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Les relations entre les peuples autochtones et les peuples canadiens et québécois, d’aussi loin que je me souvienne, font état d’un rapport inégalitaire qui empêche l’accès aux droits fondamentaux des Premières Nations, tels que le droit à l’autodétermination, à la reconnaissance des droits territoriaux et des pratiques ancestrales ainsi qu’à la sécurité alimentaire, pour n’en nommer que quelques-uns.

Bien que ces relations aient évolué depuis les générations qui m’ont précédée, ces dernières ayant vécu les mesures assimilatrices et discriminatoires au premier front, cette logique coloniale se perpétue encore de nos jours à travers les institutions de l’État canadien, ce qui renforce ainsi notre marginalisation. De plus, le passé historique du Canada a, pendant trop longtemps, caché les effets dévastateurs de la Loi sur les Indiens (1876) sur nos communautés. Ce génocide culturel (CVR 2015) organisé et institutionnalisé a donc engendré des conséquences intergénérationnelles, qui ont entraîné des ruptures avec nos enfants, nos territoires et nos cultures. Ces multiples ruptures relationnelles et identitaires ont inévitablement causé une détérioration de nos relations de confiance au sein même de nos nations, mais aussi avec nos voisins allochtones. Encore aujourd’hui, au Québec et au Canada, les séquelles reliées à l’époque des pensionnats sont réelles. À titre d’exemple, Santé Canada signale que le taux de suicide chez les jeunes des Premières Nations serait de cinq à sept fois plus élevé que chez les non-Autochtones (2018).

Au-delà des violences liées à l’époque des pensionnats, les Autochtones partout au pays font face à différentes formes de violences structurelles qui se traduisent, entre autres, par un accès difficile à une éducation de qualité et adaptée culturellement à nos façons d’être, des problèmes d’accès à un logement abordable et sécuritaire, une non-reconnaissance de notre droit à l’autodétermination, des difficultés à obtenir un emploi et des problèmes d’insécurité alimentaire (Statistique Canada 2015). Émilie Parent, dans son article sur la sécurité alimentaire des Cris de Chisasibi, a très bien illustré comment la colonisation est responsable des dynamiques de pouvoir inégalitaires entourant la production et la consommation de la nourriture dans les communautés nordiques. Pour elle, la véritable réconciliation doit passer par l’autonomie alimentaire des communautés autochtones (voir Parent, dans ce numéro).

Ces relations entre allochtones et Autochtones qui ont débuté depuis des lunes ont peut-être évolué depuis l’époque de mes grands-parents et arrière-grands-parents, ceux qui ont été envoyés au pensionnat afin de devenir de bons citoyens québécois et canadiens. Toutefois, en tant que jeune femme autochtone, je peux affirmer que ces relations ne se sont pas pour autant améliorées puisque les conditions actuelles des Autochtones témoignent d’un manque flagrant de reconnaissance et d’acceptation de la présence autochtone dans toutes les sphères des sociétés québécoise et canadienne. Bien que plusieurs engagements politiques aient été mis de l’avant par des commissions, notamment la Commission de vérité et réconciliation du Canada (2015), la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics (2019), dite commission Viens, ou encore l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées (2019), un changement concret dans nos sociétés tarde à arriver. Les événements récents entourant la mort de Joyce Echaquan à l’hôpital de Joliette, une jeune femme atikamekw décédée sous les injures d’un personnel médical raciste, et le décès de Raphaël « Napa » André, Innu de Matimekush-Lac John retrouvé dans une toilette chimique au centre-ville de Montréal en pleine pandémie, nous rappellent encore tout le chemin qu’il reste à parcourir pour arriver à une réelle réconciliation.

Pour remédier à cette distance qui nous sépare de la réconciliation, plusieurs initiatives autochtones et non autochtones voient le jour un peu partout au pays. Dans son témoignage, Guitté Hartog nous a d’ailleurs présenté comment, à travers une démarche d’art-thérapie sur le courage, des femmes et des filles autochtones du Mexique et du Québec expriment les enjeux et les luttes sociales auxquelles elles font face aujourd’hui (Hartog, ce numéro). Alexandra Arellano et Joseph Friis, quant à eux, ont discuté de la manière dont les séjours d’immersion dans la communauté de Kitcisakik invitent à une ouverture à l’Autre et offrent une expérience privilégiée de réconciliation entre allochtones et Autochtones (Arellano et Friis, ce numéro).

Expérience personnelle

Pendant longtemps, j’ai remis en question ma place dans la discipline anthropologique et l’influence de ma voix au sein des sociétés canadienne et québécoise, et ce, encore aujourd’hui, puisque j’ai l’impression de devoir me battre contre un système immuable où l’ignorance envers les peuples autochtones fait des ravages. Il est aussi difficile de naviguer dans une discipline face à des institutions qui portent une logique coloniale incohérente, et en contradiction avec celle que je tente de me réapproprier.

Depuis que je suis sur les bancs d’école et que je saisis l’importance du processus de réconciliation, je vois plusieurs comités de consultation ou des projets ayant comme thème emblématique la « réconciliation ». J’entrevois aussi, au travers des médias ou des articles scientifiques, ce retour constant à cette réconciliation promise par les gouvernements. Toutefois, un obstacle à cette entente semble perdurer. Bien que de nombreux leaders autochtones emploient dorénavant ce terme dans leurs discours, le manque de réciprocité face au désir de se réconcilier persiste entre les différentes parties : les Autochtones, l’État et des sociétés. Mais, alors, comment entamer une réconciliation à grande échelle ? Je me suis rapidement rendu compte que la réconciliation entre nos nations est un processus complexe, notamment en raison du système juridique et politique majoritairement occidental. Après tout, Rome ne s’est pas faite en un jour. Alors, à défaut de ne pas pouvoir rendre ce monde meilleur en un jour, j’ai tenté de changer ma perspective face à la réconciliation et de l’aborder plus intimement.

C’est bien avant de faire mes études en anthropologie que j’ai réalisé que j’étais littéralement le fruit de l’assimilation. Je me retrouvais ainsi dépourvue de ma langue maternelle, de toute connaissance de ma culture et encore plus en ce qui a trait au lourd passé historique que j’avais à porter en tant que survivante intergénérationnelle. Je ne connaissais pas mon histoire puisque l’éducation que j’avais reçue hors réserve était un récit se résumant essentiellement aux échanges de fourrures et de miroirs, mais sans plus. J’ai d’ailleurs vécu ces préjugés envers nous, les Autochtones, au travers des microagressions racistes et de l’exclusion. Mon expérience en tant qu’Autochtone m’a fait saisir l’ampleur du problème de la réconciliation entre nos peuples puisque j’en subissais directement les conséquences.

Ainsi, je me suis retrouvée à vouloir me réconcilier avec ma propre culture par un certain retour aux sources. J’ai eu l’immense honneur de parcourir le territoire traditionnel innu en expédition grâce à un projet d’intervention par la nature et l’aventure proposé aux jeunes Innus de ma communauté. J’ai repris contact avec ma langue maternelle ainsi qu’avec des pratiques culturelles oubliées de ma famille. C’est dans cette lancée que je me suis retrouvée avec le désir d’encourager les mouvements autochtones, tels que Femmes autochtones du Québec ou l’Association étudiante autochtone de l’Université Laval, et d’assumer ma place dans la discipline anthropologique. C’est dans le territoire que je me suis retrouvée, mais c’est avec mon cheminement universitaire que je tente d’aider, comme plusieurs autres jeunes Autochtones, pour assurer un avenir à nos communautés et nos nations.

Se réconcilier avec soi-même

Je crois ainsi que dans un processus de réconciliation, il est nécessaire de se réconcilier avec soi-même. Ce n’est pas seulement la relation entre les Premières Nations et l’État qu’il faut (re)nouer, il est aussi nécessaire de renouer avec soi-même. C’est d’ailleurs ce que nos peuples ont compris en faisant preuve d’une force intérieure et d’une résilience collective en témoignant de la vérité. Avec la Commission de vérité et réconciliation du Canada, la mise en lumière de la vérité sur ce lourd passé sociohistorique a soulevé l’importance de reconnaître l’impact colonial et les répercussions sur notre histoire, mais surtout d’en guérir. Ainsi, cette idée de « réconciliation » s’est entamée par nos communautés autochtones, notamment par la guérison individuelle et communautaire, et ce, bien avant que l’utilisation officielle de ce terme par le Québec et le Canada devienne chose courante dans les discours politiques.

Pour les Premiers Peuples, parler de réconciliation implique indéniablement de parler de guérison, d’autodétermination, d’émancipation, d’innovation et surtout de décolonisation. Nous sommes donc témoins dans nos communautés et dans les milieux urbains des nombreuses formes d’actions et d’initiatives qui concrétisent la réconciliation de nos peuples, notamment par la reprise de contact avec le territoire, le retour aux pratiques culturelles, la prise de parole de leaders autochtones, le militantisme, l’autochtonisation des systèmes (architecture, éducation, justice et autres services publics).

La réconciliation nécessite toutefois une réciprocité et une action concrète de la part des allochtones et surtout du gouvernement. Je crois que les efforts de réconciliation peuvent être dupes si une ignorance collective subsiste par rapport aux conditions des Autochtones, des Inuit ainsi que des Métis. Comment se réconcilier avec l’Autre si le récit de nos peuples n’est pas reconnu ni même enseigné comme il se doit à la population canadienne ? L’ignorance collective envers les Premières Nations et les Inuit, qu’elle soit inconsciente ou non, est plus que nuisible à cette réconciliation. La vérité est donc essentielle afin d’entamer le renouvèlement des relations rompues par les nombreuses mesures et politiques coloniales ; n’est-ce pas la vision même que porte la Commission de vérité et réconciliation du Canada ?

Conclusion

Je dois avouer qu’il est parfois essoufflant pour la jeunesse autochtone de porter la mission d’assurer un avenir meilleur et culturellement sécurisant aux générations à venir, surtout en étant enchevêtrée dans une bureaucratie et un système mésadaptés aux réalités autochtones. Néanmoins, j’ai un regain d’espoir en voyant les miens entreprendre des initiatives de tout genre, qu’elles soient communautaires, individuelles, collectives ou même internationales. Par exemple, je pense aux Stages internationaux pour les jeunes Autochtones (SIJA), un programme mis en place par le gouvernement fédéral pour permettre aux jeunes Autochtones d’acquérir des compétences professionnelles à l’international. Le Wapikoni mobile est aussi un autre exemple probant d’initiative qui permet aux jeunes Autochtones de faire entendre leur voix à travers des documentaires faits pour et par les Premières Nations. Comme Manon Barbeau l’a souligné dans son témoignage, les projets médiatiques du Wapikoni mobile visent à faciliter la réconcilAction par l’art et la prise de parole (Barbeau, dans ce numéro). Le leadership autochtone et les actions concrètes au sein de notre société permettent d’entamer ensemble le dialogue de réconciliation avec nos alliés les Canadiens. Cet espoir se nourrit également lorsque j’aperçois de jeunes Autochtones retourner sur le territoire, prendre part à des projets créés pour assurer la viabilité de leur langue et de leur culture, quand je vois l’image et entends le son des artistes autochtones qui partagent un regard poétique et militant sur les causes autochtones, ou lorsque je rencontre des étudiants autochtones sur le campus qui sont inscrits dans tant de programmes différents. Cela peut être aussi, tout simplement, en allant à notre rencontre, que ce soit par la littérature, la musique ou dans la rue lors des manifestations pour la cause autochtone. Bref, c’est par nos actions individuelles que nous pouvons arriver à cette réconciliation.

Pour terminer avec les propos d’An Antane Kapesh, « il ne fait pas partie de ma culture d’écrire » (2019 : préface), mais j’ai pris l’initiative de prendre la plume, comme plusieurs Autochtones de ma génération, puisque nous nous devons de joindre nos voix au dialogue de la réconciliation, peu importe le moyen utilisé et les obstacles à franchir. Ce processus de réconciliation permet d’honorer ceux qui ne sont plus de ce monde, mais aussi d’assurer l’avenir de nos cultures et de nos relations pour nos enfants.