme s’il s’agissait de choisir la valeur à privilégier sur un étal bien organisé. Il est bien plus juste pourtant de voir que nos idées, ces idées auxquelles nous tenons, auxquelles nous sommes attachés, forment un entrelacs qui nous constitue. Elles sont ce que nous sommes, de la même manière que notre corps biologique est constitué de notre microbiote et ne serait pas sans cette vie à la fois microbienne et la nôtre.

Elles sont davantage une pelote formée de bouts de laine de tailles, de couleurs, de textures et d’origines diverses, qu’une série d’objets bien taillés et séparables les uns des autres. Ce à quoi nous tenons, autrement dit, ce en quoi nous croyons, ce n’est pas en quelques propositions isolées, c’est à tout un système de propositions.

Les propositions qui pour moi sont solidement fixées, je ne les apprends pas explicitement. Je peux les trouver après coup, comme je trouve l’axe de rotation d’un corps en révolution. L’axe n’est pas fixé au sens où il serait maintenu fixe, mais c’est le mouvement tout alentour qui le détermine comme immobile.

Wittgenstein, 1976, § 152

Si certaines propositions apparaissent particulièrement fortes ou « solidement fixées », ce n’est pas parce qu’on me les a apprises explicitement, c’est parce qu’elles ont acquis une fonction particulière.

Il est donc illusoire d’éduquer à l’éthique en envisageant des valeurs, ou en cherchant à remplacer une croyance par une autre (Charbonnier, 2019, p. 104-105). Parce que les croyances ne sont pas choisies librement sur un étal de magasin, elles sont le « tissu ontologique de mon esprit » (Charbonnier, 2019, p. 104), elles sont inscrites dans une forme de vie[2]. Cela ne signifie pas que j’ai désormais une identité bien définie, mais seulement que les propositions qui pour moi sont « solidement fixées » résultent d’une forme de vie, de pratiques collectives, et s’expriment dans les modalités d’un jeu de langage qui correspond à celle-ci. Mon « identité », mes valeurs, ce à quoi je suis attaché, les croyances dont je me sers après coup pour me définir, ne résultent en aucun cas d’un jugement de ma volonté, libre et éclairé. Tout cela est plutôt la résultante de forces, de mon insertion, en tant que force désirante, dans un jeu de forces, de rapports intersubjectifs, dans lesquels je m’efforce d’augmenter ma puissance d’agir. Autrement dit, « mes croyances » sont les repères idéels qui me permettent de poursuivre mon évolution dans les formes de vie où je navigue. Que mes formes de vie changent, mes valeurs changeront, parce que mon effort sera modelé par d’autres forces.

4. Peut-on faire de l’éthique sans risquer l’échec?

Penser une éthique qui n’arrache pas nos idées du magma réel où elles naissent pour les disposer une par une, c’est aussi penser l’individu non pas comme un atome isolé, mais comme la résultante des rapports qui le constituent[3].

Il est vain d’espérer qu’une éducation à l’éthique permettrait de lutter contre la violence. Mal définie et mal pensée (pour le dire vite : dépolitisée), elle pourrait même l’attiser. En effet, en niant les conditions matérielles, économiques, idéologiques… qui constituent l’individu pour ne se rapporter à lui qu’en tant que sujet psychologique, l’éthique n’est plus qu’une manoeuvre de minorisation supplémentaire. Sous ses atours de bienveillance, avec sa voix feutrée, ses bonnes intentions et ses bonnes manières, apparaît son projet de domestication : dompter les « violents ». La duperie passe rarement inaperçue, sauf chez les éducateurs. (D’une manière générale, celui qui se trouvera dans une situation où se forment un groupe d’ignorants et un groupe de savants doit s’alarmer : c’est que quelqu’un est en train de chercher à imposer ses normes.) C’est en ce sens que nous pouvons affirmer avec Jameson que « toute éthique se nourrit d’exclusions et qualifie certains types d’altérité ou de mal » (2012, p. 71). Vouloir conjurer la violence, c’est inévitablement avoir un programme d’exclusion.

Le passage d’une conception individualiste et psychologique du sujet vers une conception collective et politique de l’éthique suppose de prendre acte de ce qu’elle ne peut être un remède à la violence[4]. Autrement dit, toute tentative d’interlocution, de traitement collectif d’un problème éthique doit accepter la possibilité de l’échec, car les personnes présentes le sont inséparablement de corps et d’esprit et s’affectent mutuellement. L’émancipation est à ce prix : le risque de la violence.

5. Élargir l’empan temporel

Mais quand établit-on qu’il y a un échec? Les méthodes de résolution de problèmes éthiques réclamées et fournies dans le monde managérial sont rapides. Elles reposent sur des modèles et des concepts bien définis et établissent des protocoles clairs qui permettent de savoir où on en est dans le processus décisionnel. La perspective est temporellement courte parce qu’elle n’est pas politique. Et même, il faut qu’elle soit courte pour ne pas être politique. À l’inverse donc de l’impatience (incarnation affective de la norme d’efficacité), il faudrait donc prôner ce que nous pourrions nommer la première vertu éthique : l’expectative, qui consiste à prendre le temps de voir ce qu’il se passe, parce que l’échec du jour dessine peut-être la transformation du lendemain.

Élargir la temporalité, c’est aussi continuer de chercher ensemble à voir de quoi on est capable (Deleuze, 2003). Résumons. L’éthique, pour ne pas être coercition, doit être politique. Pour ce faire, nous devons prendre le temps (expectative). Ce temps, nous devons le prendre ensemble, malgré le risque d’échouer : nous devons faire preuve de ténacité.

6. Nombreux sont ceux qui en nous vivent[5]

Il faut se rappeler l’ambivalence de toute institution, en particulier éducative, à la fois violente et émancipatrice. Cette prise en compte appelle un effort éthique, un effort de réflexivité et d’examen des conditions dans lesquelles nous sommes pris et qui en même temps nous constituent. Cet effort éthique est tout le contraire d’une conception individualiste de l’éthique, dont le travail consisterait à contrer une violence supposément inhérente à l’individu. Il suppose de refuser le postulat selon lequel il y aurait un soi naturel précédent l’institution – une essence à restaurer ou à réaliser – tout autant que celui d’un sujet entièrement constitué par celle-ci, fruit sans intériorité de déterminations extérieures.

Il s’agit donc de penser une éthique qui ne cherche ni à actualiser une essence (faire passer l’essence de la puissance à l’acte, dans le sens aristotélicien) ni à restaurer une identité abîmée, mais qui s’appuie sur la thèse selon laquelle « toute identité est fondamentalement transindividuelle » (Balibar, 1997, p. 45). Ce que l’on appelle le « soi » n’est ni purement collectif ni purement individuel; il est construit « par un système de relations sociales, réelles et symboliques » (Balibar, 1997, p. 45). En outre, c’est une construction toujours en chantier, raison pour laquelle Balibar invite à parler de « processus d’identification » toujours inachevé plutôt que d’identité, car « l’identification se reçoit des autres et dépend toujours d’eux » (Balibar, 1997, p. 45).

Une éducation à l’éthique qui repose sur une telle position philosophique doit donc éviter, dans la pratique, de réassigner, même et surtout par mégarde, une identité à nos interlocuteurs. Elle doit aussi avancer en déjouant les pièges de l’auto-assignation dans lesquels nos modes d’interlocution nous font souvent tomber. Car, outre le fait que l’identité est un processus construit par un système de relations, elle est aussi trouble à deux égards. Premièrement, parce que « tout individu combine plusieurs identités, inégalement prégnantes, inégalement conflictuelles » (Balibar, 1997, p. 46). Par exemple, l’identité « belge » et l’identité « francophone » ne se confondent pas et ne cohabitent pas toujours harmonieusement. Tout sujet est fait de plusieurs identités[6].

Deuxièmement, en conséquence de son caractère processuel et extérieur, aucune « identité » n’est fixe dans le temps. Assigner une identité à quelqu’un comme se l’assigner à soi-même apparaît alors comme un acte de violence qui réduit une identité multiple à l’une de ses composantes et qui nie son inscription dans le temps. Les formes les plus évidentes de l’assignation sont des formules du genre « tu es quelqu’un qui… », « je suis quelqu’un qui… », mais il en existe tant d’autres moins visibles qui nichent dans les recoins de nos conversations et qui entravent le travail éthique que nous avons à faire ensemble dans la rencontre.

7. Les mots justes

L’effort éthique apparaît ainsi comme un effort d’observation qui doit résister au réflexe d’assignation, de classement dans des catégories préétablies. Il s’agit de chercher à comprendre ce que nous faisons. Les deux options en opposition ici peuvent être mises en évidence par l’ambiguïté de la question « Que fais-tu? ». Elle peut être entendue dans une perspective axiologique : À quoi ce que tu fais correspond-il? À quel déjà-connu pouvons-nous le rapporter? Et, quelle en est la valeur? Inversement, l’éthique comme éthologie (Deleuze, 2003) suppose une saisie de la question libérée du réflexe axiologique, à la manière d’un scientifique qui observe le monde : décrivons ce que tu fais, observons de quoi tu es capable et quels en sont les mécanismes.

Une nouvelle dimension du déplacement du regard apparaît ici. L’éthique en son sens essentialiste et prescriptif cherche à évaluer dans quelle mesure une action est juste. L’éthique-éthologie, à même son effort de description, cherche la juste manière de décrire; elle cherche les mots justes. Le travail éthique passe donc par le soin accordé au sens des mots, qui doivent à la fois rester articulés à un vécu individuel et collectif, sans quoi le langage est aliénant, et faire « sens commun », ce qui ne peut être produit que par un effort commun de réflexivité.

Le langage « est le moyen de dire » (Billeter, 2016, p. 114) et c’est sur ce moyen que doit porter notre attention, sans quoi nous risquons de dire autre chose que ce que nous faisons, nous ne ferons pas droit au réel, à ce qui se passe réellement, à la puissance ici agissante. Cultiver le langage, c’est contrer les tentatives de détournement dont il fait l’objet par toutes les institutions de pouvoir, par les catégories toutes faites et les distinctions préétablies que nous ne pensons plus à interroger et qui véhiculent des partages entre bien et mal. Il s’agit donc de cultiver le langage comme un bien commun, non pas donné comme tel mais à toujours rétablir en commun. Car le commun est toujours à rétablir, toujours en échec de son aboutissement et, par nature, exposé à la violence.

On comprend alors pourquoi cette manière de concevoir et de pratiquer l’éthique peut faire peur à certains éducateurs. Ce serait comme ouvrir la boîte de Pandore. En effet, si l’on s’oppose à une « éthique » qui, quelle que soit la douceur du velours du gant dans lequel elle est emballée, est exécutée par une main de fer, il faut affronter les risques inhérents à une éthique désaxiologisée. Il faut reconnaître la dimension tragique d’une telle position :

Le langage engendre le conflit des croyances. Pour que nous puissions nous parler, il faut que les règles de la grammaire soient stables, comme doivent l’être celles du jeu d’échecs. Il faut aussi que nous donnions le même sens aux mots. Mais comme ce sens est fait de synthèses imaginaires que chacun forme à partir de son expérience personnelle, cet autre fondement du langage commun est moins sûr que la règle. Souvent, des malentendus naissent de ce qu’un terme n’a pas le même sens pour les deux parties, que ce soient des personnes, des communautés ou des sociétés entières. Les conflits qui en résultent deviennent insurmontables par l’illusion (certes naturelle) qui fait croire aux uns et aux autres que les choses sont objectivement telles qu’ils les conçoivent en parlant. D’où des dialogues de sourds qui sont source de violence. On ne peut en sortir que par la critique de l’illusion objectivante et l’analyse du sens que chacun a donné aux mots. Quand ce retour sur le sens des mots n’est pas possible, le mal est sans remède.

Billeter, 2016, p. 71-72

8. Faut-il savoir ce que l’on va faire avant d’agir?

L’expression « éthique comme éthologie », tirée de la lecture deleuzienne de l’Éthique de Spinoza, ne doit pas laisser entendre que le travail éthique que cet article tente de cerner serait un travail en chambre, sans effet sur le réel, sans implication des sujets pensant, parlant et agissant dans ce travail. (Nous avons bien des mains.) Il n’y a pas de point de vue divin. Nous sommes (dans) le monde que nous décrivons. L’enjeu de l’éthique est bien de chercher à agir adéquatement.

Comme souvent, le problème se loge dans l’adverbe : non pas « adéquatement » à quelque chose qui serait donné antérieurement à ce qui se passe ici (un code de conduite, une manière convenue de nommer la situation, un principe intangible). Il ne s’agit pas tant de réfléchir avant d’agir que d’observer à même l’action. Une telle éducation à l’éthique serait une éducation à l’attention et à la connaissance de ce qui se passe (et dans quoi nous sommes toujours déjà pris); cet effort est une action, car en sachant ce qui se passe au moment où cela se passe, nous sommes déterminés à agir. Ce n’est pas une suspension de l’action, une réflexion préalable et en vue de l’action. En comprenant notre fonctionnement, nous augmentons notre puissance d’agir au coeur même de ce que nous sommes en train d’essayer de comprendre. « Ce n’est pas qu’il faut savoir ce que l’on fait, pour agir adéquatement dans l’existence. Il faut savoir ce qui se passe, et l’action détermine l’action. » (Rovere, 2019, p. 39)

Filons une métaphore footballistique. Disons que le schéma tactique discuté et préparé à l’entraînement durant la semaine qui précède le match du week-end est analogue à la réflexion éthique que nous menons avec un groupe d’élèves sur un problème qu’ils rencontrent et qu’ils cherchent à résoudre. Qu’est-ce qui nous conduirait à penser une séparation d’un moment réflexif préalable à un passage à l’action? La perception d’une discontinuité entre la réflexion en semaine et l’action du week-end provient de ce que je suis spectateur : je ne vois que le match du week-end, je n’observe que ça, c’est cela qui m’intéresse. Si j’étais joueur, le schéma tactique exposé « théoriquement » dans la salle de réunion s’inscrirait dans une continuité : mon existence en tant que joueur de football. Continuité temporelle, mais aussi continuité corps-esprit. Car peut-être, sous cette distinction non dialectisée entre réflexion et action (ou théorie et pratique), repose le présupposé dualiste d’une séparation entre l’esprit (ce qui réfléchit) et le corps (ce qui agit). Or, le footballeur informé « théoriquement » est déjà, pour autant qu’il soit attentif à ce qui est dit, en train d’agir physiquement. Par les projections imaginaires que le discours de l’entraîneur produit, il est déjà engagé dans les déplacements physiques (« réels », « actifs ») qu’il fera dans les exercices « pratiques » et lors du match.

9. Ni bonne ni mauvaise volonté

L’optique d’inspiration spinozo-marxienne[7] proposée ici met en lumière ceci, par contraste. Si la réflexion éthique était un préalable à l’action, nous pourrions ne pas passer à l’action. Il faut donc postuler un rouage entre la réflexion et l’action : la volonté. Une éthique fondée sur l’idée cartésienne de la libre volonté suppose une valorisation du mérite individuel. Car l’erreur, pour Descartes, résulte de la précipitation de notre volonté, d’un jugement hâtif. Si nous nous sommes trompés, c’est parce que nous avons agi trop vite. En nous précipitant, nous aurions ignoré des connaissances qui auraient dû nous conduire à agir autrement.

Pour Spinoza, l’erreur n’est pas le fait de l’ignorance. Elle signale au contraire une connaissance (Rovere, 2019, p. 43-104). Elle n’est pas un simple non-être. S’il y a erreur, c’est que l’idée est confuse, inadéquate. Rien ne sert de chercher la cause de l’idée inadéquate. Par contre, il est utile d’identifier de quelle connaissance elle témoigne et quelle est la réalité avec laquelle elle est en relation, pour chercher à articuler plus adéquatement l’idée et son objet, sous le désir de produire une idée adéquate. Car c’est là que réside l’expérience de la liberté, dans l’adéquation de l’idée. « Nous nous sentons libres, et sommes libres si l’on veut, chaque fois que nous agissons par une nécessité qui est en nous et que notre activité ne rencontre aucun obstacle au sein d’elle-même. » (Billeter, 2016, p. 31)

Mais ce désir peut-il être absent? Puis-je vouloir l’erreur? C’est un non-sens, parce que ce que je veux, c’est persévérer dans mon être. Si je persévère dans l’erreur, c’est que, d’une manière ou d’une autre, j’y suis reconnu et que donc quelque chose de vrai s’y trouve, quelque chose est adéquat.

Il faut sans cesse se défaire du manichéisme : c’est bien ou mal, c’est vrai ou faux. Le faux vit dans le vrai, sans quoi il n’y a que non-être. Or, le non-être n’est ni vrai ni faux, ni bien ni mal. Il n’est pas. L’erreur du bien-pensant qui veut que tout le monde pense comme lui, c’est de croire que celui qui se trompe « est dans le faux ». En somme, nous sommes toujours plus ou moins dans le vrai tant que nous agissons. C’est seulement si nous ne faisons rien que nous sommes sûrs de ne pas faire erreur, mais nous ne serons pas plus dans le vrai. Nous ne serons plus nulle part, sans mains.

Y a-t-il une éducation éthique possible dans un tel cadre de pensée, qui considère toute erreur comme une idée inadéquate et donc, par définition, non étrangère au vrai? Sans doute, mais pas par l’édiction d’un code normatif ou par l’application d’un protocole de pensée, plutôt par le travail à même la recherche d’ajustement de nos idées, par le fait de s’adonner à son désir d’être mieux ajusté, et donc plus libre, d’épouser le jeu des causes. Concrètement, cela suppose de postuler que toute idée émise est a priori dotée de sens. C’est à cela qu’invitent la notion d’interlocuteur valable de l’AGSAS[8] ou le postulat de l’égalité des intelligences chez Jacques Rancière.

S’il y a un travail éthique au sein des ateliers de discussion philosophique (quelles qu’en soient les formes et quelles que soient les écoles dont on se réclame), c’est à condition d’être à l’affût de « là où on est dans le vrai », de mettre nos idées à l’épreuve autant que notre capacité à les faire jouer les unes avec les autres, de voir de quoi elles sont capables. Ce n’est donc pas le thème (le juste, par exemple) qui fait le caractère éthique d’une discussion, mais la recherche d’une description et d’une compréhension juste et exprimée avec des mots justes, la production d’une idée adéquate au réel, production qui prend en compte la diversité intra-individuelle et collective des « identités » en présence pour former un collectif pensant et agissant du même coup.

10. Chercher nos intérêts mutuels

La pratique philosophique recèle ainsi une dimension formative et démocratique. Ce qui se travaille au sein d’un atelier, c’est la recherche tâtonnante de nos intérêts mutuels, guidés par les affects qui s’y vivent. C’est donc une formation dans le double sens du mot : 1) un apprentissage individuel au coeur d’un collectif et qui peut être poursuivi ailleurs, et 2) la constitution d’un collectif dans et par la recherche des intérêts mutuels. « Chercher ensemble nos intérêts mutuels est la pratique qui nous fait devenir un peuple, c’est-à-dire nous associer ensemble. » (Charbonnier, 2019, p. 10)

Penser ensemble ce qui nous arrive suppose des conditions qui se définissent plus facilement par la négative. Peut-être est-ce le fait que la pensée suppose de l’espace pour se mouvoir et que ses conditions sont plutôt de l’ordre du vide que du plein. Force est de constater que la principale tâche de l’éducateur est de se dépouiller (de l’assignation identitaire, de l’essentialisation, de la notion de responsabilité individuelle, du dualisme corps/esprit, du schème réflexion/décision/action, de la dichotomie théorie/pratique, de l’opposition individu/collectif…).

Il lui faut également se défaire de ce que Sébastien Charbonnier appelle « la conception gérontocratique de l’enfance » (2019, p. 15) comme ce qui est marqué par la privation, ce à quoi il manque quelque chose que l’éducateur aurait la charge de faire advenir. Entre autres choses, l’éthique alors charrie un imaginaire de valeurs, de normes et de préjugés sur l’enfant, rendu par définition incapable de bien agir sans guide. L’éthique devient un autre moyen d’assujettissement[9].

Il faut sortir de l’ornière dans laquelle tout éducateur risque de retomber : celle qui fait de l’autre un être non conforme à ce que nous voudrions qu’il soit, un être toujours hors normes (les nôtres). Si nous percevons l’autre comme non conforme, c’est que nous avons manqué la rencontre. L’éducation à l’éthique est une éducation à la sensibilité, une éducation à la possibilité de rencontrer l’autre, en évitant les deux modalités du ratage que sont l’admiration et le mépris (Charbonnier, 2019, p. 14).

Il faut ne pas chercher ce que l’on veut trouver, ne pas laisser ses attentes réclamer ce qu’elles voudraient voir, sans quoi on perd l’intérêt pour ce qu’on cherche à comprendre. Il faut se donner les moyens perceptifs d’observer, en multipliant les points de vue. C’est ainsi à la fois qu’une connaissance du monde se développe, qu’une communauté se forme et que l’individu se perfectionne. Le collectif et l’individuel ne sont pas deux modes antagonistes[10].

11. La puissance d’agir dans l’ignorance

Les dilemmes moraux et autres exercices d’entraînement présupposent un savoir, qu’il soit positif (un code moral) ou procédurier (la méthode rationnelle). Nous pouvons affirmer que l’éthique est une affaire de pensée parce qu’il n’y a pas de savoir donné en la matière : s’il faut penser, c’est précisément parce que nous sommes ignorants. Par conséquent, ne pas savoir comment agir adéquatement n’est pas une défaite; cela ne doit pas conduire à une situation d’impuissance. (Mais cela y mène si on cherche à combler l’ignorance, que ce soit par un savoir tout fait – un dogme – ou par une méthode pour bien-penser, car la « connaissance » qui en sortira ne pourra être adaptée au réel. On croira être dans le vrai tout en étant incapable de réaliser nos plans. On est alors condamné soit à l’impuissance soit au délire.) La leçon spinoziste, telle que la donne Maxime Rovere, « la nécessité pour les hommes d’agir et de penser dans l’ignorance » (2019, p. 255), rend possible une reprise active (et donc joyeuse) de l’affect qui nous traversait. Ce n’est ni une dénégation de l’ignorance ni une lamentation face à elle, mais un passage de la passion à l’action.

Le fait que les pratiques philosophiques dont il est question dans cet article sont généralement des pratiques collectives est important. La présence d’autres subjectivités – dans certaines conditions dialogiques (PhiloCité, 2020, p. 19-30) – nous oblige à tenir compte de la complexité du réel et nous empêche de sombrer dans le dogmatisme. Face à la situation dans laquelle nous sommes pris, qui nous questionne mais pour laquelle nous n’avons pas de réponse toute faite, il s’agit de penser à cela que nous ignorons, de prendre la situation dans sa complexité, démultipliée par la plurivocité en présence. Ce faisant, immédiatement, nous agissons là où nous subissions. Une puissance se constitue, subjective et intersubjective.

Conclusion

Ainsi, l’éthique sort de son carcan individualiste, normatif et psychologisant et rejoint la politique. Prenons un exemple un peu bateau d’une discussion éthique : le problème du harcèlement et de la violence sur les « réseaux sociaux » électroniques. Dans l’optique restreinte, on sera conduit à déplorer les mauvais penchants humains et à en appeler à la responsabilité de chacun et à l’éducation au sein des écoles et des familles. La logique sous-jacente est aboutie lorsqu’on sollicite (à juste titre) l’intervention du législateur et de l’institution judiciaire pour punir les harceleurs. Ce que l’on manque, en restant dans le monde atomisé des relations interindividuelles, peuplé d’individus isolés maîtres de leurs pensées, de leurs paroles et de leurs actes et donc également responsables d’eux-mêmes, c’est la vision élargie de l’infrastructure qui offre la possibilité de ces relations d’un nouveau type.

Et, par exemple, en faisant ce pas d’écart, on pourrait voir ceci, en convoquant une nouvelle fois, à moindres frais, la métaphore footballistique. Le club responsable de l’organisation d’un match qui rassemblera des dizaines de milliers de personnes, dans un cadre compétitif où deux équipes et leurs partisans s’affrontent et où la violence inhérente au sport est codifiée, ne peut pas se reposer sur l’« éthique » individuelle de chaque personne assistant à la rencontre. On n’organise pas des séances de réflexion éthique préalables au match. Une personne morale est juridiquement responsable, engage un service d’ordre, paie une redevance aux forces de police locale pour assurer la sécurité d’un rassemblement qui produira « naturellement » de la violence, paie des impôts à la collectivité en compensation du risque qu’elle lui fait courir, etc.

Pourquoi donc nous retournons-nous vers nous-mêmes? Nous éduquer à l’éthique individuelle nous prémunira-t-il du harcèlement en ligne? Pourquoi ne nous tournons-nous pas vers les sociétés commerciales et vers les législations qui sont censées les encadrer pour qu’elles évaluent et qu’elles gèrent les risques que leur activité fait courir à la collectivité? Voilà un exemple de la dépolitisation que permet la pratique d’une éthique restreinte, qui nous renvoie à notre responsabilité individuelle. Pourquoi nous enjoint-on à être individuellement responsable de cela? Quels intérêts une telle injonction sert-elle? Voilà ce dont nous ne pouvons pas être les vecteurs lorsque nous répondons à une demande d’intervention éthique[11]. Voilà où notre rôle peut commencer à être réjouissant.

Cela suppose que les séances de « réflexion éthique » ne soient pas « pour rire », sans enjeu, le lieu d’une abstraite liberté de penser, le lieu où l’on pourrait tout dire[12]. Si l’on peut tout dire, c’est qu’on est dans le vide, là où le son n’a pas de support matériel pour se propager. Dans ce genre de lieu, on ne forme (à) rien. La parole y est sous contrôle, parce que l’électroencéphalogramme est plat : l’éradication du spectre de la violence inhérente à la vie en commun est à ce prix.

L’éducation à l’éthique, plutôt que de nous ramener à du déjà-connu : mes valeurs, tes valeurs, nos valeurs, leurs valeurs…, doit nous offrir des occasions de regarder, d’observer, de mener l’enquête. Ce faisant, nous prenons conscience de nos projections, nous menons l’enquête ensemble, nous faisons l’expérience collective du tâtonnement, nous éprouvons (nous voyons de quoi est capable) la plasticité et la multiplicité potentielle de mon identité, de notre identité, de leur identité. Et pourtant, ne faut-il pas que « quelque chose nous soit enseigné comme fondation » (Wittgenstein, 1976, § 449) sans quoi nous n’avons rien de commun pour enquêter? « Ce monde commun que nous formons en même temps que nous nous y formons » pourrait être la fondation. « Comment y vivre? » pourrait être la question. « Ne donnons pas de réponse! » pourrait être la première consigne.

L’apprentissage éthique, dans cette perspective, pourrait être apprendre à former des espaces publics réels. Par exemple, en classe : « Nous sommes ici, nous occupons un territoire. Comment y vivre ensemble, sans exclure personne a priori? Comment entretenir des rapports entre nous qui augmentent notre puissance, individuelle en même temps que collective? »