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Marchina Charlotte, 2019, Nomad’s land. Éleveurs, animaux et paysage chez les peuples mongols. Bruxelles, Zones sensibles, 224 p., cartes, illustr., bibliogr., index.[Notice]

  • Émile Duchesne

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  • Émile Duchesne
    Département d’anthropologie, Université de Montréal, Montréal (Québec), Canada

Même si ces groupes ethniques sont apparentés linguistiquement et culturellement, le pastoralisme des Bouriates et celui des Halh divergent sur plusieurs aspects, notamment en raison de contextes écologiques, économiques et politiques différents. Au fil de l’ouvrage, Marchina s’intéresse à divers thèmes comme les pâturages, la surveillance des troupeaux, les espaces du campement, la place des chiens dans les pratiques pastorales, les races d’animaux d’élevage, etc. Cependant, le point le plus intéressant de Nomad’s land est sans aucun doute l’analyse de la notion de « nutag ». Cette notion renvoie au lieu où l’on vit, que ce soit le pays, la province, le district ou même le campement, mais également au réseau de relations — de parenté, de voisinage, avec les esprits-maîtres, etc. — impliqué par le lieu en question (p. 77-78). Selon Marchina, le nutag exerce une force d’attraction sur les animaux, qui se répercute par une propension — variable d’une espèce à l’autre — à revenir au lieu d’origine. Les différents nutag se dessinent ainsi « comme un réseau de centres d’attraction, mis en relation par les trajets effectués par les humains et les animaux » (p. 88). La capacité des animaux à se déplacer de façon autonome dans ce réseau de points d’attraction est d’ailleurs utilisée par les éleveurs comme critère pour évaluer l’intelligence d’une espèce. Du point de vue comparatif, les principales conclusions de Marchina sont que le pastoralisme mongol a une orientation domestique tandis que l’élevage bouriate repose sur la marchandisation et le salariat. Le corollaire de cette situation est que les « éleveurs mongols prônent une propriété publique […] de la terre pour maintenir une flexibilité, tandis que les Bouriates se voient contraints de devenir propriétaires de leurs terres » (p. 202). Du côté mongol, le nomadisme est toujours d’actualité, assurant une flexibilité permettant de s’adapter aux distorsions climatiques, et s’inscrit également dans une stratégie d’affirmation nationale. Du côté russe, le nomadisme est de moins en moins actuel en raison de la privatisation des terres et de l’émergence de pratiques agricoles. Si le nomadisme est toujours valorisé moralement et culturellement par les Bouriates, « ils n’aspirent pour autant pas à changer leur mode de vie d’éleveurs pour le rapprocher de celui des Mongols » (p. 203). De façon peut-être un peu prévisible en raison de l’accent mis sur le concept d’« adaptation », l’auteure conclut à la flexibilité des deux systèmes pastoraux, « malgré des forces globales qui pourraient l’ébranler, et qui se font toutefois de plus en plus puissantes » (p. 204).