Les déplacements de populations ne sont pas nouveaux ou récents : depuis toujours, l’humain s’est déplacé à différentes échelles — locale, régionale, nationale et internationale —, que ce soit pour des questions de survie, de conquête, de guerre, de religion, de parenté ou de travail (Salazar et Smart 2011). De nos jours, d’autres raisons, plus personnelles, incitent les personnes au déplacement, telles que les loisirs, la santé ou le mode de vie. La mobilité, impliquée dans ces nouvelles formes de déplacement, prend une autre dimension : elle devient valorisée, recherchée, source d’épanouissement, et trône sur une sorte de piédestal dans grand nombre de sociétés qui l’associent à un gage de réussite sociale ou économique. Elle provoque également des disparités dans la possibilité même de réussite. Si la circulation des personnes s’est vue facilitée par toute une évolution technique (moyens de transport) et technologique (moyens de communication et accès à l’information) lors des dernières décennies, les déplacements sont paradoxalement freinés par les États-nations qui dressent certains obstacles en vue de contrôler et de maîtriser ces flux de mobilité (ibid.). Il suffit de penser ici au contrôle des frontières qui, pour un grand nombre de personnes, est un obstacle (quasi) infranchissable. Comme le souligne Étienne Balibar : Ce sont les États-nations qui déterminent, très largement, qui a le droit ou non de circuler à l’intérieur et en dehors d’un territoire national, ce qui génère dès lors des différenciations, des hiérarchisations, au sein même des populations. Certaines personnes vont avoir un accès facilité à la mobilité, voire même vont être encouragées à en faire usage, alors que d’autres n’y auront pas ou peu accès, si ce n’est dans l’illégalité ou sous une forme contraignante. Le contexte pandémique actuel nous rappelle parfaitement à quel point les États-nations sont maîtres de notre propre mobilité et comment cette hiérarchisation peut s’effacer (parfois même s’inverser) lorsque les déplacements sont restreints ou interdits. Étudier la mobilité en sciences sociales n’est pas chose facile tant les interprétations de ce qui est entendu par « mobilité » divergent. Il peut être question de mobilité spatiale, physique, informationnelle, culturelle, sociale ou matérielle, pour n’en citer que quelques-unes. Cette complexité s’est avérée dans l’élaboration même de ce numéro thématique et, de surcroît, avec l’idée que celle-ci devienne mode de vie. En effet, qu’est-ce qu’un mode de vie mobile ? Si nous avions une idée relativement claire de ce que cela signifiait, travaillant sur ce sujet depuis plusieurs années, nous nous sommes aperçus au fur et à mesure que de nombreuses variantes et nuances provenant de conceptions différentes permettaient de questionner l’idée que nous en avions et, ainsi, de la faire évoluer. Il nous a donc fallu réfléchir ce numéro autrement, en nous servant de ces divergences pour saisir toute la complexité de ce qu’est un mode de vie mobile. La proposition qui est faite ici relève plus d’un laboratoire réflexif sur la mobilité comme mode de vie — ce qui est nommé en anglais lifestyle mobilities — à partir de cas d’études variés que d’une volonté de catégorisation en vue de démontrer tout le potentiel de recherche de ce champ d’études relativement récent. Elle découle également d’une volonté d’offrir un premier numéro en français sur cette thématique et ainsi de suggérer une terminologie en français de notions fréquemment utilisées dans la littérature scientifique anglophone ayant trait à ces modes de vie mobiles. Afin de saisir ce que nous entendons par « mobilité comme mode de vie » ou ce que nous appellerons plus communément « modes de vie mobiles », il nous semble opportun de revisiter les termes qui lui …
Parties annexes
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